Les conférences pédagogiques des instituteurs allemands

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Les conférences pédagogiques des instituteurs allemands
Revue pédagogique, second semestre 1884 (p. 43-59).

LES CONFÉRENCES PÉDAGOGIQUES
DES INSTITUTEURS ALLEMANDS



L’Allemagne, a-t-on dit souvent, est la terre classique de la pédagogie. Nulle part, en effet, les questions relatives à l’éducation ne sont discutées avec autant d’ardeur qu’en Allemagne ; aucun autre pays n’offre une production aussi considérable d’ouvrages et de journaux pédagogiques. Dans les congrès, dans les conférences cantonales ou provinciales, officielles ou libres, les questions les plus diverses sont traitées par les instituteurs eux-mêmes, qui prennent part aux discussions d’une manière véritablement effective.

Les thèses ou résolutions adoptées dans les conférences des instituteurs allemands pendant les années 1879, 1880, 1881 et 1882 ont été réunies par les soins de l’un d’entre eux ; elles forment un recueil pédagogique extrêmement intéressant. Peut-être l’étude des plus importantes de ces résolutions ne sera-t-elle pas sans intérêt pour nous, puisqu’elle nous permettra de connaître et d’apprécier les principes qui dominent actuellement en Allemagne en matière d’éducation.

I

Parmi les questions qui se présentent le plus souvent dans les conférences allemandes, il faut citer en première ligne celles qui se rapportent au rôle éducatif de l’école. Il serait téméraire, sans doute, de prétendre que les instituteurs allemands comprennent toujours bien ce rôle dans la pratique ; néanmoins, l’affirmation réitérée de la mission éducative de l’école a une haute signification ; elle nous prouve que les instituteurs sont bien convaincus de la nécessité d’être des éducateurs.

« L’école n’atteindrait pas son but, disent les instituteurs, si elle n’était qu’un établissement d’instruction et si elle ne s’occupait de diriger l’éducation de la jeunesse qui lui est confiée. » (Ildstein, 1879.) — « Une institution qui n’aurait pour but que de donner aux élèves de nombreuses connaissances ne serait pas digne d’exister… l’école ne doit pas seulement instruire, mais aussi élever ; car c’est alors seulement qu’elle peut former les caractères. » (Halberstadt, 1879). — « Nous devons nous efforcer de développer harmoniquement toutes les facultés de nos élèves et de les instruire d’une manière éducative (ersichend unterrichten) ; par conséquent l’école doit être avant tout un établissement d’éducation, dans lequel l’ensemble de l’enseignement élève l’enfant et pose les fondements de la noblesse de caractère. » (Marburg, 1882).

Nous n’ajouterons rien à ces citations, car sur ce point il ne saurait y avoir de doutes : l’éducation a toujours occupé la première place dans les préoccupations des véritables pédagogues.

Mais il ne suffit pas d’affirmer la mission éducative de l’école, il faut encore la définir. Le but de l’éducation, d’après Kant, est de développer dans chaque individu toute la perfection dont il est susceptible ; or l’idéal que se forme un peuple ou un parti de la perfection de l’homme étant variable, il en résulte que le but assigné à l’éducation peut varier lui-même.

« Le but de la discipline scolaire (prise ici dans le sens général d’éducation), disent les instituteurs réunis à Putlitz (1879), est d’élever les enfants de manière à en faire des membres utiles de la société. » Nous retrouverons cette tendance dans un grand nombre d’autres conférences ; le désir de préparer les enfants à la vie pratique, à l’existence dans la société, sera plus accentué encore lorsqu’il s’agira de l’enseignement.

Ailleurs, les instituteurs font connaître avec plus de détails les qualités qu’ils veulent développer chez leurs élèves. « Le but de toute éducation est d’habituer l’élève à l’activité spontanée, à l’emploi conscient et juste de ses forces dans un but moral. » (Seesen, 1880.) — « La pédagogie moderne se propose de donner à l’homme une éducation harmonique et conforme à sa nature, d’augmenter la puissance de sa pensée, de développer son jugement, de former son caractère, de fortifier sa volonté ; elle veut éveiller dans l’enfant le sens de l’idéal, lui conserver son individualité, lui donner une véritable piété sans haine confessionnelle et sans hypocrisie ; elle cherche à développer le patriotisme sans exciter le fanatisme politique… » (23e congrès des instituteurs allemands, Brunswick, 1879). — Le trait caractéristique de ces dernières résolutions, c’est que, d’après elles, l’enfant ne sera pas traité comme un être purement passif ; le rôle prépondérant ne sera pas attribué à l’autorité du maître ; on fera de l’enfant un homme qui pense et qui agisse par lui-même, un homme d’initiative en un mot. C’est d’ailleurs à cette condition seulement qu’il sera un homme utile, et non un instrument aveugle entre les mains de ceux qui voudraient le diriger.

Ces sentiments sont ceux de la majorité des instituteurs allemands : mais le parti anti-libéral, bien puissant encore en Allemagne, considère l’éducation à un tout autre point de vue. Dans plusieurs conférences, nous rencontrons un piétisme et une étroitesse de vues qui ne laisseraient pas de nous surprendre, si nous ne savions que, dans la plupart des États de l’Allemagne, le clergé a encore la haute main sur les écoles.

