Aller au contenu

Les fantômes blancs/21

La bibliothèque libre.
Éditions Édouard Garand (p. 35-36).

CHAPITRE III
RAYONS D’ESPOIR.


Après le départ de Georges, Mme Merville resta un moment pensive, puis un étrange sourire entr’ouvrit ses lèvres.

— Paul arrivera trop tard, murmura-t-elle, et je crois que ce monsieur Georges n’y reviendra plus… Mais quelle ressemblance ! J’ai bien cru un instant que c’était mon beau-fils… Et le chevalier qui venait de m’annoncer sa mort ! Qu’importe, le premier acte de la comédie est joué, Marguerite va faire les frais du second en épousant Laverdie. Pour Odette, je trouverai bien le moyen de me débarrasser d’elle. Qui sait, mon cousin Harry m’aimera peut-être lorsque Marguerite ne sera plus là, je suis encore jeune, riche et belle ? C’est singulier comme cet amour s’est emparé de mon cœur, moi qui n’ai jamais aimé que les plaisirs et la richesse… Oui, j’aime Harry, et jamais Marguerite ne l’épousera. Ah ! que je la déteste cette fière créature qui ne craint pas de me braver. Je briserai ton orgueil, Marguerite, en te jetant aux bras d’un bandit dont la tête roulerait sur l’échafaud si sa véritable personnalité était connue. Je vais d’abord essayer la persuasion, et si je ne réussis pas, en avant les grands moyens. Elle sonna, et la petite servante accourut.

— Allez dire à Mlle Marguerite que Je désire lui parler.

Marguerite ne tarda pas à paraître ; elle entra, la tête haute, et sans saluer sa belle-mère, elle demanda :

— Que me voulez-vous, madame ?

La voix de la jeune fille trahissait l’émotion à laquelle son âme était en proie. Le léger cercle de bistre qui entourait ses yeux attestait qu’elle avait dû beaucoup pleurer. Et cependant, on lisait une énergie indomptable dans son regard fier et droit.

Ellen se fit toute gracieuse.

— Asseyez-vous d’abord, ma chère, dit-elle, vous savez toute la part que je prends à votre malheur, mais il ne faut pas vous laisser abattre par le chagrin. Vous n’êtes pas seule au monde, il vous reste des amis.

— Des amis ? s’écria Marguerite, vous osez me dire cela, madame ? Et avec ce sang-froid ? Oubliez-vous que ces amis, non contente de les avoir congédiés, vous m’avez encore interdit toute communication avec eux ?

Un éclair de colère passa dans les yeux d’Ellen.

— Je ne parle pas des Jordan que vous ne reverrez jamais, dit-elle, mais vous avez un ami, Marguerite, un ami qui deviendra, quand vous le voudrez, un compagnon fidèle.

— Pas un mot de plus, madame, nous ne nous entendons pas sur ce point. Je sais trop bien à quelle espèce d’hommes appartient votre soi-disant chevalier.

— Mais, ma chère, réfléchissez… il y va de votre bonheur.

La jeune fille se leva frémissante.

— Inutile d’insister, dit-elle, je ne consentirai jamais à ce mariage. Jamais, entendez-vous ?

Et elle sortit, le front haut, mais avec la sensation que quelque chose se brisait dans son cœur.

Odette l’attendait avec Impatience ; elle vint se jeter dans ses bras.

— Encore quelque méchanceté ? dit-elle.

— Rien de nouveau, ma pauvre Odette, elle voulait seulement me parler de son estimable Laverdie.

— Le vilain homme ! Tu ne l’épouseras pas, Marguerite… Tu serais malheureuse, vois-tu…

— Ne crains pas cela, ma petite Odette ; je retournerai au couvent plutôt. M. Jordan va guérir et il aura bien assez d’influence pour nous sortir d’ici.

— Ah ! ma sœur, si Paul eut vécu… Et l’enfant se mit à pleurer. C’était bien toujours la même, cette petite Odette toute frêle et toute pâle. Elle était belle pourtant, plus belle que Marguerite, et l’on se sentait invinciblement attirer vers cette jeune fille qui faisait songer aux jolies plantes qui s’étiolent faute de soleil.

Marguerite avait attiré Odette près de la fenêtre, et tout en s’efforçant de la consoler, elle regardait au dehors. La nuit était sombre ; un épais brouillard couvrait le fleuve et s’étendait sur la ville en vapeurs denses que perçaient seules les pâles lumières qui tremblotaient derrière les vitres des maisons.

Odette, bercée par les douces paroles de sa sœur, avait cessé de pleurer, et maintenant, appuyée sur son épaule, elle regardait machinalement toutes ces lueurs pâlottes qui semblaient lutter contre l’obscurité.

Le bruit d’un pas sur la neige vint les faire tressaillir.

— J’ai peur, dit Odette en se serrant contre sa sœur.

Mais le nom de Marguerite prononcé par une voix assourdie à dessein, se fit entendre au dehors.

La jeune fille ouvrit la fenêtre.

— C’est moi, dit-elle.

— Descendez vite un fil, quelque chose, j’ai une lettre pour vous.

— C’est Mme Bernier, dit Odette, une lettre de Lily, sans doute.

Marguerite prit, dans une corbeille, un peloton de fil qu’elle laissa dérouler, tout en gardant l’extrémité du fil dans sa main.

— Tirez maintenant, dit Mme Bernier, cette lettre va vous faire faire de beaux rêves. Bonne nuit, chères petites.

— Merci, bonne amie, murmurèrent les deux sœurs.

— Lis vite, dit Odette, j’ai hâte de savoir.

Marguerite alluma une bougie, s’assura que la porte était bien close, et revint près de la table.

— Je ne connais pas cette écriture, dit-elle en ouvrant la missive d’une main que l’impatience faisait trembler.

Le premier feuillet qui frappa ses yeux fut la lettre de Paul.

— Mon Dieu ! murmura-t-elle en joignant les mains. Est-ce possible ?… Pourtant, c’est bien son écriture… voyons cet autre papier… Odette, ma chérie, nous reverrons notre bon Paul… Il est en France. Écoute sa lettre et celle de son ami… Et Marguerite, d’une voix émue mais avec une grande joie au cœur, commença cette lecture qui leur rendait l’espoir en des jours meilleurs. Odette, très pâle, mais les yeux brillants de joie, l’écouta sans l’interrompre. Lorsqu’elle eut fini, elle l’entraîna au pied du crucifix qui ornait la muraille.

— Remercions Dieu, dit-elle.