Les anciens couvents de Lyon/02. Annonciade

La bibliothèque libre.
Emmanuel Vitte (p. --58).

L’ANNONCIADE



CE nom est commun à plusieurs ordres, religieux ou militaires, institués en l’honneur du mystère de l’Annonciation. Les Servites, connus aussi sous le nom de frères de l’Ave Maria, formaient un ordre de l’Annonciade, fondé par sept riches marchands florentins. On compte aussi l’Annonciade de Savoie, consacrée par le pape Félix V, primitivement duc de Savoie ; les Annonciades de Bourges, instituées par Jeanne de Valois, fille de Louis XI et épouse divorcée de Louis XII ; les Annonciades célestes, dont nous allons dire quelques mots.

Cet ordre fut fondé à Gênes, en 1604, par une sainte veuve nommée Henri-Victoire Fornari. Elle naquit, en i562, de Jérôme Fornari et de Barbe Vénerose, qui tenaient dans la société génoise une place distinguée. Si elle *eût été libre de suivre ses premières inclinations, elle se serait donnée à Dieu dès sa jeunesse, mais elle obéit à ses parents, qui lui donnèrent pour époux Ange Strate, dont elle eut six enfants. Neuf ans après son mariage, elle était veuve.

Elle pleura son mari qu’elle aimait tendrement, mais dès son veuvage elle reprit les vagues projets de sa jeunesse. Le nombre de ses enfants ne lui permit pas de les mettre aussitôt à exécution. Mais quand ils furent en âge de choisir leur voie, ils se consacrèrent tous à Dieu. Des quatre garçons, le plus jeune mourut en bas âge, les trois autres entrèrent dans l’ordre des Minimes ; les deux filles se firent chanoinesses régulières. Plus libre, la pieuse veuve songea aux moyens d’être utile à son âme et à l’Église, et ses intimes désirs la poussèrent à songer à la fondation d’un ordre nouveau. Son confesseur, le jésuite Bernardin Zonon, avait aussi la même sainte ambition ; l’accord fut bientôt fait entre ces deux âmes dévouées. Les difficultés matérielles et morales ne manquèrent pas, mais enfin, en 1602, l’archevêque et le Sénat de Gênes donnèrent à Victoire Fornari les autorisations qu’elle sollicitait depuis longtemps. Un jour, quatre personnes vinrent à elle pour être ses compagnes et les premières religieuses de l’ordre. Parmi elles était Vicentine Lomellini, femme d’Étienne Centurion, noble génois, dont elle eut onze enfants ; les deux dernières se firent religieuses avec leur mère. L’ordre de l’Annonciade Céleste fut grandement redevable à cette famille. Le P. Zonon dressa les constitutions, et le souverain Pontife les approuva en 1604 ; l’ordre était fondé. Urbain VIII donna la bulle de confirmation.

Du vivant même de la fondatrice, l’ordre se répandit en France ; avant sa mort, qui arriva le 15 décembre 1617, elle eut la consolation de savoir ses filles établies à Pontarlier, à Vezon en Bourgogne et à Nancy. La Mère Victoire Fornari fut béatifiée par le souverain pontife Léon XII, le 2 septembre 1828. Outre ces trois maisons, on comptait encore, avant la Révolution, celles de Champlitte en Bourgogne, de Saint-Mihiel en Lorraine, de Nozeroy, de Saint-Claude, de Joinville, de Saint-Amour, de Haguenau en Alsace, de Paris, de Langres, de Lyon. Les seuls monastères de Joinville et de Langres ont été rétablis.

religieuse de l’annonciade céleste

Comme on appelle encore aujourd’hui les Filles de la Charité les Sœurs Grises, à cause de leur vêtement, on appela vulgairement les religieuses de l’Annonciade les Bleues-Célestes, à cause de leur costume. Elles portaient en effet une tunique de laine blanche, une ceinture, un scapulaire et un manteau de chœur bleu céleste, et le voile noir ; leur chaussure même était en cuir bleu. Ce que dans les autres ordres on appelle guimpe s’appelle chez les Annonciades honestine, et cette honestine est fort plissée. Elles ont pour armes une Annonciation.

