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Les fiancés de 1812/023

La bibliothèque libre.
Louis Perrault, imprimeur (p. 378-469).

IV.



APRÈS la célébration de ce triple mariage, qui fut aussi brillante qu’on peut s’y attendre, Gonzalve retourna à l’Île pour mettre ses affaires en ordre. Gustave fut assez occupé à calmer la fureur de son père, pour ne pas songer dès les premiers jours à satisfaire la curiosité de sa sœur. L’épouse du millionnaire vainquit la mauvaise volonté de son mari et revit souvent ses heureux enfants. La famille de Brandsome arriva sous quelques jours et fit recommencer les fêtes. Le père de notre ancien captif tenait à une des premières familles de la République. Il était membre du Sénat et jouissait d’une grande célébrité dans la diplomatie Américaine. Ses occupations publiques l’avaient empêché d’assister au mariage de son fils ; mais il fut heureux de le ratifier au sein de la nouvelle famille que venaient de lui créer l’hymen et l’amitié. Son séjour ne fut pas de longue durée en Canada. Il y laissa une fleur propre à distraire Gustave de ses soucis. C’était Eliza, la sœur de Brandsome… Eliza, la fleur du sentiment… l’ange des poètes. Ce n’était pas la beauté qui exerça le pinceau de Zeuxis, mais c’était cette figure simple, blanche, pensive qui peint l’âme au premier coup-d’œil. La rose n’a pas coloré ses traits, mais le lys incarné sur son front marie sa couleur à l’azur de ses veines qui se partagent en mille filets et répandent leurs ombres légères, comme l’arc brillant qui annonce la pureté de l’air et la sérénité du ciel. Une taille élégamment élancée dans un corsage étroit et flexible, un petit pied de déesse, une main qui semble toujours apprêtée aux désirs des lèvres, un cou d’ivoire énergiquement appuyé sur deux tours mouvantes de sentiment ; tout cela réuni au costume enchanteur des Américaines, faisait amplement oublier ce qu’il y avait d’irrégulier dans sa figure.

Les délicieuses inspirations de son âme eussent d’ailleurs suffi pour lui gagner les bonnes grâces d’un jeune homme dont l’amertume croit en proportion du bonheur de ceux qui l’entourent. Rien n’est en outre plus propre à cicatriser les plaies du cœur qu’une âme qui sympathise dans nos goûts, et puise la vie à la même source. Qu’on ne croie pas pour cela qu’Éliza fût déjà passée par les douloureuses entraves causées par l’amour ou les autres difficultés de la vie. Au contraire son enfance avait été semée de fleurs, elle avait toujours joui d’un bonheur paisible.

Son éducation alimentée néanmoins par une trop grande accumulation de sciences et d’études, par un gout extraordinaire de tout savoir, l’avait placée dans un rang particulier et peu ambitionné par son sexe. Aimant la retraite et l’isolement, elle consacrait ses jours entiers à l’étude. Depuis une couple d’années, son père l’ayant forcée de laisser les études abstraites, elle s’était livrée avec passion à la lecture des romans. Elle y avait puisé un peu d’exaltation, mais en revanche une grande élévation de pensées et de cœur.

Le nom qu’elle portait avait réveillé beaucoup de souvenirs chez Gonzalve et son épouse.

Un jour qu’ils étaient tous ensemble le colonel en prit occasion de dire à Brandsome.

— Vous rappelez vous avoir entendu prononcer le nom d’Éliza dans une circonstance dont les suites furent plus heureuses que le début ? »

— Fort bien, répondit-il, mais je crois qu’il vous en est resté un plus profond souvenir qu’à moi. »

— En effet, dit Gonzalve, en laissant voir sa main gauche marquée d’une longue couture. »

— Quoi ! dit Louise, ce nom vous reporte à l’époque de votre connaissance ! Par une coïncidence assez bizarre il me rappelle aussi mes premières connaissances avec Mr. Brandsome. Éliza est le nom de la femme de Robert, fils du brave Thimcan. Le nom d’Éliza marquera donc trois grandes époques dans notre vie. »

— Je parie que la dernière est la plus heureuse, dit Gustave avec une gaîté empruntée.

— À propos, continua Brandsome ? de l’Éliza qui est commune à la mémoire du colonel, d’Alphonse et de moi, il faut faire remarquer à ces dames que ce nom fut prononcé dans le moment où je remettais mon épée à Alphonse et que le colonel tombait de fatigue et criblé de coups. Nous venions de nous rencontrer dans les forêts de Chateaugay. Nous étions trois contre Alphonse et le colonel. L’un de nous trahit lâchement ses amis, le second tomba sous le glaive de Gonzalve en soupirant les noms magiques de « Mother et Éliza, » et moi, je restai au bout de l’épée d’Alphonse, forcé de lui rendre foi et hommage et de lui demander la vie. »

Brandsome s’établit dans le voisinage du colonel, y passant les six mois d’été et l’hiver à New-York.

Gustave devait enfin remplir ses obligations avec sa sœur, c’est-à-dire, lui faire le récit de sa vie. Une circonstance l’obligea de venir à cette démarche plutôt peut être qu’il ne l’aurait voulu. Un jour que les amis étaient à la chasse, chacun racontait son histoire. Gustave les surpassait tous en récits extraordinaires. Il piqua leur curiosité à un tel point que Brandsome lui dit enfin :

— Que diable ! d’où venez vous donc, vous ? Sont-ce des contes de fées que nous faites là, ou vous serait-il en effet arrivé de pareilles aventures ? Si vous nous parlez vrai, j’aimerais bien à vous connaître de plus près.

— J’avoue, dit Gustave, que le récit de mes aventures pourrait vous amuser, mais il m’en coûterait de me voir forcé de rompre avec d’aussi bons amis.

— Et pourquoi donc, reprirent-ils, vous plaisantez ? »

Plus on s’efforce de cacher une chose, plus les curieux nous poursuivent. Ce fut le cas avec les amis. Gustave se vit enfin engagé à promettre ce récit.

— Mais donnez moi deux jours, dit-il et je vous le livrerai en manuscrit.

— Ce sera encore mieux reprirent-ils, nous pourrons nous en amuser plus d’une fois.

— Point du tout, je prétends que vous me le remettiez le lendemain, et vous saurez pourquoi quand vous l’aurez lu. »

Tout en resta là. Louise attendait avec une impatience extrême l’arrivée du manuscrit. Les deux jours écoulés, Gustave l’apporta et les laissa seuls pour en faire la lecture. On se réunit sous un berceau et Gonzalve ouvrit le cahier qui était écrit de la plus belle main possible.

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SIX ANNÉES DE MA VIE

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Vous me permettrez, mes amis, d’adresser ce manuscrit à ma sœur plus particulièrement qu’a aucun de vous. Elle sait pourquoi, et vous le saurez vous mêmes plus tard.

Avant d’entrer dans le récit d’aventures qui doivent m’aliéner tout ce qui existe de cher à ma vie, je dois, pour ma satisfaction personnelle, suspendre votre curiosité par quelques paroles explicatives. Depuis l’heureux jour qui a vu naître mes liaisons avec vous, je n’ai jamais goûté un instant du bonheur pur de l’amitié.

Non pas que le concours cordial de vos hontes, n’aient pu trouver de la sympathie dans mon cœur. Mais c’était cette sympathie même qui troublait le fond de mon âme.

J’étais né pour le bien. Le sort m’a détourné de la voie que m’avait tracée la nature. J’ai été méchant par vicissitudes et par entrainement du destin. J’ai fait le mal sans avoir l’âme de le commettre. Quoiqu’il en soit, le seul reproche que me laissent mes souvenirs, est d’avoir, depuis mon retour, assimilé et confondu une vie coupable avec celle des plus nobles et généreux jeunes gens qu’aient pu m’offrir les divers continents du globe. Je les ai trompés ces nobles cœurs par une apparente vertu. Je les ai vus me serrer la main et me dire du secret de l’âme. « Tu es aussi bon que nous. » Mais quelques années de faux pas n’avaient pas encore assez dépravé mes sentiments, pour me permettre de me croire digne de cet éloge, le seul auquel j’oserais prétendre à cette heure. Depuis longtemps vous devriez me connaître ; depuis longtemps votre confiante et sincère amitié demandait des aveux que je ne pouvais moi même cacher d’avantage. Le remord d’avoir trahi cette confiance porta souvent ces aveux sur mes lèvres. Mais soit défaut de courage ou d’occasion, six mois se sont écoulés dans ce coupable silence. Je vais à l’instant entrer en matière mais j’ose demander une faveur…… celle de me croire sincère. Ce n’est pas à regret que je me fais connaître, ce n’est pas encore parce que vous me l’avez demandé, mais pour moi même, je ne dois pas reculer cette longue confession.

Pour donner plus de cours et d’intelligence à ce récit, je l’ai divisé en trois périodes de deux ans chacune. Quelques unes seront marquées de choses rudes à avouer. En passant sur ces pages, j’attends de votre amitié un regard sur le Gustave d’aujourd’hui. D’autres seront heureusement plus paisibles et plus belles. Nonobstant mes souvenirs des mauvais jours, j’ose espérer que vous me reconnaîtrez dans ces dernières pages.

