Les anciens couvents de Lyon/14.2. Règles

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lumière d’Urbain et son conseiller le plus intime. Enfin, en 1092, après avoir obstinément refusé le siège métropolitain de Reggio, il obtint la permission de se retirer, non pas en France, mais en Calabre, où il fonda une nouvelle Chartreuse, à la Torre, près de Squillace. Il passa sept années dans le monastère, et le 6 octobre 1101, à l’âge de 66 ans, il rendit sa belle âme à Dieu.

Cette mort fut un deuil pour l’Église, et Pascal II, qui avait succédé à Urbain II, pleura le grand homme et chanta sa gloire. Léon X et Grégoire XV renouvelèrent ces pompeux éloges. Enfin, en 1674, Clément X inscrivit le célèbre fondateur des Chartreux au catalogue des Saints.


II
règles, observances, costumes

Ce ne fut que quarante-cinq ans après le commencement de l’ordre, que le bienheureux Guigues réunit en un seul corps les observances de la Grande-Chartreuse sous le nom de Coutumes. Dans la suite, il y eut quatre compilations de ces statuts : la première est due à dom Bernard de la Tour et date de 1258 ; dom Guillaume Raimaldi, en 1367, et dom François du Puy, en 1495, en donnèrent une seconde et une troisième ; enfin, sous le généralat de dom Bernard Carassus, 1572, une nouvelle collection fut publiée. De tout cet ensemble, il résulte une règle austère, dont nous ne pouvons donner qu’une faible idée.

Tous les jours de l’année, les Chartreux se lèvent la nuit, après environ quatre heures de sommeil. Ils commencent par dire dans leur cellule les matines de l’office de la Sainte Vierge, et trois quarts d’heure après, la cloche les appelle à l’église, pour y chanter les matines de l’office canonial, vers le milieu de la nuit. De retour dans leur cellule, les religieux s’acquittent d’une autre partie de l’office de la sainte Vierge et prennent ensuite, après environ quatre heures de veille, un sommeil de deux ou trois heures. Au second lever, la cloche les appelle de nouveau à l’église pour la messe conventuelle qui se dit chaque jour, puis ils se retirent dans des chapelles particulières pour y célébrer ou servir une messe basse ; le soir, vers les trois heures, une troisième fois la cloche les réunit au chœur pour chanter les vêpres, ordinairement suivies de l’office des morts.

Le jeûne de religion dure de huit à neuf mois par an, et la règle n’accorde pour toute collation le soir que trois ou quatre onces de pain avec un peu de vin. L’abstinence est perpétuelle, et même, en cas de maladie grave, on ne déroge pas à cette loi. Pendant l’Avent et le Carême, on ne mange ni œufs ni laitage, enfin, le vendredi de chaque semaine, on se contente de pain et d’eau, à moins d’avoir des raisons de dispense. Les religieux ne mangent en commun que le dimanche ; les autres jours, ils mangent seuls dans leur cellule. Près de la porte de chacune d’elles se trouve un guichet, muni de deux portillons, l’un extérieur ouvrant sur la galerie du cloître, l’autre intérieur ouvrant en dedans de la cellule. Un frère passe dans le cloître, ouvre le guichet et y dépose le repas ; le religieux qui est dans la cellule ouvre à son tour à l’intérieur le guichet où il trouve le repas déposé : on n’échange pas une parole, on ne se voit même pas.

Cette solitude presque constante est le caractère distinctif de l’ordre ; trois fois par jour les religieux se réunissent au chœur pour chanter l’office ; les dimanches et certains jours de fête, ils dînent en commun et en silence au réfectoire ; une fois par semaine, ils ont une promenade et ont la permission de parler ; cette promenade s’appelle spatiement et elle se fait dans les Termes des Moines. Tout le reste du temps les religieux sont en cellule. Toutes les cellules des religieux sont dans le grand cloître et à une distance à peu près égale les unes des autres. Chacune d’elles est pourvue de ce qui est nécessaire à un homme qui renonce entièrement au commerce du monde ; elle est composée d’une chambre à cheminée, d’une chambre à coucher, d’un cabinet pour étudier, d’une salle à manger, d’une galerie, d’un grenier et d’un jardin. Le temps assez court que laisse libre la récitation des divers offices se partage, suivant l’attrait de chacun, entre l’étude et le travail manuel. Les uns travaillent à leur jardin, les autres à des travaux de [menuiserie ou de tour ; ceux-ci copient des manuscrits ou font des recherches ; ceux-là écrivent ou composent, car on leur donne des outils pour travailler et des livres pour étudier.