« L’éducation, dit un directeur d’école normale à Graudenz (1881), doit préserver l’enfant des erreurs du naturalisme, du rationalisme, de l’humanisme et de l’eudémonisme… On doit élever l’enfant en vue de sa destinée éternelle et aussi en vue de sa destinée temporelle, mais en considérant celle-ci simplement comme un moyen d’arriver à l’éternelle félicité. On doit élever l’enfant dans une communion intime de vie avec Jésus-Christ, de telle sorte que la vie divine de celui-ci passe en lui. On doit faire que l’enfant participe aux grâces que l’Église lui offre, veiller à qu’il voie en elle le bon pasteur qui lient la place du Christ et à ce qu’il s’abandonne avec respect et obéissance à sa direction. »

Ces doctrines peuvent satisfaire aux exigences du parti de la réaction ; mais nous avons bien le droit de nous demander si les élèves formés selon ces principes seront préparés pour la vie dans la s0ciété ? Par une éducation semblable les partisans du clergé atteindront leur but, qui est de conserver et de fortifier la domination de l’Église ; mais la société laïque a des exigences qu’il n’est pas permis à ua éducateur de méconnaître.

II

Au nombre des moyens éducatifs recommandés par la pédagogie allemande, il en est un qui nous frappe d’abord, parce qu’il répugne à notre esprit et à l’idée que nous nous faisons d’une véritable éducation : c’est l’emploi des châtiments corporels, que les instituteurs allemands considèrent comme indispensables. Loin d’en demander la suppression, ils réclament le droit de les appliquer plus librement.

« De toutes parts, disent-ils, on voit apparaître des vices, tels que le mépris de la vie et de la propriété d’autrui, la brutalité et l’amour de la jouissance, le manque d’inclination pour une activité énergique… L’école a dans ces vices sa part de responsabilité ; elle doit chercher à les combattre. Si la douceur ne suffit pas, on ne doit pas reculer devant l’emploi des châtiments corporels ; mais ces châtiments ne peuvent être efficaces que si le droit qu’a l’instituteur de les infliger n’est pas trop restreint. » (Soest, 1882.) — « Contre le désordre, la malpropreté, la paresse, l’opiniâtreté, le mensonge, on emploiera les châtiments corporels. » (Putlitzs, 1879.) — « Quoiqu’on ne puisse pas former par le bâton des hommes moralement bons, on peut cependant par là les habituer au bien. L’instituteur a la pleine responsabilité de l’emploi des châtiments corporels. » (Brême, 1882.)

Les instituteurs allemands sont tellement convaincus de l’efficacité des punitions corporelles, qu’ils ne reculent même pas devant la crainte de s’exposer à la rigueur des lois : ils peuvent, en effet, être condamnés à un emprisonnement de trois ans et à un amende de mille marks, lorsqu’ils ont outrepassé leur droit. Ils demandent simplement qu’un instituteur soit adjoint aux tribunaux administratifs ou judiciaires, toutes les fois qu’il s’agira de juger des faits relatifs à l’emploi abusif des châtiments corporels. (Brême, 1882.)

Il est à remarquer que pour les Allemands les châtiments corporels ne constituent pas un simple moyen disciplinaire, dans le sens étroit que l’on donne parfois à ce terme, mais bien un procédé d’éducation, puisqu’ils ont la prétention de les faire servir à l’amélioration des élèves. En France, on ne discute même plus cette question. Aussi nous contenterons-nous de faire quelques remarques. Les instituteurs allemands se plaignent de « la brutalité et de l’immoralité toujours croissantes de la jeunesse ». Est-ce bien le bâton qui adoucira les habitudes de leurs élèves, qui réformera leurs mœurs ? L’éducation par le bâton ne se terminera pas d’ailleurs à la sortie de l’école : les jeunes gens y seront également soumis pendant la”durée de leur service militaire ; traités avec brutalité, ils traiteront de même plus tard leurs enfants. Si nous nous plaçons au point de vue du maître, nous verrons facilement que l’interdiction absolue de frapper les enfants, plus conforme à sa dignité, l’est davantage aussi à son intérêt. Si le maître est autorisé à employer les peines corporelles, il n’y a aucune prescription réglementaire qui puisse l’empêcher, dans un moment de colère ou par maladresse, de commettre des excès ; il est donc sans cesse exposé à des poursuites de nature à briser sa carrière.

Les instituteurs nous semblent avoir été mieux inspirés dans leurs discussions relatives aux questions sociales. Les partis rétrogrades accusent l’école primaire allemande de conduire au socialisme : ils réprouvent surtout l’école primaire commune (die allgemeine Volksschule), c’est-à-dire l’école qui recevrait indistinctement tous les enfants au-dessous de dix ou douze ans, quelle que fût la condition sociale de leurs parents. « On ne peut admettre, dit un journal pédagogique cité par le Dr Dittes au congrès de 1883, que le futur magistrat s’assoie sur les bancs de l’école près de celui qui plus tard sera un simple journalier. » Cette opinion s’est fait jour depuis longtemps déjà. Voyons comment les instituteurs y répondent.

« Les sentiments de haine qui existent entre les diverses classes de la société ont leur source dans nos institutions scolaires. À partir de leur sixième année, les enfants se divisent non d’après leur capacité et leurs besoins, mais d’après la fortune de leurs parents ; et les enfants des prolétaires, excités en cela par leurs familles, regardent d’un œil d’envie les élèves des écoles supérieures[1]. Si l’école primaire commune était une réalité ; si l’enfant dont le père occupe une position élevée et celui dont les parents sont au dernier degré de l’échelle sociale, si le riche et le pauvre prenaient place à l’école sur un même banc jusqu’à l’âge de douze ans : si les enfants s’habituaient à cette idée que ce n’est pas l’habit, mais le savoir et le caractère qui font l’homme ; si les enfants riches avaient appris à avoir des égards pour les pauvres et ceux-ci à apprécier les riches, on ne verrait pas éclater la haine des pauvres contre les riches, après que les jeunes gens se seraient séparés selon leurs diverses carrières. » (Duisburg, 1879.)