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— 1809 à 1811. —


Au commencement de l’année 1809, je me trouvais encore à l’université de Paris, depuis une époque dont j’avais perdu la mémoire. J’y avais été amené tout enfant. J’avais alors vingt deux ans. À peine savais-je encore le nom du lieu de ma naissance. Je n’ai jamais pu m’expliquer le long séjour que mon père m’a laissé faire en Europe. Il est vrai qu’à l’époque dont je vous parle, je n’avais pas encore complété mes études, qui embrassaient presque toutes les sciences. J’avais fréquenté l’Ecole Polytechnique pendant deux ans, sans savoir pourquoi. Les Français avaient dans ce temps, réellement besoin d’officiers capables. Tous mes compagnons avaient un but et une espérance en suivant cette école.

L’empereur la visitait souvent et en tira plusieurs qui ont laissé et laisseront de glorieux souvenirs dans les annales de l’empire Français.

Pour moi je savais très bien que mon père ne me destinait pas à combattre les Russes ni les Autrichiens. J’étudiais l’art militaire avec ardeur, mais par inclination seulement. Je ne voyais aucun lieu d’utiliser plus tard les fruits de cette application assidue. Je suivais toujours en même temps les cours de l’université. Je puisai comme malgré moi à la source d’une infinité de sciences, qui m’ont servi très efficacement plus tard.

Quelques connaissances en médecine et Chirurgie, jointes à celles plus approfondies de l’astronomie, des mathématiques, de la marine, et de la philosophie morale, pouvaient constituer de moi ce que l’on appelé un savant en miniature. J’étais outre cela assez bon mécanicien et artiste. Mais je n’avais de toutes ces diverses sciences qu’un aperçu assez lointain. L’art militaire avait plus de charme pour moi que tout le reste. J’en étais à cette sphère de connaissances, quand advint l’événement qui me fit déguerpir de Paris.

L’empereur avait établi des lois très sévères contre le duel. Mais cette époque réalisa plus que jamais cet axiome connu. « Plus une chose est fortement prohibée, plus elle est ambitionnée. » Les journaux contenaient chaque jour une longue liste de duels, où on eût dit que les acteurs s’efforçaient de réunir les particularités les plus intéressantes. Le sort m’avait destiné une place dans l’attention des journalistes.

L’école Polytechnique était ouverte à tous les citoyens Français sans distinction de nobles ou de roturiers, de riches ou de pauvres. Vous savez d’ailleurs que la noblesse, vers cette époque, ne levait pas haut son pied mignon et sa boucle écussonnée. J’ai vu moi-même le fils d’un cordonnier de Provence, choisi par Napoléon et placé par lui à la tête d’un corps de cuirassiers. Malgré cette égalité de rang au sein de l’école, il arrivait parfois qu’un jeune homme, qui, pour rester français, avait été obligé de convertir son nom de noblesse, se rappelait qu’il n’était pas né roturier. On fesait ordinairement disparaître ces souvenirs avec assez de sévérité. Mais la nature est quelquefois plus forte que la volonté. Je me pris un jour de querelle avec un jeune Franc-Comtois, qui, dans le cours de la dispute, commença à réciter comme un chapelet, sa lignée de noblesse, transmise de siècle en siècle jusqu’au règne de la terreur. Il établissait en même temps mes titres, qui, d’après lui, consistaient en rustre, sauvage de l’Amérique envoyé pour goûter à la civilisation &c. &c. Si bien que le lendemain matin, nous fîmes trêve avec nos cours pur visiter la forêt voisine. J’eus le malheur de le tuer à la plus belle époque de sa vie. Mon second m’écrivit plus tard que le lendemain de notre rencontre, une dépêche de l’empereur l’appelait à commander un poste important. Cette aventure en me forçant de gagner promptement l’étranger, m’apprit aussi ce que je pouvais faire de mes armes. Mon adversaire était déjà connu par son adresse et sa valeur. Napoléon l’avait remarqué, c’était assez dire.

La gendarmerie se mit avec fureur à mes trousses. Les ports de mer m’étaient très dangereux. J’avais heureusement quelques louis sur moi. Je pus traverser la manche et toucher à Portsmouth après un détour de vingt cinq lieues pour éviter les croisières de Calais. L’habitude de vivre avec les Français me fesait naturellement détester les Anglais, contre lesquels ils avaient le plus d’animosité, parce qu’ils les craignaient plus que tout autre peuple. Je partis le même jour pour la Russie où je passai trois mois en prison, sous soupçon d’espionnage. L’acceuil n’était pas propre à me faire chérir le peuple Russe. Je m’engageai comme matelot sur un navire Hollandais qui mettait à la voile pour les Indes Orientales. Mes finances étaient à bout. Ce métier me plaisait plus que celui de vagabonder en demandant ou volant mon pain. Quelque fut d’ailleurs ma condition de voyageur, le désir de voir et de connaitre, me conduisait de région en région content et heureux comme un prince. Je visitai ainsi plusieurs côtes de l’Asie. En revenant je pris congé de la mer en Grèce. Je commençai là un rôle plus conforme à mes goûts et plus favorable à ma bourse. Je savais de presque toutes les langues vivantes un petit catéchisme de lieux communs, suffisant pour me mettre en rapport avec les différents peuples que je visitais.

Les Grecs combattaient dans ce temps la domination sauvage des Turcs. Mes souvenirs de collège me fesaient estimer les Grecs avant de les connaître. Il me fallut néanmoins peu de jours pour me permettre de voir que ce n’était plus les frères des Aristide, des Thémistocle, et de tant de héros des âges précédents. Je fus volé trois fois dans l’espace de vingt quatre heures.

Je découvris cependant parmi eux des Grecs au caractère antique, à l’âme avide de liberté.

J’étais à Lépante, quand j’appris que les deux armées ennemies marchaient l’une contre l’autre à l’extrémité nord du Péloponèse. Je n’avais encore assisté à ancun combat. J’y courus avec la joie d’un insensé. J’arrivai au moment où s’engageait l’action. Les Turcs étaient deux contre un. Je vis avec regret plier les Grecs. Mon ardeur guerrière se réveilla alors dans toute sa force. Je dépouille l’un des morts, et je cours au premier rang. Un inconnu attire toujours l’attention. On me regarde avec surprise, on me suit comme par enchantement. Je saisis un drapeau et je fonds l’épée à la main sur les phalanges aux turbans jaunes. Je ne sais quelle ardeur m’animait. Dans un seul moment j’avais repassé en ma mémoire tous les exploits des Grecs primitifs. Je ne courais pas, je volais, L’Enthousiasme élève un cri terrible parmi les Grecs. En un clin-d’œil la scène change entièrement de face. De matelot vagabond, je me vols tout à coup devenir héros. Les Grecs m’entourent et centuplent mes coups. Les turbans volent en lambeaux, les moustaches balaient la poussière. Quelques braves crient encore de l’autre part «Allah ac bar ! » mais ce vieux cri du prophète n’a plus d’écho, et s’éteint sous nos glaives. La mort marque chacun de nos coups. Les fuyards culbutent les uns sur les autres et jonchent la terre en attendant leur dernière heure. C’est en vain que l’Émir déploie l’étendard du prophète. Il excite notre ardeur. Nous l’enlevons au milieu des cris de victoire de notre part et du chant de retraite de l’autre. Ainsi se termina la bataille de Cutari, qui me valut la couronne du brave et un grade élevé parmi les Insurgés du Péloponèse. Je m’amuse à vous donner des détails sur cette aventure qui vous paraîtra extraordinaire sans doute. Ce jour commença pour moi une nouvelle vie qui me conduira jusqu’à la seconde période de mon récit. J’assistai ensuite à un grand nombre de batailles qui nous furent plus ou moins heureuses. Quelques mois suffirent pour me créer véritablement Grec. J’en pris les mœurs et les usages dans toutes mes actions.

Le plus doux souvenir qu’il me reste des années passées se rattachent à cette terre de malheur. Je vivais au sein de l’opulence et des égards de tout genre. Un petit gouvernement républicain, établi pro tempore, combattait autant que possible les troubles intérieurs causés par l’anarchie. Je n’avais avec les Officiers civils d’autres relations que celles de quelques moments de relâche, passés auprès de la fille du président du conseil. L’hiver de 1810 ralentit un peu les hostilités. Je le passai à Athènes, qui était le siège du gouvernement provisoire. Au mois de janvier, j’épousai la fille du président. Mais je ne jouis pas longtemps des douceurs de cette union.

Alpina était la femme la plus accomplie que j’eusse encore rencontrée. Je l’aimai avec passion, et je ne crois pas que la suite de ma vie soit assez heureuse pour me faire oublier le court espace de temps que je passai avec elle. Plus tard cette passion me tourna à mal, et me valut les malheurs que je placerai dans la seconde partie de mon récit.

J’étais devenu l’idole des Grecs et leur roi de combat. Les postes les plus importants m’étaient confiés. Je ne sais comment j’ai pu survivre à cette année de luttes journalières, où ma vie était perpétuellement au bout des épées et à la gueule des canons. Je perfectionnai ainsi mes leçons d’escrime et ce fut avec avantage que je retrouvai les plans que je traçais autrefois sur le papier, en dépit de l’ennui et de l’inaction si peu en harmonie avec mon naturel turbulent.

Le printemps ouvrit la campagne avec le sang et la mort. Les Turcs étaient furieux et barbares dans leurs victoires. C’était le moyen de les rendre difficiles. Nos soldats n’attendant aucune faveur en subissant leur joug, faisaient payer cher leur vie. Le sultan d’Iconium investit nos frontières avec une armée de plus de cent mille hommes. Je fus envoyé contre lui avec une poignée de braves. Mais la victoire était déjà lasse de suivre mes pas.

