Les anciens couvents de Lyon/07. Bernardines

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Emmanuel Vitte (p. 161-174).

LES BERNARDINES



SAINT Robert de Molesmes avait fondé Cîteaux, mais les commencements de cet ordre avaient été difficiles. La vie sévère qu’on y menait décourageait ceux qui avaient choisi ce genre de vie, et effrayait ceux qui étaient tentés de l’embrasser. Au moment où cet ordre semblait devoir s’éteindre, Dieu envoya Bernard, avec trente compagnons, frapper à la porte du monastère. Dès lors, Cîteaux fut florissant, et peu après Bernard partait, à la tête de quelques religieux, fonder une nouvelle colonie. Le lieu qu’il choisit était une vallée, redoutée des voyageurs et fréquentée par les brigands ; elle s’appelait Vallée d’Absinthe. Elle fut bientôt transformée et s’appela Claire-Vallée ou Clairvaux. Clairvaux devint bientôt un sanctuaire de régularité, de mortification, de sainteté ; on ne pouvait voir Clairvaux sans admiration comme sans respect.

Saint Bernard avait gagné au Seigneur toute sa famille, et même son père. Il ne restait dans le monde que sa sœur Humbeline, qui se livrait aux frivolités de la terre. Un jour, elle alla voir saint Bernard, son frère, qui d’abord n’accepta pas cette entrevue ; mais, se ravisant, il lui parla avec tant d’éloquence et d’onction, que bientôt après elle s’enferma dans le monastère de Juilly. C’est à sainte Humbeline, disent les uns, à saint Bernard lui-même, disent les autres, que remonte la fondation des religieuses Bernardines.

La pauvreté la plus profonde, j’allais dire la misère, régnait dans ces divers ordres religieux, lorsqu’ils étaient à leur berceau. Mais peu à peu, par le travail des moines et par les bienfaits des fidèles, ils devinrent riches ; ce fut un écueil dans la suite. Le relâchement s’introduisit dans le cloître, il n’y eut bientôt plus de règle, il n’y eut que des caprices et d’inqualifiables libertés. En ce qui concerne les Bernardines, les abus allèrent loin. Mais Dieu suscita de ferventes religieuses pour faire revivre le premier esprit de Cîteaux. Il y eut néanmoins une double conduite dans ce retour : les unes embrassèrent toutes les rigueurs de la règle ; les autres, effrayées de cette grande austérité, se contentèrent d’adopter des observances qui, remplies de sagesse et de modération, les mettaient à l’abri du dérèglement et du relâchement. Les religieuses Bernardines réformées furent de ces dernières ; ce sont elles qui fondèrent à Lyon une communauté.

Or, en quelques mots, voici l’histoire de cette réforme :

À l’âge de sept ans entra, dans l’abbaye de Sainte-Catherine, de l’ordre de Cîteaux, dont l’abbesse était sa parente, Mlle Louise de Ballon, fille d’un ambassadeur du duc de Savoie en France et en Espagne. À seize ans (1607), elle fit profession, et sa vertu était déjà notoire et vénérée. Mais cette abbaye de Sainte-Catherine se laissait doucement aller au relâchement spirituel : il n’y avait plus de clôture, et le monde et son esprit pénétraient à pleines portes dans le monastère. Saint François de Sales, proche parent de Louise de Ballon, fut prié par l’abbé de Cîteaux, dom Nicolas Boucherat, de réformer cette communauté. Qui le croirait ? Les efforts du doux évêque de Genève furent inutiles. Mais l’heure de Dieu vint à sonner, et cinq religieuses, parmi lesquelles Louise de Ballon, parlèrent quelques années plus tard à saint François de Sales de leur projet de commencer une réforme dans un autre lieu, parce qu’à Sainte-Catherine elles ne trouveraient que des résistances. Après avoir obtenu toutes les autorisations nécessaires de l’abbé de Cîteaux et de l’abbé de Tamié, ces cinq religieuses, la jeune mère de Ballon à leur tête, allèrent, en 1622, à Rumilly, inaugurer cette réforme.

religieuse bernardine réformée de la divine providence

Ces cinq religieuses furent les mères Bernarde de Vignol, Louise de Ballon, Emmanuelle de Monthoux, Péroné de Rochette et Gasparde de Ballon, soeur de Louise. Le 8 septembre elles prirent possession de leur chapelle, et le 21 du même mois elles se vêtirent de l’habit de la réforme. Elles prirent alors le nom de Filles de la Divine Providence, mais le peuple les a toujours appelées les religieuses Bernardines réformées.

