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Les cimetières de Madrid

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LES CIMETIÈRES
DE MADRID.

i.
LE CAMPO SANTO DE LA PORTE DE TOLÈDE.

J’étais sorti de Madrid par une belle matinée du mois d’avril 1831. Je traversai le pont de Tolède, et, continuant ma promenade en montant à gauche un étroit sentier, j’arrivai à la porte d’un cimetière. Elle était ouverte ; j’entrai.

Je n’avais pas encore vu de cimetière en Espagne. Celui de la porte de Tolède est de construction moderne, comme tous ceux de Madrid, car il n’y a pas plus de trente ans qu’on a cessé d’enterrer dans les églises de cette capitale.

Ce cimetière n’est pas, ainsi que ceux de Paris, un jardin coquet, joyeusement coupé de berceaux et de charmilles, où serpentent des allées de sable jaune bordées de fleurs et de tombeaux ; c’est un champ stérile et sans ombrage ; c’est une vaste enceinte carrée, ayant une chapelle à l’entrée, une haute croix de pierre au milieu, et tout à l’entour des galeries ouvertes, protégées par un toit revêtu de tuiles reposant sur des piliers de bois peint en vert.

Les murs de clôture, fort épais, qui forment le fond de ces grossiers portiques, sont percés sur toute leur surface de trous profonds, régulièrement superposés les uns aux autres. C’est là qu’on introduit les cercueils comme des tiroirs dans leurs cases.

On dirait les nids d’un pigeonnier désert, ou plutôt les alvéoles d’une ruche abandonnée par les abeilles. Les corps sont demeurés ; les âmes se sont envolées.

Sur les pierres étroites qui ferment, au niveau du mur, ce casier des morts, point de ces épitaphes fastueuses dont on surcharge ailleurs les tombes ! Point de ces douleurs d’héritiers écrites en or dans le marbre, comme pour témoigner avec plus d’éclat de leur mensonge ! Les noms seulement et l’âge des défunts, le titre de la confrérie à laquelle ils ont appartenu, et parfois un verset des psaumes, voilà tout. — Il semble que l’Espagnol, de son vivant si gonflé de ses vanités, ait voulu laisser au seuil de ce monde toutes les bouffissures de son naïf orgueil.

Je marchais depuis quelque temps sous les galeries du Campo Santo. J’y avisai bientôt un homme en veste qui, les mains croisées derrière le dos, prenait le soleil[1], l’épaule appuyée contre un des piliers.

À son air nonchalant et distrait, je jugeai d’abord que cet homme était chez lui, que c’était le maître du logis.

— Vous êtes le gardien du cimetière ? lui demandai-je.

Si senor, pour vous servir, — para servir a usted, — me dit-il fort courtoisement.

Il avait présumé sans doute que je venais me pourvoir d’une sépulture. Mes questions étaient au moins de nature à lui suggérer cette supposition.

— Combien se paient ces niches ? dis-je, lui en montrant plusieurs qui étaient vides.

— Cela dépend, répondit-il ; — si c’est pour quatre ans seulement, cela vous coûtera cinq cents réaux, et six mille, si c’est pour toute la vie.

— Pour toute la vie ! dis-je, pour toute la vie de qui ? Vous voulez dire pour toute la mort !

— Oui, pour toujours, continua-t-il en souriant. C’est un peu cher, n’est-ce pas ? Mais il y a des tombes à meilleur marché pour toute la vie aussi. Tenez, celles que nous avons sous nos pieds, et qui sont numérotées, ne reviennent qu’à six cents réaux. On y est fort bien également.

— Mais tout le monde ne peut pas mettre cinq cents réaux à une tombe. N’avez-vous pas à loger parfois quelques-uns de ces hôtes qui n’ont pas plus de réaux après leur mort qu’ils n’en ont eu pendant leur vie ? — Que faites-vous des corps de ceux-là ?

— Oh ! en effet, les pauvres ne manquent point ; mais, grâce à Dieu, la place ne leur manque pas non plus ! Voyez, dit-il, me montrant le sol nu et découvert du cimetière, ce champ est grand ! Este campo es largo !

