Les exercices du corps comme moyen de reposer l’esprit (Justice)

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Présentation de
Les exercices du corps comme moyen de reposer l’esprit (Justice)
Revue pédagogique, premier semestre 188812 (n. s.) (p. 664-665).

De l’emploi des exercices du corps comme moyen de reposer l’esprit ― À propos d’un livre récent du Dr Lagrange sur la Physiologie des exercices du corps[1], M. Zaborowski, chroniqueur scientifique de la Justice, fait les observations suivantes, qui nous paraissent fort justes :

« Il est sûr qu’on se croit trop généralement signé sur la valeur et les effets des exercices physiques. On les choisit sans discernement, on en use sans méthode. Et c’est bien à tort qu’on s’imagine que tous délassent l’esprit et reposent le système nerveux…

« Dans tout travail musculaire l’intelligence elle-même est plus ou moins intéressée, il y a une dépense plus ou moins grande de force nerveuse. Il n’y a pas disjonction, il n’y a pas antagonisme absolu entre les travaux du corps et ceux de l’esprit. Toutes les occupations physiques, tous les exercices ne reposent pas l’appareil nerveux et ne font pas diversion à la tension intellectuelle. En faisant alterner les exercices physiques avec les études scolaires, on peut donc aggraver le surmenage loin de l’atténuer.

« Dans tout effort musculaire qui n’est pas exécuté automatiquement, il faut en effet une impulsion de la volonté, un travail latent de l’attention. Dans tout exercice il faut un apprentissage pour exécuter les mouvements combinés qu’il exige. Et plus l’exercice de mande d’adresse, d’attention, plus il est difficile, plus les facultés intellectuelles ont à intervenir dans son exécution. Or quels sont les exercices avec lesquels on prétend dans nos écoles reposer le système nerveux, conjurer les effets du surmenage, exercer un dérivatif salutaire en faveur du système musculaire ? Ce sont tous ou à peu près des exercices avec appareils où l’adresse entre comme principal élément, des exercices de gymnastique savante, acrobatique. Nous les avons subis ces exercices énervants qu’en rangée immobile devant un appareil, nous exécutions à tour de rôle sur l’exemple et l’injonction d’un moniteur. Et nous nous souvenons encore de la stupide attention que l’on mettait à nous éloigner de tous les exercices amusants les plus hygiéniques, justement parce qu’ils étaient amusants.

« Les exercices difficiles, dit le Dr Lagrange, entrent pour les trois quarts dans l’enseignement de la gymnastique adopté par l’Université. Le trapèze, les anneaux, la barre fixe sont la terreur de certains débutants, qui se mettent à la torture non les muscles, mais le cerveau ― pour arriver à réussir un mouvement difficile. Trop de travail nerveux et trop peu de travail musculaire ! Voilà le reproche qu’on peut faire aux exercices en vogue dans les établissements d’éducation.

« Qu’on ordonne l’escrime, la gymnastique avec appareils et l’équitation de haute école à tous les désœuvrés de l’esprit dont le cerveau languit faute d’action. L’effort de volonté et le travail de coordination que ces exercices nécessitent, donneront aux cellules cérébrales engourdies une excitation salutaire. Mais à l’enfant surmené par le travail des livres, à celui dont les centres nerveux se congestionnent sous l’effort intellectuel persistant dû à la préparation d’un concours, à celui-là il faut prescrire les longues marches, l’exercice si facilement appris de l’aviron, et, faute de mieux, les vieux jeux français de saute-mouton et des barres, les poursuites, la course, tout enfin, plutôt que les exercices savants et la gymnastique acrobatique. »

  1. Un volume in-8° de la Bibliothèque scientifique internationale, Alcan.