Vers cette même époque, l’abbaye des Haies, près de Grenoble, se trouvait dans le même état que l’abbaye de Sainte-Catherine, et, comme à Sainte-Catherine, quelques religieuses ferventes désirèrent sortir de ce milieu relâché pour être plus à Dieu ; au nombre de quatre elles allèrent demander asile à l’abbaye de Rumilly. Ces quatre religieuses étaient la sœur de Monténard, encore novice, la mère de Paquier, coadjutrice de l’abbaye des Haies, et les mères de Buissorond et de Ponçonas. Cette dernière devint plus tard supérieure d’une maison fondée à Paris, causa à la mère de Ballon toute espèce d’ennuis et agita assez le nouvel ordre pour qu’on ait été obligé plus tard de le scinder en deux branches, celle de France et celle de Savoie.

Les Constitutions, établies sous la direction de saint François de Sales, ne comportaient pas les grandes austérités de Cîteaux : elles étaient, à proprement parler, une conduite spirituelle convenable à toute personne désireuse de sa perfection, et pour les usages particuliers, il y avait beaucoup de ressemblance avec ceux de la Visitation. L’usage de la viande leur fut permis trois fois par semaine, elles portaient du linge et se servaient de matelas. Quant à l’habillement, elles se conformaient, pour la couleur, à l’ordre de Cîteaux, et pour la forme, à celui de la Visitation, excepté le bandeau qui était blanc. Elles réussirent plus tard à se soustraire à la juridiction des Pères de l’ordre, qui en vain s’y opposèrent ; elles obtinrent en 1628 un bref du pape Urbain VIII, qui les mettait sous celle des Ordinaires.

Après Rumilly, la mère de Ballon fonda les monastères de Grenoble, Maurienne, La Roche, Seyssel, et en France, de Vienne et de Lyon, qui furent suivis, peu de temps après, des fondations de Toulon et de Marseille.

En 1631, l’année même où était fondé le couvent de Lyon, la mère de Ballon fit imprimer à Paris les Constitutions du nouvel institut ; ces Constitutions étaient revêtues de toutes les autorisations et approbations nécessaires, à l’exception de celles de Rome, qui ne furent données qu’en 1634. Mais, cette même année 1634, la mère de Ponçonas, venue à Paris pour y fonder un nouvel établissement, fit réimprimer les Constitutions, avec quelques changements. Ce fut la source de beaucoup de troubles et de divisions dans cette congrégation.

Le couvent de Lyon, fondé par la mère de Ballon, eut d’abord les Constitutions de la fondatrice, mais plus tard il adopta celles de la mère de Ponçonas ; il obtint même un bref de Rome qui l’exemptait de la dépendance du monastère de Rumilly et l’unissait à celui de Grenoble.

Mais revenons à la fondation du monastère de Lyon. C’est en 1631 que la mère de Ballon y amène des religieuses. D’après le manuscrit de la Visitation, elles habitèrent tout d’abord au Gourguillon, dans l’ancien monastère de la Visitation fondé par la mère de
clos et maison des bernardines

Quérard, et inoccupé depuis que celles-ci avaient acheté l’Antiquaille. L’année suivante, le 30 octobre 1632, le cardinal Alphonse-Louis du Plessis de Richelieu, archevêque de Lyon, donna aux religieuses réformées, de l’ordre de Saint-Bernard la permission de s’établir à Lyon, « à la charge néanmoins, disait-il, d’être à perpétuité sous notre visite, juridiction, obéissance et toute autre supériorité, et de nos successeurs archevêques de Lyon. » Le consulat donna son autorisation le 5 janvier 1633, et le roi, des lettres patentes datées du mois d’avril de la même année.