C’est qu’en effet les institutions scolaires allemandes n’ont pas le caractère démocratique des nôtres. Nos écoles primaires supérieures, nos collèges, nos lycées sont accessibles à tous, puisque des bourses peuvent être accordées aux enfants sans fortune ; dans nos écoles, tous les élèves vivent sur le pied de la plus parfaite égalité, et cela, sans qu’il soit nécessaire d’exercer sur eux aucune contrainte. Dans les écoles françaises, de quelque ordre qu’elles soient, il n’y a ni riches ni pauvres, mais simplement des condisciples. Les Allemands ont encore beaucoup à faire pour en arriver au même point.

Dans la même conférence de Duisburg, les instituteurs, poursuivant l’examen des questions sociales, continuent ainsi :

« Parmi les matières enseignées aux filles, le travail manuel mérite une attention toute particulière. Si l’enseignement du travail manuel ne commence pas dans les classes inférieures et s’il n’est pas continué assidûment pendant toute la durée des études, les élèves n’acquièrent pas toute l’habileté nécessaire pour surmonter les principales difficultés ; elles n’arrivent pas à aimer le travail, de manière à le continuer librement après avoir quitté l’école. Le goût pour le travail manuel exerce une influence considérable sur le sentiment de l’ordre, de la propreté et de l’économie. Les enfants malpropres et couverts de haillons viennent de familles dans lesquelles la mère ne connaît pas le travail manuel, de familles dont la demeure est si peu agréable, si répugnante même, que le père, ne pouvant s’y plaire, prend l’habitude de l’auberge. Il est facile de comprendre d’ailleurs que le gain est insuffisant dans la famille, en supposant même que le mari ne soit ni buveur ni joueur, si les habits ne sont pas réparés à temps ; car, dans ce cas, de nouvelles acquisitions sont fréquemment nécessaires. »

Nous reviendrons sur le travail manuel à propos de l’enseignement ; ici nous le considérons exclusivement au point de vue de son influence dans la famille. On est malheureusement trop porté, principalement dans les écoles de filles, à ne considérer le travail manuel que comme un but et à oublier la haute portée morale de cet enseignement. Aux réflexions des instituteurs, nous pourrions ajouter que l’enseignement du travail manuel est également indispensable pour les jeunes filles qui se trouvent dans une situation aisée ; il sera pour elles, plus tard, une utile distraction ; en leur créant une occupation agréable, il leur fera aimer davantage la vie de famille et les préservera de bien des dangers.

Mais dans son œuvre éducative, l’école ne doit pas compter que sur elle-même et sur l’action qu’elle exerce directement sur l’enfant ; elle peut aussi avoir sur lui une influence considérable par l’intermédiaire de la famille. « Il n’est point de mauvais système d’éducation, dit M. Gréard, qui ne s’améliore par l’intervention de la famille, point de bon qui n’ait à y gagner. » Cette influence est plus grande encore dans l’enseignement primaire que dans l’enseignement secondaire, puisque là elle s’exerce tous les jours, sans autre interruption que les quelques heures de classe de la journée. —L’instituteur obtiendra rarement des résultats sérieux et durables s’il n’est pas secondé par les parents ; son action sera toujours inefficace si son autorité, le respect qui lui est dû, sont battus en brèche dans la maison paternelle. Les instituteurs, dans leurs conférences, n’ont pas négligé cette partie si importante de l’éducation ; ils ont cherché les moyens de s’assurer le concours des familles.

« La famille, disent-ils, ne prend pas encore suffisamment intérêt à la prospérité de l’école primaire ; le devoir de l’instituteur est donc d’exciter cet intérêt. Les moyens qui sont à sa disposition consistent à envoyer des notes écrites sur le travail et la conduite des élèves ; … à attirer les parents aux examens scolaires ; … à faire des conférences sur l’éducation dans les assemblées publiques ; … à déposer des journaux pédagogiques dans les lieux publics. » (Königsselt, 1879). — « L’instituteur excitera l’intérêt des parents pour l’école par les examens scolaires publics ; par la célébration des jours patriotiques mémorables ; en exposant publiquement les travaux de ses élèves et en se mettant lui-même en relation avec les parents. » (Province de Westphalie, 1880.)

On sait qu’en Allemagne, tous les élèves des écoles sont soumis, une ou deux fois par an, à des examens publics sur les matières étudiées dans l’année ; ces examens ont lieu sous la présidence de l’inspecteur local (ordinairement le pasteur) et en présence des parents[2]. Ces espèces d’exhibitions auraient l’avantage, d’après les instituteurs allemands, non seulement de permettre aux familles d’apprécier le zèle et le savoir du maître ainsi que les progrès des élèves, mais aussi et surtout d’exciter l’intérêt des parents pour l’école. Nous ne croyons pas cependant que, sous ce rapport, nous ayons rien à emprunter à nos voisins. Il est trop facile de comprendre combien ces examens publics peuvent être illusoires. Ou l’instituteur formera une élite dans chaque classe en vue de l’examen, et alors il aura manqué à son devoir, qui est de s’occuper également de tous les enfants ; ou bien, s’il interroge publiquement tous les élèves, il humiliera ceux qui sont moins bien doués et il froissera leurs parents.

Quant aux relations directes du maître avec les familles, elles ne sauraient être trop développées ; les instituteurs réunis à Charlottenburg (1881) ont émis à ce sujet quelques idées qui méritent d’être signalées. Le rapporteur a fait remarquer que l’instituteur ose à peine aller chez les parents, pour se plaindre des fautes de leurs enfants ; que, d’autre part, les parents ne vont trouver le maître que quand ils croient avoir à lui reprocher quelque injustice. Pour rendre les relations plus faciles et plus efficaces, il propose de fonder des sociétés d’éducation servant de lien entre l’école et la famille. On se réunirait une fois par mois ; l’instituteur ferait une conférence sur une question de pédagogie générale, et les parents auraient ainsi occasion de s’entretenir avec lui de leurs enfants. D’après le conférencier, ces sociétés existent déjà en Suède et en Norvège, où elles produisent d’’excellents résultats ; elles ont été également introduites avec succès à Joachimsthal. Cette institution mérite d’être étudiée ; mais il est bien entendu que la formation de semblables sociétés devrait être absolument facultative et abandonnée à l’initiative des instituteurs.

