Les anciens couvents de Lyon/25. Missionnaires de Saint-Joseph

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Emmanuel Vitte (p. 441-449).

LES
MISSIONNAIRES DE SAINT-JOSEPH



DU milieu du dix-septième siècle jusqu’à la Révolution, il y eut, dans notre ville, une communauté de prêtres missionnaires connus sous le nom de Joséphistes, du nom de leur glorieux patron, ou de Crétenistes, du nom de leur fondateur, Jacques Crétenet.

Jacques Crétenet naquit en 1603, à Champlitte, en Franche-Comté, de parents recommandables par leur piété et leur vertu. Destiné au sacerdoce à cause de ses belles qualités, il apprit d’un de ses oncles les rudiments de la grammaire. Ses progrès remarquables auraient dû être un encouragement pour ses parents ; il n’en fut rien. Ils lui substituèrent un autre de ses frères, et Jacques partit à Langres étudier la chirurgie. Après son apprentissage, il se mit à voyager pour se perfectionner dans son état.

Il arriva à Lyon en 1628 ; la peste régnait dans la ville. La municipalité lyonnaise, qui, plus que jamais, avait besoin de tous les dévouements, s’efforça de les encourager ; elle fit publier que les « fratels » qui soigneraient les pestiférés gagneraient leur maîtrise. C’était, pour Jacques Crétenet, une trop belle occasion pour qu’il négligeât de la saisir.

La première personne qu’il traita fut une jeune veuve, qui guérit, et lui fut promise en mariage, s’il se faisait recevoir maître chirurgien. Le 20 novembre 1629, il recevait la bénédiction nuptiale en l’église de Saint-Saturnin.

En 1634, il fit connaissance de la mère Madeleine de Saint-François, première religieuse et supérieure du premier monastère de Sainte-Élisabeth, avec laquelle il se lia d’une sainte amitié qui contribua beaucoup à sa perfection spirituelle. Pendant neuf ans, il alla presque tous les jours voir cette pieuse femme, et c’est grâce à cette heureuse influence qu’il arriva à être très appliqué à l’oraison et à pratiquer les plus solides vertus. Cette situation, cependant, ne laissait pas que d’être étrange, elle prêtait à la malignité ; il eut à subir à ce sujet quelques persécutions, mais il en sortit vainqueur, et plusieurs, dès lors, commencèrent à vouloir l’imiter.

Je ne dirai rien de ces vertus, elles étaient si admirables, que M. Olier, instituteur du séminaire Saint-Sulpice, à Paris, ayant eu plusieurs fois l’occasion de le voir, eut pour lui une estime particulière, et le montra comme un modèle aux prêtres de Saint-Sulpice. Le zèle était le trait distinctif de son caractère. Aussi, lorsqu’en 1643 la peste éclata de nouveau, sa charité fut-elle à la hauteur de son zèle ; l’hôpital de la Quarantaine put les apprécier, et l’on alla jusqu’à dire qu’avant M. Crétenet les pestiférés mouraient presque tous, mais que depuis ils étaient presque tous guéris. Cette éminente vertu groupa autour de lui plusieurs hommes du monde, et même quelques prêtres, désireux de la perfection chrétienne ; c’était un acheminement à la grande œuvre dont Dieu lui réservait la fondation.

Un jour qu’il avait à dîner chez lui quelques-uns de ses disciples, en l’honneur de l’un d’eux qui avait célébré, ce jour-là même, sa première messe, la conversation tomba sur la grande ignorance des peuples de la campagne, et en particulier sur le besoin d’instruction qu’avait le village de Martignat, en Bugey, dont le nouveau prêtre était natif. — « Eh bien, dit alors M. Crétenet, il faudrait que vous allassiez, avec ces messieurs, — et il nommait les prêtres qui étaient présents — dans votre village, instruire ces pauvres gens, et vous feriez une œuvre bien agréable à Dieu. » Cette idée sourit, et l’on résolut de la mettre à exécution aussitôt que les vacances seraient arrivées. En effet, aux jours convenus eut lieu la mission de Martignat, et ces nouveaux apôtres furent tellement séduits par ce genre de ministère qu’ils résolurent de consacrer aux missions tout le temps des vacances qu’ils auraient à la fin de chaque année de théologie.

Ce fut le commencement, mais les progrès ne se firent pas attendre, car le nombre des ouvriers apostoliques augmenta bien vite. Le Bugey, la Bresse, le Dauphiné furent les premiers champs défrichés par les nouveaux Missionnaires. C’est dans une de ces missions, donnée en octobre 1648 à Verjon, que M. le marquis et Mme la marquise de Coligny sentirent leurs âmes, sous l’ardente parole des prédicateurs, brûler d’une ferveur nouvelle : ils conserveront une profonde reconnaissance pour leurs Missionnaires, et seront plus tard les premiers et insignes bienfaiteurs de la congrégation naissante.

