Les enfants de Paris
Veuve de Pierre Ribou, .
COMÉDIE
M. DC. IC. AVEC PRIVILÈGE DU ROI.
De Mr DANCOURT
À S. A ÉLECTORALE MONSEIGNEUR. LE DUC DE BAVIÈRE.
Grand Prince, à qui le Ciel a donné pour partage,
Des plus hautes vertus le plus parfait usage ;
Toi, qui sans rien devoir à tes nobles Aïeux,
Te places par toi-même au rang des Demi-dieux.
Lorsqu'à t'offrir ses vœux, ma Muse ose prétendre,
Dans ce rang glorieux daigneras-tu l'entendre ?
Incertaine, timide et faible, je la vois
Qui ne peut qu'en tremblant s'élever jusqu'à toi,
Si d'un de tes regards la faveur prévenante
N'assure le succès du projet qu'elle tente ;
C'est celui d'occuper les précieux moments
Que peut laisser ta gloire aux divertissements,
Et d'adoucir les soins de ton âme héroïque,
Par les amusements de la Scène Comique.
Ses innocents plaisirs, ont pour toi des appas ;
Et l'on t'a vu cent fois au sortir des combats,
T'empresser à les prendre, et tranquille, sourire
Des traits ingénieux d'une heureuse satire.
Tes Peuples, du spectacle ainsi que Toi charmés,
Par ton exemple instruits, par ton goût animés,
De tout ce qui te plaît sagement idolâtres,
Ont élevé chez eux de superbes Théâtres.
Tel on vit autrefois cet illustre Romain,
Qui le premier porta le surnom d'Africain,
De Térence naissant approuvant les Ouvrages,
Pour lui, de Rome entière entraîner les suffrages.
Plus fameux, plus héros que ne fut Scipion,
Grand Prince, honore-moi de ta protection,
Tu me feras par elle, un sort digne d'envie.
Des Enfants de Paris reçois ma comédie :
Aux lieux de leur naissance, ils ont eu le succès
Qui peut leur assurer partout un libre accès :
Mais ce succès heureux ne peut les satisfaire,
S'ils n'obtenaient aussi le bonheur de te plaire.
Dans ta brillante Cour ils osent se montrer,
D'un favorable accueil daigne les honorer.
Ma Muse alors ardente à la reconnaissance,
Fière de t'avoir plu, pleine de confiance,
De Toi plus inspirée encor que d'Apollon,
Chantera tes hauts faits dans le sacré Vallon,
D'où mes nobles chansons dans l'univers portées,
Seront avec respect des peuples écoutées ;
Je publierai comment par tes premiers exploits
L'Ottoman fut d'abord asservi sous tes lois ;
Comment par ta valeur l'Empire eut pour barrière
Entre Byzance et lui, la Pannonie entière,
Et comment vers l'Escaut, par la gloire entraîné,
Tu soutenais un Sceptre à ton sang destiné.
Je te peindrai partout, à l'exemple d'Alcide,
Juste vengeur des lois, indomptable, intrépide,
Dans les plus grands périls toujours maître de Toi,
Et malgré le sort même esclave de ta foi.
Enfin, tout occupé du seul soin de ta gloire,
J'écrirai tes vertus au Temple de Mémoire.
Heureux, si célébrant un nom tel que le tien,
Des horreurs de l'oubli je puis sauver le mien !
D'ANCOURT.
MONSIEUR HARPIN
MADAME ARGANTE , sœur de M. Harpin.
CLITANDRE , fils de Monsieur Harpin, et amant de Climène.
ANGELIQUE , fille de Monsieur Harpin.
VALERE , amant d'Angélique.
CLIMENE
FINETTE
MERLIN , valet de Clitandre.
MADAME BRICHONNE , intrigante.
MONSIEUR VILAIN , commissaire.
UN LAQUAIS
La Scène est chez Monsieur Harpin.
ACTE I
Scène I
Que de chagrins pour nos jeunes Amants !
Que les enfants sont misérables,
Dont les pères déraisonnables
Regardent tout à contresens, 5 Et trouvent toujours condamnables
Les plus simples amusements !
Scène II
Je donne le bonjour à l'aimable Finette.
Madame Brichonne, bonjour.
Quoi ! Vous causez ici toute seule en cachette ? 10 Vous vous entretenez apparemment d'amour ?
D'amour ? Non, j'y suis peu sujette,
Et c'est là mon moindre souci.
Mais comment vous en va ? Qui vous amène ici ?
Y ménageriez-vous quelque affaire secrète ?
15 Hélas ! Me le demandez-vous ?
Et de Monsieur Harpin, confidente ordinaire,
Se pourrait-il qu'il vous eût fait mystère
De ce qui se passe entre nous.
Mystère ! À moi ? Vous savez bien 20 Dans ses secrets quelle part il me donne ;
Mais, faites, Madame Brichonne,
Comme si je n'en savais rien.
Il ne vous a pas dit?
Si fait : mais je soupçonne
Qu'il ne s'en est pas bien expliqué tout à fait ; 25 Il m'a tu quelque circonstance,
Je voudrais bien savoir pour quel sujet ;
Et si la chose est en effet
Comme il m'en a fait confidence.
Il vous a conté son projet ?
30 Oui, qu'il prétend? Il vous l'a dit de même,
Apparemment ?
Tout juste? Il veut se marier.
Vous y voilà.
C'est moi qui dois négocier
Ce mariage-là.
Comment, vous ?
Oui, moi-même.
Ah, le petit dissimulé ! 35 C'est de cela qu'il ne m'a point parlé.
Il vous a dit quelle est la personne qu'il aime ?
Belle demande ! Il fait un fort bon choix ;
Et pourvu qu'à ses voeux cette fille réponde?
C'est une veuve.
Ah, oui, d'accord je la connais : 40 Mais fille ou veuve, quelquefois
C'est même chose dans le monde ;
On s'y trompe aisément. Cette veuve a du bien.
Point, c'est Climène.
Ah, ah, Climène ! Elle n'a rien,
Mais pour cacher qu'il fait une mauvaise affaire, 45 Monsieur Harpin, à moi, m'a dit tout le contraire.
Monsieur Harpin est riche et pour elle et pour lui !
On ne sait pas tout l'argent qu'il amasse :
Si de continuer le Ciel lui fait la grâce,
Il mesurera l'or au muid. (1) 50 Depuis un mois que j'ai l'honneur de le connaître,
Nous avons fait l'un et l'autre en commun
Quinze ou vingt affaires, peut-être,
Au denier quatre, au denier un. (2)
Ah, le brave homme ! Il ne veut point paraître 55 Dans ces vétilles-là, tout se fait en mon nom.
Est-il dans son cabinet ?
Non !
Mais vous pouvez, si vous voulez l'attendre?
Je reviendrai : dites-lui seulement
Qu'outre une réponse à lui rendre, 60 J'ai quelques diamants à vendre
À très bon compte assurément.
Des diamants ?
Voyez. (3)
Ah ! Comme cela brille !
Quel éclat !
En voilà pour quatre mille écus.
Un mien ami les a vendus, 65 À certain enfant de famille
Dix-huit mille livres et plus.
À crédit ? C'est donner. Mais, Madame Brichonne,
Ce marché-là s'est fait aussi sous votre nom ?
Car vous avez l'âme bonne ; 70 Vous le prêtez volontiers.
Bon !
J'aime à faire plaisir, c'est ma grande faiblesse,
Je songe au profit du prêteur.
On le voit bien.
Je fais plaisir à l'emprunteur ;
Et puis après je m'intéresse 75 À faire encor gagner un second acheteur.
Le public vous doit trop, Madame.
Et voilà comme
Tout le monde peut vivre, et chacun est content,
Et de quelle façon j'oblige ce jeune homme,
Que je ne connais pas pourtant.
80 C'est avoir l'âme et charitable et tendre,
Que d'obliger les jeunes gens ainsi.
Adieu. Je reviendrai ; j'ai dans ce quartier-ci
Quelque pareil service à rendre.
Scène III
Pour s'emparer du bien d'autrui 85 La bonne Dame fait une admirable route ;
En la suivant, Monsieur Harpin sans doute,
Malgré l'exemple d'aujourd'hui,
Aurait tort si jamais il faisait banqueroute.
Scène IV
Que demandez-vous, Monsieur ?
Moi, 90 Finette, ce que je demande ?
C'est vous ? Que ma surprise est grande !
Vous n'appréhendez pas de paraître ici ?
Quoi ?
Qu'est-ce qu'il faut que j'appréhende ?
Le courroux de Monsieur Harpin, 95 Moins pour vous, il est vrai, que pour votre maîtresse,
Vous avez dû recevoir ce matin
Certain billet, où de ma blanche main
J'ai, de peur d'accident, moi-même mis l'adresse.
Je le reçois dans ce moment ; 100 Et plein de ma douleur extrême
Je viens savoir d'Angélique elle-même,
Par où j'ai mérité ce cruel traitement.
A-t-elle bien pu se résoudre
À me défendre ainsi de paraître à ses yeux ? 105 Est-ce quelque rival qui me rend odieux ?
Pour mon amour quel coup de foudre ?
Ouais, vous le prenez-là d'un ton bien sérieux !
Hé de quel ton, dis-moi, veux-tu que je le prenne ?
Je vais vous l'expliquer. Avez-vous pris la peine 110 De lire le billet de l'un à l'autre bout ?
Si je l'ai lu ?
Cela ne paraît point du tout :
Car enfin en phrase très claire,
Angélique vous fait savoir.
Que c'est un ordre de son père 115 Qui l'oblige à ne vous plus voir.
Écrire ainsi, n'est-ce pas faire
Entendre à son heureux Amant,
Quand il a de l'entendement,
Qu'on souffre autant que lui d'un ordre si sévère ? 120 N'est-ce pas dire, attendons quelques jours,
Prenons pour quelque temps le parti du mystère,
Et puis sur nouveaux frais nous nous verrons toujours ? (4)
Ah ! Tu me redonnes la vie !
Mais, dis, Finette, je te prie, 125 Par où Monsieur Harpin peut-il avoir appris?
Avec juste raison vous en êtes surpris,
Et comme vous j'en ai l'esprit malade :
Car enfin, vous n'êtes venu
Qu'en son absence ici ; nous ne vous avons vu 130 Que les soirs à la promenade ;
Il faut que votre nom lui soit même inconnu :
Il l'est du moindre domestique,
Et cependant?
Hélas, que je suis malheureux !
Quand je me promets tout des bontés d'Angélique, 135 Son père met un obstacle à mes voeux,
Il ne me connaît point, et me devient contraire.
Savez-vous le noeud de l'affaire ?
Le père sait que vous plaisez,
Et c'est là de quoi lui déplaire. 140 Oh dame, la fille et le père
Ont des goûts fort opposés.
Mais, de sa fille enfin, qu'est-ce qu'il prétend faire ?
Je ne sais, son dessein n'est pas de la pourvoir :
Il feint pourtant de le vouloir ; 145 Et pour y réussir, c'est sa grande manière
Que d'écarter, autant qu'il est en son pouvoir,
Les partis les plus convenables,
Et de prendre grand soin de ne lui faire voir
Que des maris désagréables.
150 Il ne craint point son désespoir ?
Tout au contraire, il le souhaite.
Heureux, s'il peut ainsi lui faire concevoir
Un certain goût pour la retraite,
Qu'il voudrait qu'elle pût avoir.
155 Ce que tu me dis là me paraît incroyable.
Quoi, cet homme si vénérable,
Qu'à ses manières, à son air,
Tout Paris croit si raisonnable ?
Paris voit trouble, et je vois clair. 160 Depuis longtemps je l'étudie ;
Je vous le peindrais trait pour trait,
Et je n'ai trouvé dans son fait
Que grimace et que perfidie.
Ah Finette !
Monsieur, c'est le plus faux mortel : 165 Aussi, par un excès de fausse complaisance,
J'ai su gagner sa confiance.
J'ai le plus heureux naturel
Pour fourber qui me fourbe ; il n'est ma foi rien tel.
Et lorsque nous voulons nous en mêler, nous sommes, 170 Nous autres femmes, grâce au Ciel,
Plus fausses que les plus faux hommes.
Je le crois.
À propos d'être fausse, attendez,
Ne pourrions-nous pas ?
Quoi ?
Oui da, c'est une idée,
Qui, pour peu que d'ailleurs elle fût secondée, 175 Vous ferait obtenir ce que vous prétendez.
Serait-il possible, Finette ?
Si vous voulez, c'est une affaire faite.
Seriez-vous d'humeur à quitter
Votre air de Cour ?
Ah ! Qu'à cela ne tienne.
180 Vous sentez-vous capable d'affecter
Un air bourgeois, un air à la Parisienne ?
Comment, un air évaporé ?
Non, un air sage et modéré,
Là, qui vous fasse méconnaître.
185 Finette ? (5)
Sans courroux : il faut vous habiller, (6)
Non pas comme un faux petit-maître, (7)
Mais en notable marguiller,
Échevin postulant, apprentif Conseiller ;
Et surtout tâcher de paraître, 190 Non, comme ils sont, mais comme ils devraient être. (8) (9)
Mais, pourquoi ce déguisement ?
Vous le saurez ; allez le prendre,
Et venez ici seulement,
Ou me demander, ou m'attendre. 195 Si vous me demandez, que ce soit, s'il vous plaît,
De la part de quelqu'un de ces fameux Notaires,
Distingués parmi leurs Confrères
Pour prêter à gros intérêt.
J'ai mes raisons.
Je m'abandonne 200 À ta conduite ; et le flatteur espoir
Que ta vivacité me donne
De revenir ici, de voir,
De posséder un jour la charmante personne
Qui fait toute ma passion, 205 M'engage sans réflexion
Dans tout ce que ton zèle en ma faveur ordonne.
Scène V
Jusqu'au revoir. Je vais m'embarrasser
Dans une affaire un peu scabreuse :
Mais le seul plaisir de penser 210 Qu'on peut mener à bien une intrigue amoureuse,
Engage une âme généreuse ;
Et quoique toute jeune, et novice en ceci,
Je me tirerais, Dieu merci,
D'entreprise plus épineuse.
