Les fantômes blancs/40

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Éditions Édouard Garand (p. 60-61).

CHAPITRE VII
LE DOCTEUR GEORGES.


Georges de Villarnay et Bob, partis ensemble de Québec, s’étaient séparés à la Pointe-Lévis.

Georges, désireux de se procurer un cheval et une voiture, s’était adressé à l’un des hommes qui attendait les canots pour traverser le fleuve.

— Cela tombe bien, dit l’homme, mon voisin, là-bas, est venu pour vendre son attelage. Hé ! Charlot, arrive ! mossieu veut t’parler.

L’homme vint. Le cheval et la voiture furent trouvés en parfaite condition, et le prix modéré. Le jeune homme paya et se fit indiquer le chemin qui conduisait à St Thomas.

— J’en arrive justement, dit l’homme. Restez-vous par là ?

— Non, mais je vais m’y établir pour quelques mois.

— Bon ! Vous avez besoin d’une maison toute grayée ?

— Mais oui, si je la trouve.

— Ben vous savez, j’vas rester dans les postes de pêches ; j’ai une petite maison, juste derrière le cimetière. Avez-vous peur des morts ?

— Non, dit Georges qui riait, et ni des vivants que je sache.

— Ben, pour un écu par mois, j’vous loue ma maison et tout son « grément ». V’là la clef.

— Va pour un écu par mois, en voici 6, vous viendrez chercher le reste.

— Bonne chance et merci, jeune homme, dit l’individu en s’éloignant.

Georges sauta dans sa voiture et prit le chemin qu’on lui avait indiqué. Il n’avait pas fait une lieue qu’il rejoignit Bob. Il le fit monter en voiture avec lui :

— Nous allons visiter ma maison, dit-il.

— Votre maison ? dit Bob incrédule.

— Oui, celui qui m’a vendu cet attelage, m’a loué en même temps une maison avec son « grément », m’a-t-il dit.

— Ce qui en language du pays signifie, toute meublée.

— C’est ainsi que je l’ai compris.

Il était huit heures du soir lorsqu’ils arrivèrent à la petite maison louée par Georges. Celui-ci constata avec plaisir, qu’avec quelques meubles, il pourrait en faire une habitation assez confortable.

Elle se composait d’une cuisine, d’une salle à manger et d’un cabinet, où le docteur se dit qu’il installerait son bureau. Sous le comble, on voyait deux petites chambres à coucher.

Les deux hommes soupèrent avec les provisions achetées en route, puis l’on décida que Bob partirait de bonne heure le lendemain, pour explorer les paroisses situées en bas du fleuve… Le lendemain, Georges se rendit chez l’unique marchand que possédait la paroisse, et acheta ce qui manquait à son installation. Plusieurs personnes se trouvaient présentes aux emplettes du jeune homme. On le questionna. Il leur dit qu’il était docteur et qu’il voulait s’établir dans la paroisse.

— Vous êtes docteur ? s’écria une femme qui se trouvait là. J’ai un pauvre garçon bien malade ! Voulez-vous v’nir le voir ?

Georges suivit la femme qui demeurait tout près. Le fils était fort malade. Georges dit à la femme de venir chez lui chercher quelques remèdes. Alors une autre personne, qui tricotait dans un coin de la chambre, dit en s’avançant :

— C’est moi qui va avec le docteur.

C’était une personne d’environ 50 ans, à la figure douce et triste…

Le docteur lui remit les remèdes et lui donna en même temps les instructions nécessaires. Le soir, elle revint dire au docteur que M. le curé avait dit que le jeune homme était sauvé.

— À c’te heure qu’on a pu besoin d’moé, là-bas, dit-elle timidement, si vous vouliez, monsieur l’docteur, j’viendrais faire votre ménage.

— Mais je veux bien, dit Georges, il me faut une fille sérieuse pour prendre soin de la maison. Revenez demain.

C’est ainsi qu’Angèle Côté, c’était le nom de la vieille fille, devint la servante de Georges.

