Les aventures extraordinaires de deux canayens/01/X

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“THE FRENCH-CANADIAN AERIAL NAVIGATION COMPANY” (LIMITED).

Depuis assez longtemps l’astre du jour était levé que nos bons amis Titoine Pelquier et Baptiste Courtemanche étaient encore plongés dans les bras de Morphée. Enfin ils s’éveillèrent et après avoir terminé leur toilette ils se dirigèrent vers le bar du coin, histoire de se mouiller la luette, puis allèrent se faire raser.

Après avoir déjeuné, Courtemanche proposa de se rendre rue Grove voir s’ils ne trouveraient pas des nouvelles de Philias Duval, celui-ci ayant écrit qu’il arriverait à New-York au moment où on l’attendrait le moins.

Nos deux amis étaient en face du Square Christopher lorsque Baptiste prenant le bras de son ami lui dit en lui indiquant un individu qui lisait son journal assis sur un des bancs.

« Il me semble qu’il m’avait semblé qu’il me semblait que c’est lui !

« Qui lui ? demanda Pelquier en regardant l’entrepreneur.

« C’est-y possible que c’est vous ? s’écria Duval en apercevant Courtemanche. En arrivant, je me suis fait conduire chez vous, puis comme vous n’y étiez pas, je me suis assis attendant votre arrivée.

« C’est bien à vous, M. Duval, dit Baptiste. Puis se tournant vers Pelquier : Je vous présente M. Philias Duval dont je vous ai parlé, je devrais dire tu, car vous savez, M. Duval, M. le docteur Antoine Pelletier est un de mes plus vieux amis.

« Enchanté, Monsieur, dit Duval en serrant la main du dentiste. Vous êtes un Canayen vous itou ?

« Oui, m’sieu, je suis dentiste à Ste-Cunégonde de Montréal, pour vous servir.

Enchanté de vous connaître, docteur Pelquier, mais je n’ai pas mal aux dents, répondit Duval. Puis se tournant vers Courtemanche :

« Avez-vous reçu ma lettre ?

« Non, fit Courtemanche, peut-être est-elle chez ma concierge, la janitor, comme on dit ici. Allons voir si vous voulez.

Nos trois Canayens arrivèrent à la loge de la janitresse qui remit à Courtemanche deux ou trois lettres au nombre desquelles se trouvait celle de Duval.

« Alors vous venez passer quelques jours à New-York ? demanda Baptiste à Duval lorsqu’il eut pris connaissance de sa correspondance.

« Quelques jours est le mot, répondit Philias, car je dois repartir d’ici après-demain. J’ai de très importantes affaires qui m’appellent au pays, j’ai une école à bâtir à St-Timothée et un pont sur la petite rivière de Berthier, car pour votre gouverne je fais toujours dans la pierre.

« Ça, c’est bien, dit Titoine. Courtemanche m’avait glissé dans l’oreille quelque chose de même, y paraît que vous faites dans le gros ?

« Et dans le détail, répondit fièrement l’entrepreneur, vous savez, la pierre, moi, ça m’connaît.

« Et comme vous me le dites dans votre lettre, vous venez parler de nos affaires, dit Baptiste.

« Ben oui, j’vous l’dis dans ma lettre, j’sus venu icitte pour régler c’t’affaire-là, elle m’intéresse ben gros.

Alors si vous voulez, venez à ma chambre.

« Alors si vous voulez, venez à ma chambre, elle est plus grande et on peut y respirer, fit Pelquier, prenons si vous préférez une voiture, nous y serons dans quelques minutes.

« Le docteur Pelquier est des nôtres, dit Courtemanche à Duval, il est prêt lui aussi de financer pour activer la chose.

« Ah ! ah ! dit Philias Duval je ne serai pas le seul actionnaire, tant mieux ! plus qu’il y a du capital mieux c’est. Je préfère, dit-il en serrant la main de Titoine, d’avoir affaire à un Canayen comme nous autres, au moins on s’comprend.

« Pas besoin de voiture, dit Courtemanche, prenons le tramway de la Sixième Avenue et avec Courtemanche prenons le char avec un transfer pour la 42ième rue, et nous y serons dans le temps de le dire.

« Ça y est, s’écria Philias Duval, va pour les chars, j’ai des actions dans ceux de Montréal.

Une demi-heure plus tard, nos amis étaient installés dans la chambre de Titoine Pelquier qui fit monter de la bière et de la boisson forte, autrement dit une bouteille de « Canadian Club », car celle de la veille était depuis longtemps une chose du passé.