Scène VI
215 Ma chère Finette, je suis
Dans le plus cruel des ennuis :
Je sens une douleur mortelle.
Je le crois bien vraiment, et l'épreuve est cruelle,
De congédier un Amant 220 Que l'on aime si tendrement.
À tes conseils, il m'a fallu souscrire
Avec précipitation,
Malgré moi tu m'as fait mal à propos écrire.
J'ai pris trop de précaution, 225 Il est vrai ; vous pouviez fort aisément remettre
À la première occasion,
Tout le discours que vous avez pu mettre
Dans ce billet ; la conversation
Fait plus de plaisir qu'une lettre. 230 Mais avec tout cela, je vous suis caution
Que dans la situation
Où maintenant est votre affaire,
Vous ne sauriez assurément mieux faire,
Malgré l'excès de votre passion, 235 Que d'affecter beaucoup d'attention
À marquer en toute manière
Une prompte soumission
Aux volontés de votre père.
Ah, Finette ! Que je te hais, 240 De me parler comme tu fais,
Et que ta morale est ennuyeuse et sévère !
Il ne m'a point du tout paru
Que mon père m'ait défendu
Expressément de voir Valère ; 245 Fort mal à propos tu l'as cru,
Il ne l'a point nommé, je l'aurais entendu.
Oui, j'ai tort, c'est une chimère ;
Et comme il ne sait pas le nom de votre amant,
Votre père n'a pu parler expressément. 250 La pensée est fort délicate !
Mort de ma vie, il l'a si juste désigné, (10)
Qu'à son nom près, je crois qu'il a tout deviné.
Hé, souffre un peu que je me flatte,
C'est un simple conseil, crois-moi, qu'il m'a donné. 255 Il ne m'a point témoigné de colère,
Aucun chagrin, aucun emportement,
Et nous avons pris cette affaire
Un peu trop sérieusement.
J'ai fort mal fait d'écrire assurément.
260 Je sais, si vous voulez, un remède à la chose :
Mais?
Ne crains rien, parle, je me propose
De faire aveuglément tout ce que tu voudras :
Dis vite. À quoi que je m'expose,
Mon amant en sera la cause, 265 Et je n'en murmurerai pas.
La pauvre enfant ! En la voyant si tendre,
Je sens mon coeur prêt à se fendre.
Allez, vous le reverrez.
Quoi !
Je le reverrais ?
Oui, je prends cela sur moi.
270 Ne te moques-tu point, Finette ?
Et mon père?
Il l'approuvera.
Tout de bon ?
Tout de bon, même il vous en priera.
Votre félicité pour lors sera parfaite.
Mais je ne comprends pas comment : 275 Nous le tromperons donc, Finette, apparemment ?
Oui, c'est ainsi que je le pense.
Voyez, y sentez-vous la moindre répugnance ?
Moi ? Point du tout, au contraire vraiment :
Mais trompons-le si finement, 280 Employons-y tant d'artifice,
Que désormais sans trouble je jouisse
Du plaisir de voir mon amant,
Et que jamais ce plaisir ne finisse.
Laissez faire, malgré l'amour 285 Qui vous tient aujourd'hui si fortement liée,
Vous le verrez tant quelque jour
Que vous en serez ennuyée.
Peut-on s'en ennuyer jamais ?
On le dit, je n'en sais rien. Mais 290 Pour réussir ici, ce que je vous demande,
Et c'est cela que j'exige sur tout,
Quoi que ce soit que vous commande
Monsieur Harpin, approuvez tout :
La complaisance n'est pas grande.
295 Tu sais, Finette, que souvent?
Oui, c'est sa fureur dominante
De vous mettre dans un Couvent ;
Il faut en paraître contente,
Feignez d'y consentir avec tranquillité.
300 Et s'il va prendre cette feinte
Pour un consentement, pour une vérité ?
Qu'il m'y mette?
De ce côté
N'ayez, de grâce, aucune crainte,
Tout ira bien.
Voici, je crois, 305 Merlin, le valet de mon frère.
Il vient à propos, laissez-moi.
Mais, Finette, dépêche-toi.
Tout ira bien, vous dis-je, allez et laissez faire.
Tout mon bonheur est en ta main.
310 Que de discours ! Adieu.
Scène VII
Bonjour, Monsieur Merlin.
Serviteur, charmante Finette.
Comment gouvernez-vous le vin ?
Fort négligemment, je fais diète,
Et je n'ai déjeuné que deux fois ce matin.
315 Votre maître ? On ne le voit guères :
Qui l'occupe ?
L'Amour, le jeu, la bonne chère,
Nos exercices d'ordinaire.
Tous les jours assez tard il s'éveille en jurant,
D'avoir, dit-il, le sort à ses voeux fort contraire. 320 Il sort du lit, s'habille en murmurant
Le plus souvent contre Monsieur son père ;
Puis par le petit escalier,
Fort discrètement il détale,
Pour éviter maint créancier, 325 Que j'amuse, moi, dans la salle.
Il arrive fort échauffé
Vers le Palais Royal, il prend une chaise
Sans besoin, pour courir Paris plus à son aise.
Nous nous rejoignons au Café ; 330 Et le reste de la journée,
C'est-à-dire, l'après-midi,
Qui quelquefois pour lui n'est pas l'après-dînée, (10)
Toujours avec la chaise il court en étourdi,
Tantôt au lansquenet, tantôt chez sa maîtresse, (12) 335 Qu'en tout honneur pourtant il aime avec tendresse.
Parfois nous visitons de fort honnêtes gens,
Des Usuriers, de gros Marchands
Des Sous-fermiers, ou d'obligeants Notaires,
Qui dans les pressantes affaires, 340 Ont un merveilleux entregent,
Pour faire trouver de l'argent
Aux jeunes gens qui n'en ont guères ;
Nous partageons avec eux comme frères,
Moitié par moitié, oui, c'est là le prix courant, 345 Cela se fait sans bruit ; et comme
Mon maître est fort généreux, il se rend
Par bon contrat toujours garant,
De payer seul toute la somme.
Certes, ton maître a le coeur grand, 350 Et c'est un fort joli jeune homme.
N'est-il pas vrai ? C'est le train du jour. Pour l'emploi
Du soir, c'est le jeu qui décide,
Et nous soupons, comme le sort nous guide,
Fort bien au cabaret, quand nous avons de quoi, 355 Fort mal à la maison, quand notre bourse est vide.
Depuis un temps on vous y voit si peu,
Qu'on doit juger qu'apparemment la bourse?
Cela va bien aller, nous avons fait ressource
Chez l'Usurier ; et sans le jeu, 360 Nous serions bien plus à notre aise.
Mais toi, dis-moi, par parenthèse,
Es-tu bien, es-tu mal, avec Monsieur Harpin ?
Là, là : pourquoi ?
Pour un certain dessein,
Dont la suite pourrait ne pas être mauvaise. 365 Mon maître m'a chargé de tâcher aujourd'hui,
Par quelque adroite tentative,
À t'engager à faire avec nous, contre lui,
Ligue offensive et défensive.
Contre Monsieur Harpin ? Touche, cela vaut fait ; (13) 370 Et pour te mieux marquer mon zèle
Pour le parti, je vais t'apprendre une nouvelle.
Mais, sais-tu garder un secret ?
Moi ? C'est en cela que j'excelle,
Je suis l'homme le plus discret. 375 De mille grands secrets je suis dépositaire,
Et j'ai presque toujours été
Chez des femmes de qualité ;
Dans ces postes, tu sais, qu'il faut se savoir taire.
Sans doute.
Cette main tous les jours apprêtait 380 Le blanc que met Madame l'Intendante,
Et je n'ai jamais dit pourtant qu'elle en mettait.
Fort bien.
Et de Madame Argante
J'ai gouverné tout à la fois
Pendant près de dix-huit mois, 385 Hanche, épaule, et gorge postiche.
Hé bien, je me ferais plutôt hacher cent fois
Que d'en parler : eh, faut-il qu'on affiche
Les défauts des gens qu'on sert ?
Non.
C'est fort bien fait.
Voilà Madame Bouvillon, 390 Que tout Paris croit des plus sages ;
Quand je la servais elle avait
Deux ou trois amants à ses gages,
Je n'en parle à qui que ce soit ;
Il faut avoir certaines retenues?
395 Fort bien : mais si tu continues,
Merlin, de ta discrétion,
Tu t'en vas me donner mauvaise opinion.
Au contraire, vraiment, je veux te faire entendre,
Qu'on peut en sûreté se confier à moi. 400 Je ne dis jamais mot.
On le voit.
Çà de quoi
S'agit-il ? Que veux-tu m'apprendre ?
Le voici. De Monsieur Harpin
Connais-tu bien à fond le parfait caractère ?
Pour cela oui, c'est le plus mauvais père, 405 Le plus ladre, le plus vilain
Que l'on ait encore vu paraître.
Tu le connais. Et de ton maître
Parle-moi franchement, que m'en diras-tu ?
Rien.
Pour celui-là, j'ai fait voeu de m'en taire, 410 Je suis discret. Je n'en sais point de bien.
C'est ce qui fait que je n'en parle guère.
C'est le garçon le plus déterminé,
Qui peut-être soit jamais né,
Pur bien faire enrager son père : 415 Encor s'il savait ménager
Avec art Madame sa tante !
Elle a deux mille écus de rente,
Qu'elle pourrait fort bien avec nous partager :
Mais le Monsieur Harpin, attentif à la proie, 420 Qui se les veut approprier.
Dans son esprit, comme fausse monnaie,
Prend grand soin de nous décrier.
Nous te démasquerons, vainement tu te caches,
Vieux ladre. Voilà donc, Merlin, ce que tu sais ?
425 Oui, mon enfant.
Oh bien, ce n'en est pas assez.
Voici ce qu'il faut que tu saches.
Monsieur Harpin est amoureux.
Quel conte !
Il l'est à la sourdine. (14)
Amoureux, lui ?
Oui, lui. Devine 430 Quelle heureuse mortelle est l'objet de ses voeux ?
Voyons un peu.
C'est toi, peut-être ?
Qui ? Moi ?
Toi-même ; pourquoi non ?
Tu me parais encore assez jeune pour être
La maîtresse d'un vieux barbon. (15)
435 Oui da.
Confesse ingénument la dette ;
Serait-ce toi ?
Non c'est Climène.
Tout de bon ?
Tu te moques de moi, Finette.
Climène ? Tu sais bien que mon maître en est fou.
Son père aussi.
Le vieux Hibou ? 440 Mais cela ne se peut absolument. Climène
Nous en eût fait quelque petit narré. (16)
À ton maître elle a craint de faire de la peine ;
Il faut qu'apparemment cette peur la retienne,
Ou que dans ses ardeurs, le vieillard modéré, 445 Ne se soit pas encor tout à fait déclaré.
Quoi qu'il en soit, Climène a bien fait de s'en taire,
Et je trouve à propos que cet amour du père,
Soit par le fils encor quelque temps ignoré.
C'est un petit évaporé, 450 Qui dans sa fureur pourrait faire
Quelque coup de désespéré.
Motus, au moins.
Oui, va, je me tairai.
Pour moi, j'aurai soin de conduire
Ses affaires à bien, ou je ne le pourrai. 455 Toi, prends garde de ne rien dire,
Que lorsque je t'en avertirai.
Voici Monsieur Harpin.
Scène VIII
Ah, ah, je suis bien aise
De rencontrer ici ce maroufle fieffé. (17) (18)
Et moi, Monsieur, je me crois né coiffé, (19) 460 Que ma présence ainsi vous plaise.
De mon fripon de fils je viens,
D'apprendre encor d'agréables nouvelles !
Tant pis.
Et s'il vous plaît, Monsieur, quelles sont-elles ?
Ne vous a-t-on pas dit qu'il se porte fort bien ?
465 Je voudrais qu'il fût mort, le débauché, l'infâme ;
Le perdu. Devenir amoureux d'une femme !
Amoureux ! Lui ? Fy donc, vous vous moquez de nous.
Monsieur votre fils est amoureux comme vous.
Comme moi ? S'entêter pour une libertine !
470 Cela n'est pas, Monsieur.
Qui le ruine !
Point du tout.
Qui le perd d'honneur !
Il n'en n'est rien, vous dis-je, ou je me donne au diable,
Et mon maître est trop raisonnable.
Et son valet trop raisonneur. 475 Tais-toi.
Très volontiers.
On n'a pas pu sur l'heure
M'apprendre en quel quartier la coquine demeure,
Ni son nom : mais je le saurai
De ta bouche, pendard, ou je te rosserai. (20) (21)
Par vos ordres, Monsieur, j'ai trop de déférence : 480 Vous m'avez imposé silence,
Je me tais, et je me tairai.
Ah, bourreau, je t'étranglerai.
Parleras-tu ?
Ce sont de mauvais bruits qu'on sème,
Mon maître n'aime rien, et quand il aimerait, 485 Je vais gager que pour vous-même
Vous feriez le choix qu'il ferait.
Je vous connais l'un et l'autre à merveilles
Et vous qui nous sermonnez tant,
Vous ne haïssez pas le beau sexe pourtant.
490 Tais-toi, tu me romps les oreilles ;
Ôte-toi de mes yeux, coquin,
Je démêlerai bien sans toi toute l'affaire,
Et tu seras un jour chagrin
De m'en avoir fait un mystère.
495 Sans rancune, Monsieur, de près comme de loin,
Tout à vous ; et dans le besoin,
Si par hasard je vous suis nécessaire,
N'épargnez pas mon petit ministère.
Vous voyez que je me sais taire, 500 Et je travaille avec grand soin.
Scène IX
Qu'est-ce que ce maraud veut dire ?
Dans le fonds, c'est un bon garçon :
Mais quelquefois il aime à rire.
Si je m'y mets, je saurai le réduire 505 À rire d'une autre façon.