Les épreuves cependant ne manqueront pas : des bruits désavantageux courent sur les Missionnaires ; Jacques Crétenet, sur des rapports mensongers, encourt la malveillance du cardinal de Richelieu ; en 1651, les accusations contre les Missionnaires redoublent, « ce sont des gens de cabale, ce sont des aveugles qui en mènent d’autres, etc. » ; Crétenet est excommunié, et son excommunication est affichée aux carrefours de la ville ; les Missionnaires reçoivent l’ordre de comparaître devant le cardinal, et la défense de se laisser diriger par un chirurgien. Mais ces épreuves durèrent peu, et bientôt le cardinal fut désabusé. « M. Crétenet, lui dit-il, si je puis vous servir, je le ferai de tout mon cœur. » — « Allez, dit-il encore à un des prêtres qui, obéissant à son ordre, comparaissait devant lui, l’esprit de Dieu est là, continuez. »

À quelques années de là, 1661, l’archevêque de Lyon, Mgr Camille de Neuville, persuadé du bien que faisaient ces prêtres dans son diocèse pour l’instruction des peuples, consentit qu’ils fissent un établissement dans la ville. Or, M. le prince de Conti, qui avait un de ces Missionnaires comme aumônier, n’eut rien tant à cœur que de protéger cette congrégation. Il obtint le mois suivant, novembre 1661, des lettres patentes de Sa Majesté Louis XIV, et lui-même, par un acte du 10 décembre suivant, prit la qualité de patron et fondateur de la communauté des Missionnaires de Saint-Joseph. En même temps, M. le marquis et Mme la marquise de Coligny fournissent aux frais de l’installation, qui eut lieu rue du Garet, près de l’hôtel de ville.

Cette maison, où s’établirent nos Missionnaires, a presque une histoire. Elle appartint d’abord à un consul de Lyon, noble M. Masson. Plus tard, les Pères de Saint-Antoine de Lyon en firent l’acquisition. Elle passa ensuite, en 1635, en la possession des Bernardines ; on voit par l’acte qu’il y avait une chapelle. Le sieur Benoît Chillat, teinturier, en devint propriétaire, en 1648, moyennant la somme de vingt-quatre mille francs (24.000), dont il paya huit, mille francs comptant, et pour les seize mille francs à solder constitua une rente de huit cents francs. En 1661, les Bernardines, trouvant sans doute le capital préférable à la rente, voulurent se relever de cette vente. La maison fut décrétée et vendue à M. Lafont, lequel élut pour amis Messieurs de Saint-Joseph, messire Claude Cochet et Claude Béthenod. Nos Missionnaires s’y installèrent ; M. Crétenet eut une chambre dans la maison et continua de diriger ces Messieurs.

Il n’était pas permis alors d’établir une maison religieuse dans la ville sans la permission de la municipalité. Cette permission fut demandée et, le 1er  août 1662, M. le prévôt des marchands et messieurs les échevins donnaient leur consentement. Tout semblait bien assis, quand une nouvelle crise se déclara. Les Missionnaires se persuadèrent alors qu’ils ne devaient plus continuer à prendre les conseils et les avis de M. Crétenet, comme ils l’avaient fait jusqu’alors. Ils commencèrent à s’éloigner de lui, on fit des projets et l’on prit des dessins pour une grande église et de grands bâtiments ; on ne le consultait plus sur ce que l’on avait à faire.

Ce fut pour Jacques Crétenet une grande peine. Son dessein n’avait jamais été que d’associer des prêtres pour travailler dans les missions, et pour cet effet il aurait désiré que les Missionnaires eussent vécu, comme ils avaient fait par le passé, sans aucune maison qui leur fût propre, où que, tout au plus, ils en eussent une dans la ville qui leur servît de retraite, avec une petite chapelle pour y faire les fonctions de leur ministère ; que l’on fondât seulement sept ou huit places de Missionnaires qui eussent un revenu suffisant pour leur entretien et subvenir aux frais des missions, et que, lorsqu’il y aurait des revenus au delà, on allât s’établir en d’autres diocèses.

Ces messieurs, de leur côté, croyaient devoir faire une grande église et de grands bâtiments pour recevoir un grand nombre de personnes. Il fut en outre décidé que M. Crétenet ne se mêlerait point de ce qui concernait la communauté, et que les Missionnaires l’honoreraient et le respecteraient comme leur grand-père. Le fondateur se conforma pendant quelque temps à ces règlements, mais n’y trouvant pas la paix de son âme, il se retira (1666), sur les conseils d’hommes éminents en qui il avait toute confiance.