Le but de cet institut est d’adorer et d’imiter les anéantissements du Verbe divin dans le mystère de l’Incarnation ; d’honorer aussi d’un culte spécial la Vierge Marie, dans le mystère de son Annonciation, sous le patronage de laquelle l’ordre a été institué.

La règle est celle de saint Augustin, avec certaines particularités : elles ne doivent point avoir de tapisseries dans leurs églises, ni de parements et ornements qui soient d’étoffe d’or et d’argent, ni même de soie, excepté le pavillon du tabernacle. Elles ne doivent point avoir de chandeliers, lampes ni encensoirs d’argent ; les linges d’église ne doivent pas être ornés de dentelles de prix. Outre les jeûnes d’Église, elles jeûnent aussi l’Avent et les vendredis de l’année, et aussi la veille de certaines fêtes. Les lundis et mercredis, elles doivent faire abstinence ; le jeudi et le samedi, prendre la discipline ; le mardi, une ceinture de crin. Elles disent tous les jours le grand office et l’office de la sainte Vierge ; elles ne doivent avoir aucun chant ou musique ; elles font une heure d’oraison le matin et autant le soir, et chaque année, la veille de la Nativité de. Notre-Dame, elles renouvellent leurs vœux. Elles ajoutent aux trois vœux ordinaires de religion le vœu de clôture, et la clôture est d’une telle rigueur que la solitude des Annonciades diffère peu de celle du tombeau.

Ce sont ces religieuses qui vinrent s’établir à Lyon en 1624, mais ce n’est que l’année suivante qu’elles furent établies dans la vaste propriété de l’Annonciade, située au-dessous de celle des Carmélites.

La fondation du couvent de l’Annonciade à Lyon rappelle un nom qu’il ne faut pas passer sous silence, celui de Gadagne. Les Gadagne étaient originaires de Florence ; ils vinrent s’établir à Lyon au commencement du seizième siècle. Thomas de Gadagne fut dans notre ville un Jacques Cœur au petit pied ; il fit la banque et le commerce en gros avec un grand succès. Aucune famille étrangère ne put se flatter d’avoir acquis à Lyon autant de richesses ; aussi était-il passé en proverbe de dire : riche comme Gadagne. Faire le bien était pour lui un vrai plaisir ; il fit bâtir l’hôpital Saint-Thomas, à la Quarantaine, pour les pestiférés, et une chapelle magnifique dans l’église des Jacobins, où il fut enterré. Les membres de cette famille se retirèrent plus tard dans le Comtat-Venaissin, qui faisait alors partie des États de l’Église, et le pape les fit ducs.

Le plaisir de faire le bien se perpétua dans cette famille : Gabrielle de Gadagne, petite-fille de ce Thomas de Gadagne, fille d’une demoiselle de Lugny et veuve du seigneur Mitte de Chevrière, marquis de Saint-Chamond, était remarquable par son zèle et par ses vertus : c’est elle qui, après avoir fondé la maison des Minimes de Saint-Chamond et le second collège des Jésuites à Lyon, fonda dans notre ville le premier monastère des religieuses de l’Annonciade.

Pour nous aider dans l’exposé de cette fondation lyonnaise, nous avons un livre, dont voici le titre un peu long : Histoire de l’établissement et du progrès du premier monastère des religieuses Annonciades célestes de la ville de Lyon, fondé par Mme  Gabrielle de Gadagne, comtesse de Chevrière, etc., contenant un abrégé de la vie des religieuses qui y sont mortes, depuis le commencement de la fondation du monastère jusqu’à présent, savoir, depuis l’an 1624 jusqu’à 1698 ; dédié à Mgr l’archevêque de Lyon, divisé en deux parties et composé par la R. M. Marie-Hiéronisme Chausse, religieuse du même monastère. — À Lyon, chez la veuve de Cl. Chavance et M. Chavance fils, rue Mercière. — 1699. — C’est à cet écrit que nous emprunterons la plus grande part de nos renseignements.