III

Mais si l’école ne pouvait exercer d’action sur l’enfant que par les mayens généraux qui viennent d’être exposés, son œuvre serait bien imparfaite ; l’effet produit serait tout superficiel. C’est par l’enseignement surtout que le maître a prise sur l’enfant ; c’est par lui qu’il pénètre son intelligence et son cœur ; à la condition cependant que l’enseignement soit ce qu’il doit être, c’est-à-dire qu’il ait un caractère éducatif.

« Le principal moyen d’éducation qui soit à la disposition de l’école, c’est l’enseignement. L’instituteur doit faire en sorte que son enseignement soit conforme à la nature et aux facultés intellectuelles de l’enfant ; il doit tendre sans cesse à ce que les élèves s’assimilent les connaissances qui les élèvent véritablement et qui leur seront d’une utilité pratique dans la vie. » (Osterode, 1881). — « Nous devons donner un enseignement fondé sur l’intuition[3] et habituer nos élèves à la spontanéité dans leurs pensées et leurs paroles et à l’emploi.pratique de ce qu’ils ont appris. » (Marburg, 1882.) — Les instituteurs réunis à Hamm (1882), examinant la théorie de la concentration de l’enseignement de Herbart, admettent cette théorie d’une manière générale ; mais il rejettent le principe en vertu duquel l’enseignement aurait pour point de départ et pour fondement, dans les classes inférieures, des contes et l’histoire de Robinson ; ils rejettent ce principe, parce qu’il tendrait à rabaisser l’enseignement et qu’il ne conduirait qu’à de purs artifices, « Dans les classes inférieures, disent-ils ensuite, à est nécessaire d’employer un enseignement intuitif spécial, ayant pour objet de former méthodiquement le cercle des pensées de l’enfant, en le conduisant de la connaissance intuitive jusqu’à la conception intellectuelle. Les matières qui ont entre elles des rapports étroits seront reliées les unes aux autres dans l’enseignement ; par exemple, dans les classes inférieures, les exercices d’intuition, de langage, de lecture et d’écriture… » — « Les idées que l’enfant à acquises avant son entrée à l’école sont très imparfaites ; le maître doit les examiner, les rectifier, les compléter, les approfondir et les ordonner. Il atteindra ce but par l’enseignement intuitif. » (Erfurt, 1882.)

Le 24e congrès des instituteurs allemands (Carlsruhe, 1881), ainsi que les instituteurs réunis à Stallupönen (1882), demandent également que le point de départ de l’enseignement soit l’intuition et que le maître tire tout le parti possible des rapports réciproques des diverses matières du programme.

L’importance que les Allemands attachent à l’enseignement intuitif ressort des résolutions adoptées dans un grand nombre de conférences. Nous nous contenterons de citer encore quelques idées émises à Barby (1882), où le rapporteur se proposait de rechercher les moyens propres à affermir les connaissances acquises dans l’étude des matières réales[4] :

« Outre la culture des facultés intellectuelles, l’enseignement réal a surtout pour but de donner aux élèves des connaissances sûres, étendues, positives. Le meilleur moyen d’obtenir des résultats durables, c’est d’employer un enseignement intuitif intéressant, qui excite les élèves à penser et à parler… Des livres d’études courts et concis sont préférables à ce qu’on appelle les livres de lectures réales[5] ; car l’exposition détaillée du livre peut avoir pour résultat de diminuer l’enseignement actif et spontané du maître ; elle met l’enseignement réal en danger de dégénérer en un simple exercice de lecture… »

L’intuition seule peut donc donner à l’enseignement le caractère à la fois éducatif et pratique qui lui convient. C’est l’enseignement intuitif qui développera les facultés de l’enfant, qui exercera son initiative, sa spontanéité ; c’est par l’intuition qu’il a acquis ses premières connaissances, c’est elle encore qui lui en donnera de nouvelles, en même temps qu’elle rectifiera les idées fausses qu’il se serait formées ; enfin le maître aura recours à l’enseignement intuitif pour apprendre à l’enfant à exprimer sa pensée.

Le principe de la concentration de l’enseignement n’est pas moins fécond, en ce qui concerne les classes inférieures ; nous le retrouverons exposé avec plus de détails à propos de l’enseignement de la langue maternelle.

IV

Après avoir exposé les principes généraux qui doivent guider l’instituteur dans son enseignement, nous allons examiner les règles particulières applicables à chacune des matières du programme.

A. Religion. — L’enseignement religieux ne faisant plus partie du programme des écoles primaires françaises, nous nous contenterons d’extraire des conférences quelques idées relatives à la Situation de Église et de l’école en Allemagne.

Les sentiments d’indépendance vis-à-vis du clergé, que les instituteurs avaient manifestés au congrès de 1874, ont considérablement diminué, ou, du moins, ils se font rarement jour dans les assemblées. Les orateurs du parti libéral font bien entendre quelques revendications isolées ; ainsi, au congrès libre de Putlitz (1879), le rapporteur se plaint des difficultés qui surviennent entre l’inspecteur local, en tant que pasteur, et l’instituteur, son sacristain ; plus tard, au congrès de 1883, le Dr Diltes demande énergiquement que les inspecteurs ne soient plus choisis parmi les membres du clergé, comme cela se pratique encore dans la plupart des États de l’Allemagne. Néanmoins, on sent que les instituteurs se tiennent sur la réserve. Comme s’ils craignaient d’être suspectés d’irréligion, les rapporteurs font revenir à chaque instant dans leurs discours les mots de piété et de religion, à tel point que certaines conférences paraissent faites plutôt au profit de l’Église qu’à celui de l’école. À la conférence de Graudenz (4881), par exemple, la soumission à l’Église et à ses représentants est considérée comme le devoir de l’instituteur. Dans la conférence officielle de Putlitz (1879), l’instituteur Hinke se plaint de ce que l’on perd l’habitude de la prière : il demande que l’enfant soit, en quelque sorte, dans sa famille, un prédicateur, un apôtre. Dans la conférence officielle d’Anhalt (4880), on s’occupe de rechercher les moyens d’obtenir l’assiduité à l’église sans exercer je contrainte apparente.

