Les contes de la lune/12

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Thérien Frères Limitée (p. 107-116).


UN CONTEUR DE MES AMIS


Chers petits, qui, dans vos lits blancs, attendez encore un conte de votre vieille amie La Lune, laissez-moi vous dire que, de tout temps, j’eus des amis, quoique mes adorateurs aient abandonné mon culte. Je ne les ai jamais regrettés car ils me craignaient et achetaient mes faveurs : tandis que mes amis, eux, m’ont aimée et cela est bon, c’est le meilleur de ma vie de Lune.

L’un de mes préférés, — vous n’en serez pas surpris, — fut un enfant ; je le protégeai, je l’initiai à des secrets que les hommes dédaignent, et il a raconté des contes inoubliables et que vous connaissez presque tous.

Il vivait en France, au 17ième siècle et il s’appelait Charles Perrault. Il était fin, original et il avait une imagination très active.

Comme la plupart d’entre vous, petits, il n’aimait pas beaucoup ses livres classiques et, pour se distraire de l’aridité de ses études, il s’amusait à écrire pour lui-même toutes les fantaisies que je lui soufflais quand je venais, le soir, effleurer ses jolis yeux de mes rayons caressants.

Il avait de la grammaire, du goût ; il s’appliquait à bien écrire ; il acquérait ainsi un style aisé et coloré… son style, enfin !

N’allez pas croire que ce petit Charles négligeât ses études ! Il était d’ailleurs forcé de bien travailler ! La discipline scolaire était d’une sévérité rigoureuse à cette époque, et les paresseux étaient battus comme plâtre.

Il devint donc un avocat et un poète : il plaidait passablement et ses vers sont oubliés depuis longtemps sans avoir jamais été beaucoup loués.

Quand il fut devenu vieux, il songea à se reposer et il le fit en revenant à l’amour du rêve et des féeries de son enfance.

Son unique livre, « Les Contes de Fées », le rendit immortel, ce qui tendrait à prouver que les fées ont du bon !

Dans tous les pays du monde flottent dans l’air des légendes, des croyances mystérieuses, des récits fabuleux ; les recueillant ici et là, Charles Perrault eut le talent de les fixer, de leur donner une forme si exquise, qu’après plus de trois siècles, ses contes ont le même pouvoir évocateur et la même emprise charmante. Le Petit Poucet, le Chaperon Rouge, le Chat Botté, Riquet à la Houppe, Peau-d’âne, le Belle au bois dormant, Cendrillon ; depuis trois cents ans ces contes ont été lus : vos ancêtres et vos parents ne s’en fatiguaient pas, vous les relisez sans cesse, et plus tard, ils amuseront vos enfants et vos petits-enfants.

Quand les grandes personnes, se rendant à vos prières, ouvrent le livre de contes, elles vous le cachent peut-être, mais elles sont reprises par la magie qui s’en dégage : la magie du souvenir mêlée à la magie des mots ; elle n’en passent pas un passage, car elles voient ce que vous ignorez encore, petits, c’est que le style en est imagé, savoureux, et qu’une note bien humaine ressort de toute cette sorcellerie.

Comme on voit bien la petite Cendrillon désolée qui nettoie les montées (les escaliers), pendant que ses vilaines sœurs s’apprêtent pour le bal du roi !

Et quand la marraine apparaît, et de sa baguette enchantée, transforme la citrouille en carrosse et habille la jeune fille en princesse, quels jolis détails nous font assister à la scène !… Puis c’est la fuite au dernier coup de minuit, la pantoufle perdue, retrouvée par le prince : après tant de recherches il s’agenouille enfin devant Cendrillon avec la chaussure « qui entre à son pied et y est juste comme de la cire ».

Et que j’ai vu de jolis yeux d’enfants se remplir de larmes et de petits cœurs se gonfler aux récits des misères des Bûcherons, dans le petit Poucet. L’année est si mauvaise et la famine si grande qu’ils sont désespérés : c’est le désespoir qui a inspiré au père de perdre ses enfants dans le bois « pour ne pas les voir mourir de faim ».

Quand on est désespéré, mes enfants, on est fou. La mère, elle, est courageuse : elle proteste, elle résiste… et elle cède : son mari est le maître et « elle va se coucher en pleurant ». C’est simple et navrant !

Et voilà que le Seigneur du village envoie porter à ces pauvres gens « dix écus qu’il leur devait depuis longtemps. C’était là dettes et façons des grands seigneurs. »

Enfin, les voilà attablés devant un bon repas et la mère sanglote : « Ah ! si nos enfants étaient ici ! »

Et les petits, ramenés par le brave Poucet, répondent ensemble : Nous voilà ! Nous voilà !

Vrai, on y est sur le seuil de la cabane et on les voit.

Et la délicieuse Peau d’âne, chassée du palais de son père par la méchante reine et qui se réfugie dans une métairie.

Quand elle est lasse de son pénible travail, elle se cache dans le réduit misérable, coiffe ses cheveux d’or, se pare de ses joyaux et revêt sa robe couleur du temps : elle s’admire et il n’y a que ses dindons pour la voir en attendant que vienne le prince de tous les contes de fées qui s’en éprend et l’épouse.

Vous connaissez aussi bien que moi le Chat Botté, marquis de Carabas, si futé et si menteur ! Il n’est pas bien méchant et ce n’est qu’un chat ! Ne lui faisons pas de procès sur sa moralité.

Charles Perrault vous aimait, mes enfants, et il vous comprenait par tout ce qu’il avait gardé de frais et de poétique malgré la vie réelle et dure. Il met généralement ses fées au service des petits et des persécutés, et on en rencontre peu qui soient malfaisantes.

Il laisse courir ses récits par « les sentes verdoyantes qui longent les clairs ruisseaux » et il y met du ciel bleu, de la beauté, de la bonté humaine, des êtres bien vivants ; il vous charme en ouvrant votre esprit à la poésie des lieux, et votre cœur, à la pitié pour les malheureux.

Sans le soupçonner, enfants, vous êtes de fins observateurs ; vous êtes avides de merveilleux, et quelques-uns, parmi vous, sentez déjà la poésie des choses.

Vous serez tentés, un de ces jours, d’écrire à la dérobée des contes de votre invention. N’hésitez pas, confiez-vous à moi et je vous aiderai comme j’ai aidé Charles Perrault.

Pour vous j’irai chercher des fées que je ramènerai sur mes rayons d’argent, et vous en mettrez dans vos contes et vous deviendrez célèbres peut-être et bénis des pauvres humains si tannés du toujours pareil des routes battues !