Mme Gabrielle de Gadagne, comtesse de Chevrière, après avoir perdu son mari, perdit aussi son fils, emporté par l’explosion d’une mine, au fameux siège de Turin, en présence de Louis XIII, qui donna des regrets à sa mort. La pauvre mère en deuil se tourna du côté de Dieu, à qui elle fit l’offrande de ses biens et d’elle-même. D’après les conseils des Pères Jésuites, elle résolut de fonder une maison d’Annonciades Célestes à Lyon.

Elle fit immédiatement les démarches nécessaires. Le 8 juillet 1623, elle écrivit à M. l’abbé Thomas Mechatin de la Fay, comte de Lyon et vicaire général de Mgr de Marquemont, alors résidant à Rome, pour demander la permission de fonder l’établissement projeté. Elle écrivit ensuite au monastère de Pontarlier, le premier fondé en France, comme nous l’avons vu, pour exposer son projet et demander quelques religieuses qui consentissent à venir à Lyon. Et de suite elle s’occupa activement de préparer un logis convenable à la petite colonie qu’elle attendait. Avec une grande générosité elle pourvut à tout, soit à la chapelle, soit dans la maison, à la salle de travail, au réfectoire, à la cuisine. Une dernière démarche était nécessaire, il fallait l’autorisation du Consulat ; elle écrivit aux Messieurs de la ville, qui, le 24 mars 1624, donnèrent l’autorisation demandée.

Quand tout fut prêt, sur la fin de septembre 1624, le P. Lejeune, prédicateur et religieux de la compagnie de Jésus, alla chercher à Pontarlier les religieuses destinées à la fondation de Lyon. Ces religieuses étaient au nombre de quatre, auxquelles on adjoignit trois jeunes filles qui, la veille de leur départ, avaient reçu l’habit des Annonciades. Ce départ eut lieu le 7 octobre, et l’arrivée à Lyon le 16 du même mois. Elles furent logées au quartier de Bellecour, dans la maison de M. de la Chassagne. Le 6 novembre, le contrat de fondation fut signé. Mme de Chevrière constituait une pension annuelle et perpétuelle de mille livres, au sort principal de seize mille livres, suivant l’usage de cette époque, hypothéqués sur les biens qu’elle possédait en Mâconnais. La location de la maison coûtait trois cent soixante livres, et la fondatrice s’en réserva le jardin et les écuries. Les religieuses s’engageaient à la laisser entrer dans le monastère, avec sa demoiselle ou autre fille ou femme de sa maison, et d’y demeurer et coucher tout le temps qu’il lui plairait. Si l’on venait à lui contester ce droit, les Annonciades seraient privées de la pension. La communauté s’obligeait aussi à recevoir quatre filles ou demoiselles sans dot, pourvu qu’elles pussent fournir un ameublement et un présent pour l’église, le tout montant à trois cents livres. Parmi les clauses, il y avait encore celles-ci : Le ier novembre, fête de tous les saints, l’aumônier devait, à la messe conventuelle, donner à la fondatrice un flambeau de cire blanche du poids d’une livre, comme un hommage à sa qualité de fondatrice. Ce même jour, les religieuses devaient communier, et le prêtre, à la fin de la messe, dire quelques oraisons pour elle et pour les siens. Enfin, de leur bon gré et volontairement, les sœurs s’obligeaient à dire pour elle, immédiatement après son décès, tout le grand office des morts, durant l’espace de trente jours.

Mais la maison de M. de la Chassagne était insuffisante, et le quartier de Bellecour était trop bruyant ; on chercha un autre local. Mme  Loubat, veuve de M. Guérin, bourgeois de Lyon, offrit sa maison et ses dépendances, près des Carmélites. Tous droits compris, cette acquisition coûta douze mille livres. Un peu après, on acheta une maison Lenoir, avec le jardin qui en relevait, au prix de trois mille livres ; alors le monastère des Annonciades

le cardinal de richelieu

occupa le terrain qui s’étend des Carmélites jusqu’au bas de la côte. Les religieuses y entrèrent le Ier novembre 1625. On y bénit, avec les cérémonies accoutumées, l’oratoire du couvent et une grande croix bleue et blanche, qui fut plantée sur le portail de la chapelle. Quelques années plus tard, le nouvel établissement fut consacré par le cardinal Alphonse-Louis du Plessis de Richelieu, frère du célèbre ministre qui régna sur la France sous le pseudonyme de Louis XIII ; ce cardinal avait été religieux à la Chartreuse de Lyon, et l’on peut voir son tombeau dans la chapelle de la Charité.