Les ennemis étaient campés sur les bords du Vardar qui coule à travers la Roumélie et se jette dans l’Archipel après avoir salué la ville de Salonique. Il était temps d’arriver. Ils avaient construit un pont de bateaux et une grande partie de leurs troupes avait déjà traversé le fleuve. Cet endroit fut témoin de mes derniers succès. Je leur fis repasser le fleuve, et en détruisant leur pont, je les forçai d’aller chercher ailleurs un gué plus facile. Il nous fallut alors passer le Vardar pour les surveiller de plus près. Ils avaient à leur tête un général habile qui m’embrouilla de manœuvres adroites, et m’entraina jusqu’à l’autre extrémité de la Macédoine.

Le 15 juillet au soir nous campions près des ruines de Chrisopolis, en pleine sécurité, n’ayant pas vu l’ennemi depuis deux jours. Alpina me suivait partout, partageant mes fatigues et mes dangers. Nous goûtions d’un sommeil paisible, quand les Turcs tombent sur nous comme venant des nues. Ma tente était facile à reconnaître pour celle d’un des premiers officiers. À peine eus-je le temps de revêtir quelques habits, qu’une mêlée terrible s’engage à ma porte. Je sors à moitié armé, jurant de défendre mon épouse, tant qu’il me resterait un souffle de vie. Mais le courage manque avant le cœur ; car il n’existe plus quand la force l’a paralysé. Je tombai percé de coups avant de savoir sur qui frapper.

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…… Ici se trouve un déficit de plus de quinze jours dans mes mémoires. Quand des soins extrêmes me rappelèrent à la vie, je me trouvai au sein d’une famille paisible suivant dans le désert les maximes mourantes de Zoroastre. Mes premières pensées se réveillèrent en passion furieuse., Je n’avais pas la force de parler ; mais le nom d’Alpina ne cessa d’agiter mes lèvres, pendant un mois de négociations entre la vie et la mort. Dès que l’usage de la parole me fat permis, je m’informai de mon épouse. Tout ce que j’en pus apprendre me confirma dans la croyance qu’elle servait alors d’ornement au sérail d’Iconium. Quatre mois suffirent à peine pour cicatriser mes blessures. Dès que je pus écrire, je fis connaître à mon beau père et mon infortune et celle de mon épouse. Je reçus en réponse une somme considérable d’argent, et l’ordre de revenir à Athènes le plutôt possible. Je n’étais pas encore assez bon citoyen pour oublier mon épouse comme il oubliait sa fille. Je pris la route d’Iconium pour obtenir Alpina au prix de ma vie, s’il le fallait. Rien ne m’avait encore persuadé de la réalité de mes conjectures ; mais un pressentiment secret m’entrainait vers le sérail et me disait qu’Alpina y vivait. La ville m’était connue par mes lectures. Je passai tout le premier jour dans la tourelle d’un observatoir public, qui domine de loin sur le parterre du sérail. J’avais avec moi une lunette d’approche qui me révêla l’étendue de mon malheur. Sur le soir je vis sortir plus de deux cents femmes sur la terrasse… Alpina était là… Elle n’y était pas avec la honte et la tristesse d’une telle captivité… Folâtre est enjouée, elle enchérissait sur les folies de ses compagnes, qu’elle surpassait en beauté. Le sultan arriva bientôt. Alpina fut la première à courir à lui. Cette vue me plongea l’amertume dans l’âme. Alpina n’était pas digne du sacrifice de ma vie. Mais je l’aimais toujours, et quand son image revient encore à ma pensée, je pleure involontairement sur la perte de la plus adorée des femmes.

J’avais perdu ma fortune le soir de cette malheureuse surprise, mais j’étais encore riche des dons de mon beau père. La conduite d’Alpina affaiblit un peu chez moi l’estime que j’avais conçu pour le peuple Grec. Leur cause ne me parut plus si belle. D’autant plus que le souvenir de mon épouse infidèle me poursuivant sans cesse, je me sentais forcé de fuir les lieux que j’avais parcourus avec elle. Avec un peu d’économie, j’avais encore de quoi vivre et voyager pendant six mois.

Je m’acheminai tristement vers Rome que je n’avais encore jamais vue. J’y arrivai à temps pour assister au couronnement de Murât que Napoléon venait de créer roi d’Italie. J’avais été obligé de prendre la mer pour fuir la rencontre des Turcs qui me cherchaient avec fureur. Je voyais ma bourse se tarir insensiblement ; mais toujours emporté par l’ardeur des voyages, je laissai bientôt Rome pour Naples. J’avais tant lu sur les phénomènes volcaniques de cette ville, que j’aurais affronté la mort sous les laves del’Ætna, plustôt que de laisser l’Italie sans le voir. Nouveau Pline, je gravis le mont, terrible, en dépit de mes guides qui refusèrent de m’accompagner. La saison des orages volcaniques était passée. Mais un bourdonnement caverneux prédisait l’approche d’une éruption extraordinaire. Ce bruit charmait mon oreille, il m’entrainait en dépit de la crainte et des dangers. La vue du cratère de ce jeu horrible de la nature rallentit beaucoup mon ardeur. Je ne pus longtemps soutenir ce spectacle ; je redescendis et quittai Naples le même jour. Je revis Rome une seconde fois ; mais je ne m’y arrêtai pas, et je pris de suite la route de Milan, où mon humeur turbulente devait trouver des occupations satisfaisantes.

Mille petits partis divisaient alors le Milanais. Venise y projetait sourdement. Les Italiens subissaient avec répugnance le joug des Français. Les Français eux-mêmes y exerçaient un ravage perpétuel. L’Autriche intriguait aussi de son côté. J’aime à me rendre le témoignage d’avoir toujours pris le parti de la loyauté, ou au moins celui qui paraissait tel à mes yeux. Je ne pouvais rester oisif au sein d’une pareille agitation. Malheureusement il n’était pas nécessaire de chercher le bruit pour le rencontrer. Je n’aurais peut-être pas eu l’ardeur de le chercher, s’il en eût été autrement. J’évitais autant que possible l’inaction et l’oisiveté, car j’étais certain d’y rencontrer le souvenir de mon infidèle Alpina. Il fallait donc une multiplicité d’aventures pour remplir ma vie vagabonde.

Je sortis un soir, suivant mon habitude, parcourant les places publiques et cherchant les balcons de mes souvenirs romanesques. Je longeais machinalement des rues encombrées de peuples et de figures de mauvaise mine. J’étais arrivé à la joncture de quatre rues où les habitations étaient plus disséminées et l’affluence moins importune. J’entends tout à coup une détonation d’armes à feu et aussitôt après le bruit d’un combat à l’arme blanche. Je portais un large manteau sous lequel je cachais mon costume grec que je revêtais souvent par inclination. Je cours au théâtre de la lutte. Je vois trois hommes aux prises avec cinq furieux en brillant étalage. Le parti le plus faible me semblant le plus noble, je jette à bas mon manteau, et me voila à me débattre comme un énergumène. Je vous ai dit que je maniais l’épée avec assez d’adresse. J’en fis une nouvelle épreuve dans cette circonstance. J’en eus bientôt mis deux hors de combat, et il me suffit de me tourner vers les trois autres pour les mettre en fuite. Les deux vaincus étaient tombés. Une foule nombreuse nous entourait. Mais ces scènes étaient si fréquentes et si ordinaires à Milan que le peuple y assistait aussi paisiblement qu’au spectacle. Je m’attendais au moins à voir mon fait d’armes consigné à la prison. Mais à ma grande surprise, je vis tout ce peuple ébahi me féliciter sur mon succès, et mes compagnons inconnus m’entrainer avec reconnaissance dans un hôtel richement tenu. Mes deux victimes étaient restées sans secours au milieu de la rue. Quand je vis que personne ne se disposait à les aider, je voulus y aller moi même. Mes compagnons se mirent à rire de ma naïveté, et je vis qu’il fallait suivre cette mode barbare. Les ayant suivis comme je viens de dire, je fus l’objet de mille civilités de leur part. Sans presque m’en appercevoir je me trouvai à une table couverte de tout ce qu’il y avait de recherché et portant huit couverts. Nous étions déjà quatre ; les autres arrivèrent bientôt. C’était tous des gens de l’âge mûr à manières nobles et insinuantes. Les quatre derniers arrivants ne me virent pas d’un trop bon œil. Mais quelques mots échangés entre eux en langue arabe m’établirent sur le même pied qu’eux. Comme la gaieté était générale, je voulus l’augmenter par une surprise. Ils me questionnaient sur tous les points. Tellement que je ne pouvais fournir à leur répondre. D’autant plus que la langue italienne ne m’était pas très familière. Je leur demandai alors en arabe, s’il leur plairait de parler français. Ils se mirent à rire un peu honteusement en m’entendant dialecter en cette langue beaucoup plus facilement qu’eux. Le français fut adopté à l’unanimité, et je remarquai que plusieurs d’entre eux y retrouvaient leur idiome maternel. Les questions se multiplièrent alors. Il me fallut leur dire qui j’étais, d’où je venais et ce que je faisais. Quant à cette dernière partie, elle ne fut pas longue à énumérer. Je n’avais rien à cacher ; ils virent l’épuisement de ma bourse avec joie, et me proposèrent, de rester avec eux. encore quelques jours. Je crus reconnaître les soins de la providence dans ce hasard ; j’acceptai de bon cœur. Quelques jours se passèrent sans qu’ils ne me parlassent de rien. Je vivais en fêtes continuelles, et fréquentais avec eux la première société de la ville. Mais j’apercevais toujours quelques secrets à certains moments de la journée. Le soir, toujours notre table isolée et des mots glissés à la dérobée. J’entrais néanmoins insensiblement dans leurs confidences et leur intimité. Enfin, je passai un jour par la dernière épreuve. Je me promenais avec l’un d’eux, étant chacun bien armé, mais sans aucun dessein ; du moins j’en étais ignorant. Nous rencontrons un homme de taille gigantesque, armé jusqu’aux dents. Mon compagnon lui donne en passant un violent coup de coude. L’inconnu se retourne l’épée à la main. La provocation me paraissait des plus futiles, mais c’était l’usage.

