Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/50

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Passons aux annulations de mariages protestants.

Vers 1850 — j’ai perdu la date précise — l’archevêque de Rio-Janeiro a permis à une protestante qui s’était convertie au catholicisme de se remarier du vivant de son premier mari resté protestant. Un fait analogue a eu lieu à Mexico en 1865. La même chose a eu lieu en 1870 à Philadelphie. J’en parle au long un peu plus loin.

En 1876, M. Gladstone a cité un autre cas que je crois devoir reproduire ici, parce que le cardinal Manning, en répondant à autre chose, semble n’avoir pas osé toucher au fait que voici. (Je traduis) :


Il y a un peu plus de trente ans, dit M. Gladstone, X., sujet anglais, se marie à X., en pays étranger, mais sous les dispositions d’un acte du Parlement, devant le chapelain de l’ambassade d’Angleterre et dans la maison et en présence de l’ambassadeur. Tous deux étaient anglicans. Ils vécurent ensemble plus d’un quart de siècle et leurs enfants parvinrent à l’âge adulte. Dans les dernières années de cette union, le mari forma une liaison adultère avec une femme étrangère.[1] Après une longue patience de la part de l’épouse une séparation eut lieu. Peu de temps après le mari se fit catholique et il y a quatre ans, par l’autorité de quelques ecclésiastiques romains, et dans une église catholique romaine anglaise, il célébra un autre mariage avec sa compagne de désordre. Un haut fonctionnaire ecclésiastique l’informa subséquemment qu’il devait obtenir une décision de Rome. Il en fit la demande et on rendit la décision que le premier mariage était nul et le second valide.

En même temps la femme délaissée s’adressa à la cour — le tribunal civil — pour faire déclarer sa position régulière. Elle fut déclarée seule femme légitime et le mari bigame admit qu’elle l’était aux yeux de la loi anglaise. Celui-ci avait emmené dans l’héritage paternel, dans le comté de… — sujet à la juridiction de la loi anglaise — cette deuxième femme, l’y avait introduite comme sa femme légitime et avait demandé qu’on la regardât comme telle, le tout au grand scandale des voisins qui connaissaient parfaitement sa vraie femme. Il fit aussi enregistrer comme légitimes les enfants qu’il avait eus de la seconde. Et un témoin des faits affirma que cette femme recevait des visites au domicile de son mari et était traitée et admise comme femme légitime par des prêtres catholiques et des sœurs de charité.


Voilà ce que l’Église appelle veiller sur les bonnes mœurs : permettre à un homme d’abandonner sa femme et ses enfants, après plus de vingt-cinq ans de cohabitation constante, pourvu qu’il entre dans la vraie religion !

On pourrait peut-être observer ici que cette vraie religion devrait au moins l’informer qu’il a commis un acte d’une immoralité flagrante en abandonnant ainsi femme et enfants pour simple raison de lubricité. Une religion vraie, des ministres du Seigneur qui ont toujours le mot bonnes mœurs à la bouche, pourraient peut-être se croire obligés de brider pareil libertinage au lieu de l’encourager. Appartenait-il bien au pape et aux évêques de faire servir la religion d’excuse à pareil acte : remplacer la femme légitime par la concubine ? Il est vrai que le mot concubine n’effraie guère l’Église : il y a quinze siècles qu’elle tolère la chose dans son propre sein !

On peut me dire sans doute que, n’ayant pas les grâces d’état ni les lumières du Saint-Esprit, je devrais trembler à la seule idée de risquer une observation sur ces choses abscondes ; mais mon simple bon sens ne me donne pas une très haute idée des grâces d’état qui empêchent de voir le libertinage, le manque de cœur et le mépris du devoir là où ils se trouvent pour ne pas les voir là où ils sont.

Car enfin ce que nous venons de lire peut parfaitement se résumer comme suit. (C’est la vraie religion qui parle — j’entends la vraie religion pervertie par la papauté —) :


Vous, maris protestants, faites-vous catholiques, et je vous permettrai d’abandonner vos femmes un peu passées pour en prendre de plus jolies. Vous, femmes protestantes ou juives, venez à moi, faites-vous catholiques, et je vous autoriserai à laisser vos maris un peu trop âgés pour en prendre de plus jeunes. Je permettrai même au mari converti d’abandonner ses enfants pour les laisser élever par le premier venu, ou par la charité publique. Ou bien je forcerai le père auquel on aura volé ses enfants de payer une pension pour leur entretien. Une fois devenus catholiques le juif ou le protestant mariés sous leur culte redeviennent célibataires ; les juives ou protestantes mariées redeviennent filles, eussent-elles eu dix enfants, et tous, ainsi régénérés par la grâce, sont délivrés de tous leurs anciens devoirs d’époux et de père. Ils sont redevenus libres comme l’air qu’ils respirent.


On pourrait même compléter cette grande doctrine de liberté par la maxime de saint Paul : Or le Seigneur est esprit, et là ou est l’esprit du Seigneur, là est aussi la liberté (iie Cor., iii, 17).

Il serait vraiment intéressant de savoir ce que pense saint Paul, au ciel, des belles libertés accordées par l’Église comme venant du Seigneur. Je serais fort curieux de savoir ce qu’il dirait, s’il pouvait revenir sur la terre, aux hommes qui permettent à quelques libertins d’abandonner froidement épouse et enfants sous le beau prétexte qu’ils ont embrassé la vraie religion.

Les écrivains et prédicateurs catholiques appellent souvent les protestants : nos frères séparés, au moins dans leurs bons moments, car, en bons frères, ils les ont pendus, brûlés, enterrés vifs par milliers pendant deux siècles. Mais officiellement le bon moment ne vient pas souvent car l’Église ne prie pour les protestants qu’une fois l’année, le jeudi saint. Je suppose que ce jour-là au moins elle ne permettrait pas à un catholique de leur enlever leur femme. Mais pendant le reste de l’année elle ferme amicalement les yeux sur les petites brèches faites à la fraternité.

  1. Il s’agit ici d’une femme qui n’était pas de nationalité anglaise : a foreigner.