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Les fleurs poétiques, simples bluettes/02/07

La bibliothèque libre.
C. O. Beauchemin & fils, libraires-imprimeurs (p. 91-99).

CORINNE

I
Corinne avait quinze ans.
Oh ! qu’elle était jolie !
Mais la mélancolie
Voilait son doux printemps.


Hélas ! pauvre Corinne,
D’où vient cette pâleur ?
Quelle amère douleur
Soulève ta poitrine ?

Quels tristes sentiments
S’emparent de ton âme,
Dont la candide flamme
Est sans rayonnements ?

Pourquoi fuir tes compagnes
Sans partager leurs jeux
Dans les sentiers ombreux,
À travers les campagnes ?


Regrettes-tu le sort
De ton amie Adèle,
Qui te fut si fidèle
Et qu’emporta la mort ?

Pauvre chère colombe,
Morte au printemps vermeil !…
Mais d’un bien doux sommeil
Elle dort dans la tombe.

Pour prouver un grand deuil
Faut-il donc tant d’alarmes ?
Ah ! Corinne tes larmes
Troubleront son cercueil ?


Fais deux parts de tes heures :
Donne l’une au plaisir
Et l’autre au souvenir
De celle que tu pleures.

Le plaisir n’a qu’un jour ;
Jouis de la jeunesse.
Hâte-toi, le temps presse
Et t’invite à l’amour…

II
Sourde à toute parole
Corinne tristement
Penche son front charmant
Et rien ne la console…

Toujours l’âpre chagrin
Dont sa jeune âme est pleine
Comme une froide haleine
Flétrit son front serein.


Et la pauvre Corinne
Ne sait plus que souffrir,
Et bientôt pour mourir
La voilà qui s’incline…
III
On trouva sur son cœur
Une lettre d’Adèle :
— « Corinne, disait-elle,
Ô Corinne ! ma sœur,


« Je sens que je succombe,
Voici mon dernier jour.
Demain mon seul séjour
Sera la noire tombe !

«  Mon cœur saisi d’effroi
T’adresse une prière :
Oh ! dans le cimetière,
Viens dormir avec moi !

«  Nous partagions ensemble
Le bonheur qui finit :
La mort nous désunit,
Que la mort nous rassemble !


«  Et nos restes mortels
Dans la même demeure
En paix attendront l’heure
Des réveils éternels.

«  Tu sais combien je t’aime.
Au nom de l’amitié,
Corinne, par pitié !
Entends mon vœu suprême !… »

IV
Heureuses désormais,
Les deux tendres amies
Reposent, endormies,
Sous le même cyprès.