Alors nos amis entrèrent en conférence, discutèrent et établirent les moindres détails de leur association. Que se dirent-ils ? La suite de notre récit nous le laissera savoir. Toujours est-il que pour satisfaire la légitime curiosité du lecteur, nous donnons les articles principaux de leur programme :

Article Ier. — La nouvelle société portera le nom de « French Canadian Aerial Company ». La susdite compagnie sera « limitée » aux trois signataires.

Article VII. — Le sieur Courtemanche (Jean-Baptiste), ingénieur, docteur es-science, etc., etc., sera le directeur de la partie scientifique et technique de la Société.

Article VIII. — Le sieur Pelletier (Antoine), ci-devant chirurgien-dentiste à Ste-Cunégonde, en l’île de Montréal, Province de Québec, au Canada, et actuellement sous résidence à New-York, sera secrétaire de ladite Société.

Article IX. — Le sieur Duval (Philias Onésime), entrepreneur en la cité de Montréal, Province de Québec, Canada, en sera le trésorier.

Article X. — Le capital sera de cent mille dollars ($100,000) en action payable la moitié comptant, ceci pour ne pas retarder la mise en marche.

Article XI. — La seconde partie du capital sera versée six mois après les premiers travaux lesquels doivent commencer immédiatement.

Comme on peut en juger, le capital n’était pas énorme, mais Philias Duval se faisait fort d’avancer un surplus en cas de nécessité. L’ingénieur de son côté assurait pouvoir réussir avec le montant souscrit, il ferait le travail pour ainsi dire seul, savait comment économiser et le personnel et le temps, et le diable d’homme était tellement convaincu qu’il était certain, chiffres en mains, de mener l’entreprise à bonne fin avec le capital qui lui était versé.

Ses deux associés ayant toute la confiance possible signèrent l’acte par devant le clerc de l’hôtel qui était notaire public, et tous les trois se rendirent dans une banque du bas de la ville où Philias Duval déposa un chèque au nom de Pelletier-Courtemanche, chèque qui devait être payé quatre jours après qu’il aurait été accepté par la Banque de Montréal.

Le rêve de Baptiste Courtemanche se trouvait donc en bonne voie de se réaliser, l’argent, l’éternel nerf de la guerre, ne faisait plus obstacle. Il n’avait plus qu’à marcher de l’avant car sans compter le montant de Philias Duval, il avait aussi à disposer du capital que son ami Antoine Pelletier mettait à sa disposition.

De son côté, l’époux de Philomène Tranchemontagne (de Shawinigan) avait trouvé non seulement une situation sociale mais aussi sans doute le moyen d’arriver à la fortune.

Quant au bon Philias Duval, il allait donc pouvoir prouver à l’humanité toute entière que ceux qui font dans la pierre ne sont pas utiles seulement dans l’édification des constructions.

Maintenant, s’écria Philias, je ne suis que pour trois jours à New-York et j’aimerais bien à voir si on peut avoir beaucoup de « fun » dans cette paroisse icitte.

Alors Courtemanche les conduisit un peu partout, dans les
Philias Duval… prit le train pour Montréal.
théâtres, dans les cinémas, visiter la ville dans tous les sens et naturellement sans oublier Coney Island.

Phillas Duval, après avoir acheté différents souvenirs, prit le train de Montréal en recommandant à ses amis de ne pas manquer de le prévenir du jour de leur départ pour le Nord-Ouest canadien.

Les jours suivants, Courtemanche et Pelquier se mirent en quête de se procurer les choses indispensables à leur départ. L’ingénieur était devenu sérieux et son ami avait parfois de la difficulté de le tirer de ses méditations. Ce n’est que l’attrait du « Rouge » et du « Quesnel » « et du « Canadian Club » qui parvenait à le dérider.

Il n’y a pas à dire, Courtemanche réalisait fort bien la gravité de la situation, comprenait mieux que personne toutes les difficultés qu’il aurait à surmonter, cependant son programme était si bien établi, ses chiffres si exacts, que le résultat, c’est-à-dire la réussite finale ne lui faisait pas de doute.

Quant à Titoine Pelquier, il risquait vingt-cinq mille piastres dans l’entreprise, mais comme il en possédait à part cela plus du double il envisageait l’avenir avec calme. De toute façon n’était-il pas maintenant le maître de ses destinées ?

Huit jours après le départ de Philias Duval, après s’être procuré une lettre de crédit pour le Canada, terminé leurs derniers apprêts, les deux amis prirent le train pour le Canada.

(Fin de la Première Partie.)