Les chasseurs de noix/34

La bibliothèque libre.
Texte établi par Montréal Impr. populaire, Édouard Garant (p. 239-242).

XXXIV

MŒURS IROQUOISES

Comment cette bande de guerriers sauvages se trouvait-elle le long de la rivière Massawippi, juste à point pour intercepter le passage à nos deux amis ?

Les historiens canadiens nous rapportent que, pendant tout le cours de l’été de 1693, la colonie fut infestée de bandes d’Iroquois qui, parcourant le pays d’un bout à l’autre, rôdaient autour des petites bourgades et des habitations isolées dans les campagnes, détruisant les récoltes, massacrant les bestiaux et tuant ou faisant prisonniers tous les habitants qui leur tombaient sous la main.

Cela devint si sérieux que le gouverneur dut mobiliser presque toutes les troupes, afin de donner la chasse à ces êtres barbares et d’arrêter leurs déprédations.

La bande qui venait, mais non sans peine, de capturer les deux chasseurs dont nous écrivons l’histoire, était partie de la Nouvelle-York, à peu de distance de l’endroit où se trouve aujourd’hui Saratoga Springs, vers le milieu de l’été. Elle avait envahi la Nouvelle-France en passant par le lac Champlain et la rivière Richelieu, puis, continuant sa route le long de la rive sud du fleuve et se séparant par petits groupes, elle s’était répandue dans les campagnes, de Sorel à Nicolet.

Quand, après un été de meurtres et de rapines, l’automne arriva et que les Iroquois se virent, sous peine de se trouver aux prises avec l’hiver dans un pays ennemi, obligés de reprendre la route de leur pays, ils s’aperçurent que les troupes de monsieur de Frontenac, alors gouverneur du Canada, occupaient les deux côtés du Richelieu. Et comme, en vrais barbares qu’ils étaient, les sauvages ne se souciaient pas de faire face à des troupes organisées, ils reconnurent qu’il leur fallait prendre un chemin détourné pour rejoindre la Nouvelle-York, s’ils ne voulaient pas tomber aux mains des Français.

Après d’assez longues délibérations — où tout le monde, il s’en fallait de beaucoup, n’était pas du même avis — il fut décidé qu’on remonterait le Saint-François jusqu’à la rivière Magog, puis cette dernière jusqu’au lac Memphrémagog qui en est la source. Après avoir traversé ce lac dans toute sa longueur, on s’engagerait dans les bois et, en se dirigeant vers le sud-est, on suivrait un des nombreux défilés qui sillonnent la chaîne de montagnes longeant la rive orientale du lac Champlain. Et l’on arriverait ainsi dans la Nouvelle-York, après avoir contourné les troupes françaises.

La bande remonta donc le Saint-François jusqu’à l’embouchure de la rivière Magog. Mais, rendue là, les délibérations recommencèrent. Un groupe nombreux de la bande voulait changer l’itinéraire du voyage. Ces derniers voulaient, au lieu de remonter la rivière Magog et de passer par le lac Memphremagog — ce qui les obligerait de laisser leurs canots dans ce lac et de parcourir une immense distance à pied et à travers des bois qu’aucun d’eux ne connaissait — remonter la Massawippi ou la Coaticook jusqu’aux sources de cette dernière ; puis, au moyen d’un court portage, passer dans une rivière coulant vers la Connecticut, descendre celle-ci jusqu’à la mer, suivre la côte jusqu’à New-York et remonter l’Hudson jusqu’à leur pays.

Cette opinion qui, bien que proposant un itinéraire beaucoup plus long que le premier, avait le double avantage d’éviter un long parcours à pied et à travers des montagnes difficiles et de permettre aux sauvages de ramener leurs canots dans leur pays, prévalut pour le moment. La bande se remit en marche et continua de remonter le Saint-François jusqu’à l’embouchure de la Massawippi.

Les Iroquois campèrent pour la nuit dans ce dernier endroit ; mais, le lendemain matin, au lieu de se remettre en marche, le groupe qui avait d’abord proposé la route du lac Memphremagog — groupe qui avait à sa tête un non moindre personnage que le chef de la bande ; celui-là même qui devait arriver juste à temps pour empêcher les vainqueurs de Le Suisse et de Roger de mettre leurs captifs à mort — rouvrit la discussion, dans le but de faire adopter le premier itinéraire. La discussion dura tout l’avant-midi, sans que l’on puisse s’entendre.

Dans l’après-midi, deux guerriers envoyés en reconnaissance afin de découvrir à quelle distance était l’embouchure de la rivière Coaticook, aperçurent, à un détour de la rivière Massawippi qu’ils remontaient, le canot monté par les deux chasseurs blancs. Aussitôt, ils se jetaient à terre, comme nous les avons vus faire au chapitre précédent, et, pendant que l’un d’eux restait caché et épiait les mouvements des deux Blancs, l’autre courait avertir le reste de la bande de la découverte qu’ils venaient de faire.

Une bande sauvage n’était jamais assez pressée, ni engagée dans une affaire assez importante, pour ne pas prendre le temps d’aller attaquer des Blancs ennemis, surtout quand ils se sentaient en nombre assez supérieur à leurs adversaires pour n’avoir rien à craindre d’eux. En apprenant qu’une couple de chasseurs blancs, qui paraissaient être des Français, se trouvaient à quelques arpents de leur campement, le chef iroquois détachait une trentaine de ses guerriers et leur donnait pour mission d’aller s’emparer des deux étrangers et de les ramener prisonniers, avec le résultat que l’on sait.