Votre Dame Brichonne est venue ici.
Bon.
Je sais ce qu'elle veut. Hé bien reviendra-t-elle ?
Dans une heure, je crois, Monsieur. Mademoiselle
Votre fille est fort chagrine d'avoir 510 Ordre de vous, de ne plus voir
Ce jeune adolescent que nous croyons qu'elle aime ;
Et si l'on pouvait plus avant
Faire aller son dépit, quoiqu'il paraisse extrême,
Je gagerais que d'elle-même 515 Elle prendrait bientôt le parti du Couvent.
Tout de bon ?
À coup sûr, Monsieur.
Et comment faire
Pour augmenter ce dépit-là ?
Laissez-moi rêver à cela.
Je me charge de cette affaire.
520 Toi ?
Moi-même, et vraiment? attendez? m'y voilà.
Je vous la garantis dès aujourd'hui Novice :
Mais y donnerez-vous votre consentement ?
Moi ?
Vous.
De tout mon coeur. Il serait beau, vraiment,
Qu'elle eût de bons desseins sans que j'y répondisse ? 525 Mais pour l'acheminer à cet heureux moment,
Qu'est-ce qu'il faudrait que je fisse ?
Le voici. Son chagrin vient naturellement
De ce qu'il faut qu'elle bannisse
Ce jeune Cavalier qu'elle aime éperdument ? 530 Et je voudrais qu'en ce moment,
Pour irriter son amoureux caprice,
Vous parussiez vouloir lui faire absolument
Épouser? là? quelque autre Amant,
Mais quelque Amant qu'elle haïsse.
535 C'est bien dit, je connais un Président Normand,
Dont le nom seul est pour elle un supplice,
Je vais lui commander de l'épouser.
Comment ?
Il paraîtrait trop d'injustice
À la vouloir ainsi pourvoir bizarrement ; 540 Il a quatre-vingt ans, Monsieur. Plus finement
Cachons de vos desseins l'innocent artifice.
Proposons-lui ce Banquier Suisse,
Elle le hait encore assez passablement.
Ce Banquier Suisse est laid terriblement, 545 Ce serait exiger un trop grand sacrifice.
Et c'est pour cela justement ;
Car je ne prétends nullement
Qu'en tout ceci ma fille m'obéisse.
C'est prétendre très sagement : 550 Mais il faut ménager la chose adroitement,
Si l'on veut qu'elle réussisse.
Que faire ?
Voulez-vous vous en fier à moi ?
Vous le pouvez en assurance.
Hé bien?
Proposez-lui quelque homme de finance, 555 Ou de Palais, je vous donne ma foi,
Quelque joli qu'il soit, qu'il n'en est point en France
Qu'elle acceptât, fût-il riche comme le Roi ;
C'est une aversion qui n'est pas concevable.
Tout de bon ?
J'en sais un dont j'ai parfois pitié, 560 Il est de Robe, il a pour elle une amitié?
Hé bien ?
Elle le hait, cela n'est pas croyable,
C'est là ce qu'il faudrait, Monsieur, lui proposer,
Le parti paraîtrait sortable ;
Et comme pour le refuser 565 Elle n'aurait point de raison valable,
Vous auriez droit de la tyranniser ;
Et du Couvent le retraite honorable,
Lui paraîtrait à coup sûr préférable
Au désespoir de l'épouser.
570 Mais si par un cas fortuit (car enfin tout peut être)
Son goût allait changer ?
Beau sujet d'embarras ?
Il ne changera point, Monsieur ; mais en tout cas
Du dénouement n'êtes-vous pas le maître ?
Il est vrai, c'est bien dit. Ça fais-moi donc connaître 575 Ce soupirant de Robe, et songe à te hâter.
C'est une affaire toute prête.
Bon, tant mieux, il me tarde aussi d'exécuter
Certains projets qui me roulent en tête.
Si cette femme vient, qu'on la fasse monter.
ACTE II
Scène I
580 Vous voyez, Madame Brichonne,
Avec combien peu de réflexion
Sans hésiter je m'abandonne
Tout à votre discrétion.
Hélas ! Avec moi, qu'est-ce que l'on hasarde ? 585 Un secret est là-dedans enterré :
Moi, parler de rien ! Dieu m'en garde.
Hé, fi donc, si j'étais tant soit peu babillarde, (22)
Un bon tiers de Paris serait déshonoré.
Il faut tâcher pour les six mille livres 590 Que je vous ai donnés dessus vos diamants,
Qu'ils me demeurent.
Oui, c'est comme je l'entends,
Laissez-moi faire, allez, j'y brûlerai mes livres.
Puis cela vient de jeunes gens,
Qui volontiers ne sont pas retirants. (23)
595 Bon, tant mieux. Vous savez à quoi je les destine.
Mais, parlons naturellement,
Prévoyez-vous qu'heureusement
Le dessein que j'ai se termine ?
Vous avez vu tantôt Climène ?
Assurément.
600 Çà, Madame Brichonne, allons, dis franchement
De quel air, avec quelle mine
Elle a reçu ton compliment ?
Je vous l'ai déjà dit, fort agréablement ;
Et sans vouloir flatter, ce que j'en imagine, 605 C'est qu'elle l'a trouvé charmant.
La friponne !
Elle est jeune, elle est aimable et belle :
Mais avec tout cela, l'ardeur
Qui vous fait soupirer pour elle,
Doit lui paraître un grand bonheur ; 610 Elle ne sera point à vos désirs rebelle.
Bon, je l'aime de cette humeur,
Et ne voudrais pour rien d'une fière femelle
Qui fît traîner mon amour en langueur.
Vous ne l'aimez qu'en tout honneur ? 615 Elle aurait tort de vous être cruelle.
À propos d'honneur, tu sais bien
Que je dois ménager le mien.
Peut-être on gloserait de voir un assemblage
De cette veuve un peu coquette et qui n'a rien, 620 Avec un homme de mon âge.
Si nous trouvions quelque moyen,
Dans ces commencements, de rendre
Notre intrigue secrète, et de lui faire entendre
Que c'est que mon honneur veut prendre soin du sien.
625 C'est raisonner fort juste.
Écoute, il faut que j'aie
Avec ma belle-soeur quelque ménagement.
Depuis assez longtemps j'essaie
De faire en ma faveur régler son testament :
Et par hasard, si de ce mariage 630 Quelque soupçon venait à contretemps,
Son bien serait pour mes enfants,
Et je me verrais, moi, frustré de l'héritage.
Cela retient un peu mon amour en suspens.
Hé bien, mariez-vous en secret, je m'engage 635 À faire consentir Climène à ce dessein ;
Il me paraît que vous êtes en âge
De contracter sans trouble un hymen clandestin.
Ce n'est pas là ce qui me met en peine :
Mais si je pouvais, moi, n'aller point chez Climène. 640 Et qu'elle-même vint céans.
Cela serait commode. Hé bien, nul de vos gens
Ne la connaît. Allez, tantôt je vous l'amène,
Laissez-moi faire.
Attends. Sous un nom emprunté
Il faudrait qu'à ma fille elle fût présentée.
645 Je n'y vois pas d'impossibilité.
Quel nom choisir ? Voyons.
Madame Dorothée.
Fort bien : ce nom promet, sans paraître affecté,
Certaine régularité?
<span class="personnage" style="color:Le Couvent à coup sûr aura la préférence.
Tu me le dis, et je le crois ;
Mais tu me répondras des suites. 705 Si ma fille vous hait autant que vous le dites,
Pour l'épouser, Monsieur, je vous donne ma voix ;
C'est un mauvais esprit que je prétends réduire.
Quel transport ! Quelle joie ! Hé, que puis-je vous dire ?
Je vous remets le compliment.
710 Si vous voulez je vais conduire
Monsieur à son appartement,
Et je prendrai soin de l'instruire
De vos desseins.
Non, doucement.
À tantôt, s'il vous plaît, remettons la partie, 715 Il vous suffit d'avoir à présent mon aveu :
Je veux sonder ma fille, et m'ajuster un peu
De cet excès d'antipathie.
Scène IV
Votre Notaire est là qui vous demande.
Adieu,
Dans une heure d'ici je vous attends.
Scène V
Finette.
720 Monsieur ?
Il me paraît que ce monsieur Harpin
Est homme soupçonneux et fin ;
Et si de ses discours je suis bon interprète,
Assurément notre dessein
N'aura pas une bonne fin.
725 Vous êtes un mauvais Prophète ;
Quelque chose que je projette,
Jamais je ne travaille en vain.
Pour m'en convaincre, au moins, fais-moi voir Angélique.
La peste ! Gardons-nous-en bien, 730 Ce serait justement un secret spécifique
Pour tout gâter.
Un moment d'entretien.
Non, Monsieur, il n'en sera rien,
Vous perdez votre rhétorique.
Est-elle instruite du moyen 735 Dont nous nous servons ?
Non. La belle politique !
Monsieur Harpin lui parlera de vous
Sous le beau nom de Monsieur Boniface,
Et je prétends que ce nom l'embarrasse
Assez pour la mettre en courroux : 740 Qu'attentif à sa contenance
Comme un Lieutenant Criminel,
Monsieur Harpin ne prenne aucune défiance
D'un mouvement qui, comme je le pense,
Lui semblera fort naturel.
745 Quoi, sans l'avoir entretenue,
Sans même avoir joui du plaisir de sa vue,
Deux fois ici je serai donc venu,
Et je n'aurai pas obtenu ?
Vous obtiendrez à la troisième 750 Tout ce que vous souhaiterez.
Tu me fais un chagrin extrême.
Je le crois bien : mais vous vous en irez.
Mais, permettez-moi?
Néant. Allons, tirez, tirez. (26)
Scène VI
Cela tournera bien ; et je suis, je vous jure, 755 Pour bien conduire un projet amoureux,
Une admirable créature.
Ce n'est pas tout encor, je veux
À la fois en conduire deux,
Tromper Monsieur Harpin dans plus d'une aventure, 760 Et malgré qu'il en ait, rendre son fils heureux.
Intéressons-la, Madame Brichonne,
J'ai sur elle assez de crédit.
Voyons Climène, et mettons à profit
Les talents que le Ciel nous donne. 765 Allons? Mais voici justement
L'heureux mortel pour qui je m'intéresse.
Pour quelque temps encor cachons-lui prudemment
Que son père aime sa maîtresse.
Scène VII
Où trouverai-je ce faquin ?
770 Il est rêveur.
Ah ! Te voilà, Finette.
Bonjour, ma chère enfant. N'as-tu point vu Merlin ?
Pardonnez-moi, Monsieur : mais il a fait retraite,
Pour n'essuyer pas le chagrin
D'avoir du bruit avec Monsieur Harpin. {Refl;">monsieur harpin
775 Ce maraud-là me met dans une peine?
Il n'est point de valet, je crois, plus négligent.
Je l'ai chargé de trouver de l'argent,
Et de m'en apporter au jeu chez Dorimène ;
J'en dois considérablement 780 À des gens qui me persécutent?
Les ordres d'en trouver se donnent aisément,
Mal aisément ils s'exécutent.
Mais je l'entends, c'est lui, ne vous chagrinez pas.
Adieu, Monsieur.
Est-ce ainsi qu'on me quitte ? 785 Que je sache au moins où tu vas.
Rendre une petite visite,
Et je reviendrai sur mes pas.
Tu n'iras point à pied, j'ai ma chaise là-bas.
Ah ! Je crains trop la médisance. 790 Jusqu'au revoir, Monsieur. Au moins, Merlin, silence.
Scène VIII
Va, ne crains rien, je suis discret.
Hé bien, maître faquin, d'où venez-vous ? Un autre (28)
Vous donnerait cent coups. Suis-je votre valet,
Pour vous chercher ?
Et moi, Monsieur, qui suis le vôtre, 795 Dois-je courir en vain tout le jour après vous ?
Monsieur me donne un rendez-vous
Chez Dorimène. Il y vient plus d'une heure
Avant le temps qu'il m'a marqué,
Je ne m'y trouve point, et le voilà piqué. 800 Un seul instant à peine il y demeure,
Il peste, il jure, il court fort irrité ;
Je cours après de mon côté,
Je le rejoins à la malheure ?
Et je suis un faquin, dit-il, j'ai mérité 805 D'avoir mille coup d'étrivières. (29)
Oh bien, Monsieur, en vérité,
Si vous ne réformez ces mauvaises manières?
Oh, finis, je te prie. Avons-nous de l'argent ?
Oui, je suis le meilleur agent?
810 Et combien ?
La récolte est bonne.
Je vous apporte ici deux mille écus tournois,
À deux cents francs près, toutefois.
Deux cents francs ?
Oui, que Madame Brichonne
A retenus par ses mains pour ses droits.
815 Mais deux cents francs, Merlin ?
C'est la première fois
Que nous négocions de la sorte avec elle.
Faut-il pour une bagatelle
Manquer d'établir son crédit ?
Tenez, voilà comme je vous ai dit, 820 Trois cents louis en deux cents pièces,
Et le reste en d'autres espèces.
Donne-moi l'or, et retourne porter
Cet autre argent chez Dorimène,
Je le dois à la bourse, et je veux m'acquitter.
825 S'il est ainsi, ce n'était pas la peine?
Ah ! Le vilain qui s'amuse à compter !
Pourquoi, donc ? Il n'est pas nouveau qu'on se méprenne.
Oui da, oui da. Je crois qu'il manque six louis ;
Je ne suis pas fripon, je vous en avertis.
830 Comment ?
Comptez toujours, et qu'il vous en souvienne.
Il manque six louis ? Pourquoi ?
Dis donc.
C'est pour mes droits à moi.
Maître fripon, l'affaire en était faite.
Si je n'avais compté mon argent.
Oui, ma foi.
835 M'en aurais-tu parlé ?
Non, Monsieur ; car Finette
M'a commandé d'être discret.
Si vous voulez pourtant savoir certain secret.
Quel secret ?
C'est une nouvelle
Qu'elle m'a fort prié de ne pas dire.
Hé, quelle ?
