Les châtiments corporels en Allemagne

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Les châtiments corporels en Allemagne
Revue pédagogique, premier semestre 1886VIII (n. s.) (p. 467-469).

Châtiments corporels. — Le Congrès des instituteurs de la province de Prusse orientale, sur le rapport de M. Neuber, instituteur à Raudnitz, a adopté les conclusions suivantes, que nous trouvons dans la Pädagogische Zeitung :

1. On ne peut, de l’avis de presque tous les pédagogues pratiques, supprimer ni dans la maison ni dans l’école les châtiments corporels, bien que certains s’efforcent de les discréditer comme des moyens surannés et grossiers.

2. La loi civile les permet et la loi divine les commande.

3. S’opposer à l’application des châtiments corporels dans les écoles primaires, c’est se mettre en opposition avec l’expérience des pédagogues et les commandements de la Sainte-Écriture.

4. Le châtiment corporel ne doit être employé qu’en dernier lieu.

5. Lorsqu’il doit punir une infraction à la discipline, il faut l’appliquer immédiatement.

6. Lorsqu’il punit des fautes commises en dehors de l’école, le maître doit l’appliquer à la fin de la classe et en présence des élèves.

7. Les rudes châtiments corporels pour les fautes graves commises en dehors de l'école, telles que vol, dégradation, incendie, etc., ne doivent pas, dans la règle, regarder l'instituteur, ils appartiennent aux parents ou tuteurs, ou aux autorités.

8. Les châtiments corporels doivent se mesurer à l’âge, au sexe, au caractère, au degré de culture, à l’état de santé de l’enfant.

9. Le maître doit s’abstenir d’appliquer un châtiment corporel quand il se trouve dans un état de grande excitation.

10. Le maître doit montrer par sa conduite à l’enfant châtié qu’il l’aime et ne veut que son bien.

11. Il faut bannir de l’école les châtiments corporels qui pourraient mettre en danger la santé ou la vie de l’enfant.

12. Que l’instituteur se regarde comme étant au service de son Sauveur, et qu’il punisse de telle façon qu’il puisse en répondre devant sa conscience, devant le juge terrestre et surtout devant le juge céleste.

D’autre part, le Pædagogium, de Vienne, contient une courte étude du professeur F. Mœhr, de Trieste, qui condamne et flétrit en termes aussi simples qu’énergiques le recours au châtiment corporel. « Jamais, dit-il, dans une pratique de dix-huit années, il ne m’est arrivé de porter la main sur un de mes élèves, et loin d’y perdre, la discipline y a gagné dans mes classes. Je croirais me déshonorer moi-même, manquer à mon état, à ma vocation, si je recourais à une mesure de violence. Ce ne sont pas les moyens d’action qui nous manquent. Les enfants sont sensibles à l’honneur ; ne peut-on pas les prendre par là ? Une parole de réprimande et de honte, comme ua éloge, une distinction, un encouragement, ne produisent-ils pas grand effet sur ces natures impressionnables ? Et s’il en est chez qui ces sentiments sommeillent, n’est-ce pas la tâche de l’instituteur de les éveiller ? »

Ce qui importe, c’est que l’instituteur conquière une forte autorité morale, et M. Mœhr donne à cet égard quelques utiles conseils. Il veut que le maître ne reçoive pas de cadeaux des enfants, mais que surtout il se garde bien, par d’habiles paroles, d’en solliciter et d’en faire naître la pensée. Qu’il ne manifeste pas de préférence ou d’antipathie fondée sur la nationalité, l’état, les vêtements, qu’il ne traite pas de façon spéciale ceux des élèves auxquels ou dans la famille desquels il donne des répétitions, qu’il s’applique à relever soigneusement le travail, la bonne volonté, la persévérance, et il verra peu à peu les mauvais élèves s’améliorer sous l’influence de meilleurs instincts. Les châtiments corporels n’amènent rien de semblable, Et qui ne frémirait pas à la pensée qu’ils peuvent frapper un innocent ?

Cette observation de M. Mœhr remet en mémoire les réflexions de Rousseau à propos d’un épisode de son enfance qu’il raconte avec tant de passion et qu’il n’a jamais pu oublier de sa vie. Battu pour une faute qu’il n’avait pas commise, il sentait cinquante ans après son pouls s’élever encore à ce souvenir : « Ces moments, dit-il, me seraient toujours présents quand je vivrais cent mille ans. »

M. Mœhr termine par ces mots : « Si nous voulons sauvegarder la noblesse de notre vocation, ne pas retomber dans l’abîme de mépris et de raillerie où nous avait jetés l’usage de la férule, il nous faut renoncer absolument aux châtiments corporels, et chercher à agir sur la jeunesse et sur les familles par des paroles de réprimande et d’encouragement, par notre application consciencieuse aux devoirs, par une conduite noble et élevée, par des qualités morales et sociales. »

Ces vues paraîtront sans doute à nos lecteurs infiniment plus pédagogiques, pour ne pas dire autre chose, que les douze points votés par le Congrès de la Prusse orientale.