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Les deux testaments/32

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Imprimerie de l'Indépendance (p. 177-181).

CHAPITRE XVIII

Quand les Prévost revinrent à New York, Joe Allard entrait en convalescence.

Ces derniers ne virent rien d’extraordinaire dans la maladie du jeune homme.

— Je t’avais bien dit que tu ne devais pas faire la route à pied par une chaleur pareille, dit solennellement M. Prévost.

Il y avait de quoi te faire mourir du coup.

Tu n’en es pas plus avancé à l’heure qu’il est.

Bientôt, Joe fut en état de sortir.

Sa première visite fut pour les Bonneville qui s’étaient montrés si dévoués pour lui.

Il trouva Emma seule à la maison.

— Je suis bienheureuse de vous voir enfin rétabli, dit celle-ci, d’autant plus que j’ai une nouvelle importante à vous apprendre, ou plutôt quelque chose qui vous appartient, à vous rendre.

Là dessus, elle le quitta un instant et revint avec un petit paquet qu’elle lui tendit en disant.

— J’ai trouvé cela dernièrement dans un coffret qui avait appartenu à mon grand-père Lecompte, celui qui était l’ami de votre grand’mère.

Vous étiez trop malade, alors, pour que je puisse vous faire part de ma découverte.

Et comme Joe, tout intrigué, semblait disposé à ouvrir, à l’instant même, le paquet, elle s’écria vivement.

— Pas ici, je vous en prie. Attendez que vous soyez de retour chez vous. Et comme vous devez avoir hâte de savoir ce dont il s’agit, je vous permets de vous retirer de suite, si vous le voulez.

— Merci, mademoiselle, dit Joe de plus en plus intrigué, et il se retira aussitôt après avoir pressé fraternellement la main qu’Emma lui tendait.

Quand il fut parti, enfin, Emma se laissa tomber sur une chaise et se mit à pleurer amèrement.

— C’est bien fini, maintenant, pensait-elle ; il va partir et je ne le reverrai jamais. Mon Dieu que votre volonté soit faite !

Arrivé chez lui, Joe se renferma dans sa chambre et se hâta d’ouvrir le paquet mystérieux.

Il contenait plusieurs lettres, une dépêche télégraphique et un petit livret sur le dehors duquel était écrit ce mot : Testament.

De plus, un papier plié sur lequel Emma avait écrit ces mots qui devaient aider Joe à comprendre le rapprochement qui existait entre ces documents si différents.

« Ce télégramme qui est le même qui avait été envoyé à mon grand-père pendant la maladie de ma grand’mère, devait être dans sa poche d’habit en compagnie du testament ci inclus, qui se trouvait d’une manière ou d’une autre, en sa possession.

« Mon grand-père était mort subitement en arrivant ; ce doit être un de mes oncles qui, ayant trouvé le télégramme et le testament dans la poche d’habit de mon grand-père, les a mis, sans y faire attention, dans le coffret.

« Ces lettres sont celles que mon grand-père écrivait à sa famille pendant qu’il était à Montréal.

« Elles contiennent sur votre oncle des indications qui vous seront utiles. »

Joe qui avait commencé par lire ce papier, saisit le testament d’une main tremblante.

Il commençait à deviner vaguement toute la portée de la découverte d’Emma.

Aussi chercha-t-il d’abord la signature de ce document.

Ses yeux troublés par l’émotion, la crainte et l’espérance, lurent avec peine, ce nom, tracé d’une main tremblante :

Elisabeth Beaudry,
veuve Champagne.

C’était bien le testament de sa grand’mère qu’il avait entre les mains.

Sa première pensée fut pour Marie-Louise.

— Je serai peut-être assez riche pour demander sa main sans qu’on m’accuse de calcul, pensa-t-il.

Et il se mit en devoir de lire le testament d’un bout à l’autre.

— Quatre maisons et dix mille piastres ! c’est plus que j’aurais jamais espéré de posséder, se dit-il.

Mais sa première pensée avait été pour Marie-Louise, sa seconde fut pour l’oncle tant détesté, qui avait rendu son enfance si malheureuse, et il s’empara des lettres dont Emma lui avait parlé.

Ces lettres, très longues, contenaient bien des détails qui ne laissaient aucun doute sur le véritable caractère du fourbe qui avait nom Edmond Bernier.

— Bernier ! Edmond Bernier ! murmurait Joe en lui-même. Mon oncle s’appelait donc Edmond Bernier ?

Joe avait toujours entendu sa grand’mère appeler son oncle, mon gendre ou Edmond. Quant aux frères de l’école, ils disaient toujours, ton oncle, en parlant de lui.

— Edmond Bernier ! continuait-il. Mais c’est le nom du père de Marie-Louise. Serait-il possible ? et il s’abîma dans ses réflexions.

— Mais oui, se dit-il, enfin. C’est bien ce même visage déplaisant, ces yeux gris-durs et gênants, cette façon de parler qui me donnait envie de lui sauter au visage quand j’étais enfant.