Celui-ci continua ses recherches pour retrouver les sœurs de Paul, sans se douter qu’elles étaient là à quelques pas de lui.

Il cherchait dans toutes las paroisses, à plusieurs lieues à la ronde, sans rencontrer aucun indice qui le mit sur la trace des fugitives. Bob non plus ne donnait pas de nouvelles. Le docteur Georges est devenu populaire, et l’on s’occupe beaucoup de lui.

Il est six heures du soir, et la nuit vient vite au mois de septembre. La pluie fouette les vitres, qui se couvrent d’une légère buée produite par la douce chaleur qui règne dans la pièce.

Angèle dispose la table pour le souper de Georges, et marmotte entre ses dents : Si ça du bon sens d’être malade quand y mouille comme ça. Sainte bénite ! Ce pauvre m’sieu, y va attraper l’rhume, ben sûr.

L’entrée de celui qui l’inquiétait vint interrompre la bonne vieille.

— Ah, Seigneur ! vous v’la enfin. Vite allez vous changer. Si ça une miette de bon sens de s’laisser mouiller comme ça !

Georges s’empressa d’obéir tout en riant de l’émoi d’Angèle.

Lorsqu’il redescendit, le souper l’attendait tout fumant sur la table. Le docteur, affamé par une longue course, y fit largement honneur, à la grande satisfaction de la servante.

Après le souper, Georges prit un livre et alla s’asseoir près du feu. Il lisait depuis quelques minutes lorsqu’on frappa à la porte.

Le docteur ouvrit, et sa surprise fut grande en reconnaissant le notaire Ménard, qu’il connaissait pour l’avoir vu chez un malade.

— Bonsoir docteur, je ne vous dérange pas ? demanda le triste sire avec un air protecteur.

— Bonsoir monsieur, asseyez-vous, dit Georges en avançant un siège.

— Je viens vous voir le premier, commença le notaire, pour vous donner l’exemple, car vous menez une véritable vie d’ermite. Vous devez vous ennuyer à mourir ; toujours ici.

— Vous êtes bien bon de vous occuper ainsi de moi, répondit ironiquement Georges. Mais je ne m’ennuie jamais, monsieur. Au retour de mes congés, j’aime à prendre place près du feu avec un de mes livres favoris. Les livres sont des amis qui ne trahissent pas.

— Soit, vous êtes philosophe et je voudrais vous ressembler. Voilà plus d’un an que je suis ici, et je ne puis me faire à cette vie monotone. Si ce n’était certaines… attaches… ajouta le sot, en clignant de l’œil. Mais chut… pas d’indiscrétion… À propos, on dit que vous avez de fort jolies voisines ?

— Vous devez être renseigné sur ce point mieux que moi, monsieur, dit froidement le docteur, que cet entretien agaçait. Vous fréquentez cette maison, je crois ?

— C’est vrai, je suis le notaire de Mme Nadeau. Mais je ne vois pas les jeunes filles. J’avais pensé que vous auriez pu les voir au jardin.

— Je les ai vues, mais toujours voilées. Or, je n’ai aucun attrait pour les gens qui se cachent.

— Et pourquoi supposez-vous qu’elles se cachent ?

Georges haussa les épaules.

— Si elles ne se cachent pas, pourquoi sont-elles voilées comme les femmes d’Orient ?

Ménard n’avait rien à répondre. Il se défiait de ce docteur établi si près des recluses, le prenant pour un émissaire de Murray. Devant l’indifférence du jeune homme, il fut complètement rassuré, ne soupçonnant pas que sa visite devait avoir un autre résultat que celui qu’il attendait. En effet, depuis la visite du notaire, Georges s’était demandé cent fois, si ses mystérieuses voisines n’étaient pas celles que Bob cherchait encore sur la côte nord. Il avait un moyen bien simple de s’en assurer, c’était de faire disparaître le collier de barbe qui cachait ses traits délicats. Ce fut l’affaire de quelques minutes.

— Si Paul leur a parlé de notre étrange ressemblance, se dit-il, elles me reconnaîtront.