840 Monsieur votre père?
Ah ! Je n'en veux rien savoir,
De cette part que me peut-on apprendre
Qui ne me mette au désespoir ?
Monsieur, si vous vouliez l'entendre,
D'un grand fardeau, je serais soulagé ; 845 Je suis de ce secret terriblement chargé.
Tais-toi, te dis-je, et cours chez Dorimène.
La résistance sera vaine,
Je ne saurais garder un secret tout un jour,
Vous le saurez à mon retour.
Scène IX
850 Que puis-je apprendre de mon père
Qui ne révolte tous mes sens ?
De quelle cruelle manière
Il en use avec ses enfants !
Il retient le bien de ma mère 855 Depuis près de cinq ou six ans :
Son avarice insupportable
Le fait en tout s'opposer à mes voeux ;
Il cherche à me perdre en tous lieux :
Sous le nom d'homme irréprochable, 860 Il représente à tous les yeux
Ma conduite si condamnable,
Qu'à mes meilleurs amis je deviens odieux.
Son humeur me rend malheureux,
Et sa fausse vertu me fait trouver coupable. 865 Encore si je pouvais?
{scène|X}}
Comment donc, mon neveu,
Apparemment ta cervelle s'évente ?
Tu parles seul, es-tu fou ?
Non, ma tante,
Mais vous me voyez dans l'attente
De l'être devant qu'il soit peu. 870 Mon père?
Tais-toi, misérable,
Je t'avertis que contre toi
Il est d'un courroux effroyable.
Lui, ma tante ?
Oui, vraiment, et j'y suis aussi moi ?
Car il m'a dit qu'il fallait que j'y fuse. 875 Je ne voulais pas me fâcher :
Mais il m'a si bien su prêcher,
Qu'il a fallu qu'enfin je le voulusse.
Çà, je viens donc te quereller.
Hé bien, ma tante, soit, vous n'avez qu'à parler. 880 Mais de quoi, s'il vous plaît ?
De quoi ? Tu n'es pas sage,
Tu te jettes, dit-il, dans un fort mauvais train.
Moi, ma tante ?
Oui, toi. Comment, petit vilain,
Aimer déjà les femmes à ton âge !
C'est donc là tout mon crime ? Hé bien, qu'y trouvez-vous 885 De si condamnable ?
Entre nous,
Je n'y vois pas moi grand dommage,
Et ton père en devrait être moins étonné ;
Car enfin autrefois lui-même il a donné
Tout comme toi dans le libertinage ; 890 À vingt ans le bon personnage
N'était pas mieux morigéné.
C'est un étrange homme, ma tante,
Et si je vous disais?
Taisez-vous, effronté.
Il vous siérait bien, moi présente, 895 D'oser dire de lui la moindre vérité ?
C'est un homme que chacun vante,
Et qui doit être fort vanté.
Vous prenez son parti, c'est à moi de me rendre.
Çà, votre soeur est-elle ici ?
900 Je ne sais pas, ma tante.
Voyez-y,
Et qu'on me la fasse descendre,
Il faut que je la gronde aussi,
Je l'ai promis ; et l'on m'a fait entendre?
Je suis bien irritée, et je vais?
La voici.
Scène XI
905 Bonjour, ma chère enfant ; viens çà que je t'embrasse :
Je l'aime toujours, quoi qu'on fasse,
Et mon courroux pour elle est d'abord adouci.
Que je sens de plaisir quand je vous vois, ma tante !
Et moi donc ? Je ne suis parfaitement contente 910 Que lorsque je me trouve entre vous deux ainsi.
Hé bien, mes chers enfants, qu'est-ce que tout ceci ?
Quoi, ma tante ?
Je viens de chapitrer ton frère,
Et contre toi je suis bien en colère.
Contre moi ! Ce discours me trouble et m'interdit. 915 Et pourquoi donc ?
Pourquoi ? Ton père me l'a dit.
Vous vous mêlez d'être amoureuse,
Petite folle ?
Moi ?
C'est une chose affreuse.
Vous cherchez à m'embarrasser,
Ou vous raillez.
Non pas, l'affaire est sérieuse, 920 Et je sais bien ce que j'en dois penser.
Je m'y connais, ce sont des penchants de famille,
On ne saurait résister à cela ;
Et moi-même, quand j'étais fille,
De temps en temps, par-ci, par-là, 925 J'avais aussi ces penchants-là.
À présent, Dieu merci, j'en suis bien corrigée,
L'expérience m'a changée.
Et dans le fond, il n'est ni bon, ni beau,
Dès qu'on voit un godelureau, (30) 930 Sans consulter le choix d'un père,
De s'en amouracher.
Mais ce n'est point vraiment
Un Godelureau que Valère.
Valère. Ah ! C'est donc là le nom de votre amant ?
Est-il joli, ma nièce ?
Assurément, 935 Ma tante, il a tout ce qu'il faut pour plaire.
Tant mieux. Et ta maîtresse à toi ?
Je l'adore ma tante, et vous donne ma foi
Qu'elle est charmante, autant qu'elle m'est chère.
Ces pauvres enfants ! Çà je veux les voir chez moi.
940 Ma tante ?
Je le veux, que rien ne vous alarme.
À vous rendre contents j'emploierai tous mes soins.
Voici mon père.
Paix, dites-lui bien au moins
Que j'ai fait un fort grand vacarme.
Scène XII
Je suis ravi que le hasard 945 Tous quatre en ce lieu nous rassemble.
Au bien de ma famille il semble
Que vous devez, ma soeur, comme moi prendre part.
Aussi fais-je, et je viens de leur laver la tête
À tous les deux de belle façon. 950 Demandez, demandez.
Pour moi, je leur apprête
Devant vous seule, et presque tête à tête,
Une plus modeste leçon.
Avec cette douce manière,
Quels chagrins nous prépare-t-on ?
955 Je vous fais, mes enfants, dans cette occasion,
Aux yeux de votre tante, avec douleur amère,
La petite confusion.
Que je sui forcé de vous faire.
Quelle confusion, mon père ?
960 Vous savez bien le fait dont il est question.
Jusqu'à présent encor votre faute est légère :
Fort à temps, Dieu merci, j'ai pour votre bonheur
Congédié le Séducteur.
Comment, un Séducteur, ma nièce ?
965 Là, là. Reprenons-les, de grâce avec douceur.
Se laisser séduire !
Hé, ma soeur ;
C'est une faute de jeunesse
Qu'elle peut réparer, et même avec honneur.
Pour fuir des passions la voix enchanteresse, 970 Il est un sûr moyen.
J'entends, mais rien ne presse.
Quand le Ciel versera ce dessein dans mon coeur,
Mon père?
Il parle avec justesse,
Et ce qu'il vous dit là se pratique souvent ;
Pour mieux faire oublier sa petite faiblesse, 975 Il n'est rien tel que le Couvent,
Il n'est rien que cela n'efface :
Allez, j'en connais un où je vous mènerai.
Je compte fort, quand je vous en prierai,
Que vous me ferez cette grâce.
980 Oui, mon enfant.
Pour vous, Monsieur mon fils,
Votre conduite en tout est très fort condamnable ;
Mes remontrances, mes avis,
Mon exemple enfin, rien ne vous rend raisonnable.
Oui, voilà ce que je lui dis ; 985 C'est un petit insupportable.
On m'a dit que vous fréquentez
Une certaine libertine.
Mon père, de grâce, arrêtez :
Votre discours m'outrage, m'assassine.
990 Ce n'est pas tout encore, et vous vous promettez
D'épouser un jour la coquine.
Ah, Monsieur, supprimez.
Oui, c'est une Héroïne.
Pour elle vous vous endettez
Chez les Marchands de tous côtés. 995 Pour soutenir son faste et sa cuisine
Votre Merlin chaque jour imagine
De ruineuses nouveautés.
L'un l'autre vous vous excitez
À faire agir machine sur machine, 1000 Vous jouez, vous vendez, vous troquez, empruntez.
Plus on vous contredit, plus votre coeur s?obstine,
Chez vous le vice prend racine :
Et satisfait d'être dupé,
Pourvu que vous trompiez un père, 1005 Ce bien que vous deviez avoir de votre mère,
Avant que d'en jouir vous l'aurez dissipé.
Vraiment vous prêchez bien, mon frère.
Avec respect, Monsieur, j'ai dû vous écouter ;
Je l'ai fait, j'ai paru peut-être me confondre : 1010 Mais si vous permettez que je puisse répondre,
Je suis prêt à le faire, et sans vous irriter.
Je n'en crois rien.
Laissez-le dire.
Voyons.
Premièrement, Monsieur, je ne désire
Rien tant que de pouvoir un jour vous imiter : 1015 J'y trouverai pour moi beaucoup à profiter ;
Et vous n'avez qu'à me prescrire
Un revenu pour subsister,
Quelque petit qu'il soit, je saurai m'y réduire.
C'est bien dit, faisons-lui quelque donation. 1020 Allons.
Pour éviter la dissipation
Que je fais, dites-vous, du bien de feue ma mère,
Donnez-nous-en la jouissance entière,
Je saurai m'en servir avec discrétion.
Oui.
Ce n'est pas cela dont il est question. 1025 Ce coquin cherche à me déplaire,
À me donner la mort au coeur.
Je ne sais qui me tient?
Hé, de grâce, mon frère.
Vous ne connaissez pas sa malice, ma soeur.
Reprenons-les avec douceur.
1030 Hé, le moyen ? Écoutez sans réplique :
Je prétends tout résolument
Qu'à m'obéir l'un et l'autre s'applique :
Songez-y sérieusement.
Je vous fais à tous deux défense très expresse, 1035 À toi, d'aller chez ta maîtresse,
À toi, de revoir ton Amant.
Chez moi, chez moi.
Plaît-il ?
J'adoucis la rudesse
Qui me paraît dans votre compliment.
Tout, je veux bien, de peur qu'il vous ennuie, 1040 Que vous voyiez parfois certaine compagnie.
Dès aujourd'hui doivent ici venir
Madame Dorothée, et Monsieur Boniface,
Vous aurez du plaisir à les entretenir.
Quels noms ?
Je vois pourquoi vous faites la grimace.
1045 Moi ?
Oui, vous. Le Monsieur vous déplaît, et je sais
À quel point vous le haïssez.
Mais quelque chagrin qu'il vous fasse,
Recevez-le de bonne grâce,
Ou? suffit, nous verrons.
Mais, Monsieur, s'il vous plaît, 1050 Ne nous direz-vous point qu'elle est
Madame Dorothée ?
Une personne aimable ;
Et c'est, puisqu'il vous faut éclaircir sur ce point,
Une personne raisonnable :
Comme vous n'en connaissez point : 1055 Vous les verrez souvent l'un et l'autre à ma table.
De vous en faire aimer faites-vous un devoir,
Chacun de vous ne peut m'être agréable,
Qu'en prenant soin de les bien recevoir.
Songez-y bien. Allons, ma soeur.
J'y vais, mon frère. 1060 Vous entendez sa résolution,
Si vous ne cherchez à lui plaire,
Je vous promets ma malédiction.
Bas.
Adieu, mes chers enfants, c'est pour lui faire accroire.
Scène XIII
Hé bien, ma soeur, quelle est cette nouvelle histoire ?
1065 Je ne sais.
Notre père a-t-il perdu l'esprit
Avec son Boniface, avec sa Dorothée ?
Monsieur Boniface est quelque vieux décrépit.
L'autre quelque vieille édentée.
Qu'il veut nous faire épouser par dépit.
1070 De leurs noms seuls mon âme est irritée,
Je frémis d'y penser.
Je vous en offre autant.
Mais, que faire ?
Il faudrait pourtant
Voir quel biais on pourrait prendre?
Votre Finette heureusement? 1075 Est d'humeur à tout entreprendre.
Sans doute.
Elle doit être ici dans un moment :
Dans votre appartement, ma soeur, allons l'attendre.
ACTE III
Scène I
Oui, Madame Brichonne, et vous pouvez jugez
Qu'outre le plaisir d'obliger 1080 De jeunes gens pleins de reconnaissance,
Et celui de faire enrager
Un vieux fou qui vient déranger
Leur amoureuse intelligence,
Ce qui m'a fait à ceci m'engager, 1085 C'est l'espoir d'une récompense,
Qu'avecque vous en conscience
Je vous jure de partager.
Hé ! Fi donc, croyez-vous que l'argent me domine ?
Mais enfin, dans le monde, on ne fait rien pour rien. 1090 Il faut que par l'objet l'âme se détermine,
Et tous mes voeux tendent au bien.
Vous aurez lieu d'être contente,
Et c'est moi qui vous le promets.
Je suis une pauvre innocente, 1095 Peu sensible à mes intérêts.
Cela se voit, la chose est claire.
Nous allons en faveur d'un fils,
Que je n'ai jamais vu, que je ne connais guère,
Faire un fort mauvais tour au père, 1100 Avec qui, grâce au Ciel, vous savez que je suis
Comme un poisson dans la rivière ;
Et chaque chose vaut son prix.
Je vous réponds de cent louis.
Cent louis ?
Et cela seulement pour vous taire : 1105 Vous n'aurez qu'à me laisser faire.
Cent louis sont bons à gagner.
Ce n'est pas avec vous que je veux barguigner : (31)
Touchez-là, charmante Finette :
Vous le voulez, suffit, c'est une affaire faite, 1110 Et pour mieux berner le vieux fou,
Je vais m'y mettre, jusqu'au cou.
Çà, voyons.
Les bonnes personnes
Que sont ces Madames Brichonnes !
Premièrement, vous devez aujourd'hui 1115 Faire venir Climène au logis.
Oui, ma fille.
Monsieur Harpin croira qu'elle y viendra pour lui.
S'il le croira !
C'est lui qui veut qu'elle s'habille,
Comme j'ai vu, très modestement.
Oui.