— À toi, Gustave, me dit mon compagnon, j’ai mal à la main. »

Je ne me le fis pas dire deux fois. Un instant me suffit pour terrasser mon ennemi, qui, se voyant près de faillir, passa la main à sa ceinture pour prendre un pistolet. Je lui fis tomber la main, et le perçai en même temps d’outre en outre.

C’était un coup monté de longue main par mes amis qui voulaient s’assurer de mes forces. Cet événement leur en dit assez ; car mon adversaire était l’homme le plus redouté de la ville. Ce fut grande rumeur le lendemain quand on apprit la mort de ce géant invincible. On demandait partout le nom du vainqueur ; mais je ne fut pas fâché du secret qu’en firent mes amis…

Le soir ils me conduisirent dans un magasin de la rue principale, et m’en firent voir tous les départements, qui étaient on ne peut plus magnifiques. « Ceci est à nous, me dirent ils. » L’un ; d’eux tirant alors un des trémeaux du mur fit voir une grande ouverture que personne au monde n’aurait pu soupçonner. Nous descendîmes tous par un splendide escalier qui nous conduisait à un palais sous-terrain.

Mais je m’aperçois que j’empiète sur ma seconde période. Nous étions alors au mois de février 1811.

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— 1811 à 1813 —


Jusqu’à présent, mes chers amis, je suis certain de n’avoir pas encouru votre désapprobation. Mais le moment suprême est arrivé. Je ne puis me défendre d’un certain malaise en commençant ce chapitre. Mais ma confiance, peut-être trop présomptueuse, en votre amitié, me donne le courage de retracer des scènes dont votre noblesse d’âme sera révoltée.

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J’étais donc entré dans un des plus somptueux palais que je n’eusse encore vu de ma vie. J’étais déjà habitué à cette vie de mystère, et cet incident ne me causa aucune surprise. Quelques minutes après l’un d’eux prit un ton solennel, et me demanda si je voulais être « mentali, » comme ils l’étaient. Je demandai alors quelques explications sur ce mot. Elles ne me furent pas données très exactement. Je n’y vis rien de méchant ; je fis le serment d’usage sur la poignée de mon épée. Ma réception fut magnifiquement chômée. Je reçus le nom de Magnifors, et commençai avec eux le métier de mystère. Ma ferme croyance en m’initiant aux secrets de la société, était de faire une vie de fêtes, soutenue par le jeu et les spéculations. Je vis bientôt qu’il en était autrement.

Un soir nous étions trois au théâtre français. Plusieurs dames nous entouraient. L’une d’elle portait les plus beaux pendants-d’oreille que l’on puisse voir. Je sus plus tard qu’ils valaient cinquante mille francs. Nous étions à causer en attendant la levée de la toile. Tout à coup ma voisine pousse un cri et porte les mains à ses oreilles qui saignaient abondamment. Elle regarde derrière elle, nous l’imitons… personne. … Les pendants-d’oreille n’y étaient plus cependant. La dame oubliait la perte de ses joyaux pour soigner ses oreilles qui saignaient toujours. L’un de nous court sur les traces du voleur invisible, mais il revient bientôt sans nouvelle. Celui-là même me fit voir après le spectacle les pendants-d’oreille de la dame, et me raconta en badinant comment il s’y était pris. Les autres trouvèrent le tour si subtil et si amusant qu’il me fallut rire avec eux. Vous voyez déjà quels événements contiendra cette seconde époque de mes courses Européennes. Je ne m’amuserai pas à entasser une foule de détails. Ce récit n’en finirait pas. Je ne me plus pas longtemps dans cette vie de rapine. J’en aimais le spectacle avec folie, mais je n’étais pas né voleur. Je dressais les plans et les faisais exécuter. Mes amis tentèrent des coups hardis qui nous compromirent un peu. Je jouissais du respect et de l’admiration des associés. Je n’avais essayé aucun coup de main. Mais tant que mes instructions furent fidèlement suivies, jamais le succès ne nous manqua. Les entreprises de sang ne furent jamais, de ma dictée. Je m’y opposais de tout mon pouvoir. Plus de cinquante victime m’ont ainsi dû la vie sans le savoir. Dès que notre réputation fut un peu entachée, nous prîmes le parti de la mer. Mais avant de quitter Milan, je dois vous donner une idée de nos richesses. Un château que nous n’habitions presque jamais constituait le premier de nos biens fonciers. Nous avions en outre le magasin dont je vous ai parlé, qui contenait la valeur de plus d’un million. La première de nos richesses et notre séjour de délectation était, sans contredit, notre palais sous-terrain qui tenait en front au magasin de la rue principale et aboutissait à un autre magasin aussi riche sur la Romanza. La construction de ce sous-terrain est ce que j’aie jamais vu de plus gigantesque. Deux arpents de longueur sur une demi stade de largeur eu complétaient les dimensions. Il contenait vingt cinq grandes pièces et réunissait en ornements tout ce que la terre fournit de plus riche. Plus d’un million avait été employé à faire de ce lieu ce que l’imagination ne peut concevoir sans avoir vu. Puisque j’ai juré de ne rien vous céler, il faut vous dire qu’un sérail de soixante amazones n’était pas la moindre de nos richesses. C’était encore la fleur de la Circassie. Je passe rapidement sur ces particularités parcequ’elles me conduiraient trop loin. Cette vie me fatigua dès qu’on en vint à soupçonner notre probité. Quoi que je fusse inconnu à Milan où mon véritable nom était ignoré de tous, excepté de mes compagnons, je tenais néanmoins beaucoup au rang honorable dont nous avions joui jusque-là. Notre bande consistait en vingt cinq hommes des plus éminents de la noblesse française et italienne. Je n’étais pas noble, il est vrai, mais je les surpassais tous par mon éducation. Ce n’est pas par un point de vaine présomption que je dis ceci, mais chaque chose trouvera sa place par la suite. Je complotai donc avec vingt de mes compagnons d’organiser une frégate redoutable pour commander sur la mer. Je me voyais enfin marin comme je l’avais toujours ambitionné ; je n’avais jamais désiré être voleur ou pirate, mais ma folie était de me voir marin libre. Nous eûmes bientôt à notre disposition un navire de trente six canons et de cinquante hommes d’équipage. Depuis le plus simple matelot jusqu’au capitaine, il n’y avait pas un homme de basse origine ou de la classe commune des brigands. Nous étions, pour ainsi dire, les rois des pirates. Nous prîmes la Méditerranée pour théâtre de nos courses. C’était la place la plus lucrative. Les vaisseaux transportaient alors les richesses du levant en Angleterre et en Hollande. Il est vrai que nous rencontrions souvent des vaisseaux de guerre ; mais nous arborions les pavillons des différents peuples que nous voyions, et nous passions ainsi sans coup férir. La première capture que nous fîmes me valut le commandement du navire. J’y déployai une force et une adresse qui les surprit au point de me proclamer prince de la mer. Après six mois des courses les plus heureuses, nous nous vîmes poursuivis par cinq vaisseaux anglais qui avaient été envoyés expressément pour détruire notre petite escadre. Il n’y avait pas à lutter. Nous avions heureusement le meilleur voilier de la Méditerranée. Mais il nous fallut fuir les côtes de l’Europe. Nous prîmes la route de l’Amérique. Après un mois de la course la plus rapide, nous croyions nous être échappés des mains des Anglais. Une nuit sombre et orageuse nous avait dérobé leur marche. Nous nous trouvons le matin à quelques pas d’eux. Il n’y avait plus moyen de fuir. Nous étions heureusement près de terre ; la Jamaïque nous servit de retraite. Après avoir couru les bois pendant quelques jours, nous y trouvâmes une retraite que nous convertîmes en palais de Milan. Les Anglais n’entendirent plus parler de nous. Notre commerce s’enrichit chaque jour de plus en plus. J’étais toujours chef de la bande ; mais je n’assistais jamais à aucune entreprise. Je préparais les coups et dirigeais la marche. Mon habilité devint telle qu’on ne voulait rien faire que d’après mes suggestions. Nous reçûmes alors une députation d’une bande stationnée dans une île voisine et qui avait habité la même retraite que nous. Leur but était de me prendre aussi pour leur chef, avec la condition que je passerais la moitié de l’année avec eux. Mon amour propre en fut piqué ; j’acceptai. Au bout de deux mois, dix autres bandes, dont la plus éloignée était à cent lieues, me choisirent encore pour leur roi. Je reçus alors le titre de Grand.[1] Mon nom était connu des autorités civiles, j’entends mon titre de Grand. Mais je voyageais sans cesse d’une loge à une autre, de manière à ne pourvoir être rencontré nulle part. Au mois de Juillet 1811, je comptais deux cents loges sous ma domination, dans les deux, Amériques. J’entrepris alors d’établir un code de lois pour régir mon peuple qui ne regardait pas les institutions civiles de très près. J’employai un mois à le rédiger et à en faire signifier copie à toutes les bandes, avec l’ordre de se démettre de leurs engagements avec moi s’ils ne voulaient s’y soumettre. Je vous le donnerai ici comme document curieux.

