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Les cachots d’Haldimand/18

La bibliothèque libre.
Éditions Édouard Garand (p. 67-69).


III

LE RETOUR DES ÉMIGRÉS


Après le départ d’Haldimand, qui était retourné en Angleterre, Saint-Vallier revint à Québec avec sa femme et ses deux enfants, Jean-Pierre et Marguerite. Un grand nombre de Canadiens émigrés durant l’administration d’Haldimand étaient également rentrés dans leur pays.

On était au mois de juin 1785.

M. Darmontel était mort peu après sa sortie de prison. Louise était arrivée trop tard pour assister à ses derniers moments. Elle s’occupa de la sépulture de son père, et quelque temps après, de celle de Pierre Darmontel dont on avait retiré le cadavre hors de la citerne des Jésuites. Une lettre anonyme était parvenue à Louise pour lui dire comment son frère avait été assassiné. La lettre ne contenait aucun nom. Il faut croire que le complice de Foxham, pris de remords, avait envoyé cette lettre. Une fois ces devoirs remplis, Louise confia à M. de Saint-Martin le soin de régler les affaires de son père qui, quelques jours avant sa mort, était rentré dans une partie de ses biens.

Le conseiller Hamilton, qui succéda à Haldimand, fit rendre à Louise la maison paternelle qui avait été également confisquée. C’est là que vint habiter Saint-Vallier avec sa jeune femme et ses enfants, et c’est dans cette maison qu’il allait mourir, si jeune, après une courte maladie, en l’hiver de 1787. La patrie canadienne allait perdre encore un de ses plus énergiques défenseurs !

Le retour de Saint-Vallier à Québec causa une joie immense parmi la population française. Beaucoup d’Anglais même, de ceux-là qui n’avaient pas approuvé l’administration du général Haldimand, se réjouirent également du retour de ce jeune canadien qui avait suscité leur admiration.

Dès son retour au pays Saint-Vallier voulut seconder Du Calvet dans sa lutte en Angleterre pour obtenir justice pour les Canadiens. Avec le concours d’Adhémar de Saint-Martin et de quelques autres patriotes qui ne marchandaient ni leur énergie ni leur temps, il revendiqua une constitution propre à gouverner les deux éléments ethniques qui formaient la population du Canada. Il demanda le rétablissement des lois civiles françaises, travailla fermement à faire introduire la loi de l’HABEAS CORPUS et à faire restituer à l’église canadienne ses privilèges d’antan.

Bref, après les jours si sombres de l’administration militaire qui avait existé au pays après 1759, allaient naître les jours plus riants de l’administration civile dans laquelle les Canadiens auraient une main au contrôle des affaires de leur pays.

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Quelque temps après son arrivée à Québec, Louise reçut, un après-midi, la visite de Miss Margaret Toller.

Louise eut peine à reconnaître cette amie : Miss Toller n’était plus reconnaissable que par ses cheveux roux. Elle était amaigrie excessivement, elle avait perdu les couleurs de son teint devenu blanchâtre, et elle avait mis de côté la recherche et le luxe du vêtement. Elle apparut comme une pauvre fille d’ouvrier en quête d’une aumône. Ce n’était plus que l’ombre de Miss Margaret, et il y avait de quoi !

Son père, dès l’automne de 1783, peu après le départ de Foxham et de Buxton pour l’Angleterre, avait été destitué de son poste par Haldimand lui-même qui avait pris ombrage de ce serviteur trop zélé. Or, Toller n’était pas riche. Fort de la vie très large, il n’avait jamais économisé sur les dix mille livres d’émoluments qu’il avait touchées chaque année, sans compter certaines sommes d’argent qui lui étaient tombées dans les mains par certaines opérations financières de nature douteuse. Il avait cumulé les emplois, mais il n’avait pas accumulé les revenus. Il avait, par surcroît, commis la sottise d’avancer à Foxham une somme de cinq mille livres sur les vingt-cinq mille requises pour payer les frais de l’entreprise ténébreuse tramée contre la vie de Du Calvet. Or, il avait fait ce déboursé pour mettre fin à la propagande de Du Calvet qui demandait le rappel d’Haldimand, et voilà que l’homme qu’il avait voulu défendre se débarrassait de lui. Toller avait failli en faire une maladie mortelle. Il s’était trouvé sans place et presque sans argent comme, naturellement, sans amis. Dès lors il se vit obligé de vivre d’expédients en attendant la nomination d’un nouveau gouverneur auprès duquel il espérait pouvoir reprendre pied. Mais Hamilton, en succédant à Haldimand, s’entoura de serviteurs qui, pour la plupart, n’avaient eu rien à voir dans la dernière administration.

Du coup le major Toller se vit réduit aux abois, et il décida de retourner en Angleterre.