Les Bernardines ne restèrent pas longtemps à la montée du Gourguillon ; elles allèrent s’établir ensuite dans la rue du Garet, dans la maison qu’occupèrent plus tard les missionnaires de Saint-Joseph, auxquels succéda l’ancien hôtel du Nord. Mais se trouvant un peu à l’étroit, elles achetèrent, entre les deux sommets de la Grand’Côte et de la montée Saint-Sébastien, un terrain considérable, où elles firent bâtir une maison, et où elles s’établirent en 1644. Dans cet endroit, et aussi en raison de plusieurs acquisitions qu’elles firent dans la suite, soit en ville soit à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, Dardilly ou ailleurs, elles relevaient de la directe de l’abbesse de Saint-Pierre, de la custoderie de Saint-Jean, du commandeur de Saint-Georges, de la chantrerie de Saint-Nizier et de l’abbé d’Ainay.

Cette communauté fit d’abord de grands progrès, elle compta un moment jusqu’à cinquante-quatre religieuses. Elles firent deux nouvelles fondations : en août 1647, elles vont à Clermont-Ferrand, et l’année suivante le consulat de Verdun donne aux Bernardines de Lyon la permission de fonder dans leur ville une maison de leur ordre. À Lyon, elles avaient un pensionnat de jeunes filles et recevaient des pensionnaires.

Il paraît, d’après certains papiers des archives municipales, que nos religieuses Bernardines ne vécurent pas en très bonne intelligence avec leurs voisines, les religieuses du Bon-Pasteur. En 1715, elles adressent à l’archevêque de Lyon une longue supplique contre les religieuses du Bon-Pasteur « qui ne retirent chez elles que des personnes de scandale, dont les cris excités par le désespoir alarment tout le voisinage. » Monseigneur de Lyon défend qu’on lui en parle davantage. — On trouve aussi des traces d’une autre affaire pas propre, puisqu’il est question de vidanges, où les religieuses du Bon-Pasteur sont condamnées à prendre certaines précautions pour ne pas empester le voisinage.

Avec des religieuses assez nombreuses, avec un pensionnat de jeunes filles, avec des personnes plus âgées qu’elles prenaient à demeure, les Bernardines se trouvèrent à l’étroit, et en 1744, elles reconstruisirent un bâtiment beaucoup plus spacieux et plus commode ; la chapelle, cependant, était modeste et n’avait rien de remarquable. Cette reconstruction imposa des charges au monastère, mais elles y firent face en louant à un particulier des terrains sur lesquels des maisons furent élevées, lesquelles maisons devaient revenir au monastère après un certain nombre d’années.

Mais ce qu’il y a de particulièrement intéressant dans l’étude de ce monastère, c’est l’histoire de sa suppression. Ici, pour ne pas avoir l’air de prendre parti pour ou contre les Bernardines, je ne ferai que citer des textes : ils sont très suggestifs.

Le roi avait nommé des commissions d’enquête qui devaient étudier la situation matérielle des nombreux couvents de France. Ceux qui étaient reconnus comme ne pouvant se suffire devaient être condamnés à ne plus recevoir de novices, et à se joindre à un autre monastère, quand les religieuses seraient réduites à un nombre notoirement insuffisant. Les Bernardines, paraît-il, ne furent pas trouvées dans de telles conditions que leur avenir parût assuré. Le 24 septembre, elles recevaient du roi cet avis impératif : « Chère et bien-aimée, étant informé de l’état de votre communauté, nous vous mandons et ordonnons de n’y plus recevoir de novices, jusqu’à nouvel ordre de notre part. Si n’y faites faute, cartel est notre plaisir. Donné à Versailles, le 24 septembre 1749. »

On comprendra facilement quelle émotion fit naître chez les Bernardines cette douloureuse communication. À partir de ce moment, elles adressent des réclamations un peu partout. Quelques jours après cette injonction, Mgr Nicolas Navarre, évêque suffragant, écrit à la supérieure des Bernardines une lettre, où il lui indique quelle conduite elle doit tenir dans ces circonstances difficiles.

Les Bernardines cherchent quelle peut être la raison de leur suppression ; elles se demandent si elles ont ou si l’on a quelque chose à leur reprocher ; elles le demandent même à l’autorité ecclésiastique.

Le 8 octobre 1749, la supérieure, la mère Guiguet, reçoit une lettre de M. l’abbé d’Olmières, vicaire général, qui est en résidence à Fontainebleau avec le cardinal de Tencin : « Le malheur qui vous est arrivé ne vient point du moindre reproche qu’on puisse faire à votre communauté, et moins encore à vous ; c’est votre temporel qui est dérangé, sans qu’on puisse rien vous imputer : c’est une règle générale qu’on ne veut pas un trop grand nombre de communautés, surtout celles qui n’ont pas de biens suffisants. »

Le même jour, le cardinal de Tencin écrivait aux Bernardines à peu près dans les mêmes termes.

