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Les fleurs poétiques, simples bluettes/Texte entier

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C. O. Beauchemin & fils, libraires-imprimeurs (p. cov-182).


LÉON LORRAIN

LES
FLEURS POÉTIQUES
SIMPLES BLUETTES
IMMORTELLES ET PENSÉES
ROSES ET MARGUERITES — VIOLETTES ET PIVOINES
POESIES DIVERSES
MONTRÉAL
C. O. BEAUCHEMIN & FILS, LIBRAIRES-IMPRIMEURS
256 ET 258, RUE SAINT-PAUL

1890

Enregistré, conformément à l’acte du parlement du Canada, l’an 1890, par M. Léon Lorrain, au ministère de l’Agriculture.

À
L’HONORABLE M. H. MERCIER
Premier ministre de la province de Québec
CE LIVRE
EST RESPECTUEUSEMENT DÉDIÉ
PAR L’AUTEUR

PRÉFACE


Je n’ai aucunement la prétention d’être poète.

Disciple assidu de Thémis, je n’ai consacré aux Muses que les instants de loisir que j’ai pu dérober à cette déesse jalouse, qui exige de ses fidèles un culte exclusif et le sacrifice de toutes leurs facultés.

D’ailleurs Apollon, le dieu des vers, de l’harmonie et de l’inspiration, ne comble de ses faveurs que les prédestinés qui se sont entièrement voués à lui ; et il ne m’a jamais donné le secret de monter ma lyre au diapason de l’enthousiasme.

C’est donc en hésitant que je viens solliciter, pour les Fleurs poétiques, une toute petite place à côté des splendides buissons qui verdoient dans notre jardin littéraire, à l’ombre de l’arbre majestueux qu’y planta M. Louis Fréchette, le père de la poésie française en Amérique.

Mes fleurettes, dont la plupart pâlissaient depuis déjà longtemps au fond d’un tiroir, n’ajouteront rien, je le sais, à l’éclat qui environne notre jeune littérature nationale. Mais, écloses au temps des rêves de la jeunesse, elles sauront trouver grâce devant le lecteur si elles ravivent un moment les chaudes émotions qui ont autrefois précipité les battements de son cœur, et si elles font surgir à ses yeux, dans le lointain du souvenir des jours envolés, les roses illusions trop vite évanouies au contact des brusques réalités de la vie.

Octobre, 1890.

MES

FLEURS POÉTIQUES

Le riant soleil printanier
Sur mon parterre humble, sans faste,
Versa cette lumière chaste 
Qui réjouit le jardinier.


Dès que les lueurs cristallines
De l’aurore au ciel s’allumaient,
D’invisibles mains y semaient
Rubis, saphirs et cornalines.

Brillantes comme ces bijoux
S’éveillaient mes plantes fleuries, —
Roses, marguerites chéries, —
Au chant du rossignol si doux.

Ô fleurs ! objets de ma tendresse,
Je vous cultivai de mon mieux ;
Je vous donnai des soins pieux
Dans les heures de ma jeunesse !


Je vous vis croître avec amour ;
Je pris soin de votre jeune âge,
Vous défendis contre l’orage
Et contre les ardeurs du jour.

Je fus bien payé de mes peines ;
Fuyant les soucis importuns,
Je trouvai dans vos frais parfums
L’oubli des tristesses humaines.

À mon cœur souvent affligé,
Frêles fleurs rouges, blanches, roses,
Vous disiez d’ineffables choses
Dans votre langage imagé.


Avant que le temps vous effeuille,
Avant la morose saison,
Il me faut faire ma moisson,
C’est à regret que je vous cueille ;

Il me semble qu’en vous fauchant
Mes rêves les plus beaux s’effacent,
Tombent avec vous et se glacent
Sous le fil d’un glaive tranchant…

Mais je veux garder votre arôme
Si pur, dont j’enivrais mes sens ;
À notre âme, il faut de l’encens,
À notre cœur, il faut du baume !


Et je désire, en un bouquet,
Vous voir à vous-mêmes survivre.
Ce bouquet, c’est mon humble livre,
Que je tressai sous le bosquet.


I

IMMORTELLES ET PENSÉES

À
M. ALEXANDRE DUFRESNE

Ancien député d’Iberville
mon bienfaiteur
Décédé le 30 septembre 1878.


Tout jeune, voyageur inexpérimenté,
Sur le grand chemin de la vie
J’allais je ne sais où. Tout désorienté,

Je ne connaissais rien, ni la route suivie,

Ni celle à parcourir, même le lendemain,

N’ayant, pour me guider, ni jalon, ni repère,

Errant sans espérance à l’âge où l’on espère !

Alors un protecteur, ou plutôt un bon père,

Vers moi tendit sa main, sa généreuse main.

Qui m’indiqua l’écueil où la tempête gronde.