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INSTITUTIONS DU GRAND.

Loge No 1
2 Septembre 1811
JAMAÏQUE
HAÎNE AU MEURTRE
MORT AUX ASSASSINS

No des loges de douce-rapine, soumis à l’empire du Grand, l’an le jour du mois de

Art, 1er. Le meurtre sera en abomination et puni de mort dans l’empire du Grand.

2e, L’assassin échappé sera indirectement dénoncé à la justice civile sous ses nom, prénom et signalement, 3e. Toute fille conquise sera amenée devant le Grand qui en disposera à son gré … sa vie sauve.

4e. L’accusé de meurtre pourra obtenir son procès, s’il ne s’avoue coupable.

5e. On procédera à nommer un juge dans chaque loge tous les six mois.

6e. Les devoirs de ce juge seront comme suit : Veiller aux entreprises, les empêcher si elles ne peuvent avoir lieu sans effusion de sang, tenir un registre de tout ce qui se fera. En tête de ce registre sera écrit le présent code dont lecture sera faite le premier lundi de chaque mois. Faire un rapport exact et fidèle de sa gestion au Grand, quand il fera sa visite, qui aura lieu tous les deux ans ; diriger et présider équitablement les procès, et faire exécutez’la peine par celui que le sort désignera.

7e. Le juge ou secrétaire de chaque loge, n’assistera jamais à l’exécution des entreprises, enfin de tenir la société en bon ordre, dans les cas d’accidents.

8e. Appel pourra être fait par un condamné à la justice du Grand qui se transportera aux lieux nécessaires sur avis.

9e. Les biens de l’Église seront exempts des dévastations des loges du Grand, à qui on dénoncera les fautes commises contre les propriétés ou les personnes du clergé de quelque croyance qu’il soit.

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Suivaient encore plusieurs articles de moindre importance. Personne ne refusa de se soumettre à ces lois. Je commençai alors une visite générale de mes nombreux sujets. J’en fis le dénombrement et je comptai trois mille hommes actifs à ma disposition. Ajoutons à cela à peu près deux mille autres personnes qui consistaient en femmes et enfants. L’accueil qu’on me fit dans ma visite fut vraiment royal. Je prenais gout à l’état. Je n’avais jamais prêté littéralement la main à un vol ; mais dans l’espace de trois mois, je vis par les registres de quatre vingt dix huit loges, que douze millions étaient entrés dans nos caisses. Je trouvais partout une organisation qui flattait ma petite royauté. Je ne passais qu’un jour ou deux dans chaque loge. Mais ils étaient on ne peut mieux fêtés. J’ajoutai beaucoup à mon code dans ma visite. Je parcourus ainsi toute l’étendue des deux Amériques. Les États-Unis contenaient à eux seuls cent cinquante loges. Mon siège royal était à la Jamaïque. J’y avais une caisse de trois millions à ma propriété personnelle. J’endurais pu accumuler trente si je l’avais voulu mais ce que j’avais était suffisant pour tous les cas de mauvaise fortune. Je recevais annuellement de chaque loge un tribut de deux cents louis ; ce qui ; me faisait un revenu clair de quarante mille louis. Mon système de rapine en améliorant le sort des victimes augmentait aussi les produits de nos courses. Le secrétaire de chaque loge était le plus instruit et le plus capable de tous, il étudiait les affaires, prévenait les échecs et dressait des plans méthodiques qui manquaient rarement de succès. Je portai mes vues plus loin. J’introduisis une espèce de morale parmi ces gens grossiers. J’ennoblissais ma profession par la manière dont je l’envisageais. Les brigands ont une origine aussi ancienne que le monde. On ne peut dire qu’ils sont nécessaires à l’ordre social, mais malheureusement il faut avouer que le mal a encore plus d’existence que le bien. Jamais les puissances n’ont pu restreindre le vol. Il se commet plus particulièrement sous les yeux des autorités qu’à l’écart. Pendant mon séjour à Paris, on y comptait trente mille personnes qui ne vivaient que de rapine. Quelle est cependant la ville la mieux gardée que Paris dans toute la France. Une gendarmerie puissante y est entretenue avec des frais énormes. Néanmoins plus la police est active et nombreuse, plus les vols et les voleurs se multiplient. Considérant donc l’existence de ces derniers comme nécessaire, je pris la mission de diminuer l’horreur de leur vie et les maux qu’ils causent au genre humain. Mon éducation d’enfance me fit découvrir un autre bonne œuvre à faire. J’avais été élevé dans les principes de la Religion Catholique. Mes fautes et mes brigandages n’avaient jamais altéré les bonnes maximes qu’on m’avait enseignées pendant mon enfance. Je m’étais marié dans l’Église grecque sans déroger à ma profession de foi. Mais j’ai toujours entretenu des idées de tolérance et de libéralisme envers les religionnaires d’une autre croyance. J’ai toujours aimé sincèrement la religion malgré le peu de relations que je professais ouvertement avec elle. Les plus douces distractions de mes voyages, je les ai dues à la foi de mon enfance et aux ministres d’un Dieu que ma vie semblait affronter. Dans mes visites à mes différents sujets, j’eus beaucoup de rapports avec les prêtres catholiques qui se trouvaient sur mon passage. J’avais un double but en explorant cette branche de la société. Celui de faire revivre des souvenirs encore pleins de charmes et en second lieu d’étudier leur manière de vivre afin d’en tirer un profit pour ma profession et de servir la religion en même temps. Sur trois cents à peu près que je visitai dans le cours de douze mois, je trouvai dix prêtres dignes de mon attention et favorables à mes vues. Je dois aussi faire entrer dans ce nombre quelques ministres de religions étrangères à la mienne. Quelques unes de nos loges manquaient de secrétaires, vu qu’il ne s’etait trouvé parmi eux aucun homme capable d’en remplir les fonctions. Chacune de ces dix personnes portait sur la figure la marque de leur dégradation et de l’indignité de leur conduite. Je les trouvai vieux dans le crime. Ils avaient trompé pendant longtemps par leur hypocrisie et une ostentation, de vertus radicalement opposées à leurs vices. Cinq d’entre eux paraissaient éprouver un malaise invincible à la vue des femmes. Ils les maltraitaient ouvertement, mais en secret c’était autre chose. Leurs figures portaient l’empreinte d’une crapuleuse concupiscence. Je les épiai de près et découvris en peu de temps le fond des choses. L’autre moitié de mes dignes ministres s’était vouée au célibat pour embrasser avec plus d’étendue l’exercise d’autres passions aussi détestables. Tel qu’une avarice sordide qui ne connaissait ni frein ni loi, une ivrognerie dégradante, une tyrannie allumée par la méchanceté et couverte du manteau de la Religion. Je respectais trop le corps sacré auquel ils appartenaient pour leur permettre plus longtemps cette vie de sacrilèges. Mes gens les enlevèrent par mon ordre, et je les forçai d’exercer parmi des brigands une vertu qu’ils avaient méprisée parmi les honnêtes gens.[2] Je parvenais ainsi à la double fin que je me proposais. La société était purgée des hommes les plus corrompus, et notre commerce en retirait un profit immense. Combien d’hommes dont l’éducation à jamais enfouie sous les sales dégradations des passions les plus bestiales, pourraient ainsi servir l’espèce humaine. Car on peut appliquer à de meilleurs fins la répression des scélératesses d’une infinité de personnes qui se livrent à une profession plustôt qu’à une autre afin de mieux miner en dessous les bienfaits de l’ordre social. Une expérience constamment réalisée à prouvé qu’il n’y avait pas de place où le crime se déchaînait avec plus d’impétuosité que dans l’état ecclésiastique. Un homme d’église ne peut tenir de milieu entre la vertu et le vice. Il doit être tout vertueux ou horriblement criminel. S’il penche vers ce dernier abîme, rien ne pourra s’opposer à sa marche d’abominations. Dans le court examen que j’en ai fait, j’ai découvert des crimes dont l’atrocité surprendrait les bandits des galères. Je mêlais donc ainsi le bien au mal. Je me fesais une espèce de gloire de ma mission à laquelle je prenais gout de jour en jour. Vers le mois d’avril 1812 je portai mes pas vers les Canadas, où je comptais vingt cinq loges soumises à ma domination. La guerre venait de se déclarer activement entre les États Unis et l’Angleterre.