Nous avons quelques détails sur la vie intérieure du monastère. La Mère Marie-Jeanne-Baptiste-Angèle rendit un signalé service à sa maison en traduisant en français les constitutions de l’ordre, qui étaient écrites en italien. La ferveur, la régularité, l’esprit d’oraison et de pénitence ne firent qu’y gagner. À cette époque, le jansénisme s’infiltrait partout, quelques couvents de Lyon en furent empoisonnés. Les Annonciades furent loin de donner dans ces erreurs, les communions y étaient très fréquentes, et une religieuse de cet ordre, qui. avait visité plusieurs maisons, put dire de celle de Lyon que c’était le monastère le mieux réglé de tous ceux qu’elle avait vus ;« Les jeûnes, les mortifications, la discipline, le cilice étaient les moindres pénitences ; l’obéissance se pratiquait sans jamais raisonner. Quand les Annonciades affligeaient leur chair, elles se retiraient dans des caves ou cavernes qui étaient dans le vieux bâtiment, et fort semblables à ces grottes dont on nous parle dans la Vie des Pères du désert. Elles faisaient plus : la mortification était en tel honneur que je ne me sens pas le courage de transcrire ce que cette bonne Mère Chausse écrit avec tant de calme. Cette ferveur, bien loin d’éloigner les sujets, les attirait au contraire : pendant les neuf premières années, on reçut trente-sept novices.

Et cependant nous avons à signaler un fait qui n’est pas à la louange des Annonciades. Nous avons vu plus haut tout le bien que leur fit la comtesse de Chevrière, nous avons lu les clauses du contrat de fondation, où il est clairement et positivement stipulé que Mme  de Chevrière pourra pénétrer dans le monastère, y demeurer, y coucher. La reconnaissance, l’amour de la vérité, le soin de leur propre intérêt devaient donc conseiller aux religieuses de respecter ce privilège de la fondatrice. Il n’en fut rien cependant. S’imaginant sans doute que leur clôture était violée, elles contestèrent à Mme  de Chevrière le droit d’entrer et de demeurer dans le monastère, suivant sa volonté, avec sa demoiselle ou autre fille ou femme de sa suite. La fondatrice maintint son droit, et menaça de retirer sa pension. L’affaire fut arrangée par l’autorité ecclésiastique, qui maintint Mme  de Chevrière dans la jouissance de son privilège, formellement reconnu. Ces faits se passèrent en 1627, trois ans après la fondation.

Cette même année, et le 3 juillet, eut lieu l’acquisition du Château-Gaillard, appartenant à M. Ganière, au prix de 3,300 livres. C’était un charmant petit castel en miniature qui était situé un peu au-dessous de la place Rouville actuelle, et que nos anciens doivent se rappeler avoir vu, car il est resté longtemps démantelé et ne disparut que peu avant la révolution de 1848. Situé en dehors de la clôture, il servit d’abord de noviciat ; puis, en 1653, il fut mis dans la clôture et reçut des pensionnaires pour assurer quelques revenus au monastère « dont le temporel, dit toujours la Mère Chausse, était dans un état pitoyable. » À cette occasion, la fondatrice, oubliant ses griefs, fit un don de six mille livres, et, quelque temps après, de huit cents. Je ne cite que pour mémoire certaines acquisitions de maisons dont on trouve des traces aux archives municipales : deux maisons, sises côte Saint-Sébastien ; des maisons, sises rue Bouteille ; quatre maisons, rue Saint-Marcel ; une autre, rue des Auges. Nous verrons plus loin que ces acquisitions ne furent pas une cause de prospérité.