Et dirigea mes pas tremblants vers l’avenir.

Regretté bienfaiteur, tu n’es plus de ce monde ;

Mais je conserverai toujours ton souvenir,

Car la reconnaissance en mon cœur surabonde.

LA CHAPELLE ISOLÉE

poésie couronnée au concours de l’université laval de 1875

C’est alors que ta voix s’élève
Dans le silence de mon cœur,
Et que ta main, mon Dieu, soulève,
Le poids glacé de ma douleur.
Lamartine.


I


Il est, loin du chemin que suit la multitude,
Une antique chapelle à l’air mystérieux :
Souvent j’aime à porter, dans cette solitude.
Mes pas silencieux.


Elle s’élève au sein d’une forêt profonde
Où des cèdres plaintifs les murmures confus
Viennent s’harmoniser aux pleurs tristes de l’onde
Sous les sapins touffus :

Séjour perpétuel de la paix, du silence,
Où Dieu répand à flots la joie et le bonheur,
Où l’homme malheureux aspire l’espérance
Qui ranime son cœur !

La nature, plongée en un repos sublime,
Semble, là, méditer des hymnes éternels ;
Car il monte des bois une prière intime
Comme des saints Autels !


Ce doux recueillement, cette harmonie austère,
Plaît au cœur dont le monde a trompé les désirs,
Au cœur désabusé qui délaisse la terre
Et tous ses vains plaisirs !

L’âme sourit alors, et, méprisant les chaînes
Que tendait sur ses pas la fausse volupté,
Elle dit ses regrets sur les choses mondaines
Et sur leur vanité !

Elle s’élance au ciel, palpitante et joyeuse ;
Elle mêle sa voix à ces pieux accents
Qu’emporte vers les cieux la brise harmonieuse,
Soupirs attendrissants !


Dans cet isolement, la vie est moins amère ;
L’horizon de notre âme est parsemé d’azur ;
Le soleil est plus doux, L’onde paraît plus claire,
Le firmament plus pur !…

II


C’est là que, le matin, au lever de l’aurore,
Ma mère, en souriant, m’apprenait à prier ;
J’étais petit enfant : je me rappelle encore
Les détours du sentier.


Des rayons de soleil se jouaient dans la mousse ;
L’aurore étincelait sur les cimes des monts ;
Le souffle du matin, de son haleine douce,
Embaumait les vallons.

Les premiers feux du jour, tremblants, mélancoliques,
Éclairaient le saint lieu ; les voiles de la nuit
S’effaçaient lentement sous les voûtes rustiques
Comme un rêve qui fuit !

J’étais rempli d’amour, de respect et de crainte…
Ma prière, mêlée aux parfums du matin,
Pur encens s’élevait, de la modeste enceinte,
Vers le séjour divin !…


III


Je ne comprenais pas, dans ma candeur d’enfance,
La malice de l’homme au cœur ambitieux ;
Je ne prévoyais pas les dangers, la souffrance,
Le mensonge, le faux, ni les jours soucieux.

Je ne comprenais pas, dans ma candeur d’enfance,
Mais maintenant déjà j’ai coudoyé la foule ;
Et sans cesse battu comme un flot agité
Que le vent déchaîné brise, foule et refoule,
Je regrette l’enfance et sa félicité !


J’ai parcouru déjà les beaux jours de la vie.
Bientôt, déjà, pour moi, vingt printemps vont sonner !
Au souffle des pervers mon âme s’est flétrie
Et j’ai vu mes espoirs soudain m’abandonner !

J’avais bercé mon cœur de douces perspectives ;
Des fantômes brillants, des mirages trompeurs,
Étalaient à mes yeux des clartés fugitives :
Je croyais que c’était la gloire et ses splendeurs !

Mais je fus le jouet de vaines jouissances,
Et mon rire joyeux a fait place aux sanglots :
Tel un aventurier, sur les vagues immenses,
Voit son dernier esquif s’abîmer dans les flots !


IV


Parmi la foule indifférente
Je n’ai jamais trouvé qu’égoïsme et froideur,
Et jamais mon âme souffrante
N’y trouva son ami, ni son consolateur !

Je n’ai jamais goûté cette amitié fidèle
Qui console des pleurs, de l’exil, des chagrins,
Qui fait renaître au cœur une gaîté nouvelle
Et revenir les jours sereins !


Mais je fus abreuvé de noires calomnies,
Je fus le jouet des pervers,
De leurs infâmes tyrannies,
Et de leurs sarcasmes amers !

Comme un roseau brisé que le vent de l’orage
Entraîne après lui par les champs,
Mon âme subit maint outrage
De l’impudence des méchants !

Comme un esquif errant sur la vague profonde
Je fus sans cesse ballotté
Sur les flots orageux du monde
Au souffle de l’adversité !