À déguisement elle s'est résolue 1120 Avec assez de peine, et vous êtes venue
Fort à propos : j'y perdais mon latin ;
Et cependant je l'avais vue,
En l'entretenant ce matin,
Au seul nom de Monsieur Harpin, 1125 De certaine manière émue,
Qui semblait flatter mon dessein,
Et marquer moins de retenue,
Mais je ne me serais jamais imaginé,
Qu'elle eût pour le fils le coeur passionné.
1130 Vous jugez bien que c'est ce qui l'engage
À jouer sans scrupule un pareil personnage.
C'est un hasard dont vous profiterez.
Et vous pouvez le faire à notre vieux Satyre.
Valoir tout ce que vous voudrez. 1135 Il est ici, marchez, courez
Avec empressement lui dire?
Je reviens avec vous tout exprès pour cela :
Il faut, autant qu'on peut, profiter?
Le voilà.
Dès que vous aurez fait, hâtez-vous d'aller prendre 1140 Climène, et l'amener. Moi, je vais vous attendre.
Scène II
Monsieur, voulez-vous bien ?
Attendez un moment :
Vous voulez bien vous-même ?
Ah ! Volontiers, vraiment.
Vous avez quelque chose à faire,
Demeurez.
Soit. Je vais, comme je vous ai dit, 1145 Dresser moi-même cet Écrit,
Et nous le ferons mettre au net chez le Notaire.
Oui, je m'y rends incessamment.
Adieu, mon frère.
Adieu, ma soeur, sans compliment.
Scène III
Hé bien, ma chère enfant, comment va notre affaire ?
1150 Le mieux du monde, et je me trompe fort,
Ou ce succès vous surprendra vous-même ;
Je ne comprends pas que d'abord
On puisse aimer autant que Climène vous aime.
Tout de bon ?
Tout de bon. C'est une passion 1155 Qui passe assurément l'imagination.
Elle a topé sans peine au projet du mystère ?
À ce petit déguisement ?
Belle demande ! Assurément.
Elle viendrait chez vous en masque pour vous plaire.
1160 Que je sens de ravissement.
Mais, comment diantre est-il possible
Que l'on puisse en si peu de temps
Rendre à l'amour une âme si sensible ?
La chose est incompréhensible, 1165 N'est-il pas vrai ?
Si tous nos jeunes gens
Avaient de semblables talents,
Ils en feraient je pense, un agréable usage.
Pour imposer, d'abord, il faut un certain âge.
Des airs mûrs.
Il est vrai, cinquante ou soixante ans, 1170 Ce sont des airs fort engageants.
Plus de vingt fois sous sa fenêtre,
Climène a dû me remarquer.
Voilà le fait. Pourquoi ne vous pas expliquer ?
J'aurais gagé que cela devait être.
1175 Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'elle me peut connaître.
Je lui faisais parfois un sourire flatteur.
D'agréables minauderies,
Mille petites singeries ;
Elle en riait de tout son coeur : 1180 Et dans le fonds, quelquefois j'avais peur
Qu'elle n'en fît des railleries :
Mais je vois bien que j'étais dans l'erreur.
Assurément.
Quand viendra-t-elle ?
Dans un moment, je m'en vais la chercher.
1185 Un moment ! Plus je sens mon bonheur s'approcher,
Plus ma flamme se renouvelle.
Dépêche-toi, va, cours. Pour moi je vais dresser
Certain écrit dont j'ai la tête pleine ;
Afin que lorsque je verrai Climène, 1190 Rien ne puisse m'embarrasser.
Scène IV
Que le bonhomme a l'âme émue,
Et qu'un vieillard est sot quand il est amoureux !
Celui-ci compte peu sur la mauvaise issue
Que nous préparons à ses feux. 1195 Allons.
Scène V
Comme un secret me pèse, et me fait peine !
Ah, ah !
J'en ai l'esprit tout sens dessus dessous.
Quoi ! Madame Brichonne ici ? Qui vous amène ?
Mais, vous-même, qu'y faites-vous ?
Qui, moi ! Parbleu, je suis chez nous.
1200 Chez vous ?
C'est le logis du père de mon maître.
Ne viendriez-vous pas ici nous déceler ? (32)
Les femmes d'ordinaire aiment à babiller.
Écoutez, donc, cela serait bien traître.
Quoi, le fils de Monsieur Harpin ?
1205 C'est mon maître, vous dis-je.
Adieu, Monsieur Merlin.
Scène VI
Que faisait-elle ici ? Que diantre pourrait-ce être ?
Foin. Je ne devais pas la laisser en aller, (33)
Il fallait la faire parler,
Et tâcher finement d'apprendre? 1210 Bonjour, Finette.
Scène VII
Hé bien, Merlin, notre secret ?
Je le garde. Oh ! Je suis discret.
Tu brûles de l'aller répandre.
N'en as-tu point déjà parlé ?
Non, par ma foi,
Et mon maître est encor bien plus discret que moi, 1215 Il n'a jamais voulu l'entendre.
Fort bien.
J'en ai souffert, mais pourtant sans douleur,
Une certaine pesanteur
Que je ressentais là? Ma foi, c'est un martyre ;
Et quand on aime un maître? Il ne faut point tant rire.
1220 Il est là-haut avec sa soeur,
Je te permets d'aller lui dire,
Et je t'ai réservé ce plaisir.
Grand merci.
Il est temps à présent qu'il en soit éclairci.
Scène VIII
Ah ! C'est vous, Madame Brichonne.
1225 J'ai rencontré Madame à trente pas d'ici.
Voilà ce qui s'appelle une belle personne !
Dans un si simple ajustement,
Sans les secours que la parure donne,
Briller avec tant d'agrément ! 1230 À vous aimer un coeur qui s'abandonne
Se fait par qui vous voit excuser aisément.
Je ne mérite pas un pareil compliment :
Mais, Finette est galante et bonne.
Le compliment doit vous lasser, 1235 Vous vous en ennuyez à force de l'entendre :
Mais un moment ici, vous voulez bien attendre ?
À votre vieux amant je vais vous annoncer.
Envoyez-nous d'abord le jeune.
Doucement.
Scène IX
Dans cet habit vous avez l'air charmant. 1240 Il n'est personne, assurément,
Qui soit faite comme vous l'êtes.
Vingt prudes comme vous, à Paris, seulement,
Ruineraient bien des coquettes.
Vous me faites ici jouer un personnage 1245 Qui ne me convient nullement :
Mais le plaisir de voir tranquillement,
Et sans qu'un père en ait ombrage,
Même en sa présence, un amant
Que je chéris, qui m'aime tendrement, 1250 À ce que vous voulez m'engage.
J'en sortirai pourtant, je crois, mal aisément ?
On ne fait pas bien la prude à mon âge.
Vous moquez-vous ? Nous vivons dans un temps
Où la mode en devient fréquente. 1255 Dans les saisons parmi les gens
Tout se dérègle et se transplante.
On voit des prudes de vingt ans,
Et des coquettes de soixante.
Il est vrai, j'en conviens.
Voici votre amoureux.
Scène X
1260 Madame enfin? Finette est de sa connaissance ?
Point, et c'est le hasard, selon toute apparence,
Qui les a fait rencontrer toutes deux.
Faites-moi descendre Angélique.
J'y vais, Monsieur.
Scène XI
Est-ce vous que je vois, 1265 Madame ? Quel mortel est plus heureux que moi ?
J'ai cru, Monsieur, ne pouvoir mieux me rendre
Digne de toutes vos bontés,
Qu'en venant en ces lieux moi-même les apprendre,
Comme on m'a dit que vous le souhaitez.
1270 Ce sont mes sentiments qu'on vous a fait entendre ;
Et si mes voeux sont par vous écoutés,
Je puis offrir à vos beautés,
Avec un coeur sincère et tendre,
Un hommage des mieux rentés.
1275 Un pareil compliment me rend toute interdite ;
Croyez, Monsieur, que ce n'est pas le bien
Qui rend sensible un coeur comme le mien,
Je le donne tout au mérite.
Il est à moi sur mon honneur, 1280 Et je n'ai là-dessus aucune défiance.
Je regarde votre alliance
Comme le plus parfait bonheur?
Ouf, n'en dites pas trop, mignonne,
D'un excès de plaisir vous me gonflez le coeur, 1285 Je palpite, je meurs. Ah, Madame Brichonne,
Des discours de cette friponne
Sens-tu bien toute la douceur ?
Elle me lance un regard louche.
Dame, écoutez, Monsieur, il est joli 1290 D'entendre d'une belle bouche
Un discours obligeant, poli?
Amoureux ? C'est là ce qui touche,
Ç'a de tous temps été mon faible que l'amour.
C'est un faible bien excusable.
1295 Oui, quand on aime une personne aimable,
Et qui ressent pour nous même ardeur à son tour :
J'ai là-dessus une délicatesse,
Un goût si raffiné, j'y prime, j'y suis Grec. 34
Tant mieux. Madame sent pour vous une tendresse 1300 Qu'accompagne un certain respect?
Bon, c'est le moyen de me plaire,
Et de vivre longtemps ensemble sans chagrin.
J'envisage Monsieur Harpin,
Moins comme époux que comme père.
1305 Cette distinction n'est pas fort nécessaire.
Madame m'a fait espérer
L'honneur de saluer votre charmante fille,
Je souffre à le voir différer.
Vous verrez toute la famille. 1310 On dit que Monsieur a le plus joli garçon?
Monsieur aurait un fils ?
Oui : mais c'est un fripon.
Dont je me déferai, pour peu qu'il vous chagrine.
Lui ; Monsieur ? Au contraire. Hélas ! Sans l'avoir vu,
Déjà pour lui mon coeur se détermine.
1315 Nous nous en déferons, car je l'ai résolu.
Il est heureusement depuis peu devenu
Amoureux d'une libertine.
Madame ?
Une perdue.
Ah, juste Ciel !
Tout doux.
Il en est fou.
La fureur me domine.
1320 Hé, paix.
Clitandre en aime une autre.
Hé, non, c'est vous.
C'est moi ?
Que dites-vous, Madame ?
Elle vous trouve
Bien à plaindre d'avoir un fils si libertin.
Quel désordre ?
Oh, je veux que tout le monde approuve
Ce que je vais tenter pour y mettre une fin. 1325 Je prends de si bonnes mesures?
Je tremble.
Hé, paix.
Quel père !
Encor ? Paix, vous dit-on.
Elles vont lentement : mais elles sont bien sûres.
Il perdra ce pauvre garçon.
Quel est le trouble où je vous vois paraître ?
1330 On prend part à votre souci.
Quelle bonté !
Scène XII
Non, cela ne peut être,
Merlin.
Vous en serez aisément éclairci.
Quoi, mon père?
Paix le voici.
C'est ce beau fils. Venez, l'homme à bonne fortune.
Que vois-je ? Ô Ciel !
Climène ici ?
1335 Approchez, et comptez que pour vous c'en est une
De saluer cette personne-là.
Mon père !
Qu'est-ce ? Hé bien, mon père ! Vous voilà
Une contenance agitée.
Chose étrange ! De voir contre les gens d'honneur 1340 Comme d'abord son âme est révoltée !
Allons donc, saluez Madame Dorothée.
Madame Dorothée !
Il se moque, Monsieur,
C'est Climène, vous dis-je, ou je me donne au diable.
À quel dessein?
Ce l'est.
Paix, tais-toi, misérable.
1345 Voyez comme il résiste à tout ce que je veux ;
Quel chagrin ! Quelle répugnance !
Sans savoir à qui dans ces lieux
On doit votre aimable présence,
Madame, d'en jouir on se tient fort heureux.
1350 Ah, que mal aisément son dépit se déguise !
Monsieur, je ne suis point surprise
Du trouble qui vous a si longtemps retenu,
Il n'est rien qui ne l'autorise :
Trouver dans ce logis un visage inconnu?
1355 Non, c'est un insolent, je l'avais prévenu,
Un mauvais coeur.
Monsieur peut-être a dans l'idée
Que vous pourriez quelque matin?
Oui, c'est cela.
Tais-toi.
La crainte est mal fondée,
Monsieur, ce n'est pas mon dessein 1360 De rien faire qui pût vous donner du chagrin,
De tout autre désir mon âme est possédée ;
Et dans mes voeux, si je suis secondée,
Vous pouvez être sûr du plus heureux destin.
Madame !
Entendez-vous ? Ne soyez pas si bête 1365 Que de vous mettre dans la tête
Des choses qui ne seront point.
Bas.
Elles seront bientôt, mignonne.
C'est un point
Déjà réglé : mais on m'a fait entendre
Qu'il fallait quelque temps tenir nos feux cachés.
1370 Ils seront vifs, quoiqu'ils soient sous la cendre.
Scène XIII
Voici Mademoiselle Angélique.
Approchez.
Voilà, ma soeur, Madame Dorothée,
Dont mon père tantôt nous a dit tant de bien.
Nul mérite, je crois, n'est comparable au sien, 1375 Mon père ne l'a point flattée.
Je dois un si doux compliment
À notre première entrevue :
Je crains, quand vous m'aurez connue,
Que vous ne jugiez pas si favorablement ; 1380 Et je vais m'attacher, Madame, uniquement
À mériter qu'un pareil sentiment,
Tant que je vivrai, continue.
Je suis ravi de mon côté
De tant de cordialité : 1385 Allons, mes enfants, qu'on s'embrasse,
Et qu'on s'apprête à recevoir
Avec même agrément ce Monsieur Boniface,
Qui doit aussi nous venir voir.
Lui, mon père ?
Oui.
À Angélique.
Fort bien.
À Monsieur Harpin.
Vous voyez qu'elle enrage.
1390 Nous verrons.
C'est sans doute, un joli personnage.
Qu'est-ce ?
Scène XIV
Un grand Monsieur noir qui demande à parler
À Mademoiselle Finette.
C'est notre homme.
Qu'il entre, il le faut installer.
Ah, Ciel !
Tenez, Monsieur, son petit coeur projette 1395 En secret de se rebeller.
Nous allons voir.
Au moins, suivez sans vous troubler,
La leçon que je vous ai faite.