Les frontières des Canadas étaient le théâtre de luttes journalières. Le cœur me battait fortement en mettant le pied sur le sol de ma naissance. La première pensée qui surgit en mon esprit fut le contraste de l’époque de mon départ de cette terre avec celle de ma rentrée. J’en étais parti, dans l’âge de l’innocence baptismale, j’y touchais pour la seconde fois avec le nom et l’autorité d’un chef de trois mille bandits. Je jetai un souvenir sur ma famille, mais ce reflet effacé ne toucha mon esprit que comme un premier réveil après de longs songes, qui, fuient la mémoire et dont on cherche à composer un fait si disparate à la fin qu’on l’oublie aussitôt comme une chose trop futile. Je ne me rappelais plus aucun trait de mon père, quant à ma mère et à ma sœur à peine les avaisje déjà vues. J’étais d’ailleurs si occupé à la poursuite de mon entreprise, à laquelle je tenais de cœur, que je passai quelquefois à quinze pas de mon père sans le reconnaîre ni même y penser. Je savais que j’étais né en Canada, mais je ne connaissais nullement en quelle partie des deux provinces. Je m’informai quelquefois du nom de Duval. Je rencontrai un homme de ce nom près des Trois Rivières. C’était un pêcheur que je trouvai presque mourant de faim. Je savais que mon père n’était pas dans une situation aussi précaire. Je lui fis décliner sa lignée de famille. Il n’existait aucune relation entre lui et moi. En vertu du nom qu’il portait je le tirai de la misère et j’ai sçu depuis qu’il était très aisé et promettait de donner au pays des descendants honorables. Je prenais ces renseignements plus par curiosité que dans le dessein de rentrer dans ma famille ; car je chérissais trop ma profession dans le temps pour l’abandonner. Les loges établies en Canada étaient généralement pauvres en comparaison des autres. La guerre leur fournit cependant l’occasion d’amasser quelques richesses. Depuis l’adoption générale de mon système de gouvernement, les loges s’enrichirent considérablement, et se firent beaucoup moins d’affaires avec la justice civile. Le meurtre était très difficile à étouffer parmi un peuple qui se nourrit habituellement de sang et de carnage. J’avais néanmoins réconnu qu’il n’était pas nécessaire au commerce ; qu’il lui nuisait au contraire. En effet, un homme est volé, il est heureux de s’en tirer à si bon compte… il n’ira pas soulever la terre contre les dévaliseurs. Dès le lendemain les auteurs du vol peuvent se remettre sur la route. Mais qu’on trouve un cadavre… mille bras vont se lever pour venger la mort de la victime. Un mois, deux mois s’écouleront avant de permettre aux assassins de recommencer leurs brigandages. Dans le premier trimestre qui suivit l’établissement de mon code, deux meurtriers ont eu leur procès en ma présence et ont été exécutés sous mes yeux. Cette exemple de rigueur en imposa aux plus sanguinaires. Ils virent qu’il fallait embrasser le métier tel quel, ou y renoncer entièrement. Sur mes trois mille sujets, dix l’abandonnèrent, mais huit d’entre eux revinrent après une affaire qui faillit leur être sérieusement jouée par la justice. Je vous disais donc que j’étais en Canada. Je vais bientôt terminer cet article ; mais avant je vous ferai remarquer que ceci est écrit non pas dans le but d’exciter votre curiosité par le récit de faits merveilleux ; mais pour donner un aperçu général de ma vie avec quelques commentaires pour en diminuer l’horreur.

Aucune particularité ne marqua mes voyages en Canada. J’en viendrai donc de suite à l’événement qui terminera cette époque. Nous avions près de Chateaugay la loge l’a plus riche des deux Canadas. C’était aussi la mieux organisée. Je l’avais choisie pour mon siège de Gouvernement pendant mon séjour dans cette Province. J’étais là depuis quelques jours quand mes gens découvrirent qu’il y aurait un coup important à faire. L’entreprise était difficile. Ils me demandèrent de leur dresser une ligne de conduite. J’allai moi-même explorer le lieu. Je traversai seul le fleuve et j’abordai à cette île vers le milieu du jour. D’après les renseignements que j’avais pris je reconnus bientôt la place à exploiter. Quand j’eus examiné sur tous les sens je me rendis sur la rive pour retourner à Chateaugay. L’obscurité commençait alors à envahir la terre. Sur le point de pousser mon esquif, je vois venir à moi un jeune homme qui me demanda par méprise si j’étais prêt à partir ? Il s’aperçut bientôt de son erreur, mais il ne refusa pas l’offre que je lui fis de traverser avec moi. Chateaugay était aussi le terme de son voyage. Ce fut d’abord par bonhommie que je le lui proposai. Il accepta et je m’en réjouis fort, en plaçant dans le canot un énorme sac d’argent qu’il portait avec lui. Dans le cours de la traversée il me dit qu’il se rendait au camp de Chateaugay et qu’il appartenait à la milice canadienne. Je crus alors qu’il avait été chargé d’une mission de la part du Gouvernement et que l’argent qui l’accompagnait était quelque subside de guerre. Avec une telle pensée il aurait été mal de ma part de frustrer mes gens d’un gain si facile. Je ne sais encore si mes conjectures n’étaient pas réellement vraies. Toujours est-il qu’il fut loyalement dépouillé et détenu dans la caverne. Quand je vis la figure de ce jeune homme à la clarté des flambeaux, j’eus sincèrement regret de l’avoir fait tomber dans un piège aussi perfide. Depuis le commencement de mes brigandages rien n’avait pu m’en démontrer clairement la honte et l’horreur. Ce jeune homme avec sa figure virginale et innocente, la douceur de ses paroles, la grâce et la noblesse de sa démarche me tira d’un long sommeil. Je me méprisai moi-même et le souvenir de mes triomphes en Grèce me fit voir le précipice affreux où j’étais tombé. Je ne demeurai malheureusement pas long-temps sous l’influence de mes repentirs. La fumée des hommages de mes gens me remit entièrement sur la route de l’infamie, et je me contentai de promettre la réhabilitation de ma victime. Je ne pouvais laisser partir ce jeune homme si près de notre retraite. Je m’éloignai la nuit suivante avec lui et gagnai la loge la plus prochaine qui se trouvait dans une petite ville sur les frontières des États-Unis. La nuit même de notre arrivée dans cette loge mes gens commirent une imprudence qui causa leur destruction À peine eus-je le temps de m’échapper après que ma jeune victime m’eut cassé le bras gauche avec une balle. Ce fut alors que je pus mettre en pratique pour moi-même mes connaissances en chirurgie. Quelques jours après ma fuite précipitée, le Gouverneur de l’Etat de New-York mit ma capture à prix. Mon signalement y était donné avec toutes les particularités qui pouvaient me faire découvrir. Mon bras fracturé était la marque la plus frappante. Je ne pus trouver de retraite que dans les bois. Sans autre remède pour mon bras que des herbages et des charpies végétales je prévins la gangrène qui paraissait déjà, et en peu de jours je pus soutenir l’écharpe. Je gagnai mes îles avec la promptitude d’un cerf. Le triomphe d’un roi malheureux fut l’accueil que je reçus dans mes loges de prédilection. On baisait mes habits de respect et de sauvage affection. À peine pourrait-on croire le vif attachement qu’avaient pour moi ce peuple qui ne connaissait ni lien de parenté ni aucune sensation d’âme. Pour le coup leurs hommages ne purent me faire oublier les réflexions sur lesquelles ma fuite malheureuse m’avait fait passer. Je restai parmi eux le temps nécessaire à ma guérison. Je résolus alors de rompre définitivement avec cette vie d’opprobre. Il m’était très facile de le faire. J’avais trois fortunes immenses entre les mains et ma volonté absolument libre. Je donnai encore quelques soins à mes sujets en leur laissant des instructions et en transmettant mon pouvoir à l’homme le plus capable de me succéder. Ces dernières dispositions terminées je m’embarquai pour l’Europe avec une caisse de quatre milions en or et en pierreries.