Miss Margaret était donc venue faire à Louise une visite d’adieux.

— Chère Margaret, s’était écriée Louise, émue de l’infortune de l’amie, je n’ai pas cessé de penser à toi depuis mon retour à Québec.

La jeune anglaise ébaucha un mélancolique sourire et ses yeux s’humectèrent. Pour ne pas laisser voir des larmes prêtes à tomber, elle se mit à caresser follement les deux enfants de Louise.

Celle-ci considéra longtemps la jeune anglaise sans parler, et elle parut deviner un trouble quelconque dans l’esprit de son amie.

— Margaret, dit-elle gravement, tu n’es pas venue uniquement pour me faire tes adieux, mais aussi pour me confier quelque chose qui t’importune.

— C’est vrai, avoua tristement Margaret. Mais je ne serais pas partie sans venir t’embrasser. Et je t’assure que ce départ pour l’Angleterre me cause beaucoup de chagrins.

— Pauvre Margaret ! soupira Louise.

— Vois-tu, ma chère Louise, j’avais appris à aimer ce pays et ceux qui l’habitent.

— Il faut rester, en ce cas.

— Impossible. Nous ne sommes plus dans une situation bien florissante, et mon père veut aller se remettre dans les affaires à Londres.

— Je te plains bien, si tu quittes le Canada avec regrets, je sais moi-même ce que c’est que de vivre loin du pays qu’on aime. Si tu savais seulement combien je me suis ennuyée là-bas de mon beau Canada ! Souvent j’ai pleuré.

— Et pourtant, Louise, tu avais autour de toi des êtres chéris : un mari qui t’aime follement, des enfants beaux comme le soleil !

— C’est vrai. Sans eux je ne sais ce que je serais devenue. Et avec l’ennui j’avais sur le cœur deux deuils atroces : mon cher frère assassiné par je ne sais quel barbare, et mon père que tuait peu à peu la captivité !

— Oh ! s’écria Margaret, nous avons traversé des temps affreux, c’est aujourd’hui que j’en constate toute l’horreur ! Aussi, suis-je venue en même temps me décharger d’un remords que je ne peux emporter avec moi ! Oui, Louise, tu as bien deviné que j’ai un terrible secret à te dévoiler.

— Ô mon Dieu ! que viens-tu m’apprendre ? demanda Louise en pâlissant.

— Je veux te dire qui a été le meurtrier de ton frère !

— Tu le connais ?

— Je le connaissais…

— Oh ! parle, Margaret, parle vite ! s’écria Louise avec agitation. S’il n’est pas trop tard pour que cet homme soit châtié, il le sera justement ! Parle !

— Celui qui a tué ton frère, Pierre Darmontel, c’est mon cousin, Daniel Foxham !

— Foxham !… murmura Louise sans trop d’étonnement. Et elle ajouta : Je l’avais un peu soupçonné de ce meurtre !

— Seulement, ma chère Louise, Foxham n’avait pas prémédité cet assassinat, en ce sens qu’il ne voulait nullement tuer ton frère qu’il ne connaissait pas ! Il avait pensé qu’il tuait monsieur Saint-Vallier !

— Foxham !… murmura encore Louise qui demeura sombre et pensive.

— Hélas ! ma chère amie, tu ne saurais t’imaginer toute l’horreur que j’ai éprouvée quand j’ai connu les crimes de cet homme. Et c’était mon cousin et je l’avais aimé !

— Pauvre enfant ! soupira Louise qui vit des larmes dans les yeux de Margaret.

— Aussi, suis-je venue pour essayer d’empêcher un autre meurtre non moins abominable !

— Un autre meurtre ! s’écria Louise… Ah ! mais cette fois tu m’épouvantes, Margaret.

Elle eut le rapide pressentiment qu’on en voulait encore à Saint-Vallier. Puis, elle ajouta :

— Mais je pensais Foxham parti !

— Il est en Angleterre, en effet, et il y est allé avec le dessein de faire disparaître Du Calvet !

— Ah ! il en veut encore à Du Calvet !

— Il a pour ce gentilhomme français une haine que je ne peux m’expliquer.

Les deux amies s’entretinrent longtemps, puis Miss Margaret se retira lorsque Saint-Vallier entra, après avoir été absent tout le jour.

Après le départ de Margaret Toller, Louise mit son mari au courant des choses terribles que lui avait apprises la jeune anglaise.

Saint-Vallier frémit de colère.

— Oh ! grinça-t-il, pourquoi n’ai-je pas envoyé en enfer ce Foxham maudit ! N’importe ! je vais écrire à l’instant à Du Calvet pour le mettre sur ses gardes. Je vais également écrire à Saint-Martin afin qu’il fasse dépister ce bandit !

Et Saint-Vallier pénétra dans son étude pour écrire ces lettres.