Et puis quand vint le jour d’un périlleux naufrage,
Pas un frère, pas un ami,
Ne vint jamais sur mon passage
Réveiller mon cœur endormi…

C’est alors, ô mon Dieu ! que j’appris à connaître
L’homme et ses mesquins intérêts ;
Et moi qui viens presque de naître,
Déjà je m’abîme en regrets !…

Mais je te vis, Seigneur, au milieu de mes peines :
Tu venais me tendre la main ;
Tu venais dissiper les haînes
Qui m’arrêtaient dans mon chemin !…


V


Alors, brisé, déçu, je veux fuir ce vain monde
Et ses plaisirs trompeurs ;
Et près de toi, mon Dieu, dans une paix profonde,
Je cherche tes douceurs !

Ô chapelle des bois ! je reviens sous ton ombre,
Car mon cœur opprimé
Veut encor méditer sous ton portique sombre
Que j’ai toujours aimé !


Tout est tranquillité sous ton humble colonne ;
Tout est paix et bonheur
Dans l’air mystérieux même qui t’environne,
Dans ton site enchanteur !

En vain les ouragans grondent-ils sur la terre,
Je ne les crains jamais ;
Car la tempête meurt près de ton seuil austère
Où je vis désormais !…

Mai, 1875.

LA ROSE ET L’IMMORTELLE

la rose

Je suis fraîche et pure
Et de la nature
Je suis la parure,
Gracieusement,
Avec l’aubépine
J’orne de l’amant
La noble poitrine…


l’immortelle

Oui, ton rôle est doux, oui, ton rôle est grand ;
Mais sous tes couleurs tu caches l’épine ;
Tu rends un parfum, mais c’est en mourant…


la rose

Et je suis l’emblème
Des gais amoureux
Et des cœurs heureux.
Tout le monde m’aime…
Toi, sur un tombeau
Tu t’inclines, blême !


l’immortelle

Oui, ton rôle est doux, oui, ton rôle est beau.
Et moi je fleuris sur le noir tombeau,

Même sur celui que l’on abandonne ;
Et moi pour les morts je sers de couronne…
Des heureux vivants charmant les loisirs,
Tu parles amours, vanités, plaisirs ;
Mais je parle à tous des saints souvenirs !


la rose

Que serait le monde
Sans un peu d’amour ?


l’immortelle

Que serait le monde avec cet amour
Léger, fugitif, passant comme l’onde,
Fécond en regrets, ne durant qu’un jour,
Ne laissant au cœur que fiel, qu’amertume ?

L’amour grand et vrai ne s’affaiblit pas,
Et, sublime, il vit après le trépas.
Aux rayons divins pur il se rallume,
Brille comme un astre et ne s’éteint plus…


la rose

Oui, je suis mondaine ;
Mais de mon domaine
Les pleurs sont exclus ;
Jamais de tristesse !
À moi la jeunesse,
L’amour, la gaîté,
La félicité !


l’immortelle

Tu flattes les sens, je console l’âme
En deuil, où je veise un bien doux dictame,

Où je fais reluire un rayon d’espoir.
Dans les cœurs blessés, oh ! qu’il ferait noir,
Si je n’endormais bientôt la souffrance
En montrant le ciel, suprême espérance,
Au pauvre orphelin, à la veuve en pleurs,
Au pied d’un tombeau brisés de douleurs !

UNE CHAMBRE HANTÉE

traduit de longfellow

Les cœurs sont des chambres hantées
Où tombent de pâles rayons ;
Des formes vagues, agitées,
Soupirent le long des cloisons.


Parfois les ailes caressantes
Des doux fantômes du passé
Se glissent dans mon cœur, tremblantes,
Comme un rayon presque effacé.

Se glissent dans mon cœur, tremblantes,
Une forme est à la fenêtre :
Elle n’y vient jamais le jour.
Aussitôt que l’aube va naître,
Elle disparaît sans retour.

Se glissent dans mon cœur, tremblantes,
Elle s’assoit au clair de lune
Dans un silencieux maintien,
Et tend vers la fenêtre brune
Son doigt mobile, aérien.

Qui, mort au seuil de l’existence,
Devant la fenêtre entr’ouverte,
Comme le flot de mes soucis
S’agite la ramure verte
D’un if aux contours indécis.


Sous son dôme qui se balance
Repose un enfant adoré
Qui, mort au seuil de l’existence,
N’a jamais souri, ni pleuré.

Qui, mort au seuil de l’existence,
Qu’êtes-vous, ô pâles fantômes !
Qui hantez mon cerveau la nuit,
Le jour invisibles atomes
Reparaissant quand le Jour fuit.


Sinon des images sans vie
Qui surgissez loin de ce bord,
Sur la passerelle bénie
Du fleuve muet de la mort ?

une

APRÈS-MIDI DE FÉVRIER

traduit de longfellow

Déjà le jour baisse et s’efface,
Les ombres vont voiler les cieux
La plaine est couverte de glace,
Le fleuve dort silencieux.


