Les exilées de 1871/Non, Dieu n’est pas !

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Les exilées de 1871
(p. 33-35).

NON, DIEU N’EST PAS !


À Albert Goullé.


S’il est un Dieu créateur de la terre,
Où donc est-il ? Et qui donc l’a créé ?
Le croyant dit : – C’est un profond mystère ;
Et c’est par lui que l’homme a procréé.
S’il est un Dieu, pourquoi fait-il les hommes
Lâches et vils, tueurs et criminels ?
Comment fit-il l’étendue où nous sommes ?
Et tous ces feux qu’on dit être éternels ?

Non, le soleil illuminant le monde,
Les astres d’or planant dans le ciel bleu,
Les océans où la tempête gronde
N’affirment point l’existence de Dieu !

S’il est un Dieu, pourquoi fait-il des nègres ?
Pourquoi noircir toute une race ainsi ?
Pourquoi du miel et pourquoi des fruits aigres ?
Pourquoi l’abeille et des frelons aussi ?
Pourquoi des rois et des foules vulgaires
Pourquoi de l’or aux uns ? aux autres, rien ?
S’il est un Dieu, qu’il empêche les guerres !
Pourquoi le Mal domine-t-il le Bien ?


Quand les volcans allument l’incendie,
L’homme ébahi s’avoue être ignorant.
Dans mille endroits, la mer s’est agrandie ;
Pourquoi l’abîme et pourquoi le torrent ?
Pourquoi l’orage inonde-t-il les terres ?
Pourquoi les monts portent-ils des glaçons ?
S’il est un Dieu, pourquoi donc les tonnerres
Et leurs éclairs brûlent-ils les moissons ?

S’il est un Dieu, pourquoi donc la folie
Existe-t-elle en des cerveaux nombreux ?
Pourquoi faut-il qu’un pauvre s’humilie,
En se courbant, devant un homme heureux ?
Pourquoi voit-on des castes et des classes ?
Des fainéants raillant les travailleurs ?
Et des bourgeois volant les populaces ?
S’il est un Dieu, pourquoi des fusilleurs ?

S’il est un Dieu, pourquoi nous fait-il bêtes
À dévorer les autres animaux ?
Pourquoi fait-il disparaître nos têtes ?
Pourquoi nos corps souffrent-ils tous les maux ?
Puisque c’est lui qui, dit-on, nous protège,
Pourquoi la rage ? et le tigre qui mord ?
S’il est un Dieu, pourquoi fait-il la neige ?
Pourquoi le froid, la torture et la mort ?

Victor Hugo, tout croyant qu’il puisse être,
N’est qu’un penseur, un sublime animal.
Dût-on jamais m’enfermer à Bicêtre,
Comme Proudhon, je dis : Dieu, c’est le mal !
Dieu, c’est l’erreur ; oui, tout nous le démontre :
Pourquoi toujours l’imposer à nos fronts ?

S’il est un Dieu, qu’il nous parle et se montre !
S’il est puissant, nous nous inclinerons.

Non, Dieu n’est pas ! Et je le dis aux prêtres,
Au pape, au czar, aux empereurs, aux rois,
Non, Dieu n’est pas ! Et vous, souverains maîtres,
Vous nous mentez pour nous ravir nos droits.
De votre Dieu s’écroule la légende,
La Vérité guide à présent nos pas.
Devant les faits, le mensonge s’amende,
Et la raison nous dit : Non, Dieu n’est pas !

Non, le soleil illuminant le monde,
Les astres d’or planant dans le ciel bleu,
Les océans où la tempête gronde
N’affirment point l’existence de Dieu !

1878