Du reste la mort n’était pas loin. Devenu veuf, il fut dirigé du côté du sacerdoce. Le 15 août 1666, il était ordonné prêtre à Belley, et le 1er septembre, en revenant à Lyon, il mourut à Montluel. Son éloge fut alors sur toutes les lèvres et sa mémoire fut en bénédiction. Les religieuses Colinettes reçurent le cœur, le foie, et, plus tard, les ossements de celui qui les avait tant aimées.

On comprendra sans peine qu’entre ces religieuses et les Missionnaires devaient exister des liens intimes d’amitié spirituelle. C’est près de la mère Saint-François que Crétenet s’était formé à la vie intérieure, c’est à cet ordre de Sainte-Élisabeth qu’il avait donné sa fille ; c’est au couvent des Colinettes, aussi bien qu’à sa jeune société, qu’il avait intéressé le marquis et la marquise de Coligny ; c’est le supérieur des Missionnaires qui était l’aumônier des religieuses ; celles-ci et ceux-là étaient contemporains comme création et devenaient presque voisins par situation. Qui eût dit que des divisions dussent se produire entre les deux communautés ? J’ai déjà signalé les singulières prétentions des Missionnaires, je les redis ici pour l’unité de leur histoire. Se considérant comme plus utiles que les religieuses de Sainte-Élisabeth, qui avaient déjà deux couvents dans la ville, ils voulurent être plus favorisés. Ils essayèrent de faire casser la donation de Mme  de Coligny, et intentèrent un procès aux religieuses Colinettes (1668). Ce procès mit le désarroi parmi celles-ci, mais enfin les Missionnaires furent déboutés de leurs demandes et, le 21 août 1671, un arrêt du Parlement confirma la donation de Mme  de Coligny.

Puisque je parle de procès, il faut en signaler un qui nous paraît singulier aujourd’hui, mais qui était jadis assez fréquent. Les Missionnaires, par leur situation, relevaient de la directe de Mme  l’abbesse de Saint-Pierre. Il paraît que cette noble dame s’émut d’entendre sonner les offices des Missionnaires ; la cloche de ceux-ci pouvait être confondue avec la sonnerie de l’abbaye royale, c’était un abus qui ne pouvait durer. Un procès fut intenté, en 1668, aux messieurs de Saint-Joseph par les religieuses de Saint-Pierre. Ce même procès, nous l’avons vu s’engager entre l’abbesse de Saint-Pierre et le curé de Saint-Saturnin, entre les chanoines de Saint-Just et les religieux Minimes ; entre les dames de Saint-Pierre et les Feuillants. On ignore quelle fut l’issue de cette action judiciaire.

Mgr Camille de Neufville ne cessa de donner à nos Missionnaires des témoignages de bienveillance. Après les avoir constitués en congrégation, il obtint de Mgr de Vendôme, nonce du pape, la confirmation de cet établissement ; c’est lui qui consacre leur église et qui, à cette occasion, donne le titre de séminaire à la communauté.

Ce détail est à signaler : le séminaire de Saint-Irénée venait de naître, celui de Saint-Charles allait être fondé, celui de Saint-Joseph allait aussi se faire sa place ; le premier formait des prêtres pour le ministère paroissial, le second des prêtres pour l’enseignement populaire, le troisième des prêtres pour l’évangélisation des campagnes. Ce dernier, pendant presque toute la durée de sa vie, comprend quarante-cinq personnes, tant prêtres qu’étudiants. Ceux-ci, lorsqu’ils y entrent, sont diacres et ont fini dans les autres séminaires leurs cours de théologie ; ils viennent pour s’instruire plus particulièrement des règles de la morale et de la manière de les appliquer, pour apprendre tout ce qui a rapport à l’administration des sacrements, et pour se mettre en état d’exercer toutes les fonctions du saint ministère.

Les Missionnaires de Saint-Joseph n’étaient pas purement diocésains, ils se répandent un peu partout. On constate leur présence à l’Isle-Adam, dans le diocèse de Beauvais, à Bagnols, en Languedoc, à Pierrelatte, à Louhans, à Verjon, à Nantua. Pour ce qui nous touche de plus près, disons qu’ils avaient des domaines à SaintRambert, à Couzon, à Montessuy ; n’oublions pas une belle propriété à la Croix-Rousse, dont la rue des Missionnaires a conservé l’ancien souvenir jusqu’à ces derniers temps. Cette propriété appartient aujourd’hui aux religieuses de Saint-Joseph.