Je sentais et je comprenais déjà la fourberie et l’hypocrisie de ce misérable.

Oh ! je comprends maintenant, que ce qu’il m’a dit de Marie-Louise était faux ; faux et inventé par lui, pour me décourager et me dégoûter de sa fille qu’il voulait donner à un plus riche que moi.

Lui non plus ne m’a pas reconnu.

Il me croit mort sans doute.

Il sera agréablement surpris de me voir ressusciter.

Dans tous les cas, je vais d’abord tâcher d’arranger toutes ces affaires-là en famille.

S’il veut bien me rendre une bonne part de mon héritage, et me donner Marie-Louise pour épouse, je n’en demanderai pas plus.

Je m’adresserai à la loi que dans le cas où il refuserait d’entendre raison.

Ce fut dans ces sentiments que Joe Allard se rendit à Beauport.

Une fois arrivé là, il commença cependant à se sentir un peu embarrassé.

— C’est facile d’arranger les choses de loin, se disait-il, mais entré tout à coup dans une maison d’où on est parti en colère quelques semaines avant, et dire au maître de la maison :

« Je suis votre neveu, rendez-moi mon héritage, et donnez-moi votre fille en mariage. »

C’est bien dramatique, mais c’est gênant tout de même.

Sur ces entrefaites, il arriva à la maison de son oncle.

Il commençait à faire sombre.

— Entrons toujours dans le jardin. se dit-il, et poussant la barrière, il pénétra dans le domaine de son oncle.

Comme il s’approchait de la maison, un bruit de paroles s’échappant du salon qui ouvrait sur le véranda, attira son attention.

Instinctivement, il prêta l’oreille et c’est ainsi qu’il entendit tout le dialogue entre Marie-Louise et son père.

Enfin, ne pouvant se contenir, il s’élança dans le salon, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent.

Bernier était resté dans un état de stupéfaction profonde à l’apparition soudaine de ce fier jeune homme qui l’appelait si hardiment « mon oncle ».

Était-ce vraiment le petit Joseph qu’il avait cru mort, ce grand jeune homme, noble et beau, dont les grands yeux noirs, francs et honnêtes, le fixaient si résolument ?

C’était bien là ce regard qu’il avait tant détesté dans l’enfant, ce regard qui semblait lire jusqu’au fond de son âme.

Son instinct, plus que sa raison, lui dit que ce jeune homme devait être en effet, son neveu, et cette pensée le transporta de rage.

— Vous êtes un imposteur ! un misérable ! s’écria-t-il. Sortez d’ici ! je vous l’ordonne.

— Modérez-vous, monsieur, répondit Joe, pâle de colère, ou vous pourriez avoir sujet de vous repentir de vos paroles.

Je ne viens pas ici en ennemi.

Au contraire.

Pour l’amour de votre fille que j’aime, et de votre épouse qui a été si bonne pour moi, je préférerais, s’il est possible, me dispenser d’en appeler aux tribunaux.

Il ne tient qu’à vous de régler nos affaires à l’amiable.

Mais je dois vous prévenir que j’ai retrouvé le dernier testament de ma grand’mère, celui par lequel elle me lègue tous ses biens.

— Ce n’est pas vrai ! vous êtes un imposteur ! s’écria encore Bernier. Mde Champagne n’a fait qu’un testament.

— Elle en fit un second, quand elle découvrit votre véritable caractère : Le voici.

— Vous êtes un faussaire ! Ce testament vous l’avez fait vous-même. Je vous le dis, Mde Champagne n’a fait qu’un testament dans sa vie.

— Vous savez bien que non, dit d’une voix ferme et méprisante, Mde Bernier qui entra en ce moment, étant revenue de l’état de stupeur dans lequel son mari l’avait laissée après son retour de chez les Laplante, et qui écoutait à la porte depuis quelques instants.

Vous savez bien que lors de la lecture du testament, après la mort de votre belle-mère, un notaire se présenta et déclara qu’il avait rédigé un testament plus récent que celui qu’on avait en main en ce moment. Cependant les recherches furent vaines.

C’était ce testament ; il n’y a pas à en douter, et vous ferez mieux de rendre à ce jeune homme, votre neveu, l’héritage dont il aurait dû jouir depuis si longtemps.

À ces paroles de sa femme, Bernier fit un mouvement comme pour s’élancer sur elle, mais il chancela tout à coup et tomba lourdement par terre, frappé d’une attaque d’apoplexie.

Il n’était pas mort, cependant.

Les soins qu’on se hâta de lui prodiguer le ramenèrent bientôt à la vie.

Cependant, il resta malade longtemps, et finit par perdre la raison complètement.

Il croyait toujours être dans le cimetière auprès des tombes de ses victimes qui lui apparaissaient soudain pour lui reprocher ses méfaits.

Il devint enfin si violent qu’on fut contraint de le mettre à l’asile, où il est encore en ce moment.

— C’est le jugement de Dieu, se dit Mde Bernier, terrifiée.

Seigneur ayez pitié de son âme !