La question de l’école confessionnelle et de l’école mixte quant aux cultes (Simultanschule) n’a été traitée que dans deux assemblées : la conférence de Spandau (1879) et le congrès de Hambourg (1880). Interprètes des sentiments du parti libéral, les instituteurs, dans ces deux réunions, affirment la nécessité de l’école mixte quant aux cultes et sa supériorité sur l’école confessionnelle. « La séparation des élèves selon leur culte, disent-ils, ne peut être justifiée au point de vue de l’histoire, ni de la pédagogie, ni de l’Église, ni de l’État. L’école mixte peut seule enseigner la tolérance religieuse aux élèves. » Mais : ces dernières résolutions trouvent peu d’écho ; le parti de la réaction semble l’emporter, car l’école confessionnelle est plus que jamais à l’ordre du jour dans les régions officielles.

Il est à remarquer que, dans aucune conférence, les instituteurs n’ont demandé la suppression de l’enseignement religieux confessionnel dans l’école ; et cependant c’est la seule solution pratique de la difficulté ; c’est une solution qui s’impose en Allemagne bien plus encore qu’en France, en raison de la diversité des confessions et de l’impossibilité absolue, surtout dans les petites communes, d’avoir des écoles strictement confessionnelles.

Il est bon de faire observer aussi que, dans les programmes, il n’est pas fait mention, d’une manière spéciale, de l’enseignement de la morale et de l’instruction civique. La morale est rattachée à le religion ; elle s’enseigne surtout au moyen de récits tirés de la Bible ; elle a donc un caractère confessionnel. Quant à l’instruction civique, si indispensable dans un pays comme le nôtre, il est facile de comprendre qu’elle soit moins appréciée des divers gouvernements de l’Allemagne. Les souverains sentent peu l’utilité de faire connaître aux peuples leurs droits en même temps que leurs devoirs.

B. Allemand. — Les différentes parties que comprend l’enseignement de la langue maternelle, lecture, écriture, exercices de langage, orthographe, composition, ne sont jamais séparés complètement dans la pratique ; mais elles sont plus intimement liées encore dans l’enseignement des classes inférieures, surtout si où applique le principe de la concentration de l’enseignement déjà mentionné. Nous étudierons donc simultanément les diverses questions relatives à l’enseignement élémentaire de la langue maternelle.

Deux méthodes de lecture se partagent l’attention des instituteurs allemands : la méthode d’écriture-lecture (Schreiblesemethode) qui est la plus répandue, et la méthode des mots normaux (Normalwörtermethode) ou méthode analytique-synthétique d’écriture-lecture avec des exercices d’intuition (Voir le Dictionnaire de pédagogie à l’article : Écriture-lecture). Cette dernière méthode a ses partisans et ses adversaires.

La conférence de Stettin (1880) n’accepte que la méthode d’écriture-lecture. « La meilleure méthode, c’est la méthode simple d’écriture-lecture, car elle est conforme à la nature. D’après cette méthode, l’enfant étudie d’abord les petites lettres en caractères manuscrits, puis les mêmes lettres en caractères imprimés, enfin les majuscules simultanément en caractères manuscrits et imprimés[6]. Le syllabaire doit, autant que possible, ne pas contenir de syllabes dépourvues. de signification. Il faut que tous les mots qu’il renferme puissent être rendus compréhensibles aux enfants. Aussitôt que possible, on emploie ra des phrases qui répondent au cercle des connaissances de l’élève. »

Dans la conférence de Paradies (1882), on accepte la méthode des mots normaux, sans entrer dans le détail de l’application et des avantages. Les résolutions de la conférence de Posen (1879) sont plus explicites :

« La méthode des mots normaux a son origine dans l’enseignement intuitif ; grâce à elle, l’intuition cesse d’être isolée de l’ensemble de l’enseignement et sert à préparer et à seconder l’écriture et la lecture. Cette méthode met en pratique le principe de Jacotot, « Tout est dans tout », en se servant des rapports mutuels qui existent entre l’intuition, le langage, l’écriture, le dessin, la lecture, les exercices de mémoire et de chant ; mais, par sa marche analytique, elle ramène ce principe à sa juste mesure, puisque l’enfant apprend à lire par l’image du mot et par la décomposition du mot en ses éléments ; par sa marche synthétique, en composant des mots au moyen d’éléments déjà connus, elle est une Lautiermethode (méthode phonétique), dans le meilleur sens du terme. Enfin c’est une méthode d’écriture-lecture, puisque l’enfant ne lit rien qu’il n’ait écrit auparavant. Par ses rapports avec l’enseignement intuitif et par la variété de ses exercices, la méthode des mots normaux est conforme au développement psychologique de l’enfant ; elle tient en éveil son intérêt et son attention, favorise l’éducation de ses sens, élargit le cercle de ses perceptions, de ses pensées, de son langage, lui donne à la fois l’éducation formelle et matérielle ; par ses parties accessoires, récits enfantins et poésies, elle n’exerce pas une influence moins grande sur son éducation morale. »

Les instituteurs réunis à Bayreuth (1881) recommandent également l’emploi de la méthode des mots normaux.