— 1813 à 1815 —

J’anticipe un peu sur le temps pour commencer cette dernière époque, car elle est trop importante pour la lier avec celle dont le récit, m’a tant coûté, j’avais laissé l’Amérique sur les derniers jours du mois d’août, dépossédais un capital qui me permettait d’agir en Grand. Mais j’étais bien déterminé à changer la signification de ce titre. Mes argents placés à rente me rapportaient un revenu qui pouvait suffire à la vie d’un prince. La langue grecque m’était très familière ainsi que les usages. Je parcourus l’Europe en prince grec, entouré des sympathies que professait tout le monde pour ma prétendue nation dont le malheur ne pouvait manquer d’intéresser. Le souvenir d’Alpina revint alors fortement à mon esprit. Je revis la grève et mon beau père. Je le trouvai dans la situation la plus malheureuse. Les Turcs avaient reconquis presque toutes leurs provinces et le père d’Alpina avait perdu toute sa fortune. Mon infidèle épouse avait reçu son châtiment. Par de nouvelles intrigues liées avec les fils du sultan elle avait encouru la colère du descendant de Mahomet et payé ses fautes de sa vie ; tel fut au moins ce qu’on m’en dit. Daupilas son père avait conservé de moi le plus tendre souvenir. Il oublia en me revoyant les malheurs de sa famille et ceux de sa patrie. Je fus heureux de le relever de la profonde misère où il gémissait. En véritable grec de l’antiquité il employa mes secours à ranimer le courage abattu de ses concitoyens. Je n’étais plus passionné comme autrefois pour les aventures hasardeuses ; j’aidai les insurgés d’une somme considérable et je repartis pour Rome où je brûlais de célébrer le carnaval. J’y arrivai la veille et j’eus le temps de me préparer à y jouer un rôle illustre. Je détaillerai un peu cette circonstance parcequ’elle eut pour moi des résultats intéressants. Les Italiens ne chômèrent pas avec joie cette grande fête populaire. Le pape était alors en captivité par les ordres de Napoléon. J’avais traversé la Turquie incognigto, mais j’en avais amené un superbe cheval arabe que je gardai pendant tout mon séjour en Europe. J’achetai à grands frais un costume grec pour les jours de carnaval. Je parus dès le matin avec tout mon faste oriental et je parcourus la ville où je rencontrais partout des regards ébahis de curiosité. L’usage italien prescrit le masque, mais comme personne ne me connaissait, j’y allai front haut. Les dames romaines consument toutes les heures de la journée à examiner les passants du haut d’un balcon. J’avais oublié Alpina, depuis que son père m’avait dit qu’elle était morte. Je pouvais donc négocier encore avec l’amour. Les balcons avaient pour moi un attrait invincible. Je les voyais de loin à l’aide d’une jumelle, et je préparais d’avance des fleurs aux unes, des dédains aux autres. J’aperçus de la sorte une longue galerie sur la rue du Vatican. Un grand nombre de dames s’y amusaient en folâtrant gallamment avec de jeunes Italiens de beauté douteuse. Du plus loin qu’elles m’apperçurent, je les vis se pencher mollement sur la balustrade et fixer sur moi des regards d’attention et d’un minutieux examen. Je rallentis le pas de mon cheval en y arrivant. Tous les yeux étaient sur moi et les, bouquets de fleurs tombaient avec tant d’abondance que mes deux domestiques ne pouvaient fournir à me les rendre. Mon cheval aussi orgueilleux et fier que son maître s’était arrêté en face de la galerie. Je ne m’appercevais pas de l’inconvenance de cette pause, tant j’étais occupé à considérer une de ces dames, qui après avoir lancé une couronne de lys m’examinait aussi de son côté avec une attention extrême. Enfin après quelques minutes de cette muette stupéfaction, nous nous reconnaissons …………C’était Alpina………… mon amour propre fut en ce moment plus fort que ma surprise. Ma figure prit l’expression d’un, sévère dédain… et un sourire d’amère ironie contracta mes lèvres. Quant à elle, elle finit la scène comme le font les épouses ou les amantes infidèles. Elle s’évanouit et se renversa sur le parquet de l’a galerie. Je vis par sa chûte, que cet évanouissement ne tenait pas de la feinte. Car elle tomba violemment et ses pieds retenus sur le haut de son siège découvrirent tout ce qu’il y a de séduisant chez une femme. Ses compagnes se hâtèrent de la secourir et surtout de voiler le mystère des époux. Mais j’en avais assez vu pour me rappeler que ce trésor était à moi. En dépit de la violation de ce qu’elle me devait et de mes sentiments autrefois si cruellement blessés, je sentis renaître toute la flamme de mes premiers amours. Je ne quittai la galerie que lorsqu’on l’eût enlevé à mes regards. Je poursuivis ma route avec beaucoup moins d’indifférence qu’auparavant. J’ambitionnais néanmoins les hommages des femmes à un tel point que je finis le carnaval sans repasser devant la galerie où j’avais découvert Alpina. Je me proposais bien de la voir et de lui parler, mais je redoutais le moment de voir combattre mes reproches avec les charmes les plus enchanteurs et surtout les larmes d’une femme. Huit fâcheux événements m’étaient déjà arrivés à cause de ma faiblesse pour ces larmes divinement suppliantes. Je les craignais pour cette raison, beaucoup plus que les armes des Turcs. Quoiqu’il en soit, cinq jours après cette aventure je cherchais la galerie du Vatican. J’avais laissé mon costume grec. Malgré cet incident je fus reconnu de loin. Je vis un homme sur la galerie qui partit avec une célérité ridicule en m’apercevant. Il y était sans doute aposté pour donner avis de ma présence en ces lieux. Car je n’eus pas le temps de traverser la rue que la porte s’ouvrit et qu’un laquais en livrée me pria d’entrer. On me conduisit dans une salle magnifiquement parée où je trouvai Alpina assise sur un fauteuil et encore convalescente. À peine eut-elle la force de se lever et de se jeter dans mes bras. Je n’eus pas de mon côté le courage de la repousser. Nous demeurâmes longtemps étroitement embrassés sans qu’aucun, de nous ne prononçât une parole. Nous pleurions l’un et l’autre… Enfin je m’assied sur son fauteuil et la retenant sur mes genoux je la couvris de baisers et de larmes.

— Que je suis heureuse de te revoir, me dit-elle alors, tu viens sans doute d’Athènes, comment se portent mon père et ma mère ? »

Je lui fis alors le récit de mon dernier voyage en Grèce, comment son père la croyait morte et comment aussi je me croyais veuf depuis, quelques mois. Je ne mêlai aucun mot de reproche à ce discours. Je ne lui fis pas même soupçonner que je connaissais un peu la manière dont elle avait pleuré ma défaite et ma mort apparente sous les ruines de Chrysopolis. Tout ce qu’elle me dit du sultan, fut qu’elle demeura quelque temps dans son sérail et qu’elle s’en était échappée sans avoir violé la foi conjugale. Elle me fît de sa délivrance un petit roman plein d’intérêt que je pris comme du miel. Quand elle m’eût inspiré un peu de confiance, je lui fis part de ce que j’avais vu du haut de l’observatoire d’Iconium. Elle s’en tira très bien. Je me trouvai en un mot remarié dans le temps même que j’avais projeté une vie de jeune homme activement coulée. J’étais bien loin de me plaindre de ce sort imprévu. J’idolâtrais toujours Alpina ; tous les moments du jour et de la nuit se passaient près d’elle. Je n’étais pas néanmoins sans quelque soupçon sur la sincérité de ses paroles. Je ne me doutais nullement de la tendresse de son amour, mais je voyais aussi qu’elle me cachait quelque chose. Elle me prescrivait une heure d’entrée et je ne pouvais sortir que lorsqu’elle le trouvait bon. Tout semblait néanmoins se rapporter aux prévenances de l’amour. Je ne devais pas entrer à telle heure, me disait-elle, parce qu’elle serait occupée aux affaires de la maison ou autre chose de cette nature. Quand je m’informai comment elle possédait les richesses que je voyais briller dans toutes les parties de la maison, elle me dit qu’elle demeurait avec la femme d’un vieux militaire italien qui l’avait protégée dans sa fuite d’Iconium. Le ton d’autorité qu’elle avait et la liberté avec laquelle elle vivait me donnèrent beaucoup à douter de la vérité de cette explication.

— Mais, lui dis-je, alors il ne faut pas être à charge plus longtemps à ces bonnes gens. »

— Je vous prie, me dit-elle, de laisser à mon loisir de résider ici ou d’en partir quand je le jugerai à propos. »

Je n’insistai pas. Nous vécûmes un mois entier dans toutes les jouissances d’un amour sans limites dans ses satisfactions. Je ne pensais plus à laisser Rome. Je croyais enfin mon sort fixé quand advint l’aventure la plus bizarre qui me replaça dans mon célibat conjugal. J’étais un matin près d’Alpina. Nous étions à causer en déjeunant langoureusement après une nuit des plus heureuses, quand on sonna de manière à faire tomber la sonnette et le pivot qui la portait.

Alpina éprouva une émotion soudaine et involontaire en entendant ce bruit. Elle pâlit et attendit avec anxiété le retour de son domestique qui la disait toujours absente. Mais ce ne fut pas lui cette fois qui apporta la carte de visite. Je vis bientôt entrer un jeune militaire encore en habit de voyage.

— Que faites vous ici, me dit-il en entrant ? Et vous Alpina devais-je vous retrouver entre les bras d’un amant ?

— Ce n’est pas un amant, repris-je en souriant, c’est un époux.

— Un époux ! s’écria-t-il, suivez moi, monsieur, vous connaîtrez l’époux d’Alpina……

— Votre époux, demandai-je à Alpina qui semblait ne plus vivre de frayeur ? … Si mon épouse, qui l’est depuis trois ans ne désavoue pas ce que vous dites, exprimai-je au militaire, je vous la rends sans coup férir.

Alpina était muette et blanche comme le marbre. Nous jettions tous deux sur elle des regards étincelants de colère. J’entrevis aussitôt la fourberie dont j’avais été l’objet. Mon adversaire découvrit aussi la duplicité honteuse de son épouse ; car elle l’était réellement, si toutefois on peut appeler mariage celui qu’elle avait contracté avec lui.

— Puisque nous avons, reprit-il, l’un et l’autre autant de droit au lit de madame, sortons et dans quelques minutes l’un de nous deux l’aura sans partage. »

Je n’avais jamais reculé devant une telle invitation. Cette fois néanmoins il m’en coûta de sacrifier la vie d’un homme envers qui je n’avais aucun tort et qui n’en avait aucun à mon égard. Mon séjour habituel chez Alpina avait percé dans Rome, son honneur était compromis, il ne voulut entrer en aucun arrangement. Un duel était pour moi ce qu’est pour un bon joueur une partie d’échec. Ce n’était plus avec sang froid que j’y allais, c’était en badinant et avec l’habitude et le rire indifférent d’un comédien sur la scène. Mon adversaire fut un peu intimidé par ma contenance assurée. Il ne me connaissait pas du tout et prenait mon ton d’indifférence pour de l’affectation qu’il se promettait de châtier à sa guise. Nous nous battîmes à l’épée. Je m’amusai longtemps à parer ses coups et à le blesser légèrement, espérant qu’il reviendrait à de meilleurs dispositions. Il s’apperçut bientôt de son infériorité, mais il en devint furieux et me pressa de si près que je le perçai presqu’involontairement. Je l’avais blessé au cœur ; il tomba sans mouvement. Les duels n’étaient pas si conséquents à Rome qu’à Paris. Mes amis me parlèrent de mon succès comme ou parle du gain d’un pari. Je revis aussitôt Alpina. Je l’accablai de reproches.

