Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/20

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XX


Il ne faut pas perdre de vue un fait d’une grande importance dans la grave question qui nous occupe. C’est justement dans les sociétés formées par l’Église et où la cérémonie religieuse est de rigueur que le mariage a le moins de cohésion morale, que le lien conjugal est le moins respecté, que les liaisons adultères sont les plus communes. Le sigisbéisme n’est connu que dans les pays les plus profondément catholiques. Le mariage religieux ne donne donc pas au lien matrimonial plus de force que l’institution civile.[1] Le légiste n’a jamais encouragé ni toléré le sigisbéisme. Le confesseur l’a fait de tout temps en Italie. Il est si commode dans le catholicisme d’ébrécher la fidélité conjugale ! Une absolution purge la conscience. On peut recommencer le lendemain sur le calcul plausible du pardon du surlendemain. « Avec des absolutions si faciles, dit Fleury, on peut pécher tous les jours en se confessant tous les jours ».[2] Et qu’on ne dise pas que je force la note ici car nous avons vu au chapitre v les aimables informations données par le P. Mascarenhas sur les vertus extraordinaires d’un acte de contrition ou d’une confession avec simple attrition.

Tout en définissant les devoirs des époux au point de vue de la fidélité l’Église leur fournit donc les plus aimables tempéraments à ses règles. Elle a ses huiles de composition qui permettent à certains rapaces de garder en conscience le bien d’autrui, et elle a aussi ses casuistes qui tempèrent les rigueurs de ses ordonnances sur le mariage, par des indulgences très appréciées de ceux qui donnent des coups de canif dans le contrat. Il faut bien compatir à la faiblesse humaine.[3]

En fait pour pénétrer les secrets des familles par le confessionnal et devenir ainsi en grande partie le maître des sociétés qui croient en lui, le prêtre a su faire de nombreux détails de son système un encouragement tacite à l’immoralité. Que signifie le grand mot : « Allez et ne péchez plus » au pécheur d’habitude, aux prêtres concubinaires de tous les temps, par exemple, et encore aujourd’hui à ceux de l’Amérique espagnole ?

Ce sont donc les légistes — on ne peut trop le redire — qui ne se sont pas trompés sur les principes qui doivent régir la grande question du mariage pendant que les docteurs en droit canon n’ont fait que patauger ici comme sur le prêt à intérêt, comme sur la sorcellerie, et ont méconnu les principes les plus élémentaires. Et la théologie a fait mieux encore. Elle a défini comme péchés graves chez les gens mariés des choses qui ne peuvent pas arriver, des données fausses en fait, des impossibilités physiques ! Elle a affirmé et affirme encore certaines choses dont la science a démontré la parfaite absurdité, ou la non-existence.

Autre atteinte à l’intégrité de la famille. Le droit canon reconnaît la bâtardise. Il le fallait bien, presque tous les prêtres, pendant des siècles et des siècles, se faisant une famille par le concubinage. Et souvent ils avaient des enfants de différentes femmes. C’est l’Évêque Pélage (Alvarez Pelayo) qui nous apprend au xive siècle que les fils de prêtres étaient presqu’aussi nombreux que les fils de laïcs. Le droit canon rendait les bâtards des prêtres aptes à succéder à leur père.

Il fallait bien aussi protéger les fils de ces cardinaux qui laissaient toujours derrière eux des enfants et presque toujours de grandes fortunes parce que la simonie, ou vente des bénéfices ecclésiastiques, leur procurait des gains énormes vu l’influence que leur donnait leur position. Personne n’obtenait de bénéfice sans protection, et celle d’un cardinal primant toutes les autres on payait en conséquence. Or les cardinaux laissant presque toujours des enfants, et souvent des millions, il fallait pourvoir aux nécessités des situations. Et on faisait une distinction qui ne manque pas de piquant entre les enfants des cardinaux et ceux des évêques et des prêtres. Ceux-ci étaient entachés, qualifiés d’enfants sacrilèges. Mais, dit le chanoine Lucidoro dans son Code des droits et des devoirs des parents, les enfants des cardinaux ne sont pas classés parmi les sacrilèges parce que le cardinalat n’appartient pas de sa nature à l’Ordre. L’enfant d’un cardinal méritait donc plus de sympathie que celui d’un évêque ou d’un prêtre. Voilà comment l’Église, qui commandait l’observation rigoureuse du célibat, avait tout un code à elle pour régler le sort des enfants de ses prétendus célibataires. La seule chose qu’elle défendit sévèrement était la succession d’un enfant à son père dans le même bénéfice ecclésiastique, défense qui n’a nullement déraciné l’abus. Le père et le fils ne devaient jamais officier dans la même Église, ni le fils servir le père à la messe. Il fallait bien jeter un voile prudent sur les petits secrets généalogiques de ces célibataires en théorie et si rarement en fait.

Quant aux biens qui ne constituaient pas un bénéfice ecclésiastique l’Église en autorisait, et souvent en réglait elle-même le partage. Mais naturellement les bâtards de ses prêtres devaient se montrer un peu généreux, sinon elle écornait largement les successions. Néanmoins quand le père ne l’avait pas oubliée les enfants étaient assez bien traités. Elle était bien autrement dure et inexorable pour les enfants légitimes des fidèles dont les legs n’avaient pas été à la hauteur de ses convoitises, et elle envoyait les pauvres corps à la voirie.

  1. On me dira peut-être ici que l’Église ne reconnaissant pas l’adultère comme cause de dissolution du mariage elle donne plus de cohésion à l’institution. Oui, mais elle ne la donne qu’au prix d’une injustice puisqu’elle force la partie innocente de subir le crime de la partie coupable, singulier moyen de montrer sa bonté pastorale ; et en second lieu les défenseurs de l’Église oublient un peu trop que sur la question de l’adultère la loi civile adopte en fait le précepte de Jésus que l’Église a eu la respectueuse attention de jeter au panier. Jésus doit donc préférer ici la loi civile au droit canon. Qu’en dites-vous, cher P. Didon ?
  2. Fleury, viiie discours sur l’histoire ecclésiastique.
  3. Elle l’a fait de tout temps mais pourvu qu’on la payât bien. Les seigneurs féodaux des viiie et ixe siècles disaient : « Il nous faut une religion qui tolère nos faiblesses. » Et la cour de Rome fermait les yeux sur leur polygamie et leurs harems pourvu qu’ils fissent des donations au clergé et aux moines. Les confesseurs examinaient scrupuleusement ce que les crimes de leurs pénitents devaient rapporter à l’Église. Et les seigneurs gardaient leurs femmes en toute sûreté de conscience. Une ou deux métairies rachetaient un péché un peu excessif. Et les couvents arrondissaient largement leurs domaines, les péchés excessifs étaient alors de très fréquente occurrence. Pour les petits pêchés inhabituels on obtenait l’absolution au moyen d’un poulet, ou d’une pinte de vin, ou d’une demi-douzaine d’œufs.