D’après ce qui précède, on peut constater que les Missionnaires de Saint-Joseph était d’un tempérament légèrement batailleur et envahissant. Ils faillirent même, au xviiie siècle, tenir en notre ville une place prépondérante. Lorsqu’on expulsa les Jésuites de Lyon, on pensa tout naturellement, pour les remplacer, à deux congrégations de prêtres qui étaient dans la ville, aux Oratoriens et aux Missionnaires de Saint-Joseph. Mais, malheureusement, ceux-ci étaient suspectés de jansénisme. En 1772, on publia des pamphlets contre les Missionnaires :

1° Parallèle des erreurs enseignées par les Missionnaires de Saint-Joseph de Lyon, surnommés Crétenistes, avec celles de Baïus Jansénius, Quesnel et autres, condamnées par l’Église ;

2° Lettre instructive adressée à MM. les Missionnaires de Saint-Joseph de Lyon, sur leur attachement aux erreurs du temps ;

3° Maximes des Missionnaires de Saint-Joseph de Lyon, conformes à celles des anciens et nouveaux hérétiques, par l’abbé de Saint-Pierre.

En présence de ces suspicions de doctrine, l’autorité religieuse dut agir. Comme il était notoire que le Grand Séminaire et Saint-Joseph étaient divisés sur la doctrine, l’archevêque, Mgr de Villeroy, cita les deux parties à comparaître devant lui le jour de la fête de saint Laurent, le 10 août 1722. Le Séminaire fut représenté par M. de Vaugimois, supérieur, et par M. de Fontenay, l’un des directeurs, et les Joséphistes par MM. Pichot, Rollin et Cadier. La conférence eut lieu en présence de MM. de Lacroix, vicaire général, Terrasson, official ; Michel et Navarre, promoteurs, et autres personnes que l’archevêque avait invitées à y assister. Loin de dissiper les préventions formées contre eux, les Joséphistes ne firent que les fortifier. Néanmoins, le prélat, qui aurait souhaité la disculpation des Joséphistes, ne sévit point contre eux immédiatement. Mais, en 1729, une lettre de cachet défendit aux Joséphistes de tenir des pensionnaires et d’enseigner soit la philosophie soit la théologie[1].

En 1762, les Jésuites furent expulsés, et le Consulat passa un accord avec les pères de l’Oratoire, qui prirent possession du Grand Collège. Il passa aussi un accord avec les Missionnaires de Saint-Joseph pour la tenue du Petit Collège, mais il ne paraît pas qu’il y fût donné suite. Pourquoi ? La raison est peut-être cachée sous ces quelques lignes d’un compte rendu de M. de l’Averdy :

« La congrégation de Saint-Joseph a sept maisons ; tout son but est l’instruction des jeunes gens de la campagne, et elle n’a établi de petits collèges ou pensionnats que dans la vue d’y former des sujets propres à recruter la congrégation, ayant toujours négligé la littérature, la philosophie et les mathématiques. »

Du reste, la Révolution était proche, et la communauté des Missionnaires, comme toutes les autres, eut à en subir les coups. Chassés de leur pieux asile, prêtres et étudiants se dispersèrent. Leurs immeubles furent confisqués, et, pendant le siège de Lyon, provisoirement occupés pour la fabrication des poudres. En 1795, ils furent vendus ; huit maisons, qui s’étendaient du quai de Retz à la place de la Comédie, devinrent propriétés de cinq acquéreurs lyonnais. L’ancien hôtel du Nord a occupé la maison des Missionnaires. L’œuvre de Jacques Crétenet n’était plus et ne devait plus revivre.

L’oeuvre des missions a existé de tout temps dans l’Église catholique. À tous les âges de la vie de l’Église, on peut constater le perpétuel combat des deux hommes qui sont en chacun de nous, et les victoires sont rares et les défaites sont nombreuses. Que de fois et dans combien de pays s’efface le spiritualis homo ! Il faut une voix puissante, des accents pénétrants, pour réveiller ces âmes qui dorment ; il faut proclamer les droits de Dieu à ces oublieux du devoir, il faut panser les plaies de ces infirmes et de ces blessés, il faut prendre ces âmes qui gisent à terre et les soulever jusqu’au crucifix pour leur faire recevoir le baiser de la paix. C’est l’œuvre d’une mission.

Les saints avaient compris quelle grande œuvre était cet insigne appel de Dieu. Saint Dominique, saint Vincent Ferrier, saint François Régis évangélisèrent les peuples. Mais ces grands travaux apostoliques étaient plutôt le fait de l’initiative individuelle que la conséquence d’une organisation. Saint Vincent de Paul fut le grand promoteur de l’œuvre des missions, et ce qu’il faut remarquer, et ce dont nous avons le droit d’être fiers, c’est que le diocèse de Lyon a eu l’honneur de marcher de très près sur les traces de Vincent de Paul ; les Lazaristes et les Joséphistes sont contemporains ; le diocèse de Lyon ne se laisse pas distancer dans les œuvres de Dieu.

SOURCES :

Vie de M. Crétenet.

Almanachs de Lyon.

Archives municipales.

Notice sur M. de Vaugimois, par M. l’abbé Bertrand, Sulpicien au grand-séminaire de Bordeaux.




  1. Notice sur M. de Vaugimois, par M. l’abbé Bertrand, Sulpicien.