Les deux chats (Rubois)

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La Chanson (revue)1878-1881 v.1-8 (p. 310).

LES DEUX CHATS

Air : T’es mon ami tout d’ même


J'ai pour voisins deux jolis chats,
L'un maigre, l'autre gras ;
Minet voit comblés tous ses vœux,
Matou vit d'espérance...
Le plus heureux des deux
N'est pas celui qu'on pense.

Minet a pour maître un rentier,
Matou, mon savetier ;
L'un a toujours le ventre creux,
L'autre, pleine la panse.
Le plus heureux des deux
N'est pas celui qu'on pense.

Minet — régime plein d'appas —
Fait ses quatre repas ;
Matou, de reliefs douteux
Fait sa maigre pitance.
Le plus heureux des deux
N'est pas celui qu'on pense.

Lorsqu'entouré de soins, chez lui
Minet baille d'ennui,
Matou jouant à divers jeux
S'en donne en conscience !..
Le plus heureux des deux
N'est pas celui qu'on pense.

Minet, pour cause, est impuissant,
Matou, jeune pur-sang,
A vingt rejetons vigoureux
A donné l'existence.
Le plus heureux des deux
N'est pas celui qu'on pense.

Minet, sage chat de bon ton,
Est mis dans du coton :
Matou, pour ses méfaits nombreux
Est mis en pénitence...
Le plus-heureux des deux
N'est pas celui qu'on pense.

Quand Minet dort le plus souvent,
Matou, le nez au vent,
Rôde... afin d'éteindre les feux
Des chattes en démence !...
Le plus heureux des deux
N'est pas celui qu'on pense.

Minet étant pur angora,
Mort, on l'empaillera ;
Matou, lui, sera par des gueux
Mangé ; — c'est sûr d'avance !
Le plus heureux des deux
N'est pas celui qu'on pense.

Minet, c'est le conservateur,
Matou, le novateur ;
L'un a le confort plantureux,
L'autre l'indépendance :
Le plus heureux des deux
N'est pas celui qu'on pense.


HENRY RUBOIS Vice-Président de la Lice Chansonnière.