Les atmosphères/Les vieilles rames

La bibliothèque libre.
À compte d'auteur (p. 23-24).

Les Vieilles Rames


Quand il arriva que les bras du passeur furent désormais ballants, quand ils devinrent ces deux choses inutiles, telle la vieille paire de rames qui ne prend plus prise dans l’eau, ou qui n’est pas assez forte pour résister à l’énergie qu’il faut pour atteindre à l’autre rive qui est la vie, qui est l’argent, on choisit la chaise la plus confortable au repos que lui assignait sa vieillesse.

De l’ombre du toit de sa maison, il regardait la grève où la route s’évasait, comme exténuée d’arriver de si loin ; il regardait couler la rivière qui passait interminablement ; il regardait la manœuvre du nouveau passeur, qui s’éloignait tout doucement sur l’eau, qui devenait tout petit, et puis imperceptible presque, et qui revenait en grossissant, et qui arrivait devant lui en faisant sonner du nouvel argent dans sa poche.

Il fut le dos malade qui refuse aux bras le muscle dont il est la racine ; il fut la fissure ; il fut l’attente de la mort devant tout cela qui est la vie, qui est le surmenage pour arriver à la chaise qu’on place dans l’ombre, tout au bord du soleil, quand il y a deux bras qui ne travaillent plus, deux bras qui ne font plus rien.

Le mal refusa aux bras l’action des bras sur les épaules ; ils étaient pourris les vieux tolets.