Scène XV
À vos ordres, Monsieur, je me rends en ces lieux,
Et j'attendais avec impatience 1400 L'heureux moment d'y paraître à vos yeux.
On y souhaite aussi beaucoup votre présence.
Préparez-vous.
Comme le voilà fait !
Vous n'y songez donc pas ?
Allons, Mademoiselle,
Saluez Monsieur.
Qu'il est laid 1405 Dans cet habit, Finette !
Hé, paix.
Quoi ? Que dit-elle ?
Rien, mon père.
Hem, plaît-il ? Quels airs impertinents,
Devant moi rire au nez des gens ?
Pardon, Monsieur. Mille excuses, ma belle !
De cet accueil, Monsieur, je ne suis point surpris, 1410 Et je connais qu'en vain je m'efforce de plaire ;
Mademoiselle croit pouvoir par ses mépris
Me rebuter mieux que par sa colère :
Mais l'ardeur dont je suis épris,
N'est point une flamme vulgaire. 1415 On se lasse d'être soumis
Lorsque l'on a l'aveu d'un père,
Et vous m'avez tantôt promis
Que de mes feux j'obtiendrais le salaire.
Oui, je prétends?
Hé bien, d'un espoir décevant 1420 Puisque votre ardeur s'est flattée,
Soyez sûr que pour vous ma haine est augmentée.
Je vous méprise plus cent fois qu'auparavant :
Contre vous je suis irritée
À tel excès, que ne pouvant 1425 Suivre en tout la fureur dont je suis agitée,
Je ferai bien connaître qu'assez souvent
Une fille persécutée?
Bon, la voilà qui prend le parti du Couvent.
Hé, ma soeur ?
Laissez-moi, mon frère, 1430 Je suis dans un tel désespoir?
Hé bien, c'est ce qu'il faudra voir.
J'ai tort de m'emporter devant vous. Mais, mon père?
Scène XVI
Madame votre belle-soeur
Vous attend chez votre Notaire.
1435 J'y vais. Une pressante affaire
Me fait quitter la charmante douceur
D'être avec vous : mais, Madame, j'espère
Recouvrer bientôt ce bonheur.
Pour moi, Monsieur, j'ai le sort si contraire 1440 Que je vais?
Demeurez, Monsieur, sur mon honneur
Nous la réduirons, laissez faire.
J'aime assez ces airs de hauteur !
Que l'on songe à me satisfaire.
Il n'est rien que je ne préfère 1445 Au cruel sort?
Vous serez son époux :
Point d'autre choix, ou le Couvent, ou vous.
Adieu, mes enfants.
Le bon père !
Est-il parti ?
Scène XVII
Oui, fort heureusement.
Ma soeur, voilà l'objet charmant 1450 Qui m'inspire une ardeur si pure et si sincère.
Mon frère voilà cet Amant
Qu'on me défend de voir, Valère.
Comment donc, quel est ce mystère ?
Pourquoi ce faux emportement ?
1455 Vous saurez le noeud de l'affaire :
Mais travaillons au dénouement.
Ma chère soeur, tu n'es pas maladroite ?
Je suis les conseils de Finette.
Il faut les suivre jusqu'au bout, 1460 Et moyennant cela, je vous réponds de tout.
Approchez, Madame Brichonne.
Premièrement, Monsieur, je vous ordonne
À cette femme-là, d'assurer cent louis.
Cent louis ?
Je les ai promis. 1465 C'est par notre commune adresse
Que vous voyez ici votre Maîtresse ;
Et par nos soins réitérés
Aujourd'hui vous l'épouserez.
J'exécuterai ta promesse 1470 Avec plaisir, et je prétends?
Allons, ne perdons point de temps.
Tu peux, Finette, à ma reconnaissance
Prescrire telle récompense?
J'agis désintéressement.
1475 Madame, quel étonnement !
Quel bonheur !
Faites trêve à toutes vos surprises.
Allons ensemble au jardin faire un tour ;
Et là, vous vous direz les plus tendres sottises
Que pourra vous fournir l'amour.
ACTE IV
Scène I
1480 A-t-on rendu notre billet
À la tante chez le Notaire.
Oui, mon enfant, bientôt nous en verrons l'effet.
Mais l'a-t-on donné de manière?
Je vois le souci qui te tient ; 1485 Tranquillise-toi. Je t'assure
Qu'on ne peut deviner de quelle part il vient.
Le moyen ? Outre l'écriture
Difficile à connaître, il est sans signature.
Je suis persuadé de ta précaution : 1490 Pour ton âge déjà tu n'es pas maladroite.
Mais trouves-tu que je promette?
Oui, beaucoup de malice.
Hem !
Sans prévention.
Nos projets sont réglés. Adieu. Que chez sa tante
Ton maître avec Valère ait soin de se trouver ; 1495 Je veux qu'à leurs désirs elle-même consente,
Et qu'elle contribue à nous faire achever
Tout ce qu'en leur faveur je tente.
Ils s'y rendront. Adieu.
Scène II
Oh çà, Finette, avant
Que de témoigner à mon père 1500 Ce dessein d'aller au Couvent,
Instruis-moi bien de tout ce qu'il faut faire.
Je suis si timide à parler,
Surtout quand il faut que je mente,
Si novice à dissimuler.
1505 En peu de temps l'amour rend bien savante.
Dis-moi comment ?
C'est pour vous divertir :
Être fille amoureuse, et demander à d'autres
Des instructions pour mentir !
Hé, fi donc, j'en prendrais des vôtres.
1510 Tu crois, Finette?
Allez dans votre appartement
Un seul moment rêver à cette affaire,
Et cela vous viendra tout naturellement.
Laissez-moi, voici justement
Votre tante avec votre père.
Scène III
1515 Il n'était pas fort nécessaire
De m'accompagner jusqu'ici.
Taisez-vous, ou cessez de me parler ainsi.
Non, jour de Dieu, je ne veux pas me taire.
Bon ! Serait-ce déjà que le billet opère ?
1520 Pour vous de mon estime et de mon amitié
Je rabats plus de la moitié.
Oui, j'ai grand tort !
Cette aventure
Sur quelque autre incident déssllera mes yeux ;
Et je mettrai soin, je vous jure, 1525 À vous connaître encore dans la suite un peu mieux.
Pour cela quels soins faut-il prendre ?
Je suis uniquement sensible à l'intérêt,
Un chicaneur qui voulait vous surprendre,
Un fourbe, un scélérat.
C'est ce qui me paraît.
1530 Ce début n'est pas mal. Bon. Qu'avez-vous, Madame ?
Il paraît entre vous quelque altercation,
Qui de tous deux agite l'âme.
Oui, d'accord, je ressens un peu d'émotion.
Que serait-ce, Monsieur ?
Rien. C'est Madame Argante 1535 Qui me dit poliment que je suis un fripon.
Un fripon ! Madame est assez pénétrante
Pour? Je vous demande pardon,
Se pourrait-il, Madame?
Je n'ai garde
De me servir ainsi de termes offensants.
1540 Vous auriez tort.
Mais, si je me hasarde
À signer jamais rien avec certaines gens.
Comment ?
Monsieur me voulait faire,
Et tout cela, dit-il, à bonne intention,
Aveuglément signer chez son Notaire, 1545 Au lieu d'un testament, une donation.
Ah, Monsieur !
La chose est cruelle,
Ma belle-soeur, en vérité,
En me cherchant ainsi querelle,
Vous me réduisez à la nécessité 1550 De défendre l'intégrité
D'une conduite en tout tout à fait naturelle,
Que le seul changement de votre volonté
Vous fait paraître criminelle.
S'il est ainsi vous avez tort ; 1555 Pourquoi ne vouloir pas toujours la même chose ?
Je ne veux point donner mon bien avant ma mort,
Monsieur avait dans l'acte inséré cette clause.
C'est un vice de Clerc dont je ne suis pas cause,
Et ce n'est pas de quoi vous gendarmer si fort.
1560 S'emparer de mon bien ! Vraiment je vous admire.
Vous en ai-je jamais parlé ?
Vous le faisiez sans m'en rien dire.
De mon vivant c'était un fait réglé.
La bonté de Monsieur ne vous est pas connue, 1565 Toues les fois qu'il m'a de vous entretenue,
Il n'a jamais parlé que de succession ;
En conscience, il n'a point d'autre vue.
C'est son unique passion.
Il n'en jouira pas encor sitôt, je pense.
1570 Je fais des voeux, ma soeur, pour n'en jouir jamais.
Ces voeux-là seront satisfaits.
Nous vous en donnerons fort volontiers quittance.
Monsieur a-t-il besoin de tant de bien ? Voilà
Mademoiselle Angélique déjà 1575 Qui prétend renoncer au monde.
Ma nièce ! Que nous dis-tu là ?
Je vous dis le dessein qu'elle a,
Sur l'espoir du Couvent tout son bonheur se fonde.
Est-elle bien, dis-moi, résolue à cela ?
1580 À ses projets pour peu que la suite réponde,
Nous ne la verrons plus désormais qu'au Parloir.
Ma pauvre nièce ! Oh bien moi de tout mon pouvoir,
À ce dessein-là je m'oppose.
Ah, ma soeur, selon son vouloir, 1585 Souffrons que le Ciel en dispose,
N'y mettez point d'obstacle.
Il faudra voir.
Quand je devrais en être au désespoir.
C'est moi, Monsieur, qui vais être la cause
Des déplaisirs que vous allez avoir, 1590 J'en ai l'âme si tourmentée?
Est-elle encore avec Madame Dorothée ?
Non pas, Monsieur, tout le monde est sorti :
Et contre ce Monsieur Boniface animée,
Du Couvent tout d'abord elle a pris le parti, 1595 Puis seule dans sa chambre elle s'est enfermée.
Allez la voir, ma soeur.
Non, Monsieur, allez-y,
Je saurai de ma part fort bien lui faire entendre?
Chut.
Laissez-là, je vais par mes raisons
Diminuer les faux soupçons, 1600 Qui contre vous elle a pu prendre.
Oui, c'est bien dit, prend soin d'adoucir son chagrin,
Elle n'est pas difficile à se rendre.
Adieu, ma soeur.
Adieu, Monsieur Harpin.
Scène IV
Mais sérieusement, vous me semblez fâchée.
1605 Qui ne le serait pas ? On ne peut concevoir
À quel excès je suis touchée.
Quoi donc, Madame ?
Il faut savoir.
Soupçonnez-vous quelque autre chose encore ?
Je veux tout éclaircir avant que d'en parler : 1610 Mais pour toi je ne puis te rien dissimuler,
Cet homme-là nous déshonore.
Lui, Madame ?
Oui, lui.
Vous me faites trembler,
Et comment donc ?
Tiens, lis, voilà, ma fille,
Un billet qu'on me vient de rendre en ce moment.
1615 Un billet ?
Lis, te dis-je. Il vient apparemment
De quelque ami de la famille.
Avec Monsieur votre beau-frère,
Madame, gardez-vous de vous trop engager,
Vous le devez envisager 1620 Comme un ennemi de la famille entière.
Son but est d'enfermer son fils,
De mettre incessamment sa fille dans un Cloître,
De s'emparer, à quelque prix
Qu'il en coûte, du bien qu'il pourra vous connaître. 1625 Je ne sais point s'il n'a pas épousé
Une fort aimable personne,
Qui va chez lui sous un nom supposé.
Profitez des avis que mon zèle vous donne.
Vous saurez qui je suis, Madame, en temps et lieu. 1630 Je vous baise les mains de tout mon coeur. Adieu
Que dis-tu de cela, Finette ?
Dans le monde
Il est ma foi de bien méchantes gens.
Au contraire, vraiment.
Que la malice abonde,
Et que je trouve moi, de noirceur là-dedans !
1635 J'y vois beaucoup de vraisemblance,
Il ne m'a jamais bien parlé de ses enfants.
Pour la donation je manquerais de sens,
Si je n'en sentais pas toute la conséquence.
Avec cela pourtant j'étais sans défiance, 1640 Et ce billet, Finette, est venu fort à temps.
Quel bonheur !
Bouche close, au moins.
Je me sais taire.
Cet avis-là me vient de gens de probité.
Oui, dans le fond c'est un bon caractère :
Mais avant tout cela j'ai bien meilleur esprit, 1645 En cent ans moi, je n'en aurais rien dit.
Tu sais bien la chose, Finette.
Oui. Ce billet contient un fidèle récit,
Tout est fort vrai : mais je regrette
Que l'on vous l'ait imprudemment écrit.
1650 Imprudemment ? Ce billet est fort sage.
D'accord : mais mettre ainsi de la division ?
Voilà dans votre esprit, je gage,
Monsieur Harpin perdu de réputation.
Assurément.
Pauvre homme ! 1655 Il le mérite bien. À compter d'aujourd'hui,
Vous ne prendrez jamais de confiance en lui ?
Non, jamais.
Vous avez raison, et voilà comme
Si j'étais vous j'en userais,
Mais avec cela je voudrais 1660 Approfondir encor l'affaire davantage :
Par exemple, voilà votre nièce ; elle enrage,
Entre nous, d'aller au Couvent.
C'est un petit esprit qui tourne au moindre vent,
Et je n'irais pas moi, si j'étais à sa place.
1665 Voulez-vous qu'elle épouse un Monsieur Boniface ?
J'en ai ouï parler.
Un vilain,
Dont le mauvais Monsieur Harpin,
À chaque moment la menace ?
Fort bien, j'entends. De son dessein 1670 La crainte d'épouser ce Boniface est cause.
Voilà le fait.
Oh bien, je suis ferme en ce point,
Dans le Couvent ma nièce n'ira point.
Si vous vouliez nous ferions une chose ;
Elle feindrait toujours qu'elle y voudrait aller, 1675 Vous, vous vous chargeriez du soin de la conduire ;
Monsieur Harpin, sans reculer
Ne manquera pas de souscrire,
Et vous la conduirez chez vous dans ce moment,
Où pendant quelques jours?
Très volontiers, vraiment, 1680 Ce projet est fort bon, c'est le Ciel qui t'inspire.
