Les ferments/IV

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Imprimerie Beauregard (p. 27-29).

IV

L’Œuvre


Hardi ! Faisons pleuvoir les tiges et les fanes,
Avec le fruit charnu des glumes diaphanes.
Poussons notre conquête au rythme de la faulx.
L’heure de la moisson veut des zèles rivaux.
La glèbe se remplit de javelles aurées
Au balancement dru des mains accélérées.
Coupons ! Élargissons la courbe des andains,
Et laissons le musard à ses honteux dédains.

L’atavisme du sol a des droits de noblesse
Trop rudes pour les bras que la besogne blesse.
Fauchons ! Le bruit des faulx soulage les épis,
De richesses gavés et longtemps assoupis
Dans le mûrissement des forces qu’ils recèlent,
Et dont les embonpoints sous le fardeau chancellent.
Chantons à la vigueur des champs ! Un refrain vieux,
Comme les vins cavés, se fait plus généreux.
Le neuf est aujourd’hui l’âme des vieilles choses,
Et le froment renaît du fléau des nivôses.
Les taillants sonnent clair, dans l’or des chalumeaux,
Et leur fanfare éclate aux seuils de nos hameaux.
Un crissement confus de paille qui s’écrête
Évoque les cargos, et les blés mis en crête,
Des jours où nos greniers, en vidant leur trésor,
Livrent à l’océan les céréales d’or.
Hardi, les gars ! La brise au sein des champs déroule
Une majestueuse et permanente houle
Vibrante de soleil et de flots diaprés,
Où plonge en grisolant l’alouette des prés,

Muse des paysans et reine des chaumages.
Hardi ! Elle nous voit, et gare le chômage !
Son vol est un délire, ainsi que sa chanson.
Tombe la faulx, tombe le blé, tombe le son
Qui part, va, vient, et court, au gré de la romance.
Une fauche finit, puis une autre commence,
Sans vide, sans repos, irisant de paillons
La poussière en tourmente au-dessus des sillons :
C’est la fête des prés, vive, lyrique, folle,
Précipitant l’acier dans la muraille molle,
Mettant le corps en nage et le rire en moiteur.
Hardi ! Tant vaut l’épi, tant vaudra le batteur !
Un volier de bambins recueillera les glanes
Où le fer a troué des immensités planes.
Chaque pas en avant est une vérité
Qui dévoile aux vaillants l’Invisible Bonté !