Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/36

La bibliothèque libre.

XXXVI


Au commencement du siècle, il y avait pourtant des évêques et des prêtres qui obéissaient à la loi sans insulter les autorités et par pur sentiment de devoir. Aujourd’hui, avec l’ultramontanisme vainqueur de l’Église, il est entendu que l’on cède à la force et que le devoir consiste à éluder la loi quand on ne peut pas l’abolir, ou à lui résister ouvertement quand on se croit assez fort.

Sur la grande question du mariage bien des choses qu’on nous affirme comme certainement vraies, comme obligeant rigoureusement la conscience, n’étaient pas regardées comme telles au commencement du siècle et même après 1830. Elles ne le sont pas même aujourd’hui par tous les ecclésiastiques. Quelques hommes sensés, ceux qui ne croient pas pécher en réfléchissant sur ces sujets et qui ne craignent pas de dire ce qu’ils pensent — malheureusement il n’existe presque plus de ces prêtres dans le clergé — admettent que l’on va trop loin, que l’on empiète sur les droits évidents de la puissance civile ; que le clergé ne devrait pas prêcher le manque de respect à la loi ; et bien souvent le mot influence jésuitique clôt la série de ces admissions.

Au commencement du siècle le pape n’avait pas encore reçu les illuminations envoyées à Pie ix et ne décrétait pas l’antériorité du mariage civil d’atteinte portée aux droits de Dieu. Les évêques ne se posaient pas sans cesse en antagonistes ardents de la loi. Voici ce qu’écrivait, au sujet de l’antériorité du mariage civil, un évêque de Courtrai, Mgr Hirn, vers 1802. Et personne ne peut lui reprocher de n’avoir pas été assez dévoué à ses devoirs puisqu’il aima mieux plus tard souffrir l’exil plutôt que de se soumettre aux volontés de Napoléon devenu empereur. Il dit donc au clergé de son diocèse, dans un mandement du 9 brumaire an xi de la République française (c’est moi qui souligne) :


Monsieur le Curé,


Vous savez combien est stricte l’obligation où sont tous les particuliers d’être soumis aux lois de leur pays et de les suivre en tout ce qui n’a rien de contraire à la piété, à la

religion et aux bonnes mœurs. C’est là la doctrine de l’Évangile qui nous prescrit de rendre à chacun ce qui lui est dû : à César ce qui est dû à César, à Dieu ce qui est dû à Dieu.

Malgré ce principe, sur lequel reposent les fondements de la société, il nous est revenu que quelques ecclésiastiques de notre diocèse n’avaient point égard aux articles 51 et 55 des lois explicatives du Concordat, qui défendent de donner la bénédiction nuptiale à ceux qui ne justifieront pas, en bonne et due forme, avoir contracté mariage devant l’officier civil, et que, contre le texte formel de ces deux articles, ils se permettaient de bénir des mariages dont les contractants n’avaient pas rempli cette condition.

C’est là une infraction aux lois qu’il ne nous est pas possible de tolérer. Ceux qui s’en écartent ainsi ignorent-ils donc que le mariage est une matière mixte sur laquelle l’État et l’Église peuvent exercer leur puissance chacun sur ce qui est de son ressort ? Ou bien refusent-ils au gouvernement actuel de la France un droit dont jouissent tous les autres gouvernements ? D’où viendrait cette exception ? Peut-on méconnaître dans ce gouvernement une autorité que tous les souverains, que le chef de l’Église, que l’Église elle-même y reconnaît ?

C’est pourquoi nous voulons que désormais tous les chefs de famille soumis pour le spirituel à notre administration, fassent ou fassent faire exactement devant l’officier civil les déclarations des naissances et décès qui auront lieu dans leurs maisons, et nous défendons qu’à l’avenir il soit célébré à l’Église aucun mariage dont les contractants n’auraient pas rempli devant l’officier civil la formalité prescrite par les articles 54 et 55 des lois explicatives du Concordat que nous venons de citer.

Cette disposition n’a rien que repousse la religion. C’est

maintenant l’unique mode de constater l’état civil des enfants, et ceux qui prétendraient exister dans le mariage sans s’y conformer seraient cause que leurs enfants n’ayant point d’existence légale ne jouiraient pas de tous les droits du citoyen, des avantages qui y sont attachés, et pourraient même être privés de l’héritage de leur père, ce qui serait un grand inconvénient auquel nous ne pouvons trop nous empresser d’apporter le remède dont il est susceptible, sachant encore que par là nous coupons la racine à une multitude de haines, de divisions, de procès interminables auxquels ils ne manqueraient pas de donner lieu.


L’antériorité du mariage civil n’a donc rien que repousse la religion. Pourquoi s’est-on mis à dire le contraire sous Pie ix ? Quelles lumières nouvelles a-t-on reçues après 1840 ? Dans les dernières années de sa vie Pie ix recommandait sans cesse aux membres des pèlerinages qui se rendaient à Rome d’exiger toujours que la cérémonie religieuse précédât la cérémonie civile. Il y a contre cette prétention des raisons légales, et surtout de bonnes mœurs, qui sont absolument péremptoires. Et il y a aussi cette autre considération, qui a bien un certain poids, que le pape n’a pas le droit d’être le maître chez les autres, car enfin ce n’est qu’en vertu des fausses décrétales qu’il réclame ce prétendu droit.

