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Les armes du mensonge/07

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Démocrates sous fausse représentation


Au début de ce travail, j’observais qu’un des tours de force des éléments d’extrême-gauche consistait à faire accepter par des hommes intelligents le titre de démocratie orientale pour la Russie soviétique.

On y est parvenu par un bourrage de crânes très savant. Partout dans le monde, on a fait croire à des foules ignorantes et désemparées que le communisme était l’ami de l’homme du peuple — en anglais : the common people —, et cela donne un son démocratique.

En certains pays, le succès de cette campagne ne fait aucun doute. On en trouve l’exemple le plus frappant en Chine. Le monde entier sait que ce sont les Américains qui ont libéré la Chine du joug japonais et que les Chinois ne doivent rien à la Russie. Pourtant, la guerre était à peine terminée que des hordes de jaunes se promenaient dans les rues des villes libérées en criant : « Dehors les Américains ! »

Il y a quelque temps, les forces nationalistes obligeaient les rouges à évacuer Yenan. Un correspondant des États-Unis qui se trouvait là peu après l’évacuation entendait chanter ce refrain :

Après tout, que font les Américains en Chine ?
Ils attisent la guerre civile des réactionnaires
Et massacrent les hommes du peuple.

De jeunes officiers chinois du parti communiste, faits prisonniers à Yenan, disaient ceci en réponse à certaines questions : « L’Amérique est impérialiste… Notre amie, la Russie… Les communistes sont partout dans le monde… C’est nous qui allons réorganiser l’univers. »

On le voit, le langage que l’on tient en Chine, sur ces sujets, ne diffère pas de celui que l’on affecte en Amérique. C’est que partout on parvient à convaincre une foule de gens que le communisme est un mouvement démocratique.

Il importe donc de mettre les choses au clair. Au risque de me répéter, voici un parallèle qui, dépourvu qu’il est de données originales, a du moins le mérite de présenter un contraste important :

Démocratie occidentale Démocratie (?) orientale
Gouvernement élu du peuple et responsable au peuple. Dictature absolue et gouvernement totalitaire.
Lois faites, discutées, amendées ou rejetées selon la majorité des représentants élus du peuple. Pouvoir législatif et exécutif à la discrétion entière du pouvoir dictatorial.
Opposition jouissant d’une liberté de critique illimitée. Aucune opposition quand le maître a parlé.
Partis multiples, tous libres de briguer les suffrages. Parti unique, le communiste, à l’exclusion de tout autre.
Tous les journaux libres de critiquer le pouvoir et les hommes en place, y compris le chef. Tous les journaux forcés de louer le régime et ses chefs, sans aucun moyen de les blâmer.
Liberté d’association et d’assemblée. Seules sont permises les associations et assemblées favorables au régime.
Unions ouvrières indépendantes des partis, du gouvernement et des patrons. Seul est permis le syndicat fondé, dirigé et contrôlé par l’État.
Droit de grève. Aucun droit de grève.
Variété et liberté des services d’information. Censure rigide sur les événements extérieurs et sur les idées.
Neutralité politique des écoles. Bolchévisation complète de l’enfance par l’école.
Liberté de voyager en pays étrangers. Ne sortent de Russie que les purs soumis longtemps au feu de l’épreuve.

Liberté pour le visiteur étranger d’aller où il veut sans aucune surveillance. Tous les étrangers soumis à un formidable réseau de surveillants, d’espions et d’agents de la police.
Épouse un étranger qui veut. Défense de suivre dans son pays un mari de nationalité étrangère.
Initiative sous le stimulant de l’ambition personnelle. Toute initiative importante réservée à l’État.
Liberté des entreprises individuelles ou privées, en industrie, commerce, arts, lettres, sciences, etc., assurant ainsi un progrès illimité par le jeu de la concurrence et le désir légitime du succès. Toutes les entreprises importantes sous contrôle d’État et soumises à une bureaucratie qui est une classe rigide et autoritaire.
La terre appartient au paysan. La terre appartient à la ferme collective sous le contrôle de l’État.
Aucun citoyen, sauf celui qui est convaincu d’activité séditieuse, n’est molesté pour ses opinions politiques. Environ 15,000,000 de prisonniers politiques dans les camps de travailleurs esclaves.
L’État est fait pour l’individu. L’individu est la chose de l’État.
Parfaite égalité devant la loi. Condamnations, emprisonnements et exécutions suivant l’arbitraire du pouvoir.
La famille, première et principale cellule sociale. La famille soumise aux exigences du collectivisme et de l’école.
Libre à chacun d’arranger sa vie privée à sa manière. L’État envahit constamment le sanctuaire de la vie privée.
Profond respect du sentiment, de la douleur, de la sensibilité, de la dignité et de la vie d’autrui. Devant la raison d’État, c’est une faiblesse, souvent un crime, de tenir compte du sentiment.
Le peuple peut condamner et punir les crimes d’un État. On est forcé d’approuver et, au besoin, de collaborer aux crimes de l’État.
Le chef est un homme comme tout le monde. Le culte du chef élevé à la hauteur d’une religion.
L’inégalité économique est produite, dans l’ensemble, par l’inégalité naturelle des talents et des initiatives. L’inégalité est produite par la politique.
Les entreprises personnelles ont donné au peuple le standard de vie le plus élevé de l’histoire du monde. En pays collectiviste, le niveau de vie est encore au plus bas, trente ans après une révolution qui se vantait d’établir la justice sociale.

Quiconque, après avoir réfléchi sur ces faits, parlera encore de démocratie orientale ferait bien de se remettre à l’étude du dictionnaire.

Un mot maintenant de l’esprit démocratique. Vers la fin de la guerre, un écrivain français voyageait par train, aux États-Unis, en compagnie d’un sénateur américain. Quand vint l’heure du repas, tous deux voulurent se rendre au wagon-restaurant. Comme une foule de voyageurs avaient eu la même idée, le sénateur et l’écrivain durent faire queue, comme les autres, en attendant une table.

— Il me semble, dit l’écrivain, qu’on devrait faire place immédiatement à un membre du sénat ?

Why should they ? (Pourquoi le feraient-ils ?).

Cette réponse simple et spontanée d’un homme politique fort en vue fit sentir à l’étranger la profondeur, la réalité vivante, du sentiment démocratique qui s’est développé aux États-Unis.

La chose se produira aussi bien au Canada, et personne n’en serait surpris. Je vois très bien d’ici un lumber jack affamé qu’un ministre ou un sénateur tenterait de faire reculer à l’entrée du wagon-restaurant :

— Eh ! toi, pour qui te prends-tu ?

Par contre, j’imagine difficilement Molotov aux prises avec un moujik. Pauvre moujik !