Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/05

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V


Maintenant quant à ceux qui cherchent à se rendre philosophiquement compte des choses, et cela sans aucun parti pris d’hostilité ou d’opposition systématique, il faut bien qu’ils arrivent à la conclusion que le mariage n’offre réellement rien de ce qui constitue les autres sacrements. Il n’est pas un acte de religion per se comme le baptême ou la pénitence. Il n’est strictement en lui-même qu’un acte essentiellement physiologique. L’Église ne s’en est emparée que parce qu’elle y trouvait une source inépuisable d’influence sur les personnes, sur les familles, sur les cercles sociaux et même sur les gouvernements et les nations. Sa définition même d’un sacrement est fautive appliquée au mariage. Voyons un peu cette définition qui fera un peu rire ceux qui n’ont pas l’habitude de ces singulières formules.

Trois choses constituent un sacrement : 1o  l’institution divine ; 2o  le signe visible ; 3o  la communication de la grâce à l’âme du fidèle.

L’affirmation de l’institution divine du mariage est-elle soutenable ? Eh ! non, mon Dieu ; 1o  parce que le mariage est de tous les temps, de tous les pays, de tous les cultes et qu’il existait bien des siècles avant l’Adam de la Bible : 2o  parce que Jésus lui-même, tout en affirmant le principe de la perpétuité sauf une seule exception, ne lui a pas donné la forme que l’Église a mis plusieurs siècles à rendre définitive. Il a trouvé l’institution dans le peuple juif et n’en a nullement modifié la forme, mais il en a fait disparaître un abus, la répudiation arbitraire de la part de l’homme. Mais, sauf cette amélioration, il a accepté l’institution telle qu’elle était, puisque la restriction qu’il fait de l’adultère existait chez les Juifs. Maintenant s’il y a institution divine parce que l’Église a mis une douzaine de siècles à donner sa forme au sacrement et onze siècles à le reconnaître comme tel, il faut avouer que voilà un caractère divin qui a mis bien du temps à s’affirmer et à se constituer.

Quant au signe visible, où est-il ? Où peut-on nous le montrer ? Ce n’est pas la bénédiction du prêtre puisqu’elle n’est pas de l’essence du mariage et n’en fait en aucune manière la validité. Le vrai signe visible du mariage c’est sa consommation et c’est précisément cela qu’on ne voit pas. Le oui des époux ne constitue nullement le signe visible que la définition d’un sacrement comporte.

Enfin comment démontrera-t-on la communication de la grâce à l’âme du fidèle ? Cette grâce est essentiellement invisible. Saint Athanase, saint Ambroise, le concile de Carthage de 398 affirment bien que Dieu a assigné des grâces spéciales au mariage. « Dieu incline les époux l’un vers l’autre », ont-ils dit. Si je suis croyant j’accepterai l’affirmation les yeux fermés. Mais si je demande une preuve de la communication d’une grâce invisible comment me la donnera-t-on ? Quelle peut bien être la preuve du fait de la réception d’une grâce invisible ?

Maintenant le nombre malheureusement considérable de mauvais mariages chez les catholiques ne constitue-t-il pas une très forte présomption que cette grâce est souvent aussi inefficace qu’invisible ? Elle fait réellement un peu trop songer à cette autre grâce invisible aussi qu’ont reçue dans le sacrement de l’ordre les centaines de milliers de prêtres qui n’ont pas observé le célibat, comme nous l’avons vu au chapitre V.

Quelle est donc la réalité des choses ? Les époux inclinent bien l’un vers l’autre tant qu’ils s’aiment, qu’il y ait grâce ou non. Et quand ils sont arrivés à se détester, la grâce ne les incline clairement plus l’un vers l’autre. Elle a donc été aussi insuffisante qu’invisible.

C’est évidemment pour ces raisons et plusieurs autres encore que le cardinal Gousset se sentait forcé d’admettre qu’« il était difficile de définir les trois choses qui constituaient le sacrement de mariage ». Et en effet il était difficile d’en indiquer trois quand il n’y en avait qu’une : la volonté librement exprimée des parties. Le bon cardinal a tout simplement mis difficile à la place d’impossible, petite ruse ecclésiastique dont on comprend trop bien le motif.

Pour s’emparer de l’institution, l’Église a dû imaginer toutes sortes de sophismes, et sophismes dans son propre système, comme nous le verrons bientôt.

Quel est le seul point de vue vrai de la question ? Quel est le fait réel quand deux personnes se marient ? On a l’habitude de dire que l’officier civil ou le prêtre marient les époux. Inexactitude absolue. Ni l’officier civil ni le prêtre ne marient. Ils ne font que constater régulièrement le fait que tel et telle se marient de leur propre volonté. Est-ce que l’État ou l’Église peuvent les empêcher de se marier, s’il n’y a aucune raison d’ordre public qui s’oppose au mariage ? Donc on ne les marie pas. Ils se marient eux-mêmes de leur plein gré et font constater régulièrement leur mariage, pour qu’il soit reconnu comme valide et légal. L’ego conjungo est donc aussi absurde en principe que l’ego absolvo l’est en fait. Autrefois, jusqu’au xiie siècle, le prêtre n’osait pas dire : « Je vous absous. » Il disait simplement en récitant une prière : « Que Dieu vous absolve… » De même quand l’Église n’avait pas encore constitué définitivement le mariage comme sacrement au IVe concile de Latran, le prêtre ne disait pas : « Je vous unis… », il disait au contraire : « Que Dieu consacre et bénisse votre union. » L’orgueil ecclésiastique a changé tout cela, a mis le cœur à droite et le foie à gauche ; mais les principes ne disparaissent pas parce qu’on les méconnaît, et il vient toujours un temps où le vrai reprend ses droits, même en dépit des colères de l’Église.[1]

  1. Au moyen-âge les mariages se faisaient le plus souvent à la porte de l’église. C’est là que le prêtre recevait les futurs conjoints, c’est là qu’il prononçait les paroles sacramentelles. Puis il accompagnait les époux à la maison. Là il bénissait du pain qu’il mangeait avec les mariés. Puis on lui apportait du vin qu’il bénissait également et buvait avec eux. Le plus souvent il bénissait de suite le lit nuptial pour qu’aucun démon ne pût venir méchamment nuire à la consommation du mariage. Voilà pourquoi on regardait la bénédiction du lit nuptial comme une cérémonie indispensable. Le concile de Reims de 1558 ordonne qu’elle se fasse aussitôt que possible après le mariage. On regardait le mariage comme indissoluble dès que les paroles sacramentelles avaient été prononcées par le prêtre en donnant sa bénédiction aux conjoints. On aurait bien ri alors de la prétention moderne que les conjoints s’administrent à eux-mêmes le sacrement. On regardait le prêtre comme conférant le sacrement en vertu de son ordination, qui le rendait ministre de ce sacrement comme de tous les autres. On avait alors véritablement le mariage religieux. Aujourd’hui le prêtre n’est plus ministre du sacrement, sa bénédiction ne signifie plus rien, et on prétend toujours avoir le mariage religieux ! Logique ecclésiastique !