Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/44

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XLIV


Quatre tentatives ont été faites sous Louis-Philippe pour réintroduire le divorce dans le code. Quatre fois la chambre des députes a passé une loi à cet effet. Mais la chambre des pairs, catholique et réactionnaire en grande majorité, a donné le pas au dogme sur la loi naturelle et a repoussé les lois passées par la Chambre. En 1816 on abolissait le divorce parce que le catholicisme était la religion de l’État. On n’avait plus cette raison à donner sous la monarchie de Juillet, où il n’y avait plus de religion de l’État, mais on n’en a pas moins fait prédominer le droit canon sur le principe de justice. Le dogme reléguait le bons sens dans son coin ! Et cela venait du confessionnal !

Mais que font donc souvent ces gens que le seul mot de divorce horripile si fort quand ils l’ont sans cesse autorisé, pratiqué, imposé sous le faux prétexte de nullités qui n’étaient pas nulles ? Eh ! mon Dieu ! ils en font de temps à autre mais à la condition absolue que l’on soit généreux.

Ils permettent à Napoléon Ier de divorcer parce que sa femme était stérile, raison que l’Église n’a jamais admise en l’espèce. Ils permettent aussi le divorce au duc de Berry sous la Restauration. Ici le cas était réellement criant, mais il fallait bien faire plaisir à une tête couronnée et même donner un soufflet au dogme pour rendre service à la légitimité. Et le soufflet a été donné ! Il n’y a pas de dogme qui tienne dans certaines situations particulières malgré les grandes protestations convenues.

Le duc s’était marié en Angleterre, pendant l’émigration, avec une jeune Anglaise de bonne famille du comté de Kent. Elle s’appelait Amy Brown. Il vit avec elle pendant quatorze ans et en a plusieurs enfants, trois je crois. Le mariage avait été régulièrement contracté, sous les dispositions de la loi anglaise, dans une chapelle catholique de Londres, il était donc rigoureusement indissoluble en droit ecclésiastique, et cela d’autant plus qu’il en était résulté des enfants.

Mais Napoléon tombe, Louis xviii remonte sur le trône de France ; il fallait un héritier pour ce trône ; cet héritier ne devait avoir dans les veines que du sang de famille princière — sans cela il y aurait eu quasi sacrilège ; — il fallait donc au futur roi une femme de sang princier. Devant pareille situation la parfaite légitimité du premier mariage ne signifiait plus rien devant les considérations politiques, et l’Église, gardienne du lien matrimonial indissoluble, fait encore ici verser toutes ses larmes à la religion pour faire plaisir à la politique. Le roi obtient du pape un bref annulant le premier mariage, et la première femme, régulièrement mariée, passe au rang de simple concubine de par le pape qui violait tout à la fois et son dogme et la justice. Quand donc a-t-on vu plus monstrueuse immoralité ?

Tout cela se fit dans le plus grand secret afin que la chose ne fût ébruitée qu’après réalisation. Les secrets maçonniques ne seraient-ils pas par hasard un peu moins honteux que celui-là ?

Quand le duc tomba sous le couteau de Louvel il demanda qu’on lui amenât ses enfants du premier lit pour les embrasser avant de mourir.[1]

N’a-t-on pas permis au prince de Monaco de divorcer avec sa première femme il y a quelques années ? Je sais bien que l’on a décidé que le mariage avait été nul. Cette décision venait d’un tribunal ecclésiastique qui ne pouvait prononcer le mot de divorce, mais c’est une singulière nullité que celle d’un mariage régulier suivi de cohabitation de dix ou douze ans et dont il était résulté un enfant. On fait donc, malgré les grandes protestations convenues, plier le dogme devant certaines situations. Mais pour cela il faut que la grosse bourse soit de la partie. Sans cela n’espérez rien. Payez largement et alors on vous trouvera des raisons, même quand vous n’en avez pas ! N’est-ce pas un évêque, ambassadeur de France, qui a dit : « À Rome, sans or, n’espérez rien. » Donc avec de l’or espérez tout.

Citons encore pour mémoire le divorce de Henri IV avec Marguerite de Valois. Sûrement ce n’était pas parce qu’elle changeait d’amant après chaque con- fession[2] — et elle se confessait toutes les semaines — que Henri se séparait d’elle car il n’avait certes pas la conscience absolument nette comme mari puisqu’il a eu cinquante-six maîtresses en titre. Mais il fallait un héritier et le dogme fut relégué dans son coin par ses défenseurs.

Citons aussi un divorce refusé par politique quand on était en conscience tenu de l’accorder. Henri VIII était marié avec la femme de son frère, cause radicale de nullité dans l’Église. Eh bien, on lui refuse le divorce sur sollicitation de Charles-Quint.[3] L’Église accordait le divorce quand elle devait le refuser et le refusait quand elle devait l’accorder. Et si le bon Dieu n’était pas content, eh bien ses vicaires l’informaient que c’était leur opinion à eux qui devait prévaloir.

  1. Plaidoyer de M. Allou dans l’affaire Paterson. (V. Discours et plaidoyers, t. ii, p. 37 à 95).
  2. Son propre frère en était un.
  3. Le divorce allait être accordé mais Charles-Quint ayant été victorieux à Pavie, Clément VII répond aux représentations qui lui sont faites : « La puissance de l’empereur m’enveloppe et me domine. Si je cède au roi, j’entraîne sur moi et le Saint-Siège une ruine irréparable ». Voilà comment la possession d’un petit état rendait le pape plus indépendant. Clément cède à l’empereur, commet une faute en droit canon, et la ruine n’en vient pas moins par le sac de Rome, avec perte de l’Angleterre par dessus le marché.