Cette méthode des mots normaux, qui semble appelée à beaucoup d’avenir, commence à s’introduire dans nos écoles. La méthode Schüler et le petit ouvrage de M. Cuissart ne sont pas seulement des méthodes d’écriture-lecture, mais des méthodes de mots normaux ou des méthodes analytiques-synthétiques. Malheureusement, les principes sur lesquels reposent ces méthodes ne sont pas suffisamment connus ; et il arrive souvent que dans la pratique (nous l’avons constaté maintes fois,) elles sont transformées en simples méthodes de lecture avec ou sans épellation ; leur but est alors complètement manqué.

L’enseignement de la lecture, compris comme nous venons de l’exposer, sera le point de départ de l’enseignement de la langue maternelle. Les premiers exercices de la langue seront reliés a la lecture et à l’intuition, soit que ces deux enseignements se trouvent combinés, soit que l’intuition forme un enseignement indépendant, comme le veulent les partisans de la méthode simple d’écriture-lecture.

Les discussions relatives à l’enseignement de l’orthogtephe ne présentent rien d’intéressant pour nous ; les instituteurs se sont Surtout occupés de la question de la réforme de l’orthographe allemande. Quant aux exercices de composition, préparés déjà dans les classes inférieures par l’enseignement intuitif, ils doivent avoir, dans les classes supérieures, un but essentiellement pratique. À Stallupönen (1881), les instituteurs recommandent tout spécialement les lettres comme exercices de composition. « Ces lettres se rapporteront aux événements ordinaires de la vie ; elles seront de celles que les paysans, les ouvriers peuvent être forcés d’écrire. On tiendra compte des circonstances locales et de la différence des sexes. On fera connaître aux élèves les règlements les plus simples de l’administration des postes. »

C. Calcul. — Les instituteurs constatent que l’intuition seule peut donner aux enfants l’idée des nombres. Au début de l’enseignement du calcul, on emploiera donc les procédés intuitifs. Mais l’intuition ne sera pas trop longtemps prolongée, car elle empêcherait tout progrès ultérieur.

« Le calcul, disent les instituteurs réunis à Magdebourg (1880), doit reposer d’abord sur l’intuition ; puis on le rendra peu à peu indépendant des moyens intuitifs et on procédera par abstraction. Les procédés intuitifs servent à donner aux enfants l’idée des nombres. ils les aident à exécuter les premières opérations, ils leur font connaître les mesures, les monnaies, les poids employés journellement. Comme moyens d’intuition, les objets eux-mêmes seront préférés à leur représentation. Il est bon de mettre entre les mains des élèves les objets ou appareils qui servent à l’enseignement intuitif, afin qu’ils opèrent eux-mêmes… La connaissance des nombres de 1 à 100 et les opérations sur ces nombres seront seules enseignées par intuition » — « Il faut apporter le plus grand soin à l’étude des nombres de 1 à 160, car c’est de la manière inconsciente et presque mécanique dont on exécute les opérations élémentaires sur les 100 premiers nombres, que dépendent la facilité et la sûreté du calcul… » (Leipzig, 1880.)

À Ottok et à Graudenz (1882), les instituteurs demandent que l’on s’attache davantage au calcul pratique et qu’on laisse de côté, dans les écoles primaires, les règles qui ont peu d’utilité dans la vie ordinaire, comme les caractères de divisibilité, la recherche du plus grand commun diviseur, etc. À Barby (1881), le rapporteur insiste sur l’importance du calcul mental à tous les degrés de l’enseignement.

L’enseignement de la géométrie appliquée est également recommandé, en raison de l’utilité de cette science dans toutes les conditions sociales : mais le maître ne fera pas de géométrie savante ; il emploiera la méthode de Pestalozzi.

D. Histoire. — Outre les connaissances positives qu’il donne aux élèves, l’enseignement de l’histoire a une puissance éducative considérable. Il faut certainement beaucoup rabattre de l’enthousiasme avec lequel les Allemands ont acclamé « le maître d’école vainqueur de Sadowa et de Wœrth ». Les hommes sensés reconnaissent aujourd’hui que l’excès des louanges avait un but intéressé. Néanmoins on ne peut méconnaître que l’instituteur allemand ait contribué, par ses leçons de patriotisme, et, il faut bien le dire, par ses excitations à la haine contre l’étranger, à préparer l’unité allemande.

Nos mœurs scolaires admettent difficilement dans un cours ces appels incessants à la haine contre l’ennemi héréditaire ; mais peut-être serait-il possible de faire vibrer plus souvent chez nos élèves la fibre patriotique. Écoutons ce qui disent les Allemands à ce sujet :

« L’école doit donner aux élèves une éducation patriotique, afin de rendre la patrie puissante contre ses ennemis du dedans et du dehors, par l’entretien d’un sentiment véritablement national… L’instituteur rempli d’un patriotisme ardent est seul en état d’éveiller et de cultiver chez ses élèves le sentiment allemand (das Deutschthum). L’enseignement de l’histoire est surtout propre à donner l’éducation patriotique. Il faut que l’enfant apprenne par l’histoire comment son pays a accompli les plus grands desseins, sous la direction de la divine Providence et par les vertus de ses ancêtres. Celui-là seul qui connaît l’histoire de son pays peut l’aimer et s’enflammer d’enthousiasme pour lui… — Le chant de morceaux patriotiques éveille également l’amour de la patrie ; la chanson allemande a toujours contribué à fortifier l’esprit national… » (Zerbat, 1881.) — « L’école primaire doit s’occuper de l’éducation nationale des élèves. Elle atteindra son but par l’enseignement de l’histoire, par les fêtes scolaires et la personnalité du maître. On profitera de la fête de Sa Majesté pour rappeler que c’est sous l’empereur que s’est établie l’unité de l’Allemagne… On fêtera le jour de Sedan, comme étant le jour de la naissance de l’empire allemand ; on le fêtera en souvenir de ceux qui sont tombés peur l’unité allemande et pour rappeler que l’empire a devant lui, dans la papauté, un second ennemi héréditaire (ein zweiter Erbfeind). » (Hasemann, inspecteur de district, Angerburg, 1882.)

