Les fantômes blancs/46
Dans son cabinet, Georges de Villarnay avait mis en ordre les papiers qu’ils voulaient emporter, au cas où son absence se prolongerait, puis il se rendit chez Mme Merville.
Celle-ci n’avait pas repris connaissance, le docteur donna ses instructions à Nanette, et lui dit de ne pas s’inquiéter au sujet d’Odette.
— Elle partagera la chambre de ma vieille Angèle, cette nuit. Vous préparerez, ses effets car je veux la conduire à Québec demain.
— Et ma pauvre Marguerite ?
— Ménard doit l’avoir entraînée à Québec. Avec l’aide d’Harry, j’espère la retrouver là. Si votre maîtresse revient à elle, prévenez-moi, je reviendrai dans la soirée.
En entrant chez lui, le jeune homme trouva Odette assise près d’Angèle, écoutant une histoire que la vieille fille lui racontait.
— Tu ne ramènes pas Marguerite, Paul ?
— Je t’ai dis que nous irions la rejoindre demain ; ma petite, tu vas souper et aller dormir sur le lit d’Angèle, elle est très bonne, vois-tu !
— Je sais, dit la jeune fille, en tendant son front à la servante. Je serai très bien près de vous.
La table était prête ; Odette mangea de bon appétit, puis elle prit le bras de la vieille fille :
— Je vais dormir, dit-elle. Bonne nuit, Paul !
— Bonne nuit, petite sœur… Odette se laissa déshabiller. Puis elle s’agenouilla, et dit à Angèle :
— Venez prier près de moi, comme Nanette.
Le docteur se disposait à sortir lorsqu’on frappa à la porte.
— Entrez, dit-il d’un ton un peu contrarié.
La porte s’ouvrit sous une main impatiente et une voix joyeuse s’écria :
— Enfin, me voilà arrivé !
— Philippe !… c’est toi !… et Georges vint tomber dans les bras de l’arrivant.
— Tu étais loin de m’attendre, hein ! mon bon ! J’en ai long à te raconter vois-tu, mais la table est encore toute servie, et j’ai une faim de loup. Pour te faire prendre patience, je te dirai que tout le monde est bien au pays. À présent, laisse-moi satisfaire mon appétit, conclut le jeune homme en se servant une copieuse tranche de porc.
— Incorrigible farceur ! dit Georges, gagné par cette gaieté communicative, tu seras donc toujours le même.
— Que veux-tu que j’y fasse, mon ami, dit Philippe, la bouche pleine ; c’est si bon de rire, même lorsqu’on a envie de pleurer.
— Hélas, je crois que je ne sais plus rire, dit le docteur.
— Tais-toi, je t’apporte un tas de bonnes nouvelles. Ta mère est en excellente santé ; Éva est maintenant une charmante jeune fille, et notre exil finit dans six mois.
— Avec la perspective de revoir ma belle France, six mois seront vite passés. Mais pourquoi ne pas partir cet automne ?
— Ce sont des choses que je ne puis communiquer qu’à toi. As-tu une chambre où nous puissions causer sans être entendus.
Georges se tourna vers Angèle qui finissait d’enlever le couvert.
— Il est tard, ma bonne, dit-il, retournez près d’Odette. Monsieur et moi, nous avons à causer.
La servante obéit.
— Tu peux parler maintenant, personne ne viendra nous troubler.
— Oui, mais laisse-moi te demander quelle est cette Odette à laquelle tu sembles t’intéresser ?
— C’est la sœur de notre ami, Paul Merville.
Et le jeune docteur raconta à son ami attentif tout ce qui s’était passé depuis son départ.
— Tu comprends, dit-il en terminant, que j’aie arrachée la pauvre petite de cette sinistre maison. Demain je vais la conduire chez des amis, puis je me mettrai à la recherche de sa sœur. À présent, dis-moi tout, j’ai hâte de savoir.