En causant, nous étions sortis des galeries, et nous nous étions avancés dans l’enceinte, où nous nous promenions en long et en large, foulant aux pieds ces sépultures dont pas une pierre, pas une croix de bois, pas une touffe d’herbe ne signalait la place.

— Ainsi tout le peuple des morts est ici en pleine terre, dis-je au gardien. Votre cimetière ressemble au cirque de la place des Taureaux. Sous les galeries, les niches, ce sont les loges où se placent les grands et les riches ; au-dessous, les tombes numérotées, — c’est l’amphithéâtre couvert où vont les fortunes moyennes. Au bas et à l’air libre, les fosses communes, c’est le tendido, le parterre, où se mêle et s’entasse la foule misérable et sans nom.

— C’est vrai, répondit-il. Il y a seulement une différence, c’est que le tendido, si tumultueux à la place des Taureaux, ne fait pas ici plus de bruit que les loges et l’amphithéâtre.


Nous avions laissé la chapelle à notre droite, et nous nous trouvions devant un large trou carré, qui expliquait de reste lui-même sa destination. Le gardien s’arrêta.

— Voici une fosse, dit-il, qui m’a dévoré bien des corps déjà ! Cependant elle n’est pas encore rassasiée, et je ne la fermerai guère avant un mois.

— Mais celle-là, qui a la gueule béante, qui semble être à jeun et affamée aussi, dis-je à mon cicerone, lui en montrant du doigt une autre fraîchement creusée en arrière d’un petit massif d’alaternes rabougris ; celle-là ?

Il me regarda d’un air défiant et inquiet ; — puis, comme si la loyauté de ma physionomie l’eût rassuré :

— Celle-là, répondit-il, se rapprochant de moi, celle-là, c’est une fosse à part ; c’est une fosse de réserve, c’est une fosse nouvelle pour les suppliciés. — J’ai reçu avant-hier l’ordre de la tenir prête. Il y a maintenant dans les prisons de Madrid beaucoup de révolutionnaires menacés de la peine capitale ; — c’est une mesure de précaution qu’on a prise.

Je tressaillis. — Les cachots de la carcel de corte et de la carcel de villa étaient encombrés alors de patriotes qu’on y avait jetés comme suspects d’une soi-disant conspiration libérale contre le régime paternel restauré en Espagne, grâce aux cent mille hommes du duc d’Angoulême. Tout Madrid frissonnait de terreur. Une première exécution politique avait eu lieu déjà, et l’on s’attendait à la voir suivie d’un grand nombre d’autres.

Je m’avançai jusqu’à cette fosse encore vide ; penché au bord, j’y plongeai le regard.

— C’est bien, pensai-je ; la sépulture est disposée d’avance. L’arrêt n’est pas encore prononcé, mais la tombe est déjà creusée. C’est bien, messieurs les alcades, c’est bien ; condamnez ! N’ayez nul souci. Les fossoyeurs vous ont donné l’exemple ; ils ont fait leur besogne ; à vous la vôtre. Condamnez ; il y a de la place pour bien des sentences de mort, et bien des remords de juges. — La fosse est profonde. —

— Mais où était la dernière fosse des suppliciés ? — celle qui est pleine maintenant ? demandai-je au gardien.

— Là-bas, dit-il, à la gauche de la chapelle, à l’autre coin.

Je me dirigeai vers la place qu’il m’avait désignée du doigt. Il me suivit.

La terre, fraîchement remuée et non encore foulée dans la double longueur de deux cercueils, accusait elle-même une double sépulture récente.

Il y avait eu une exécution à la place de la Cebada la semaine précédente. Il y en avait eu une seconde la veille.

— C’est ici ? dis-je au gardien.

Il ne me répondit que par un signe affirmatif, en baissant la tête.

Je n’avais pas besoin qu’il m’apprît pour quels crimes on avait ôté la vie à ces deux malheureux, qui étaient là cachés sous quelques pouces de terre. — Ce que je voulais, c’était pouvoir distinguer leurs tombes l’une de l’autre ; — car l’une était maudite, l’autre sainte.