Je ne perds pas le jugement.
Et par même moyen, Finette, on pourrait faire
Venir aussi chez moi cet autre Amant.
Qui ?
Certain grand garçon qu'elle appelle Valère.
1685 Vous le savez ?
Un peu.
Hé bien, oui, justement.
Je veux en tout faire enrager mon frère.
Il verra?
Paix, le voici, taisons-nous.
Scène V
Mais es-tu bien déterminée,
Ma fille ? N'est-ce point un transport de courroux, 1690 Un désespoir, un mouvement jaloux ?
Pour le Couvent sens-tu que tu sois née ?
Oui, mon père.
Quoi, c'est un ferme sentiment ?
À me quitter tu n'auras point de peine ?
Elle a pris tout le monde en haine.
1695 Et sans retour, sans nul espoir de changement ?
Allez, vous faites bien ma nièce.
Ma chère soeur que je suis malheureux !
Mes enfants n'ont pour moi pas la moindre tendresse.
Ils ont tort ; car au fond vous en avez pour eux.
1700 Ah, si j'en ai ! Je les adore.
Quel désespoir quand il faudra
Nous séparer !
Il en mourra.
Ah ! Madame, Monsieur ne sent pas bien encore
Tous les chagrins que cela lui fera. 1705 Vous verrez.
Vous m'avez fait espérer, ma tante?
J'ai proposé la chose, et vous serez contente.
Oui, j'ai pour vous, ma nièce, un Couvent tout trouvé,
Dont la directrice est d'un mérite éprouvé ?
Je vous y mènerai moi-même.
1710 Dès aujourd'hui, ma soeur, elle y prétend aller.
Hé bien, dès aujourd'hui ; vous n'avez qu'à parler.
Cela me fait une douleur extrême.
On tâchera de vous en consoler.
C'est une bonne enfant que j'aime, 1715 Et quand je sens, ma soeur, approcher le moment?
Le bon naturel !
Oui, vraiment.
Vous ne l'auriez pas cru, Madame ?
Je sens par tout le corps certain frissonnement,
Je n'en puis plus.
Ni moi, cela me perce l'âme.
1720 Ma chère fille !
Scène VI
Ah, ah ! Qu'est-ce que tout ceci ?
Voilà Monsieur Harpin bien affligé, Finette !
Ah, mon pauvre garçon ! L'amour de la retraite
Va causer bien du trouble ici.
Ouais !
Courage, Monsieur, que le coeur se débonde.
1725 Que je sache donc ce que c'est.
Ne le vois-tu pas ? Dans le monde
Mademoiselle se déplaît,
Au Couvent pour toujours elle veut s'aller mettre.
Tout de bon !
Oui, tout de bon.
Diablezot, (35) 1730 Je n'en crois rien, je ne suis pas si sot.
Quoi ! Monsieur pourrait le permettre ?
Ne me fais point penser à tout cela, Merlin.
Et vous pourriez, Mademoiselle,
À votre père ainsi mettre la mort au sein ?
1735 La réflexion est fort belle.
Allons, suspendez-en tout au moins le dessein.
À la dissuader nous travaillons en vain,
Et mon trouble se renouvelle.
Ne faites donc pas voir, Monsieur, tant de chagrin.
1740 À vos douleurs, mon père, imposez le silence,
Elles ébranlent ma constance.
Ne t'en étonne point, crois-moi, ma chère enfant.
Mon coeur avec regret contre elles se défend.
Ah ! Ne te démens point, je succombe. Hé, de grâce ! 1745 Je ne puis plus longtemps soutenir tout cela.
Ma chère soeur, emmenez-la ;
Et pour m'aider à porter ma disgrâce
Venez me dire?
Oui, je ne tarderai pas,
Et je reviendrai sur mes pas 1750 Tout aussitôt que je l'aurai conduite.
Çà, ma nièce, embrassez votre père au plus vite.
Cruel moment ! Quoi ! Faut-il la quitter ?
Je pleure, au moins.
Leur constance m'étonne.
Ce qui pour toi me reste à souhaiter, 1755 Mon enfant, que le Ciel te donne
Le courage de persister.
Scène VII
Je ne sais comme il faut l'entendre :
Mais enfin je vous jure moi,
Que je pleure de bonne foi.
1760 Ce garçon-là, Monsieur, a le coeur tendre.
La laisser partir sans?
Oh, Monsieur est trop bon.
Ses enfants font toujours ce qu'ils veulent faire.
Oui, je ne les contrains en rien.
Pour cela, non
Vous êtes bien le meilleur père?
1765 Moi-même, je ne puis m'en taire,
Et mon maître ?
C'est un fripon.
Il est vrai, vous avez raison.
J'avais tantôt peine à vous croire,
Je prenais son parti : mais il m'a fait faux bond.
1770 À toi, Merlin ?
À moi : fi, c'est un vagabond,
Un débauché, l'on doit m'apprendre son histoire.
Son histoire ?
Oui, Monsieur.
Comment ce n'est pas toi
Qui conduis avec lui cette intrigue ?
Qui ? Moi ?
Oh, non, Monsieur en conscience.
1775 Vous n'êtes pas tous deux d'intelligence.
Vous me faites tort, par ma foi.
À de pareilles entreprises
Je n'ai jamais donné mes soins, ni mon aveu,
Et s'il me consultait un peu, 1780 Il ferait bien moins de sottises.
Pour m'en persuader il faut que tu me dises?
Laissez-moi faire, allez, nous allons voir beau jeu.
Premièrement?
Hé bien ?
Avec cette coquette
Votre fils va se marier.
1785 Se marier avec elle, Finette ?
On ne peut trop se récrier.
En es-tu sûr ?
L'affaire est presque faite.
Se marier sans mon consentement ?
Et sans le mien, Monsieur ; c'est un dérèglement, 1790 Une perversité qui comble la mesure.
Menace, remontrance, avis,
Rien ne peut réformer sa perverse nature ;
C'est un garçon perdu.
Çà, dis-moi le logis,
Le nom de cette créature.
1795 Ce que j'en sais encor n'est que par conjecture.
Non !
Mais heureusement à leurs trousses j'ai mis
Trois ou quatre de mes amis
Dont ils ne prendront point d'ombrage.
C'est par ces Messieurs-là que j'ai su le projet 1800 De ce bizarre mariage.
Ils nous avertiront sitôt qu'il sera fait.
Je ne prétends point qu'il se fasse.
Oh, vous prétendez mal, Monsieur, il se fera.
Je sais bien qui l'empêchera.
1805 Qui ? Vous ?
Moi-même.
Non, il faut que cela passe.
C'est pour votre intérêt, une nécessité.
Pour mon intérêt ?
Oui, ne voulez-vous pas mettre
La raison de votre côté ?
Sans doute.
Pour cela, pouvez-vous vous promettre 1810 Rien de mieux qu'un hymen en secret contracté ?
Il est vrai, c'est bien dit.
Monsieur, sans vanité,
Je suis un garçon qui peut-être
Ai le plus de sincérité.
Elle se fait assez paraître, 1815 Et je crois, moi, qu'on peut en toute sûreté
Confier cette affaire à sa fidélité.
Je m'instruirai du jour et du lieu de la noce,
Et sans qu'on nous ait priés
Nous irons ensemble en carrosse 1820 Complimenter les nouveaux mariés.
Le compliment sera bizarre.
Où les mèneront-nous d'abord ?
À Saint-Lazare. (36)
Oui, mon maître ? Que j'en rirai !
Il faut en avertir ma belle-soeur, Finette.
1825 Oui, Monsieur, je l'avertirai
Que bientôt, Dieu merci, nous ferons maison nette.
Je vais de mon côté suivre aussi d'un peu loin,
Sans affectation, le courant de l'affaire ;
Et je prendrai pour guide et pour témoin, 1830 Mon gros cousin le Commissaire,
Que je ferai tenir prêt, en cas de besoin.
Scène VIII
Par cette fausse confidence
Que prétends-tu ?
Je te le dirai. Viens.
Ne va pas nous jeter dans quelque impertinence.
1835 Non, tu rendras bientôt justice à ma prudence,
Et mon projet n'est qu'un moyen
Pour hâter le succès du tien.
ACTE V
Scène I
Vous êtes, grâce à votre heureux destin,
Un fort honnête Commissaire, 1840 Le parrain de ma fille, et partant mon compère, (37)
Et par-dessus tout cela mon cousin :
Aussi, mon cher Monsieur Vilain,
Je ne crois pas me tromper quand j'espère
Que vous seconderez comme il faut mon dessein.
1845 Vous faites en très brave père,
De ranger un fils libertin ;
De ses vie et moeurs il faut faire,
D'abord quelque information,
Et c'est une précaution, 1850 Qu'en pareil cas nous prenons d'ordinaire ;
Pourrions-nous là-dessus avoir quelque lumière?
J'en attends : mais en attendant
Vous pouvez informer toujours à la rencontre,
Imaginer quelque incident.
1855 Comment, je n'entends pas?
Quoi ? Faut-il qu'on vous montre
À votre âge, ancien de quartier,
Les dépendances du métier ?
D'un nouveau débarqué vous avez l'innocence.
N'attendez rien de moi contre ma conscience.
1860 Mais recevez toujours ma plainte à cela près.
Pour rendre de mon fils la conduite bien noire,
Par-ci, par-là de quelques traits
Il faut assaisonner l'histoire,
Embarrasser d'un long grimoire 1865 Ses nobles gestes, ses beaux faits :
Quoi que vous écriviez, j'ai des gens qu'on peut croire,
Qui les certifieront très vrais.
Ce n'est pas tout, il faut les prouver dans la suite.
Prenez bien garde.
Oui, nous verrons 1870 Selon l'occasion quel tour nous donnerons
À notre affaire, et je médite?
Scène II
Monsieur, je viens vous rendre une triste visite :
Mais je croirais faire un faux pas
Si je vous taisais?
Parle bas, 1875 Serais-je mal dans l'esprit de Climène ?
Non. Là-dessus ne soyez pas en peine :
Elle vous aime, allez? Bonjour, Monsieur Vilain.
Bonjour, Madame.
Ah ! Ah ! Tu connais mon cousin ?
N'avons-nous pas toujours affaire 1880 De quelque honnête Commissaire ?
Nous payons ces Messieurs fort grassement aussi.
Je voudrais bien, Monsieur, qu'il ne fût point ici.
Vous avez quelque affaire, adieu, je me retire.
Non, mon cousin ; dans mon grand cabinet 1885 Vous pouvez aisément écrire :
Il est ouvert, allez-y dresser un projet
De notre affaire, en guise de prélude?
Je serai là-haut en effet
Aussi bien que dans mon Étude. 1890 Soit, sans adieu.
Scène III
Je suis fort inquiet
De ce que tu me viens si tristement apprendre.
Et moi, Monsieur, je viens vous le dire à regret :
Mais je vous aime trop pour pouvoir m'en défendre.
Monsieur votre fils est dans un fort mauvais train.
1895 Bon. En rendras-tu témoignage ?
De ton zèle pour moi je veux avoir ce gage.
Vous devez en être certain :
Mais, Monsieur?
Je le veux, te dis-je.
Ce langage
M'apprend que contre lui vous avez du chagrin.
1900 J'en crève.
Il ne faut pas l'augmenter davantage.
Il est dans un excès qui ne peut s'augmenter.
Oh, pour cela, Monsieur, vous êtes bien à plaindre ?
Oui, je n'y puis plus résister :
Mais, dis vite.
Je vais encor vous irriter.
1905 Non, cela ne se peut, et tu n'as rien à craindre.
Qu'a-t-il fait ? Parle.
Enfin, vous le voulez?
On parle de bijoux volés.
Comment volés ? Le misérable !
Deux ou trois jeunes gens là-dedans sont mêlés, 1910 On le nomme, et je crois qu'il est très peu capable,
Comme il est votre fils, de faire un mauvais coup.
Très peu capable ? Il l'est beaucoup.
Je suis si mécontent de toute ma famille.
Déjà le Couvent par bonheur 1915 M'a débarrassé d'une fille ;
Et je mettrai le fils, sur mon honneur,
En lieu plus déplaisant et plus sûr qu'une grille.
Si vous saviez tous les mauvais discours
Qu'il a tenus tantôt en votre absence.
1920 À Climène ?
À qui donc ?
Mais voyez l'insolence !
Il la raillait sur vos amours.
En soupçonne-t-il quelque chose ?
Non. Mais un jeune fou, qui cause
Sans savoir ce qu'il dit, parle à tort, à travers. 1925 Il en faisait aussi l'amoureux.
Le pervers !
Malgré qu'elle en ait eu, chez elle il l'a conduite/
Mais moi je suis toujours demeurée avec eux.
Bon, fort bien.
Il a fait une longue visite.
Le sot !
Il a tenu des propos ennuyeux. 1930 Enfin, il est sorti, je suis aussi sortie,
Et j'ai rencontré par hasard
Deux messieurs qui m'ont avertie
Du bruit de ces bijoux, dont je vous ai fait part.
Songez-y bien, Monsieur, l'affaire est d'importance.
1935 Oui, va.
Moi, je retourne avecque diligence
Chez Climène.
Tu peux lui dire que ce soir
Je risquerai d'aller chez elle pour la voir.
Oui, Monsieur.
Scène IV
Adieu. Tout conspire
À justifier mon dessein ; 1940 Et pour me mettre en droit d'enfermer le coquin,
L'article seul des bijoux peut suffire.
Qu'est-ce ?
Scène V
Merlin, Monsieur, vient de m'envoyer dire
Qu'il savait à peu près l'endroit
Où cette galante personne, 1945 Qu'aime Monsieur votre fils, demeurait.
Fort bien. J'irai tantôt relancer la friponne.
Il m'a fait avertir de vous instruire aussi
Qu'elle-même aujourd'hui viendrait peut-être ici.
Chez moi ?
Pour vous sauver la peine 1950 D'aller chez elle, elle voudrait,
Et sous tel nom qu'il vous plairait,
Venir chez vous comme Climène.
