Les enfants faibles d’esprit en Allemagne

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Les enfants faibles d’esprit en Allemagne
Revue pédagogique, second semestre 18869 (n. s.) (p. 466-468).

Les enfants faibles d’esprit. — Il y a bien des degrés dans l’intelligence des enfants ; à côté de la grande masse de ceux dont l’intelligence est ordinaire, il s’en trouve quelques-uns qui sont doués exceptionnellement, ceux-là ont aujourd’hui mille moyens de se tirer d’affaire ; ils ne risquent plus d’être condamnés à l’ignorance et à l’impuissance ; les ressources de toute nature pour leur instruction et leur développement vont pour ainsi dire au devant d’eux. Mais il en est aussi dont les facultés sont au-dessous de l’ordinaire, qui ont été victimes d’une triste hérédité, ou de quelque accident qui a influé soit avant, soit après leur naissance, sur la constitution de leur cerveau. Les uns sont tout à fait déprimés ; ils ne sont pas faits pour : l’école ; il y a des établissements destinés à les recevoir ; d’autres n’en sont pas là, mais, chez eux, l’intelligence est obtuse, la volonté est presque nulle. Que faire d’eux ? Telle est la question que débattent des correspondants du Pœdagogium. Faut-il les mettre à l’école commune ? On signale trois inconvénients. Le premier pour eux : ils ne peuvent suivre la marche de la classe : ils restent en retard au point de ne profiter d’aucune leçon ; ils sont l’objet des moqueries et des brutalités ; ils s’ahurissent encore plus à ce régime. Le second pour leurs camarades : ceux-ci sont retardés si l’on veut attendre que les plus faibles comprennent ; en tout cas, ils sont exposés à la tentation de maltraiter et de bafouer de pauvres êtres qui leur servent de risée. Le troisième pour les maîtres, qui seront toujours ballottés entre le devoir de s’occuper des retardataires et le désir bien naturel de passer outre.

M. H. Kielhorn, professeur à Brunswick, raconte ce qui se passe dans sa ville. Là, on s’est décidé à ouvrir une école spéciale pour les enfants d’une intelligence au-dessous de la moyenne. L’entreprise était hasardeuse ; elle a réussi. À Pâques 1881, après de longues délibérations, on a fait l’essai d’ouvrir, pour un an, ce qu’on a appelé une classe auxiliaire ; elle a tout de suite compté 29 élèves ; les autorités municipales n’ont pas attendu la fin de l’année pour transformer le provisoire en définitif, lorsqu’on se fut assuré que cette institution était un véritable bienfait pour les autres écoles de la ville. Au bout de six mois, la moitié de ces enfants étaient déjà transformés : au lieu de créatures sombres, sournoises, déprimées, à demi sauvages, on avait des écoliers joyeux, se prêtant aux exercices et se livrant aux jeux avec entrain. Dans l’automne de la même année, une seconde classe auxiliaire fut ouverte ; une troisième au printemps suivant. C’est aujourd’hui une école véritable, avec trois classes dont chacune comporte un cours de deux ans, et qui renferme plus de soixante-dix enfants naguère perdus, écrasés, bafoués, et qui reçoivent désormais des soins et des enseignements appropriés à leur nature.

Voici comment on s’y prend pour recruter les élèves. Ce sont les instituteurs des autres écoles publiques qui désignent ceux de leurs écoliers qui leur paraissent au-dessous du niveau commun ; ils sont examinés par un jury composé d’un médecin spécial, d’un des maîtres de l’école auxiliaire et du directeur de l’enseignement. Les parents sont prévenus de la décision de ce jury ; on ne les contraint pas à envoyer leurs enfants dans l’école auxiliaire : ils peuvent les placer dans des écoles privées. Mais la plupart du temps ils donnent leur assentiment, se rendant bien compte de l’excellence du but poursuivi, et ils ne tardent pas, en voyant les résultats, à remercier de ce qu’on a fait pour leurs enfants. Il y a des familles qui vont même au devant, qui demandent spontanément l’admission de leurs enfants dans l’école auxiliaire. Cette école est mixte ; aux trois instituteurs est adjointe une maîtresse pour les travaux de couture des filles et un maître pour les travaux manuels des garçons.

Le programme des études est très simple. Il comprend pour la semaine entière 3 heures de religion, 3 heures d’enseignement par l’aspect, 4 heures de calcul, 6 heures de langue maternelle, lecture, exercices, grammaire, 2 heures d’écriture, 4 heures de travail manuel, 2 heures de gymnastique. Tous ces exercices sont plus courts, et coupés de dessin et de chant pour les deux premières années.

Il va sans dire qu’il ne peut y avoir de règle absolue et uniforme, et que les maîtres font tout le possible pour se mettre à la portée des différentes natures qu on leur confie.

Sur cent élèves des écoles publiques, dit M. Kielhorn, on ne trouve pas un de ces enfants mal doués, de ces sortes d’infirmes qui ont besoin de soins particuliers : il en estime le nombre à environ 2 sur 300. Mais ces soins particuliers, il ne pense pas qu’il soit avantageux de les chercher dans l’éducation privée ; il faut à ces enfants comme aux autres, plus qu’aux autres, si c’est possible, la vie en commun, les jeux, les exercices, le frottement et le commerce avec des camarades ; il leur faut l’école publique, instrument indispensable d’une bonne et saine éducation, mais l’école publique faite pour eux, appropriée à leur faiblesse, d’un degré au-dessous de l’autre, et moins peuplée, de telle sorte qu’on puisse les suivre de plus près, les aider davantage.

Déjà ceux des élèves, garçons et filles, qui sont sortis de l’école auxiliaire de Brunswick ont trouvé en ville des emplois où ils gagnent honorablement leur vie, tandis que, trop souvent, ceux de ces enfants de faible esprit qui sortent des écoles communes abrutis et ignorants restent à charge à leur famille ou fournissent des éléments au désordre et à la criminalité.