Je m’étais tourné vers le gardien. Je l’interrogeai d’un regard qu’il comprit.

Ayant jeté d’abord un coup d’œil furtif autour de lui, comme pour se bien assurer que nous étions seuls, il se rapprocha de moi ; et quand il fut tout près, abaissant la main droite entre nous deux, l’index tourné vers le sol :

— Celui qui est à mes pieds, dit-il, c’est cet homme qui tua sa femme ; — el que matò a su muger ; l’autre, — et il s’interrompit ; puis, après une pause d’un instant, il ajouta tout bas : l’autre, — c’est celui qui a dit cette parole, — el que dijo aquella palabra !

Cette parole ! — Vous ne savez pas quelle était cette parole que n’osait répéter ce geôlier de cimetière en présence de ses morts, — bien muets pourtant et sourds. — C’était Vive la liberté ! — Viva la libertad !

Celui qui l’avait dite, cette parole, c’était un pauvre cordonnier, Antonio Latorre, — un enfant de dix-neuf ans. Étant ivre en une taverne, le 22 mars, il avait crié : Vive la liberté ! Arrêté sur-le-champ, et conduit en prison, il s’était endormi dans son cachot. On l’avait réveillé pour le condamner. Le 25 mars, un dimanche des Rameaux, on était venu lui lire sa sentence et le mettre en capilla. Après l’y avoir torturé trois jours, le 28 mars, on l’avait enfin mené au supplice ; — on l’avait pendu comme révolutionnaire ! — Por revolucionario ! — Son crime, son arrêt et son exécution avaient été commis en moins d’une semaine !

Pauvre enfant ! — Il avait été la première des victimes de l’année. — Il avait été le premier de ceux qu’en 1831, le bourreau avait envoyés au ciel rejoindre El Empecinado, Riego et leurs frères. — C’était lui qui avait ouvert cette seconde marche triomphale des patriotes espagnols à l’échafaud ! Le libraire Miyar ne devait pas tarder à le suivre ; — puis viendrait la sainte jeune fille de Grenade ; — puis Torrijos, Flores Calderon et leurs compagnons, — les trente-sept martyrs de Malaga !

Lui pourtant, ô mon Dieu ! fils ignoré du peuple ! lui, ouvrier obscur, dont la mort seule avait révélé l’existence, vivrait-il au moins dans la mémoire du pays ? Au jour des expiations, la patrie se souviendrait-elle de lui ?

Antonio Latorre ! — Pour sauver ton souvenir de l’oubli, j’aurais voulu t’élever alors de mes mains un mausolée de marbre blanc, et y écrire en lettres d’or ton nom, — ton seul nom ! — J’aurais voulu encore que l’on m’apportât toutes les palmes bénites de ce dimanche des Rameaux où avait commencé ton agonie, et pour le cacher à tes bourreaux et à tes juges, j’en aurais couvert à poignées ce tombeau que je t’aurais bâti ! Peut-être la Liberté, voilée de deuil, serait venue les écarter quelquefois les yeux en pleurs !


À ma droite, à la portée de mon bras, se trouvait un frêle églantier, tout bourgeonnant déjà, mais qui n’avait encore que trois petites feuilles à peine ouvertes. — Je les cueillis, et, sans que le gardien m’eût remarqué, je les laissai tomber à mes pieds, avec une larme, sur la terre qui recouvrait le corps d’Antonio Latorre.

Comme je sortais du Campo-Santo, je m’arrêtai un instant à sa porte. De là je promenai ma vue sur l’horizon qui se déroulait autour de moi ! — Que cette journée, des premières du printemps, était belle ! Que le ciel était d’un bleu pur et profond ! Comme les aigles noirs volaient haut, fendant l’air de leur grande aile indépendante ! Comme le Guadarrama s’étendait majestueux à ma gauche, sous son éblouissant manteau de neige ! Comme Madrid brillait chaudement au soleil, avec ses églises de brique rouge et ses maisons peintes !

— Oh ! me disais-je, ce serait bien à ce soleil et sous ce ciel qu’il faudrait crier de toutes les forces de son âme : Vive la liberté ! Je me retournai, et jetai un dernier regard vers la nouvelle fosse politique.

