Les excès de l’assistance judiciaire

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Les excès de l’assistance judiciaire
Revue pour les Français1 (p. 155-156).
LE BON SENS, LES USAGES ET LA LOI
par Henry BRÉAL

LES EXCÈS DE L’« ASSISTANCE JUDICIAIRE »



La coûteuse justice est rendue gratuite aux indigents par l’usage de l’« assistance judiciaire » ; on sait que cette institution met à la disposition des personnes sans fortune les hommes de loi, huissiers, avoués ou avocats dont le concours leur est nécessaire ; ceux-ci ne sont nullement rémunérés ; toutefois, afin de leur éviter des débours, les lois sur l’assistance judiciaire autorisent l’emploi de papier libre (à la place de papier timbré) et l’enregistrement sans frais dans les procès des plaideurs indigents.

Qu’arrivera-t-il ? — ou bien l’indigent perdra son procès et, en ce cas, le manque à gagner provenant de l’emploi du papier libre et de l’enregistrement en debet sera supporté par l’État ; — ou bien l’indigent gagnera et, alors, la partie adverse (qui n’a pas l’assistance judiciaire) devra payer tous les frais comme si son adversaire n’avait pas été un « assisté » — et l’État n’y perdra rien.

Ce fonctionnement de l’assistance judiciaire doit être critiqué : en effet, si l’indigent perd son procès, l’adversaire — le gagnant — qui a fait des frais pour se défendre, ne sera jamais remboursé puisqu’il a devant lui un insolvable ; par suite, les procès engagés avec l’assistance judiciaire deviennent particulièrement dangereux car ils exposent les défendeurs à des pertes certaines ; la lutte est inégale entre l’indigent et le riche ; le premier n’a rien à perdre, l’autre perdra toujours puisque, victorieux ou battu, ses frais resteront à sa charge.

On comprend les dangereuses pressions qu’exercent, sur leurs adversaires, les indigents : par la menace de procès vexatoires, ils peuvent obtenir des avantages injustifiés.

L’objection que l’on va me faire, je l’entends déjà : on va dire que l’assistance judiciaire n’est accordée aux indigents qu’après un examen du procès en perspective par une commission de juristes, lesquels écartent les demandes téméraires. — Oui, mais, d’abord, il peut toujours y avoir des surprises et, ensuite, l’assistance judiciaire est désormais de droit dans certains procès : la loi de 1898 sur les accidents du travail l’accorde, sans examen, à tous les ouvriers victimes d’un accident.

Dès lors, la comédie est facile à imaginer qui se répète chaque jour : un ouvrier feint un accident ou exagère un bobo : « Payez, dit-il au patron, ou je plaide ». — « Vous perdrez, répond celui-ci ». — « Possible, mais le procès vous aura coûté gros, cinq cents francs peut-être ; donnez m’en trois cents et je me tais ». Voilà l’édifiant dialogue, trame sur laquelle brodent les agents d’affaires.

Le remède ? — … Lorsqu’un plaideur attaque autrui avec l’arme gratuite de l’assistance judiciaire, le défendeur devrait pouvoir exposer ses raisons gratuitement aussi : si le tribunal lui donnait gain de cause, il n’aurait pas subi de frais ; s’il était condamné, la totalité des dépens lui incomberait, comme actuellement. Autrement dit, l’assistance judiciaire accordée au demandeur devrait être de droit pour le défendeur.


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