Mais si Pie ix avait raison, le clergé belge ne savait donc pas ce qu’il faisait, en 1831, quand il acceptait sans mot dire non seulement l’antériorité du mariage civil, mais même le divorce, que la Belgique avait conservé dans son code après sa séparation d’avec la France en 1815. Dans le congrès qui a préparé la constitution belge le mariage civil ne fut l’objet d’aucune protestation, d’aucune remarque même, de la part de ses membres prêtres. Bien plus, dans sa célèbre encyclique de 1832, où il flétrit toutes les libertés, Grégoire XVI ne souffle pas mot du divorce resté loi du pays en Belgique. Jamais le clergé belge, si arrogant et si fanatique, n’a essayé de faire modifier le code sur ce chapitre. Le parti catholique non plus. Pas un ministère catholique n’a osé le proposer.

Or, ou toutes les grandes doléances de Pie ix, ainsi que celles d’aujourd’hui, sont incorrectes ou vexatoires au point de vue des droits de la société civile, ou Grégoire XVI devait protester contre la conservation du divorce dans la constitution belge, et aussi contre l’antériorité du mariage civil.

Dans le congrès de 1831, un de ses membres affirma même qu’il tenait d’un prêtre éminent que l’Église n’était nullement défavorable à l’antériorité du mariage civil. Il est vrai que ce même prêtre se plaignit ensuite — par ordre sans aucun doute — que l’on eût violé une confidence, mais cela même ne faisait que démontrer l’entière sincérité de l’information donnée.

Encore en 1876, un évêque de Hongrie, Mgr Horvath, de Pesth, déclarait que l’antériorité du mariage civil ne portait aucune atteinte aux lois de l’Église, Et il citait comme exemples la France, la Belgique et la Suisse. Il ne croyait donc pas un mot des grandes doléances de Pie ix, cette année-là même, sur ce sujet.

Enfin, il n’y a que 30 ans, Pie ix, dont les contradictions sont aussi étonnantes que multipliées, acceptait avec plaisir l’envoi du Manuel de droit matrimonial au point de vue catholique du professeur Von Schulte et l’on faisait remercier par une lettre très flatteuse. M. Von Schulte était professeur de droit canonique à l’université de Bonn et il émettait dans ce Manuel l’opinion que l’État possède le droit d’instituer le mariage civil. C’est M. Von Schulte lui-même qui constatait dans le Landtag prussien, en 1874, l’envoi de la lettre de remercîment de Pie ix. Pourquoi donc le mariage civil est-il devenu si damnable ?

Par quel moyen les Jésuites ont-ils réussi à faire mettre de côté les traditions sensées pour faire adopter la politique de combat contre le bon sens général ? Tous les légistes sont contre le clergé sur cette matière, présentent des arguments péremptoires auxquels on ne répond que par l’éternel refrain de l’infaillibilité de l’Église qui veut substituer le droit ecclésiastique au droit naturel, ou encore cet autre, bien plus réjouissant encore, que « l’Église est la souveraine maîtresse des gouvernements et des peuples ». Le clergé va-t-il faire reculer un seul gouvernement sur pareille question d’ordre public ? Toute cette agitation factice que l’on fomentait, il y a quelques années, en Belgique, en Italie, en Autriche, en France, est tombée d’elle-même devant le bon sens public. On proclamait le mariage civil un affreux concubinage. Et pourtant il viendra un temps où l’Église se décidera à introduire quelque heureux distinguo qui rendra inoffensif ce qui était si horrible. Et les premiers pas sont déjà faits, ont été faits du vivant même de Pie ix, malgré ses pressantes recommandations antérieures.

En septembre 1875 Pie ix affirme aux membres d’un grand pèlerinage venu de Belgique que c’est un principe de morale chrétienne que le mariage religieux doit précéder le mariage civil. De suite les journaux cléricaux de Belgique entonnent l’hymne féroce contre l’antériorité du mariage civil. Eh bien Pie ix savait-il bien ce qu’il disait en affirmant que la priorité du mariage religieux est un principe de morale chrétienne ? N’est-ce pas là une de ces nombreuses assertions gratuites que l’on adresse aux ignorants, tout en sachant parfaitement que les hommes éclairés n’y croiront pas plus que ceux qui les expriment ?

Quatre mois plus tard Pie ix écrit aux catholiques de Lille une lettre adressée à M. Théry, de cette ville, en date de janvier 1876. Dans cette lettre aussi il recommande fortement l’antériorité du mariage religieux. Or nous avons vu plus haut qu’il n’existe vraiment plus de mariage religieux puisque ni la bénédiction du prêtre ni la cérémonie religieuse ne constituent le sacrement.