Les fiancés de 1812/014

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Louis Perrault, imprimeur (p. 285-287).

LETTRE SECONDE

Gonzalve de R… à Alphonse de P…


Reviens, mon cher ami, reviens de tes courses généreuses. Je serai à Montréal demain, où je t’attendrai quelques jours. Je reçois à l’instant une lettre du bon Brandsome qui est loin de nous avoir oubliés. Cette lettre, après un mois et demi de tours et détours, m’apporte bien des soulagements dans mes peines. Louise est dans les États-Unis, dans une famille respectable qui parait en avoir grand soin. Tu cours donc en vain les forêts de Frontenac et de George Town. J’ai aussi parcouru en vain toutes les parties du Bas-Canada. J’avais cru pouvoir obtenir quelques renseignements de l’oncle de ma Louise ; mais je n’y ai rencontré qu’un accueil de civilités importunes. Ce monsieur est très humain et diffère de beaucoup de son malveillant frère. J’ai appris de lui que St. Felmar se trouvait, en ce moment, privé de ses deux enfants de la même manière à peu près. Son fils doit avoir maintenant vingt-cinq à vingt-six ans et parcoure l’Europe, ignorant ce qu’est devenue sa famille.

Après avoir laissé Québec comblé des amitiés du frère de St. Felmar, j’ai porté mes pas chagrins jusqu’à Kamouraska, sans autre distraction qu’un assaut nocturne par une troupe de brigands dont il m’a fallu tuer un pour conserver ma bourse et ma vie. Je ne t’en dis pas long. Je suis encore plein d’inquiétudes et de tourments. Car ce que me dit Brandsome est déjà bien ancien. Ce sont des événements qui datent de l’automne dernier. Dès que tu seras de retour à Montréal, je partirai pour les États-Unis. Je ne sais si l’on me laissera passer les frontières ; mais il le faudra à tout prix.

Ta présence me sera absolument nécessaire ; car il est temps de rentrer à l’armée. Et j’attends de ton dévouement que tu me fasses le plaisir de tenir ma place quelque temps, avec l’agrément du gouverneur que j’aurai dès demain.

Adieu donc, et de la promptitude,

Gonzalve.

Trois-Rivières, 30 août 1813.