On le voit, les Allemands ne nous ménagent pas. Il faut que tous les instituteurs français sachent bien que leurs collègues d’outre-Rhin ne perdent pas une occasion d’exciter leurs élèves contre la France. Les allusions faites dans les conférences ne sont rien auprès de ce qui se dit dans les écoles, où même de ce qui s’imprime dans certains journaux pédagogiques, sur la frivolité, la rapacité, le manque de bonne foi des Français.

E. Géographie. — Les Allemands, il est facile de le prévoir. recommandent de commencer l’enseignement de la géographie en s’appuyant sur l’intuition, en prenant pour point de départ ce que l’enfant peut observer lui-même, le lieu natal et ses environs. « a Dans ce but, disent les instituteurs à Wilhelmshühe (1881), des excursions fréquentes sont indispensables. Ces excursions doivent toujours avoir un but précis, déterminé par l’enseignement. Les gravures et cartes ne seront employées que lorsque les élèves auront acquis l’intuition de la réalité. » — Cette marche est évidemment la seule qui puisse donner des résultats sérieux. Une simple promenade au bord d’un ruisseau, d’un étang, d’une mare même, en apprendre plus aux enfants sur la géographie physique que toutes les définitions d’îles, de caps, etc, enseignées laborieusement dans les classes.

F. Sciences physiques et naturelles. — Nous voyons apparaître, dans l’enseignement de ces sciences, comme dans celui des autres matières, le souci de l’intérêt pratique.

« Le choix des matières de l’enseignement est subordonné au principe : non scholæ, sed vitæ discimus. Dans le cours d’histoire naturelle, on fera connaître aux enfants la structure du corps humain, les animaux et les produits de leur patrie, ceux des pays étrangers dont on tire parti journellement, ou ceux enfin qui ont une importance locale… En physique, on étudiera les appareils employés dans la vie pratique ; en chimie, on s’occupera des principales matières que l’homme peut utiliser et de celles qu’il doit éviter comme dangereuses…… La méthode à employer sera toujours l’intuition… Les moyens intuitifs sont les productions de la nature, les gravures, les appareils ; on fera des excursions, on visitera les usines, les fabriques… On évitera les recherches délicates, et les appareils compliqués… Les productions de la nature seront recueillies par le maître aidé de ses élèves et formeront ainsi des collections peu coûteuses… Avec un peu de bonne volonté, l’instituteur pourra fabriquer lui-même ses petits appareils de physique… » (Magdebourg, 1879.) — « La connaissance de la nature affranchit l’homme des croyances superstitieuses… L’enseignement de l’histoire naturelle développe chez l’enfant les facultés d’intuition et d’observation : il éveille et aiguise ses sens, et, par un usage répété, il leur apprend à découvrir promptement et sûrement les propriétés des corps… » (Saalfeld, 1880.)

G. Dessin. — La question de l’enseignement du dessin ne semble pas suffisamment mûre en Allemagne. Il n’y a absolument aucune unité dans les vues émises à ce sujet dans les diverses conférences. Les uns (Stargard, 1879) demandent que l’enfant n’apprenne le dessin qu’à partir de l’âge de neuf ans ; d’autres (Osnabrück, 1879, et Carlsruhe, 1881) sont d’avis que l’on commence cet enseignement dès l’arrivée de l’enfant à l’école. La plupart des instituteurs n’admettent à l’école primaire que l’enseignement collectif ; pour quelques-uns, l’enseignement individuel est possible et peut seul conduire à de bons résultats. Dans certaines conférences, on adapte les réseaux de lignes ou de points pour les classes élémentaires ; ailleurs (il y a même des règlements officiels à ce sujet), on les proscrit d’une manière absolue.

Quant à nous, les instituteurs nous paraissent être dans le vrai en demandant que l’enfant dessine dès son arrivée à l’école ; car, ainsi qu’ils l’ont fait remarquer, de très bonne heure l’enfant aime le dessin, qui satisfait à son besoin d’activité et d’imitation : en outre, l’écriture, qui est une sorte de dessin, commençant dès l’entrée de l’enfant a l’école, ces deux branches se prêteront un mutuel appui.

H. Chant. — On sait avec quelle ardeur la musique est cultivée en Allemagne. Le chant n’est pas seulement apprécié en raison des jouissances qu’il peut procurer, mais aussi parce qu’il est l’un des facteurs de l’éducation intellectuelle, morale et nationale. Cette valeur éducative du chant a surtout été indiquée à Friedrichsroda (1882) : « Le chant donne de l’élévation au caractère ; il transforme la douleur en une douce mélancolie ; il éclaire et ennoblit l’expression de la joie délirante ; il concourt à former le sentiment du beau et par le beau il conduit au bien ; il a donc une influence sur la direction de la volonté : au point de vue de l’éducation intellectuelle, il donne de la vivacité à la pensée… » L’un des orateurs affirme que le chanta toujours contribué à entretenir et à fortifier les sentiments d’union et de sympathie entre les Allemands des différentes parties de l’empire.

Le 23e congrès des instituteurs allemands (Brunswick, 1879) émet le vœu qu’à l’école primaire on cultive surtout les chants populaires allemands (das deutsche Volkslied). « On ne chantera, est-il dit en outre, aucun morceau qui ait une valeur poétique et musicale indiscutable… L’éducation du peuple allemand par la musique et pour la musique a une importance nationale. »

I. Gymnastique. — D’après les instituteurs allemands, l’enseignement de la gymnastique doit être obligatoire pour les élèves des deux sexes ; et le fait d’avoir manqué à la leçon de gymnastique sera assimilé à une absence de la classe. (Stargard, 1879.) Les discussions relatives à la marche à suivre dans cet enseignement ne présentent rien de saillant.