Le costume des Chartreux consiste en une robe de drap blanc, serrée d’une ceinture de cuir blanc, avec une petite coule à laquelle est attaché un capuce aussi de drap blanc. Au chœur, et quand ils paraissent en public, ils mettent une coule plus grande qui descend jusqu’à terre et qui a aussi un capuce. Aux côtés de cette coule il y a des bandes assez larges. Lorsqu’ils sortent, ils portent une chape noire avec un capuce de même couleur, attachée à une mozette ronde par devant et se terminant en pointe par derrière. Ils portent continuellement le cilice et une ceinture de corde sur la chair nue. L’usage du linge leur est interdit, ils n’ont pour chemises que des tuniques de serge, ils couchent sur des paillasses, et les draps de leur lit sont de laine ; ils ont en tout temps la tête rasée. Les frères convers ont le même costume que les Pères, mais ils portent la barbe, et quand ils sortent, ils portent une chape avec un capuce de couleur marron. Après les Pères et les Convers viennent les Donnés, dont l’habit est entièrement marron. Ils ne font pas de vœux, et ont la tête et la figure rasée comme les Pères.

Le noviciat est de deux ans, après lesquels le novice fait solennellement les vœux de profession, dont voici la double formule, selon qu’il sera Père ou Convers.

Formule des Pères : Moi, N, promets stabilité, obéissance et conversion de mes mœurs, devant Dieu et ses saints et les reliques de cet ermitage, qui est bâti à l’honneur de Dieu, de la bienheureuse Vierge Marie et de saint Jean-Baptiste, en présence de dom N, prieur.

Formulé des Convers : Moi, frère N, pour l’amour et la crainte de Notre Seigneur Jésus-Christ et le salut de mon âme, je promets obéissance, la conversion de mes mœurs et persévérance en cet ermitage tous les jours de ma vie, devant Dieu et les Saints et les reliques de cette Maison, qui est bâtie à l’honneur de la bienheureuse Vierge Marie et de saint Jean-Baptiste, et en présence de dom N, prieur. Que si j’étais assez hardi pour m’en aller et m’enfuir de ce lieu, les serviteurs de Dieu qui s’y trouveront pourront de leur plein droit et autorité me rechercher et me contraindre par force et par violence de retourner à leur service.

chartreux

Que l’église soit ou non consacrée à saint Jean-Baptiste, cette formule est invariable ; c’est ce qui nous expliquera pourquoi on fit faire, pour orner l’église de la Chartreuse, à Lyon, les deux statues de saint Jean-Baptiste et de saint Bruno, qui n’en sont pas les pièces les moins curieuses.

Cet ordre a donné à l’Église plusieurs saints, dont les principaux sont : saint Hugues, évêque de Lincoln ; saint Anthelme, évêque de Belley ; St-Étienne, le B. Ulric et le B. Didier, tous trois évêques de Die. Il a eu quatre cardinaux, Jean de Neufchâteau, Nicolas d’Albergoti ; Dominique de Bonne-Espérance et Louis-Alphonse Duplessis de Richelieu, archevêque de Lyon, sans parler de Jean Birel, d’Eléazar Grimaldi et de Guillaume Rainaldi, qui refusèrent le chapeau. Parmi leurs écrivains, un des plus distingués est Denis Rikel, appelé aussi le Docteur extatique ou Denis le Chartreux. Dom Martin, onzième général, donna à l’ordre pour symbole une croix posée sur un monde avec cette devise : Stat Crux dùm volvitur orbis. Chaque Chartreuse cependant avait ses armes particulières.

L’ordre des Chartreux n’a jamais eu besoin de réforme, et la ferveur est aujourd’hui aussi vive que jamais. Il ne se répandit pas beaucoup tout d’abord, mais il progressa par la suite. En 1151, il n’y avait que quatorze maisons ; en 1258, il y en avait cinquante-six ; il en comptait cent soixante-douze en 1718. La révolution française en a fermé et détruit un grand nombre ; aujourd’hui, peu à peu, elles se repeuplent des anciens moines dans les lieux où cette rénovation est possible. La révolution italienne a accompli la même œuvre dans la péninsule ; elle a fermé et s’est approprié les plus riches maisons de l’ordre, entre autres celles de Pavie et de Naples.

Les Chartreux, chacun le sait, ont le secret d’une admirable liqueur, qui met entre les mains de ces bons religieux des sommes considérables ; c’est le trésor des pauvres et de tous ceux qui sont dans le besoin ; je ne sais pas s’il est un coin de la France, peut-être même un pays du monde, qui n’ait pas éprouvé les bienfaits de ces économes du bon Dieu.