— Mais, pensai-je en m’éloignant, voilà pour ceux qui diront cette parole ! — Aquella palabra !

ii.
LE CIMETIÈRE DE L’HÔPITAL.

La confrérie du Très-Saint-Sacrement et de Notre-Dame de la Miséricorde célèbre solennellement à Madrid, chaque année, l’enterrement d’un pauvre.

Cette cérémonie est belle et touchante.

Chez les anciens, les maîtres servaient une fois l’année leurs esclaves ! c’est bien que chez les chrétiens le riche enterre le pauvre une fois l’année !

C’est au premier malade qui meurt à l’hôpital-général dans la nuit du 15 novembre que, par droit de chance, se décernent les honneurs de ces funérailles.

J’entrai dans la petite église de l’hôpital au moment où le service venait de commencer.

Il y avait en avant du maître-autel un riche catafalque, entouré de candélabres où brûlaient des cierges de cire jaune. Au-dessous, dans une bière ouverte, revêtue de drap noir brodé d’or, était couché, la tête sur un oreiller blanc garni de mousseline blanche, le pauvre qu’on allait inhumer. Ses mains étaient jointes. Vêtu de l’habit de saint François, il en avait le capuchon abaissé sur le front.

Cet homme avait été frappé bien jeune ! Son visage, tout pâle et amaigri qu’il fût, rayonnait encore d’un singulier éclat de beauté paisible. Il ne semblait point mort. On l’eût dit même recueilli plutôt qu’endormi. Il avait l’air de prier pour ceux qui priaient pour lui.

C’est l’habit religieux dont, en Espagne, la commune dévotion revêt habituellement les morts, qui leur prête sans doute une si parfaite expression de calme intérieur et de béatitude.

Le service se fit avec beaucoup de pompe ; il y avait trois prêtres qui officiaient. Le De profundis et le Miserere furent chantés à grand orchestre.

Les musiciens n’étaient pas des premiers virtuoses, non plus que les chanteurs ; mais il y avait entre ces rudes instrumens et ces voix sans art, un accord surhumain de charité, un ensemble de pieuse harmonie que n’ont point les concerts des maîtres. Ces chants, partis de l’ame, allaient à l’ame. On eût dit que Notre-Dame de la Miséricorde, tenant sa harpe du ciel, les conduisait elle-même, et les faisait vibrer à l’unisson de la mélodieuse pitié de son cœur !

Après le Miserere, le prélat descendit de l’autel assisté des deux prêtres ; il s’approcha de la bière, récita le Pater noster ; puis l’eau bénite et l’encensoir lui furent présentés successivement, et il bénit et encensa le pauvre.

La solennité n’avait pas fini avec ces chants, ces prières et ces bénédictions. Le mort devait être accompagné processionnellement jusqu’au cimetière.

La confrérie vint prendre ses bannières et ses bâtons, et sortit sur deux files, chacun de ses membres tenant un cierge de cire jaune à la main.

Onze frères de la Orden Tercera s’approchèrent alors, et quatre d’entre eux enlevèrent la bière sur leurs épaules. Les autres suivirent, et après eux un grand nombre de religieux de divers ordres : les prêtres qui avaient officié fermèrent la marche.

Les frères de la Orden Tercera sont des manières de demi-moines agrégés à la religion de saint François. Bien qu’ils soient soumis à certains actes réguliers de vie commune, et qu’ils portent un habit qui diffère peu de celui des Franciscains, ils peuvent se marier, et vivent séparément chacun dans leur maison. À Madrid, ils ont une chapelle annexée au couvent de San-Francisco, où ils sont de service à tour de rôle, de même qu’une milice urbaine. Ce sont des volontaires religieux ; c’est comme une garde monacale.

Ces frères ont le privilége de porter au Campo Santo les morts assez riches pour leur payer ce bon office. Le pauvre du convoi était traité en riche, voilà pourquoi il avait à ses funérailles ce luxe des frères de la Orden Tercera.