— Une grâce, me dit-elle, qu’il me soit permis de m’expliquer. »

— C’est assez, répondis-je, de la vie d’un homme et du bonheur de la mienne sacrifiés à ton infâme duplicité. Que les cheveux de ton père blanchis par tes fautes, que deux époux, l’un mort à la vie, l’autre au bonheur par ta honteuse duperie, te restent en souvenirs. Voici une bourse, rejoins ta famille, expie tes fautes par une vie sage et repentante et souviens-toi qu’il reste un homme pour venger de nouveaux crimes, s’il t’arrive d’en commettre. »

Je ne la laissai que lorsque je la vis embarquée pour la Grèce. Je l’oubliai entièrement depuis. Je n’avais pas l’âme d’aimer cette personne après un tissu semblable d’infâmes actions. J’appris d’un de mes amis qui connaissait de ses aventures, autant qu’elle n’avait pu en cacher, qu’elle avait été au sérail pendant six mois. Elle avait pendant quelque temps joui des faveurs du sultan ; mais ses fils lui jouaient quelque fois des petits tours qu’il savait punir avec sévérité. Il découvrit des intrigues que l’on appellerait incestes, mais qui étaient très communes au sérail. Alpina fut condamnée à mort et l’intrigant envoyé en Arabie pour s’y faire Marabout. Il lui fallait auparavant passer par la cérémonie qui fait les eunuques. La fougue expirante de ses passions lui donna le courage de sauver Alpina au risque de sa vie. Il la remit en effet entre les mains d’un jeune Romain qui se trouvait à Constantinople en qualité de voyageur. Ce jeune Romain la conduisit où je la trouvai et l’épousa sans qu’elle découvrit ce qu’elle me devait et ce qu’elle se devait à elle même. On sait ce qui arriva depuis. Trois jours après son départ pour la Grèce je reçus d’elle la lettre suivante :

Alpina à Gustave
Naples, ce 12 Mars, 1814.

Je m’arrête à Naples pour suppléer aux moments que tu m’as refusés pour expliquer ma conduite. Maintenant que je m’éloigne à jamais d’un époux que j’ai sincèrement aimé, tant que j’ai vécu avec lui, j’exposerai avec sincérité les motifs et quelquefois le sort qui ont dicté cette conduite. Ce n’est plus avec la méprisable effronterie d’une femme à deux maris que je parlerai. Je suis entrée pour jamais dans la voie des expiations. Je m’y soumets de bon cœur, je sais que je l’ai mérité. On a dit que l’inconstance était incompatible avec l’amour. Je proclame le contraire et la seule faveur que j’implore de l’époux qui me châtie, est de croire en mes paroles. J’ai vécu près de toi. Ton âme était magnanime et savante. Elle a pu me connaitre. Reporte ton souvenir sur les jours heureux de notre première union. Mon cœur était-il alors celui d’une infidèle ou d’une épouse indifférente. Oh ! non, j’ai serré Gustave sur ce cœur. Ses élans n’étaient pas ceux d’une prude ni d’une fourbe. Je t’aimais… oui je t’aimais avec toute la passion dont une femme soit capable. Je t’ai perdu… ma nature malheureusement inconstante ne laissa pas mon, cœur vide par ta perte… d’autres amours l’occupèrent… Cette passion criminelle portait son châtiment avec elle…… Je faillis la voir finir avec ma vie… Mon amant se sacrifia pour moi… je le perdis…, je l’oubliai pour engager encore une fois mon cœur. Je devais une dette de reconnaissance, je la payai par l’amour que je devais à toi seul… Mais j’aimais avec trop d’emportement pour découvrir ce qui me liait à toi et briser ainsi les plus douces jouissances de l’amour. J’avais déjà fait un pas vers le crime. Je fis alors le second… Je fus adultère pour la seconde fois… Je cédai enfin aux sollicitations de cet amant, je fis le troisième pas vers l’abîme de l’infamie. J’épousai celui qui s’est ensuite follement sacrifiée pour une femme méprisable… Celui que tu as tué. Voici l’histoire d’une vie que je t’aurais cachée jusqu’à mon dernier moment si tu avais encore eu la faiblesse de me pardonner. Puisque je ne puis t’aimer quand je ne te vois pas, je tiendrai désormais mon cœur en garde contre les surprises. Si le souvenir de notre heureuse union te ramène vers moi, tu retrouveras une épouse repentante et heureuse de ta présence. J’avais jusqu’à ce jour oublié mon père et ma mère pour ne penser qu’à mes amants. Maintenant que mon cœur volage a perdu ce qui l’animait, je cours avec amour vers ces tendres parents que ma perte accable de douleur. Heureuse encore, que tu m’aies destiné ce lieu pour attendre oisive une vieillesse importune. Je ne vivrai plus maintenant que de souvenirs… Souvenirs d’opprobre… Souvenirs de jouissance… Enfin souvenirs de Gustave qui tient son bras levé pour châtier son épouse infidèle.

Adieu,

Alpina

Cette lettre m’arracha quelques soupirs. Alpina était odieuse, mais elle était toujours belle... belle comme l’Hélène des Grecs… Mais je n’étais pas homme à me laisser dominer par une beauté odieuse. Je conservai ce dernier souvenir de mon épouse comme une arme contre son sexe dont je n’entretins pas depuis la meilleure opinion du monde. Je laissai Rome pour revoir Milan, où je ne trouvai aucun de ceux qui m’avaient ouvert la route du crime. Je brûlais de revoir la France ; mais il était difficile d’y entrer à cette époque. Nous étions alors sur les premiers jours de 1814. Je devais de toute nécessité me rendre à Toulon ou j’espérais recevoir une réponse de mon oncle. Je lui avais écrit sur la fin de décembre 1813 afin d’apprendre quelque chose de ma famille qui semblait m’avoir entièrement perdu de vue. J’eus enfin le bonheur de toucher à Toulon quelques jours après le retour triomphant de Napoléon de l’Île d’Elbe. La réponse n’était pas encore venue, je donnai des instructions aux bureaux de poste, dans le cas où il viendrait quelques lettres à mon adresse. Je partis immédiatement pour rejoindre le cortège de l’empereur qui approchait insensiblement de Paris, tandis que Louis XVIII s’en éloignait rapidement. Il touchait à la capitale quand j’aperçus le tourbillon des peuples qui le suivaient. J’assistai à son entrée en la compagnie de deux de ses officiers que j’avais connus à l’école polytechnique. Je ne passai qu’un mois à Paris. J’y dépensai cinq mille francs pendant ces quelques jours. Un millier d’amis me tombait sur les bras chaque jour. Ce n’était pas avec regret que je voyais s’affaiblir mes finances. Mais l’adulation soignée que l’on faisait à ma bourse me dégoûta bientôt de cette vie. La réception de la lettre de mon père acheva de me retirer de ce gouffre de plaisirs pour les autres et d’ennui pour moi. Il me restait encore plus de deux millions. Je les restituai aux pauvres et me disposai à traverser la mer. Je repassai par les lieux où j’avais autrefois exercé mes brigandages. Je ne cherchai pas les lieux de refuge de mes anciens sujets. Je n’en revis aucun. Enfin après six ans de la vie la plus active, la plus extraordinaire, j’ai retrouvé ma famille et de nobles amis à qui je devrai les plus heureux moments de ma vie. Peignez-vous ma surprise en arrivant dans cette île. La demeure de mon père était celle dont j’étais venu prendre la description afin d’y diriger une entreprise de brigandage pendant mon séjour à la caverne de Chateaugay. Je rends grâce aujourd’hui d’avoir trahi la confiance du jeune homme dont je vous ai parlé dans la seconde partie de ce récit. Sans l’intérêt que j’avais conçu pour lui et qui m’inspira de le conduire moi-même aux États-Unis, ma troupe entière tombait sur ma famille et y exerçait par mes ordres des ravages terribles. Permettez que je fasse trêve avec ces pénibles souvenirs et que je termine en quelques paroles. Le bonheur des personnes qui m’entourent pourrait maintenant suffire à combler ma vie, si une antipathie secrète dont je n’ai jamais pu apercevoir la cause, ne m’avait interdit la société d’une sœur que je chéris avec toute l’âme dont je suis capable. Ma vue la blesse involontairement ; elle tremble près de moi… Il semble que je parais devant elle entouré de toute mon horreur de brigand. Serait-il vrai que l’innocence ne saurait soutenir la vue du crime ! Si tel était le cas, les crimes seraient éternels. Car quel autre encouragement à la vertu que la présence de la vertu même. Si la vertu me repousse, où trouverais-je une retraite pour cacher ma vie passée ? Irais-je me jeter encore une fois dans l’abîme d’infamie où j’ai consumé deux années de ma vie ! Oh ! non les avenues qui conduisent au sanctuaire de la vertu ne doivent pas être aussi terribles. J’ai été bon autrefois, j’étais juste et vertueux, j’avais encore mon innocence primitive, et cette innocence avait un bras pour retirer du crime les victimes que le sort et non la nature y avait conduites. Ne retrouverais-je pas dans ma sœur ces doux aliments du repentir et du retour au bien ! Ces deux années de malheur seraient-elles à jamais gravées sur mon front ! Ô, mes nobles amis, j’ai encore le cœur du brave et de l’honnête homme… où conduirai-je plus loin ce récit ? J’aurais à dire encore la magnanimité de mes amis, leur union fraternelle, et l’histoire de leur vie glorieuse par la probité, par l’honneur par la bravoure, par toutes les vertus qui décorent l’humanité. Mais le même cadre ne doit pas unir l’ange et le démon.

Gustave.


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  1. Pour ne pas interrompre le récit de Gustave, nous remettons à dire plus tard l’effet que produisait cette lecture sur Louise.
  2. Plinax que Louise avait rencontré dans la caverne de Chateaugay avait changé de ministère pour des causes pareilles. Le Grand l’avait découvert aux environs de Montréal.