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Les fantômes blancs/33

La bibliothèque libre.
Éditions Édouard Garand (p. 54-55).

CHAPITRE XV
DÉPART DE GEORGES.


Le soir en revenant au logis, par un splendide clair de lune, Georges demanda à M. Jordan une place dans sa voiture.

Lorsqu’ils furent en route, Georges fit part au vieux couple étonné des tristes confidences de leur nièce.

— Pauvre petite ! s’écria la bonne tante, elle n’a pas osé nous confier sa peine. Mais nous ne mettons pas d’obstacle à sa vocation. Seulement, nous lui demanderons d’attendre encore quelques mois. Il faudra s’habituer à l’idée de la perdre. Cette enfant est toute notre joie, monsieur.

C’est vrai, dit M. Jordan. La maison serait bien triste sans notre Lily. Tachons de retrouver Marguerite et Odette. Alors Lily pourra suivre sa vocation. Nous la regretterons, sans doute, mais nous ne serons plus seuls.

Les larmes étouffèrent la voix du pauvre oncle. Georges, certain que la cause de sa petite amie était gagnée, respecta cette douleur, et le voyage s’acheva en silence.

Aussitôt arrivé à la maison, le jeune homme souhaita le bonsoir à ses amis, et monta dans sa chambre. Il éprouvait le besoin d’être seul un instant : cette nuit étant la dernière qu’il passait sous le toit hospitalier, où il avait rencontré des amis véritables. Demain, il partirait pour s’en aller vers l’inconnu.

Et la pensée de Georges allait vers Philippe, parti depuis de longs mois Reviendrait-il avec cette grâce si impatiemment attendue ? Lui serait-il donné de revoir son cher pays des Vosges ? et sa mère ? et sa sœur ? restées si seules dans le vieux manoir féodal…

En ce moment, le jeune O’Reilly ouvrit doucement la porte :

— Bob est avec moi, dit-il. Peut-on entrer ?

— Certainement, j’ai hâte de savoir.

— Je n’apporte pas de bonnes nouvelles à mes frères, dit l’Indien. J’ai parcouru toutes les paroisses d’ici à Montréal ; j’ai visité toute la ville, rien, toujours rien.

Une profonde douleur se peignit sur les traits d’Harry.

— Ma pauvre Marguerite est perdue, dit-il.

— Ne dites pas cela. Nous les retrouverons, mon ami, ce n’est qu’une question de temps. Moi-même, je vais me mettre en campagne ; il faut que je les retrouve. C’est moi qui possède les titres de leur fortune.

— Oui, une fortune qui leur venait de leur mère. Paul en avait dit un mot à Lily avant son départ : il vous a confié ses titres ?

— Oui, la veille de la bataille qui devait lui être fatale. Il me remit ses papier. « S’il m’arrive malheur, » me dit-il, « tu iras chez maître Darcourt, notaire à Montréal, et avec les papiers contenus dans ce portefeuille, tu te feras remettre l’argent nécessaire à mes sœurs. Marguerite », ajouta-t-il, « son avenir est assuré, elle sera la femme d’Harry. Mais Odette ! il faut que tu me promettes de seconder Harry et Marguerite afin d’écarter de cette nature sensitive tout ce qui pourrait la rendre malheureuse ; elle aura assez de souffrir de ma mort… », acheva-t-il d’un air sombre.

Je lui promis tout ce qu’il voulut. À présent que ses prévisions se sont réalisées, il faut que je m’acquitte de ma promesse. Mais pour m’en acquitter, il faut avant tout que je sache où sont ces jeunes filles !

— Je vais partir avec mon frère pour St-Thomas, dit Bob, peut-être sont-elles cachées dans quelque paroisse en bas du fleuve. Elles ne peuvent être bien loin, il me semble ?…

— Que Dieu vous entende et vous assiste, ami Bob… Je voudrais être libre comme vous… mais je suis lié par mon service. Bonsoir, à demain.

Le lendemain, Georges prenait congé de ses hôtes, en leur promettant de revenir dans le cours de l’été. Puis il prit avec l’Indien la route du petit village qu’il avait choisi pour sa résidence temporaire.

Fin de la deuxième partie.