Les contes de la lune/07

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Thérien Frères Limitée (p. 59-66).


L’AURORE BORÉALE


Comme tous les pays habités par les hommes, le Canada eut ses fées et elles furent très populaires.

Mais il arriva que deux personnages de plus en plus importants voulurent, à la manière des puissants, imposer des lois nouvelles !

Le Bon Sens et l’Instruction se mirent à faire une guerre acharnée aux croyances naïves du peuple. Ils chassèrent ainsi les sorciers, les lutins, les fées, tout le peuple honnête et charmant créé par la fantaisie et dont nos potentats niaient même l’existence !

Ce fut de cette façon lamentable que de gentilles fées, sans cesse pourchassées, se rendirent un jour, aux confins de notre pays, sur les bords de l’Océan Glacial.

Grâce à leur pouvoir magique, elles créèrent autour d’elles une oasis où le froid ne pénétrait pas. Au milieu de la verdure et des fleurs, elles firent surgir un beau palais et sur une vaste étendue, la mer resta verte et douce ; les glaces ne s’y amoncelaient pas mais passaient, majestueuses et irisées, semblables à des navires de cristal.

Pendant leur triste exode, les fées avaient été pourvues d’écharpes enchantées, de couleurs variées et délicates, — don d’un génie bienfaisant qui leur permettait des voyages aériens. — C’était un sorcier très moderne !

Légères et vaporeuses, ces écharpes affectaient des formes diverses et leur tenaient lieu d’ailes.

Elles ne devaient jamais les quitter, car, en leurs plis soyeux, était enfermée cette puissance nouvelle de voler dont les fées jouissaient tant !

— Bien sûr, disaient-elles, le vieux Bon Sens et la prétentieuse Instruction ne nous suivront pas ici et nous allons y vivre bien tranquillement.

Elles s’inquiétaient cependant du vent du Nord qui, se sentant chez lui, prenait de l’audace et s’approchait : de plus en plus de leur Éden. S’il franchissait les bornes jusque là respectées, que deviendraient-elles, sinon des petites statues de glace ? Elles en tremblaient de peur !

Soucieuses, elles finirent par réunir le grand conseil :

— Nous sommes encore puissantes. Unissons nos volontés pour commander au Vent Glacial de disparaître pour toujours de notre voisinage, proposa la plus brave.

Aussitôt dit, aussitôt fait, et comme leur pouvoir était réel, le Vent, furieux et hurlant de rage, fut forcé de s’éloigner en tourbillonnant. En rasant les murs, il attrapa en passant les écharpes légères et s’enfuit en les semant dans l’espace.

Les fées avaient vaincu leur ennemi, mais il leur avait dérobé leurs ailes !

Elles gémissaient, désolées, tombées sur les gazons fleuris… elles étaient si désespérées qu’elles songeaient à se laisser mourir.

Mais chez une fée jeune et jolie, ces tentations de suicide ne durent pas !

L’une d’elles, jeune philosophe, les gronda et les sermonna :

— Nous n’avons plus nos écharpes ? La belle affaire ! Lorsque nous habitions les forêts et le sommet des montagnes, nous ne les possédions pas encore, et vous savez que nous nous en passions fort bien ! D’ailleurs, nous n’avons pas le choix ! nous ne les avons plus ! Soyons raisonnables et jouissons de notre belle vie qui ne sera guère changée.

Revenues à la raison, elles se consolèrent à la pensée que le Vent du Nord ne les importunerait plus.

Et la vie reprit, un peu plus monotone et sédentaire, mais très douce.

Un soir, qu’assemblées sur la plage, elles devisaient gaiement, elles virent, au loin, l’espace s’argenter ; une clarté étrange se répandit, des rayons de toutes les nuances de l’arc-en-ciel commencèrent à onduler et s’étendirent sans se confondre. Peu à peu, ils formèrent un arc immense, sorte d’éventail fantastique, animé d’un mouvement large et cadencé.

Les rayons palpitaient, montaient et descendaient avec des reflets nacrés et des teintes de plus en plus accentuées.

Extasiées, les fées assistaient à la naissance de l’Aurore Boréale.

— Mes sœurs, cria l’une d’elles, ne reconnaissez-vous pas nos écharpes ! Rose, lilas, verte, safran, ambrée, pourpre, argentée, elles y sont toutes !

En effet, mes petits, les écharpes, volées par le vent et perdues dans l’espace, avaient été recueillies par moi, vieille lune compatissante. J’aurais voulu les rendre aux fées, mais on ne le voulut pas. J’obtins seulement que, de temps en temps, les anges les agiteraient dans la nuit pour réjouir les humains et consoler les fées de les avoir perdues.

Les savants qui prétendent tout expliquer scientifiquement voient, dans les aurores boréales, une manifestation électrique. Quand vous serez livrés à eux, vous apprendrez leurs théories.

Moi, j’en ris ! Car j’ai tenu ces écharpes, je les ai vues, assemblées, rayonnantes et vibrantes, apportant aux hommes le message mystérieux des solitudes polaires.

En Gaspésie, les pêcheurs appellent les Aurores Boréales les Marionnettes. Ils prétendent que leurs rayons sont sensibles à la musique et que les violons et les accordéons les font danser. Leur croyance est charmante ! C’est joli ces ondes lumineuses se mettant en mouvement au contact des ondes sonores !

Les pêcheurs ont peu de science et beaucoup de poésie, comme vous et moi, mes chéris !