Le cardinal de Marquemont, qui était à Rome, avait envoyé de la ville sainte, en 1628, des reliques de corps saints, et on les avait déposées dans la cathédrale de Saint-Jean. La comtesse de Chevrière demanda et obtint pour les Annonciades le corps de saint Anastase, pape et martyr. Elle commanda un beau reliquaire d’argent : il avait la forme d’une église, quinze piliers d’argent en soutenaient la voûte, sur laquelle il y avait un crucifix également d’argent ; l’entre-deux des piliers était fermé avec des cristaux de Venise. Le 17 août, le comte de Cremaux, doyen, MM. de Chamarzel et de Mechatin de la Fay, vicaires généraux du diocèse, firent placer- les reliques dans le reliquaire, et on le porta solennellement au monastère.

Cette même année 1628, on s’aperçut que, dans la fondation de cette maison de Lyon, une importante formalité avait été omise : l’approbation du pape. Fondation nulle, disait-on, engagements religieux nuls, et l’on ne parlait de rien moins que de disperser les religieuses et supprimer le couvent pour les punir de leur témérité et de leur négligence. Cette affaire leur causa beaucoup de tracas. Cependant la bulle fut obtenue du pape Urbain VIII et fut publiée à Lyon, le 6 novembre, par Mgr de Richelieu, et les formalités ne furent entièrement remplies que le 6 septembre 1629.

Le 7 novembre 1635 mourut la comtesse de Chevrière, et à cette époque l’église du monastère n’était pas achevée. ; elle ne le fut qu’en 1637, grâce aux libéralités de quelques pieux Lyonnais. Parmi ces derniers était un sieur Scarron, trésorier de France, qui donna le retable de l’autel. Puisque son nom se rencontre sous ma plume, j’ajoute qu’il était le père d’une des religieuses, qui fit son entrée au couvent d’une façon fort singulière. En 1635, elle entra chez les Annonciades contre la volonté de son père. Son père la fit sortir. Elle ne tarda pas à revenir, mais, craignant qu’on ne voulût pas lui ouvrir la porte, elle se chargea, non pas d’une échelle, mais d’une porte si pesante qu’elle aurait fait la charge d’un homme, et, l’ayant portée et appliquée à l’endroit où elle crut pouvoir entrer, elle monta dessus avec une adresse qui tenait du miracle, dit la Mère Chausse. De là elle grimpa sur un mur et se jeta dans un si méchant endroit qu’on y trouva la pauvre enfant les mains toutes déchirées et le corps tout meurtri de la violence du coup qu’elle s’était donné dans sa chute. Ce coup fut victorieux pour elle : Monsieur son père n’osa plus s’opposer à la volonté du Seigneur. La fille, qu’on appelait dans le monde Mlle  Scarron, fut appelée Marie-Jeanne-Madeleine dans la religion.

L’historiographe des Annonciades parle aussi de la peste qui, à plusieurs reprises, exerça des ravages à Lyon. La communauté avait bien des craintes ; elle fit un vœu à saint Charles, qui se montra si grand et si dévoué dans la peste de Milan. Une seule religieuse fit opposition à ce vœu, et elle fut la seule qui fut emportée par le fléau, et, coïncidence étonnante, sa maladie commença le 4 novembre, fête de saint Charles.

Dans les mille détails qui font la vie d’une communauté, je trouve celui-ci : la supérieure ou prieure de l’Annonciade avait fait ouvrir des jours ou fenêtres sur le couvent de la Déserte, qui était contigu. L’abbesse de la Déserte réclame aussitôt et les fait fermer.

Voici un autre détail qui ne fera pas sourire nos voisins, ou plutôt nos voisines du Dauphiné. Le monastère de Lyon envoya à Grenoble une petite colonie de religieuses pour y fonder une maison. Elles y restèrent deux ans sans y recevoir aucune novice, il ne s’en présenta aucune. « L’austérité de leur vie et leur retraite faisaient peur, et l’on sait assez que les filles du Dauphiné ne pouvaient guère s’en accommoder. » Ces pauvres Annonciades grenobloises, manquant de secours et dépensant plus que leurs revenus, furent obligées de rentrer à Lyon.