J. Travail manuel. — Le nom même que porte cet enseignement en Allemagne en définit bien le caractère. Le Handfertigkeitsunterricht, ce n’est pas, en effet, l’apprentissage d’un métier quelconque, c’est l’enseignement qui donne de la dextérité à la main. Aussi cette expression s’applique-telle spécialement au travail manuel des écoles de garçons. C’est le seul dont nous nous occuperons ici, ayant parlé précédemment du travail manuel dans les écoles de filles.

Bien que recommandé depuis longtemps par les pédagogues les plus éminents, l’enseignement du travail manuel n’existe encore officiellement ni dans les écoles normales, ni dans les écoles primaires de l’Allemagne. Les quelques essais qui ont été tentés sont dus à l’initiative privée. Les instituteurs reconnaissent cependant, en général, l’utilité de cet enseignement.

« L’enseignement du travail manuel, disent-ils, est propre à compléter harmoniquement l’éducation des garçons… Il donne essor au besoin inné qu’a l’enfant de construire, de créer… S’appuyant sans cesse sur l’intuition, il excite l’intérêt et augmente ainsi le désir d’apprendre… Dans les écoles populaires et dans les écoles supérieures, il vient en aide à l’enseignement des mathématiques, de la géographie, de la physique, par la préparation des moyens d’intuition… Il rend les enfants plus habiles en exerçant l’œil et la main et en perfectionnant le coup d’œil pratique… Il contribue à l’éducation du caractère ; il entretient la santé et fortifie le corps… Dans les internats, le travail manuel est indispensable… C’est aux instituteurs seuls qu’il appartient de donner cet enseignement. » (Elberfeld, 1882.)

Le travail manuel n’est donc pas, comme quelques-uns l’ont dit, une surcharge inutile des programmes ; c’est un enseignement d’une utilité incontestable pour tous les hommes, quelle que soit leur condition sociale. La France a le mérite, non seulement d’avoir inscrit le travail manuel dans le programme de ses écoles primaires, mais d’avoir pris immédiatement les mesures propres à assurer l’exécution de la loi.

V

Il ne faudrait pas chercher dans cette étude un ensemble complet de doctrines pédagogiques, caractère qu’elle ne peut avoir, en raison de l’origine des documents employés. Elle ne contient d’ailleurs qu’une faible partie des sujets traités dans les conférences allemandes ; certaines questions spéciales, hygiène scolaire, caisses d’épargne, cours d’adultes, etc., ont dû être négligées. Tout incomplet qu’est ce travail, nous croyons cependant pouvoir en tirer quelques conclusions.

L’élan donné précédemment en Allemagne à l’étude des questions pédagogiques ne se ralentit pas. Les instituteurs sont bien convaincus de l’importance de leur mission, et ils cherchent, par la discussion libre et éclairée, les moyens de la remplir pour le plus grand bien de leur nation.

Il y a longtemps déjà que les pédagogues ont demandé que l’école s’occupât surtout de l’éducation de l’enfant. C’est encore aujourd’hui la préoccupation constante des instituteurs allemands. Ils veulent non seulement donner à l’enfant les connaissances appropriées à ses besoins, mais aussi et surtout former son caractère, développer son intelligence, fortifier et diriger sa volonté. Ils ont en vue, dans l’enseignement, l’utilité pratique des connaissances acquises, mais sans cependant que cette tendance leur fasse oublier le but supérieur de l’instruction, qui est de concourir à l’amélioration de l’individu.

Pour donner à l’enseignement le caractère éducatif et pratique qui lui convient, c’est en Pestalozzi et ses disciples qu’ils trouvent leurs guides, mais sans s’astreindre à les suivre servilement. D’après eux, l’intuition est pour l’enfant le principe et le point de départ de l’acquisition des connaissances. Les Allemands ont pu, à certaines époques, fausser le caractère de la méthode ; mais ils n’ont jamais perdu de vue la nécessité de l’intuition, qui seule peut donner de la vie à l’enseignement.

Mais quoi qu’il en soit des qualités de la pédagogie allemande, nous avons bien le droit de jeter sur nos propres écoles un regard plein de confiance. Nous ne sommes plus au temps où l’on semblait prendre à cœur de rabaisser notre système d’éducation en le comparant à celui de l’Allemagne. Les questions pédagogiques ont fait en France de grands progrès, et les principes reconnus les meilleurs passent tous les jours de plus en plus de la théorie dans la pratique.

Nous voudrions cependant émettre un vœu au sujet des conférences pédagogiques françaises. Ce serait que les résultats des discussions, au lieu de rester confinés dans les limites d’un département ou même d’un arrondissement, fussent, comme eh Allemagne, livrés davantage à la publicité. Les instituteurs de toutes les régions de la France apprendraient ainsi à se mieux connaître et profiteraient de l’expérience les uns des autres. L’enseignement y gagnerait, et aussi. croyons-nous, l’esprit de corps des instituteurs.

Fatalot,
Inspecteur primaire.

  1. Il faut entendre par là non seulement les écoles supérieures proprement dites, mais les école : préparatoires aux écoles supérieures, fréquentées par les enfants des familles aisées.
  2. Faute de salles de classe d’une dimension suffisante, ces examens ont souvent lieu dans les églises.
  3. Le mot intuition a dans cette étude la signification d’intuition par les sens ; c’est ainsi que les Allemands emploient généralement le mot Anschauung.
  4. Les matières appelées réales par les Allemands sont l’histoire, la géographie, l’arithmétique, les sciences physiques et naturelles.
  5. En Allemagne, les élèves n’ont eu pendant longtemps qu’un on deux livres, contenant, sous forme de lectures, toutes les matières de l’enseignement. Ceci tend à disparaître.
  6. Dans quelques méthodes d’écriture-lecture, on présente à l’enfant simultanément les lettres en caractères manuscrits et en caractères imprimés.