Avec cette perspective de suppression, est-il étonnant que le découragement soit entré dans l’âme des religieuses ? Plusieurs d’entre elles manifestèrent quelque velléité de sortir de leur monastère. Mgr Nicolas Navarre, leur supérieur, leur écrit une lettre destinée à calmer les esprits et à combattre ces tendances : « Il vaut mieux, leur dit-il, mourir tranquillement dans votre maison les unes après les autres, que d’essuyer telles disgrâces. »

Mais ces consolations ne portent pas grand fruit ; les religieuses continuent à réclamer, et bientôt on cherche des expédients. Le 22 janvier 1750, Mgr Nicolas Navarre fait espérer qu’on unira aux Bernardines une autre communauté peu nombreuse et bien riche. Évidemment là serait le salut, mais on ne tardera pas à voir qu’on veut la suppression du monastère pour d’autres motifs. Le cardinal de Tencin se montre particulièrement résolu à obtenir cette suppression, et pour la faciliter, il obtient, le 26 juillet 1751, cent livres de pension viagère pour chacune des religieuses de chœur, à la condition que l’on consentirait à la suppression du couvent. Un peu plus tard, il promet trois cents livres aux religieuses, si elles veulent se retirer.

Ces hésitations ne pouvaient durer ; on négocia pour arriver à une entente. Après bien des pourparlers, le 30 octobre 1752, les Bernardines recevaient de l’autorité ecclésiastique une lettre où étaient exposées les volontés du cardinal : « M. le cardinal a fixé qu’il n’y aurait point de réunion à votre maison, que vous y resteriez maîtresses seules tant que vous voudriez, et dès lors, que chacune continuerait d’occuper ses chambres comme auparavant. De plus, Son Éminence a fixé à sept le nombre au-dessous duquel celles qui survivraient seraient dispersées dans différents couvents à leur choix ; les religieuses peuvent insérer cette clause dans leur consentement ; celles qui survivront à la suppression, et qui se retireront dans d’autres maisons recevront trois cents livres de pension viagère. »

Deux jours après, le 5 octobre, la communauté des Bernardines s’assemble en chapitre général, et donne le consentement tant demandé.

On croirait l’affaire terminée, il n’en est rien. Il faut prévoir ce que deviendront les biens de la communauté. Une commission chargée de ce soin décide qu’ils iront à l’abbaye des Bénédictines de Chazeaux. Cette conclusion semble éclairer cette affaire d’un jour tout nouveau. Les Bernardines crurent voir dans cette décision la fin d’un complot tramé contre leur existence ; elles s’adressèrent au roi pour obtenir justice. Dans une supplique de 1754, elles lui exposent très clairement les faits :

« Pendant que le monastère des Bernardines fleurissait, dit ce mémoire, celui de l’abbaye de Notre-Dame de Chazot, ordre de Saint-Benoît, dans la même ville, tombait en décadence. En vain plusieurs personnes leur firent des dons pour les soutenir, en vain M. le cardinal de Tencin, à son arrivée à Lyon, leur fit un don de vingt mille livres.

« Il fallut chercher d’autres voies pour prévenir leur ruine totale. Des ecclésiastiques de leurs amis n’en imaginèrent pas de meilleure que de tâcher de leur faire obtenir les biens des dames de Saint-Bernard, dont ils jurèrent la perte.

« Pour réussir dans leur projet, ils firent les officieux et vinrent rendre une visite à la supérieure de ce monastère, à laquelle ils firent offre de leurs services, en lui offrant de l’argent pour fournir aux grands frais de bâtiments qu’elles entreprennent.

« Cette dame les remercia et leur dit qu’il lui manquait, à la venté, une somme de quinze mille francs, mais qu’elle allait les recevoir des dots de cinq novices, qui prenaient l’habit dans un mois ou six semaines, et dont la réception n’avait été différée que jusqu’à ce que les bâtiments fussent achevés.