Quoi ?
C'est votre maîtresse, à ce que chacun croit ;
Et Monsieur votre fils prétend qu'il est en droit 1955 De faire à la maison venir aussi la sienne.
Hé bien, nous verrons ; qu'elle y vienne,
On la recevra comme on doit.
S'il faut prendre parti, Monsieur, je suis du vôtre ;
Et lorsque je m'en veux mêler, 1960 Sans trop de vanité, je vaux autant qu'un autre,
Comptez sur moi, vous n'avez qu'à parler.
Je te suis obligé, Finette.
Scène VI
Enfin voilà l'affaire faite,
Je viens d'exécuter votre commission. 1965 Que cette pauvre fille a de vocation !
Qu'elle se plaît dans la retraite !
Ah ! Ma soeur, nulle joie ici-bas n'est parfaite ;
Et quand j'ai d'un côté la consolation
De voir ma fille au Couvent satisfaite, 1970 La conduite d'un fils me jette
Dans une grande affliction.
Scène VII
Tenez, voyons, Monsieur Harpin, de grâce,
Si ce projet vous conviendra.
Qu'est-ce, mon frère ?
On vous en instruira.
1975 C'est tout ce que l'honneur peut souffrir que je fasse.
Fort bien. Vous avez mis?
Que c'est un ébauché.
À la tendresse paternelle
Un esprit tout à fait rebelle,
Que d'amitié cent fois vous avez recherché : 1980 Un insulteur du guet, un coureur de tavernes,
Toujours à quelque gueuse en secret attaché, (38)
Batteur de Fiacre, et briseur de lanternes. (39)
Pas mal.
Ce sont les faits desquels vous vous plaignez ?
C'est mon neveu qu'ainsi vous désignez ?
1985 Oui, ma soeur.
À présent je vois ce que vous faites,
Et je l'ai reconnu d'abord aux épithètes ;
Ce sera fort bien fait de le morigéner.
Dans le dérèglement puisqu'on voit qu'il persiste,
Qu'à mes conseils, aux vôtres il résiste, 1990 A la vertu par force il faut le ramener.
C'est un dessein qu'on ne peut condamner.
Vous ne croiriez jamais ce que je viens d'apprendre.
Quoi ?
Qu'ailleurs qu'entre nous, il n'en soit point parlé.
Non, non.
L'on est à demi consolé 1995 Lorsque entre amis le coeur peut se répandre.
Oui, c'est bien dit.
Le fait va vous surprendre :
Dans un vol de bijoux on dit qu'il est mêlé.
Lui, mon frère ?
Oui, lui-même, on me l'a fait entendre.
Avecque des voleurs mon neveu faufilé ! 2000 Ceux qui l'ont dit sont gens à pendre,
Et pour les croire il faut avoir l'esprit troublé.
Scène VIII
Voici Merlin qu'en hâte ici je vous amène
Pour vous dire, Monsieur?
Qu'il vienne,
Peut-être saura-t-il le fait dont il s'agit ; 2005 Nous allons voir.
Scène IX
J'accours, comme je vous ai dit,
Et sans m'être en chemin permis la moindre pause,
Vous avertir?
Fort bien. Mais avant toute chose,
N'as-tu point ouï parler de certains diamants ?
Fi donc, Monsieur.
Non, parle.
Bouche close. 2010 Il faut avoir certains ménagements?
C'est un vilain endroit, souffrez que je le cache.
Vous voyez bien? mais, dis, je veux qu'on sache
De mon fripon de fils tous les égarements.
À vous les déguiser vous savez si je tâche : 2015 Mais je crains que ceci vous fâche.
Il sait la chose.
Oui, je la sais très fort.
Est-ce vol, dis ?
Un vol ? On le dirait à tort,
Et très mal à propos vous seriez alarmée :
Mais comme enfin le feu ne va point sans fumée?
2020 Au fait, au fait.
J'y vais. Mais sur ces diamants
J'obéis à regret à vos commandements.
De son Usurier ordinaire
Mon maître les a pris pour six fois mille écus,
Et le bourreau ne les a revendus 2025 Que deux mille à Monsieur son père.
À vous, mon frère ?
À moi ?
Nous le nierions en vain,
Vous en avez la preuve en main.
Je ne sais.
Vous avez la mémoire trop bonne,
Et tantôt Madame Brichonne?
2030 Je suis trahi.
Monsieur Harpin !
Ciel !
Écrivez, monsieur Vilain.
Vous faites-là, Monsieur, un fort joli négoce.
Si vous voulez, Monsieur, nous irons à la noce.
Tout se dispose pour cela, 2035 Et mon maître s'apprête incessamment?
Scène X
Voilà
Avec Monsieur votre fils, une Dame.
Qu'on les fasse entrer.
Le fripon !
Au bout du compte, il a quelque raison.
Avant la noce, au moins, vous devez voir sa femme.
Scène XI
2040 Je vais la recevoir d'une belle façon.
Comment, pendard, dans ma maison
Oses-tu bien venir avec cette effrontée
Étaler à mes yeux tes indignes amours ?
Tu reconnais par tes beaux tours 2045 L'amitié que je t'ai portée !
De vos bontés pour moi je connais la portée,
Et je m'en souviendrai toujours,
Modérez les transports de votre âme irritée.
Vous changerez, Monsieur, d'idée et de discours, 2050 Quand vous verrez Madame Dorothée
Elle-même à vos yeux me prêter son secours,
Pour vous faire souscrire au bonheur de mes jours.
De cet espoir mon ardeur s'est flattée.
Et de cet espoir, moi, je vais rompre le cours.
2055 Non, Monsieur, je m'en suis trop hautement vantée,
Et je n'y ferai pas un inutile effort.
Que vois-je ? Ah ! Tout le monde est contre moi.
D'accord.
J'adore Madame, elle m'aime.
Pour notre hymen donnez-nous votre voix, 2060 Vous ne pouvez pour moi désapprouver un choix
Que vous aviez fait pour vous-même.
Ah, ah ! Mon frère.
Mon cousin ?
Ouf.
Écrivez, Monsieur Vilain.
Dans les derniers excès on pousse ma colère : 2065 Mais vous n'aurez jamais un seul sou de mon bien.
Le grand mal ! Ils auront le mien.
Rendez-nous seulement celui de feue leur mère,
Et nous ne vous demandons rien.
Vous êtes de concert avec eux.
Oui, mon frère.
2070 Nous allons voir comment tout ceci tournera.
Je vais de ce pas à la grille
Malgré vous en tirer ma fille,
Lui donner un époux tout comme elle voudra,
Et me faire une autre famille.
2075 Vous n'irez pas bien loin, Monsieur, car la voilà.
Scène XII
Comment donc ? Qu'est-ce encor ? Que veut dire cela ?
Mon retour ne doit point vous causer de surprises,
Vous revoyez une fille soumise
À suivre aveuglément vos lois. 2080 Entre Monsieur et le Couvent, mon père,
Vous m'avez commandé tantôt de faire un choix,
Et c'est Monsieur que je préfère.
De sa haine, Monsieur, enfin, j'ai triomphé.
Le Monsieur Boniface est un fourbe fieffé.
2085 Non, Monsieur, mais je suis Valère.
Je suis trompé partout, et tout me désespère,
Contre tous tant qu'ils sont mon courroux va s'armer.
Monsieur Harpin, c'est vous qu'il faut faire enfermer.
À Dieu.
Scène XIII
Jusqu'au revoir, mon frère. 2090 Grâces au Ciel, mes enfants, l'injuste traitement
Qu'il avait dessein de vous faire
Tombe sur lui très justement.
De cet exemple-ci faites un bon usage,
Profitez de sa honte, et de son châtiment. 2095 Quiconque veut prêcher aux autres d'être sage,
Doit commencer par vivre sagement.
Notes
1. Muid : Ancienne mesure de capacité, qui variait suivant les provinces. [L]
2. Denier : Intérêt d'une somme, d'un capital. Le denier cinq, dix, vingt, l'intérêt valant le cinquième, le dixième, le vingtième du capital, c'est-à-dire 20, 10, 5 pour cent. [L]
3. Ecu : 1 écu = 3 francs. 1 écu = 3 livres tournois. 1 livre tournois = 20 sols. 1 sol (sou)= 4 liards ou 12 deniers. 1 liard = 3 deniers. 1 pistole = 10 francs ou 10 livres tournois. 1 blanc = 5 deniers. 1 petit sesterce romain = 18 deniers tournois. 1 grand sesterce romain = 1.000 petis sesterces, (25 écus environ). 1 louis d'or = 11 livres.
4. Nouveaux frais : En considérant tout ce qu'on avait fait comme nul, de nouveau, derechef. [L]
5. Petite-maître : Fig. et familièrement. Petit-maître, jeune homme qui a de la recherche dans sa parure, et un ton avantageux avec les femmes.
6. Marguiller : Celui qui a l'administration des affaires temporelles d'une église, d'une parroisse, qui a soin de la fabrique de l'oeuvre. [F]
7. Échevin : Anciennement, magistrat municipal. Homme de loi nommé par le seigneur pour rendre la justice aux vassaux.Dans certaines provinces, nom des marguilliers. [L]
8. Conseiller : Titre qu'on donne à presque tous les Officiers du Royaume. Il n'y a pas jusqu'aux Notaires qui prennent maintenant la qualité de Conseillers Notaires et Gardenotes du Roy. [F]
9. Apprentif : Celui qui est novice dans les arts et les sciences. [F]
10. Mort de ma vie : Serment qui sert à affirmer avec une sorte d'impatience. [L]
11. Après-dinée : Temps depuis le dîner jusqu'au soir. [L]
12. Lansquenet : Sorte de jeu de hasard qu'on joue avec des cartes. Lieu où l'on jouait le lansquenet. [L]
13. Cela vaut fait : Tenir lieu de, avoir la signification de. Cela vaut fait, assurez-vous que cela ne manquera pas de se faire. [L]
14. Sourdine : se dit de toutes choses qui se font en cachette, et sans bruit. [F]
15. Barbon : vieillard qui est revenu de tous les plaisirs de la jeunesse, qui les condamne et qui les empêche autant qu'il peut. [F]
16. Narré : Discours par lequel on narre quelque chose. [L]
17. Maroufle : Terme injurieux qu'on donne aux gens gros de corps, et grossiers d'esprit. [F]
18. Fieffé : Fig. et familièrement. Il se joint à une appellation injurieuse qu'il renforce, comme si cette appellation était un fief dont on décore la personne. [F]
19. Né coiffé : Né coiffé, né avec la coiffe sur la tête, circonstance fortuite à laquelle la superstition attribua de singulières vertus. Fig. Être très heureux. [L]
20. Pendard : Par exagération, celui, celle qui est digne de pendaison, qui ne vaut rien du tout. [F]
21. Rosser : Terme populaire. Bâtonnerrudement quelqu'un, le traiter en rosse [méchant cheval] et se dit par extension de toutes sortes de mauvais triatements. [F]
22. Fi : Particule qui sert à faire une exclamation pour témoigner le mépris, la haine, l'aversion qu'on a pour quelque personne ou quelque chose. [F]
23. Retirer : en termes de Palais, signifie, Retraire, rentrer dans la propriété et possession d'un héritage, d'un bien aliéné, en rendant à l'acheteur le prix qu'il en avait donné. [Ac. 1762]
24. Défaite : On dit d'une belle fille, qu'elle est de bonne défaite, qu'on lui trouvera bientôt un bon parti. Il est bas et burlesque au figuré. [F]
25. Planète : sens figuré. Probablement, pour "elle tourne autour".
26. Tirer : Terme familier. Aller, s'acheminer. Tirer au large, s'enfuir. [L]
27. Avoir du bruit : Avoir un démélé, querelle. [FC]
28. Faquin : se dit aussi en quelque sorte figuré, pour un homme sans mérite, sans honneur, sans coeur, digne de toute sorte de mépris. [F]
29. Étrivière : courroie à laquelle est suspendu l'étrier. Coup d'étrivière, coup donné avec l'étrivière. [L]
30. Godelureau : Jeune fanfaron, glorieux, pimpant et coquet qui se pique de galanterie, de bonne fortune auprés des femmes, qui est toujours bien propre et bien mis sans avoir d'autres perfections. Les vieux maris ont sujet d'être jaloux de ces godelureaux qui viennent cajoler leurs femmes. [F]
31. Barguigner : se dit figurément en choses spirituelles des irrésolutions d'esprit, quand un homme a du mal à se résoudre, à donner quelque parole, à conclure une affaire, à se défaire de quelque engagement. [F]
32. Déceler : Découvrir ce qui est caché. Il se dit des choses et des personnes. [Ac. 1762]
33. Foin : Interjection, qui marque le dépit, ou le mépris. [FC]
34. Grec : Fig. être grec en quelque chose, y être habile, trop habile. [FC]
35. Diablezot : sorte d'exclamation du langage familier, signifiant vous ne m'y prendrez pas, je ne suis pas assez sot pour cela. [L]
36. Saint-Lazare : ou Lazaret. C'est un bâtiment public fait en forme d'hôpital, pour recevoir les pauvres, le pestiférés. [F] Quartier de Paris, hors les murs au XVIIème siècle.
37. Compère : se dit en discours ordinaire, de ceux qui sont bons amis et famliers ensemble. La plupart des bourgeois se nomment compères et rien n'est plus ordinaire entre eux que ces termes d'alliance. [F]
38. Gueuse : Celle qui est pauvre, qui est dans la nécessité.
39. Fiacre : C'est un nom qu'on a donné depuis peu [fin XVIIème] aux carrosses de louage, du nom d'un fameux loueur de carrosses qui s'appelait ainsi, ou plutôt comme l'atteste Mr. Ménage du nom de l'image de Saint Fiacre qui servait de d'enseigne à un certain logis de la rue Saint Antoine de Paris. Quoiqu'il en soit, quand on parle d'un carrosse malpropre, ou mal attelé, on l'appelle par mépris un fiacre. [F]