Les chevaliers de la nuit/2

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Police Journal Enr (Aventures de cow-boys No. 3p. 4-7).

CHAPITRE II

LA GRÈVE


Revenons un peu en arrière.

Baptiste Verchères et le jeune Churchman arrivèrent au poste de police de Canyonville à la tombée du jour.

Le sergent Robitaille, en voyant le chef de police de Squeletteville, eut un large sourire.

— Merci d’être venu. J’en perds le latin que je n’ai jamais appris…

Verchères s’assit.

En un tournemain se roula une cigarette.

Et dit :

— Claude je ne te demande qu’une chose.

— Quoi ?

— Procède chronologiquement. Je vais te questionner. Comment tout cela a-t-il débuté ?

Robitaille dit :

— C’est Sandy Marlowe qui a ouvert le bal.

— Qui est Sandy Marlowe ?

— C’est un cowboy.

— Évidemment ; mais que fait-il au juste ?

— Il était contremaître sur le ranch de BUCK Martin…

— Était… ?

— Oui, or donc, un jour, il y a une semaine de ça, il est allé voir Martin et lui a annoncé à brûle-pourpoint qu’à moins que ses cowboys obtiennent $40 de plus par mois, ils se mettaient en grève…

Verchères s’écria :

— $40 additionnels, mais aucun rancher n’a les reins assez solides pour supporter ce fardeau additionnel sans danger de banqueroute.

Le sergent approuva :

— Je sais, la demande est ridicule.

— Martin refusa ?

— Oui, évidemment.

— Alors qu’arriva-t-il ?

— Ce qui arriva ? Sandy Marlowe avait bien synchronisé son affaire.

« Non seulement les cowboys de Martin se mirent en grève.

« Mais les cowboys des deux autres ranchs de la région firent de même.

« Marlowe les avait gagnés à sa cause ».

Baptiste demanda :

— Les noms des deux autres ranchers ?

— Les deux Gradiers, père et fils, Alain et le gros jeune homme surnommé plaisamment SLIME.

— Et le second ?

— Natole Pomerleau…

— Tiens, tiens, fit Baptiste, je le connais, Natole ; c’est du bien bon monde. Sa fille doit être grande maintenant…

— Céline ! Je te cré, c’est la plus belle fille de la région. Honnête, accorte, gentille, elle a tout pour elle.

— Et après, sergent ?

— Bien, vous vous rappelez le fracas scandaleux qu’a fait la cause de Louis Riel qui, je l’espère, ne sera pas pendu…

— Oui, le C.P.R. a décidé de payer comme le veut la loi des taux raisonnables d’expropriations pour les droits de passage de sa voie ferrée sur les terres des ranchers…

Claude interrompit :

— Or le chemin de fer doit passer dans la région, et selon l’avis des experts, il faut qu’il traverse les ranches de Martin, de Gradier et de Pomerleau.

— Ouais, fit Baptiste, l’affaire est bien embrouillée. Grève, CPR et quoi encore ?

— Ah, ah…, fit Robitaille, j’oubliais.

— Quoi ?

— Il y a un 4e rancher, Abel Merceau. C’est du bon monde, mais comme il n’a pas assez de capital, il tire le diable par la queue… Cette grève va sans aucun doute lui faire lever les pieds…

— Ouais, répéta Baptiste.

Puis il questionna :

— Autre chose ?

— Ah oui, c’est vrai, j’ai reçu par la voie de l’air et d’un caillou une note étrange qui a défoncé hier un carreau du poste. Je ne sais si c’est une plaisanterie ou non.

— Fais voir.

Baptiste lut :

AU SERGENT ROBITAILLE,

De la police montée du nord-ouest,

PREMIER ET DERNIER AVIS :

Les cowboys en grèves viennent de constituer une troupe fantôme qui a nom les chevaliers de la nuit.

Ces chevaliers n’auront pas peur de frapper ni d’incendier pour que triomphe leur juste cause.

Nous vous avisons, sergent, de demeurer à l’écart de ce conflit.

Sinon ?

Sinon nous vous abattrons comme les autres ennemis de la justice et de l’équité.

LES CHEVALIERS DE LA NUIT.
x x x

Verchères eut une idée.

Il dit :

— Claude ?

— Oui, Baptiste ?

— La loi exige que les ranchers te donnent la liste des noms de leurs cowboys. As-tu cette liste ?

— Oui.

— Et comme ils n’habitent plus les bunkhouses de leurs patrons, ils doivent tous être dans ta bourgade ?

— Évidemment.

— Alors quand les chevaliers de la nuit frapperont, il sera bien facile de les identifier.

— Comment ?

— Tes hommes n’ont qu’à prendre régulièrement dans la soirée les noms des cowboys restés ici, comparer ces noms à tes listes. Ceux qui ne seront pas sur les feuilles de tes constables seront les chevaliers de la nuit. Facile, hein ?

— En effet.

— Alors qu’attends-tu ?

— Attendre ?

— Oui, les chevaliers peuvent fort bien frapper cette nuit. C’est le temps pour toi de commencer le recensement des cowboys.

— C’est bien trop vrai… Churchman… ?

— Oui, Sergent…

— Tu dois être fatigué de ta double randonnée…

— Un peu, je l’avoue.

— Eh bien, avant d’aller te coucher, veux-tu donner à qui de droit des ordres pour que ce recensement soit fait immédiatement ?

— Certes oui.

Baptiste bâilla longuement.

— C’est contagieux ce que tu fais là, dit Robitaille, en baillant à son tour énormément.

Verchères demanda :

— Où est ma couchette ?

— Suis-moi…