« Ces ecclésiastiques furent charmés d’avoir fait cette découverte, ils formèrent la résolution de priver ces religieuses de cette ressource, et se donnèrent tant de mouvement qu’ils parvinrent à obtenir la lettre de cachet contre laquelle les religieuses réclament aujourd’hui… »

Ce mémoire continue en défendant vaillamment la situation compromise des Bernardines. Il dit qu’il y a à Lyon trois couvents de Bénédictines et un seul de Bernardines, que, s’il y a à supprimer un monastère, il est bien plus simple de supprimer un couvent de Bénédictines, et bien plus raisonnable d’unir l’abbaye de Chazeaux à un autre monastère du même ordre, que de supprimer les Bernardines pour permettre de vivre à un troisième monastère de Bénédictines. Il termine en disant que le monastère de la Croix-Rousse est utile aux habitants du quartier, et que cette utilité est si bien reconnue qu’une somme de vingt mille livres vient d’être déposée entre les mains du curé de Saint-Pierre, pour le monastère des Bernardines, dans le cas où il serait conservé.

En lisant ce mémoire, on est presque tenté de douter des graves imputations qu’il formule ; cependant, pour les soumettre au roi, les religieuses devaient avoir des certitudes. Mais voici un autre fait qui nous confirme dans la pensée que toute cette affaire fut menée par Mgr de Tencin avec quelque hostilité pour les Bernardines.

Le cardinal de Tencin mourut à Paris le 2 mars 1758. Mgr Malvin de Montazet lui succéda ; il prit possession de son siège le 31 mars 1759. Les Bernardines, à cet avènement, reprirent courage et présentèrent leurs doléances au nouvel archevêque. Mgr de Montazet assura les Bernardines de sa bienveillance, mais pour juger avec équité cette affaire délicate, il demanda que les deux procédures, civile et ecclésiastique, lui fussent communiquées. La procédure civile fut facilement réunie, mais il fut impossible de retrouver là procédure ecclésiastique, et quand, sur les instances pressantes des Bernardines, il ne fut plus possible d’esquiver les responsabilités par des échappatoires, il fut reconnu que toute la procédure du cardinal de Tencin était radicalement nulle. Une pièce des archives intitulée : Précis expose les nombreuses causes de nullité.

Dans un autre mémoire envoyé à Mgr de Montazet, nos religieuses montrent et prouvent que les commissaires ecclésiastiques ont diminué les revenus du monastère, en ont augmenté les charges et enflé les dettes. Ce mémoire se termine par ces chiffres justificatifs qui établissent la situation matérielle du monastère : il a 15.696 livres 12 sous de revenus, et fait par année 14.968 livres 10 sous de dépenses.

Il faut avouer que les Bernardines se défendirent avec intrépidité, et cependant rien ne vint modifier leur situation. Mais ne pouvant se faire à l’idée de leur suppression, dix-sept ans après la décision royale, elles luttaient encore. Voici en effet un dernier mémoire, dont le destinataire n’est pas désigné, et qui date de l’année 1766 :

« Les religieuses Bernardines de-Lyon reçurent de la part du Roy une défense de ne plus recevoir de novices dans leur monastère jusqu’à nouvel ordre de Sa Majesté, le 24 septembre 1749. Cette défense fut sollicitée par des personnes qui ne connaissaient pas la faculté de ces dites religieuses, puisque depuis cet intervalle de dix-sept ans, elles n’ont point contracté de dettes, et ont payé même celles qu’il pouvait y avoir lors de la dite défense, et depuis dix-sept ans elles auraient reçu plus de vingt novices qui auraient apporté des dots, ce qui aurait fait un capital de quatre-vingt mille livres, et aurait fait une rente à la communauté de quatre mille livres par année. Les dites religieuses peuvent assurer qu’elles se peuvent soutenir par leurs propres revenus, leurs talents et leur travail. Outre cela il est aisé de faire voir qu’elles ont des perspectives bien brillantes pour l’avenir, puisqu’elles ont cédé un terrain qui leur appartient à un particulier de la ville, pour y bâtir des maisons, lesquelles maisons doivent rentrer dans dix-sept ans et rapporteront trois ou quatre mille livres de rentes aux Bernardines. (En marge on lit ce renvoi : Nota que dans l’enceinte de leur monastère, il y a beaucoup d’endroits susceptibles d’une augmentation de leurs revenus, outre ce qui est dit ci-dessus.) Donc, les personnes mal intentionnées ; qui ont sollicité la lettre de cachet, ne connaissaient pas les facultés desdites religieuses ; elles n’ont osé, jusqu’à présent, faire entendre leurs gémissements, quoique rien n’égale l’extrême douleur dans laquelle elles sont plongées : Elles demandent humblement la grâce de faire révoquer la dite lettre de cachet ; elles ont lieu d’espérer qu’une main puissante et secourable voudra bien les étayer et leur procurer du soulagement dans leurs prières par l’obtention de la révocation de ladite défense.