Nous avons déjà entrevu que « le temporel était dans un état pitoyable ». L’histoire de ce couvent est à ce point de vue assez lamentable, il est à croire qu’un manque d’ordre était au fond ; s’il y a quelques moments de prospérité, il y a de longues années d’embarras. Pour y remédier, on eut recours à bien des expédients. Le premier et le plus blâmable fut employé par la mère Marie-Jeanne-Baptiste-Angèle qui, tout simplement, réduisit les repas de la façon la plus économique. Il fallut une visite canonique pour faire disparaître cet abus. Dans un autre moment de détresse, et le couvent, qui ne doit pas avoir plus de quarante religieuses, étant rempli, on ne trouva rien de mieux que de renvoyer à Pontarlier les trois religieuses qui étaient venues faire la fondation ; c’étaient trois places faites à de nouvelles venues et à de nouvelles dots. La clause des quatre filles ou demoiselles sans dot avait été modifiée même =du vivant de la fondatrice ; le nombre avait été réduit à une seule. L’admission de pensionnaires au Château-Gaillard était encore un expédient, et cependant la situation ne s’améliora pas, car, dans le rapport de l’intendant Dugué, en 1668, il est dit : le premier couvent de l’Annonciade se compose de trente-neuf religieuses et deux tourières, avec un revenu de 3.349 livres et une dépense de 9.010. Voilà un budget qui fait rêver.

Les documents nous font défaut pour tout ce qui touche le dix-huitième siècle ; il est à croire que le monastère continua sa vie obscure et calme au milieu de ces malaises temporels. À l’époque si malheureusement tourmentée de la Révolution, il fut supprimé et devint une caserne de vétérans ; l’église fut momentanément convertie en théâtre, qui conserva le nom de Bleues-Célestes, et qui fut exploité par une société de jeunes amateurs de Lyon. L’auteur des Canettes de Jérôme Roquet, Louis-Étienne Blanc, parût dans des représentations où il remplissait les rôles de Jocrisse avec beaucoup de verve. En 1807, l’église des Bleues-Célestes fut mise à la disposition du ministre de la guerre. Ce ne fut que sous l’administration de Mgr Fesch, oncle de Napoléon Ier, que le couvent de l’Annonciade revint à un usage plus conforme à sa destination première. Il devint la maison mère des dames de Saint-Charles, qui vinrent s’y installer le 3 février 1808. Nous en parlerons plus loin avec plus de détails.

Malgré les bouleversements et les réparations que fait ou qu’exige le temps, on a conservé, au-dessus de la porte d’entrée, une pierre qui a une valeur historique. On y lit cette inscription :

premier monastère de
l’annonciade céleste. 1624.

Ce mot « premier » indique qu’il a existé à Lyon un second monastère de l’Annonciade. En effet, dans le courant du dix-septième siècle, fuyant les discordes de la guerre, les Annonciades-Célestes de Saint-Amour, en Franche-Comté, vinrent d’abord se loger au quartier de Bourg-Neuf, près de la porte de Vaise ; ensuite elles s’établirent dans la maison des Neyret[1], en 1656. Le plan de 1740 place encore le couvent de Saint-Amour, c’est ainsi qu’on l’appelait, le long de la partie méridionale de la rue Neyret. Elles

pierre du premier monastère de l’annonciade
prise dans le portail de la maison Mère de Saint-Charles.

y restèrent jusqu’en 1749 ; à cette date, elles furent transférées dans le premier monastère. Deux ans plus tard, comme nous le verrons en son lieu, elles furent remplacées par les dames du Bon-Pasteur.

SOURCES

Dictionnaire des ordres religieux.

Le Miroir des ordres religieux, par l’abbé Maillaguet.

La Vie de Marie-Victoire Fornari, traduite de l’italien en français par le Père Lebreton.

Morel de Voleine et de Charpin, Archives de Lyon.

Les Canettes de Jérôme Roquet, préface.

Almanachs de Lyon ; almanach de 1834, page 82.

Histoire des Annonciades-Célestes, par la mère Marie-Hiéronisme Chausse.

Le Monastère des Annonciades, par Collombet, dans la Revue du Lyonnais, octobre 1843.

Lamure, page 220.

Lumina, page 409.

Voyage en chemin de fer de Lyon à la Croix-Rousse, par Paul Saint-Olive.

Archives municipales.




  1. La rue Neyret fut percée en 1619 sur une partie du tènement appartenant au sieur Noël Neyret.