La procession descendit lentement le perron de l’église et monta la rue d’Atocha, prenant à gauche la ruelle qui mène au cimetière de l’hôpital.

Arrivés là, les prêtres s’en furent chanter un dernier De profundis à la chapelle, tandis que les frères de la Orden Tercera déposèrent le corps dans une fosse à part, qui lui était préparée.

La cérémonie était achevée. Les mendians nombreux qu’elle avait attirés s’étaient répandus çà et là par le cimetière. Je me portai avec un de leurs groupes au bord d’une fosse scandaleuse, — escandolosa, selon l’expression pittoresque d’une femme qui du regard en mesurait la profondeur.

C’était là que depuis longues années s’enfouissaient tous les cadavres, arrachés en lambeaux de l’amphithéâtre de l’hôpital. L’eau des dernières pluies, qui séjournait encore au fond de cet abîme, s’y était teinte du sang des milliers de corps mutilés qu’il avait engloutis. Cela formait un lac plus hideux et plus fétide qu’aucun de ceux où Dante plonge ses damnés.

L’impression dont l’aspect de cette fosse saisissait ceux qui étaient debout sur ses bords se traduisait par mille dévotes éjaculations.

— Vierge del Carmen ! — Vierge del Pilar ! — San-Francisco ! — San-Diego ! — San-Antonio ! s’écriait chacun, selon sa dévotion en l’une de ces vierges ou l’un de ces saints dont la popularité se balance à Madrid.

— C’est ici que nous viendrons tous, que nous mourions de maladie, d’un coup d’escopette, ou d’un coup de couteau, dit un pauvre diable grelottant dans son manteau troué, comme pour résumer l’avenir entier des assistans.

Comme je m’en allais vers la porte du Campo Santo, je passai près d’une autre fosse entourée d’autres curieux. Je me mêlai encore parmi eux.

Cette fosse était toute pleine d’ossemens que l’on y avait transportés depuis peu après les avoir extraits d’une des cours de l’hôpital en y creusant les fondations d’un bâtiment nouveau. Un fossoyeur était debout au milieu de ces débris humains, et tâchait d’en vendre quelques-uns à des étudians en chirurgie qui avaient vu là plusieurs pièces intéressantes et bien conservées.

C’était une étrange scène !

Les carabins marchandaient et dépréciaient les morceaux dont ils avaient le plus d’envie. — C’étaient, disaient-ils, des os incomplets, en mauvais état et sans valeur.

Le fossoyeur n’y mettait pas d’amour-propre. Il cherchait dans ses tas ce qu’il avait de mieux, et quand il avait trouvé des pièces intactes, il les vantait naïvement et exaltait sa marchandise.

— Voyez quelles côtes, s’écriait-il, ce sont des côtes des Français tués en 1808 ! quelles belles têtes ! — Que hermosas calaveras ! comme elles sont blanches !

— Est-ce que cette petite tête, qui est là dans le coin, n’est pas une tête de femme ? dit une jeune manola aux lèvres fraîches, aux joues brunes et roses, qui écoutait curieusement, ses beaux yeux noirs ouverts tout grands.

— Que ce soit une tête d’homme ou une tête de femme, répondit le fossoyeur en ricanant, ma fille, — hija, — elle n’en parle pas davantage maintenant !

Il était nuit. En sortant du Campo Santo, je jetai quelques cuartos sur un drap noir aux quatre coins duquel brûlaient quatre cierges. On l’avait étendu là pour recevoir les aumônes destinées aux pauvres enterrés dans le cimetière, afin de faire dire des messes au profit de leurs ames.


Lord Feeling[2].
  1. Tomava el sol.
  2. Un de nos collaborateurs, qui a publié dans la Revue divers morceaux sur l’Espagne qu’il a visitée à plusieurs reprises, va faire paraître, chez le libraire Charpentier, deux volumes intitulés : Voyages et Aventures en Espagne, que nous recommanderions vivement d’avance, si leur propre valeur et l’intérêt qu’ils empruntent des circonstances ne leur assuraient des chances de succès suffisantes. Le fragment qu’on vient de lire appartient à cet ouvrage.

    (N. du D.)