« D’ailleurs, les dites religieuses Bernardines possèdent un emplacement où est établi leur monastère, situé près des portes du faubourg de la Croix-Rousse, sur le haut de la montagne de Saint-Sébastien, dépendant de la paroisse de Saint-Pierre-et-Saint-Saturnin. Cet emplacement n’est point nécessaire à la ville ; aussi, Messieurs du consulat ont-ils adressé un certificat par où l’on pourra voir que la communauté des religieuses Bernardines est nécessaire aux citoyens d’une grande partie des environs, qui n’ont point d’église plus près pour entendre la messe dans les temps de neige et déglace, et qui la perdraient souvent, s’ils étaient obligés de descendre à la paroisse qui est très éloignée. La même raison de l’éloignement de la paroisse fait que l’on prend le saint viatique pour les citoyens malades dans la dite église. »

Et malgré tout, les Bernardines n’obtinrent aucun changement dans leur situation, les autorités civile et ecclésiastique attendaient patiemment qu’elles fussent réduites au nombre de six pour disperser les survivantes. La Révolution se chargea de la besogne, mais elle ne supprima qu’une maison religieuse destinée à périr.

Les Bernardines eurent à subir toutes les contrariétés des autres communautés. Le 7 juillet 1791, elles reçurent la visite des officiers municipaux Nivière-Chol et Chapuis, qui venaient, au nom de la loi, constater le nombre des religieuses et leur liberté. Le procès-verbal dressé à cette occasion déclare qu’il y a huit religieuses, dont une étrangère à la communauté. Ces sept religieuses Bernardines sont les sœurs Guiguet, Ferroussat, Brunier, Maurier, Bourdin et les deux sœurs Peillon ; elles veulent continuer la vie commune.

Ce même jour on procéda à l’élection d’une supérieure et d’une économe ; la sœur Ferroussat fut élue supérieure, et la sœur Peillon, la cadette, économe, lesquelles, avec l’officier municipal Antoine Nivière-Chol, signèrent au procès-verbal.

aspect actuel de l’ancienne maison des bernardines

Quelques jours plus tard, le 23 janvier 1792, nouvelle visite de Nivière-Chol, pour se rendre compte du nombre des religieuses Bernardines : elles ne sont plus que six, la sœur Jeanne-Marie Maurier étant décédée l’année précédente. Mais l’orage, contenu un moment, se déchaîna ; les Bernardines durent quitter leur maison, qui fut vendue ensuite comme bien national. Les Bernardines cessent d’exister l’année même où, d’après les conventions mentionnées plus haut, elles auraient disparu.

La place des Bernardines, avant la Révolution, était écrasée par les hautes murailles des fortifications. L’abbé Rozier conçut l’idée de l’embellir par une plantation d’arbres, et il obtint qu’on démolît les murailles jusqu’à la simple hauteur d’un parapet. Chacun put jouir alors d’une vue splendide et d’une promenade charmante. Aussi cette place était-elle très fréquentée des habitants du quartier.

Quand ce quartier se peupla davantage, on construisit une église qui prit naturellement le titre de Saint-Bernard. Que reste-t-il aujourd’hui des anciennes Bernardines ? Le clos des religieuses a été morcelé, des rues ont été tracées, les fortifications ont été démolies, les portes supprimées, un magnifique boulevard domine le plateau, le nom même de la place, qui, jusqu’à ces dernières années, conservait la mémoire des Bernardines, a été changé. Cependant, si vous prenez le nouveau funiculaire de la place Croix-Pâquet, vous verrez à votre droite, en arrivant au sommet, une vaste maison grise à plusieurs étages, suivie sur la même ligne d’une maison plus modeste ; la première est l’ancien couvent des Bernardines, la seconde était l’aumônerie.

SOURCES :

Archives du Rhône, VIII, page 86.

Archives municipales.

Fonds Coste, à la bibliothèque de la ville.