Des rayons rouges se projettent
Au sein des nuages cendrés,
Et les fenêtres en reflètent
Les éclats brillants et dorés.

Bientôt la neige recommence ;
Elle couvre de ses replis
Les vallons et la plaine immense,
Les chemins sont ensevelis.

Tandis qu’un char funèbre sombre
Traverse lentement les prés,
Comme un fantôme, comme une ombre
Qui nous laisse tout atterrés.


La cloche tinte les alarmes,
Et chacun de mes sentiments
Répond, comme mêlé de larmes,
À ses sinistres tintements.

Et l’ombre flotte avec mystère,
Et mon cœur s’exhale en regret ;
Ainsi que le glas funéraire,
Tristement il vibre en secret.

L’AUTOMNE

sonnet

Adieu ! fécond soleil d’été,
Qui donne à Cérès sa parure ;
Adieu ! beaux jours pleins de gaîté,
De rayons, de chants, de verdure !


Du temps la cruelle âpreté
A tout flétri de sa morsure,
Et Zéphir s’exile, attristé,
Pleurant le deuil de la nature.

La fleur, même dans notre main.
De l’automne subit l’outrage,
Qui fane son brillant carmin ;

Et, plus faibles contre l’orage,
Pouvons-nous compter sur demain,
Nous que bientôt courbera l’âge ?

L’HIVER

Où riaient tant de fleurs, de soleil, de gaîté,
Rien, plus rien ; tout a fini comme un songe d’été.
Hégésippe Moreau


Le ciel sombre est glacé,
L’aquilon courroucé,
La terre désolée.


L’oiseau n’a plus de voix ;
Pas d’échos dans les bois,
Dans la morne vallée !

Dans l’air, pas de chansons !
Pas de nids aux buissons,
Pas de feuilles aux branches !

Une immense douleur
Plane au ciel sans couleur,
Et sur les plaines blanches.


Partout la mort, le deuil !
Comme en un froid cercueil
Dort la nature entière !

Les pins seuls, toujours verts.
Chantent de tristes airs
Dans un grand cimetière !

LES PENSÉES

à m. louis fréchette

Petites fleurs mélancoliques,
Qui penchez vos fronts angéliques
Sur le sol humide des pleurs
Que versent les saintes douleurs,
Au ciel, à la nature immense,
Chantez, chantez votre romance ;

Dites votre refrain si doux :
— Pensez à moi, je pense à vous !

*

Aussi longtemps que sur la terre
Le souvenir que rien n’altère
Aura son culte, ses autels ;
Aussi longtemps que les mortels
Sentiront brûler en leur âme
De l’amour pur la pure flamme,
Dites toujours ces mots si doux :
— Pensez à moi, je pense à vous !

*

La jeune fille qui déplore
L’absence de celui qu’adore

Son cœur charmant dans le secret,
Envoie un messager discret, —
Un simple bouquet de pensées,
Que ses doigts ont entrelacées,
Et qui diront ces mots si doux :
— Pensez à moi, je pense à vous !

*

Pliant sous le poids de l’épreuve.
Sur un tombeau la jeune veuve
Cultive la pensée en fleurs,
Et vient l’arroser de ses pleurs.
Le parfum, comme une prière,
S’élève de la froide pierre
Et répète ces mots si doux :
— Pensez à moi, je pense à vous !

 

DÉSESPOIR

Spiritus meus attennabitur, dies mei breviabuntur, et solum mihi super est sepulcrum.
Job, 17.


Avant le soir mon cœur succombe,
Navré de douloureux sanglots…
Ô nuit ! symbole de la tombe,
Apporte-moi ton doux repos !

Fleur sans rosée,
Lasse de souffrir,
Mon âme brisée
Veut dormir !

*

Déroule tes voiles funèbres,
nuit glacée, ô nuit de deuil !
Viens me couvrir de tes ténèbres,
Je ne demande qu’un cercueil !
Fleur sans rosée.
Lasse de souffrir,
Mon âme brisée
Veut dormir !


*

À tous vains plaisirs de la terre
Disant un éternel adieu,
Je me couche dans mon suaire,
Loin du monde, mais près de Dieu !
Fleur sans rosée,
Lasse de souffrir,
Mon âme brisée
Va dormir !

PÈLERINAGE

Une oasis, là-haut, s’ouvre et t’attend.
Hégésippe Moreau


Pèlerins en ce bas monde,
Notre navire emporté
Sur l’onde
Nous mène à l’éternité.


Dieu, de sa main impassible,
Manœuvre le gouvernail
Flexible,
Qui fend les vagues d’émail.

Notre phare est une étoile,
Que suit sur le flot mouvant
La voile,
Toujours déployée au vent.

Il faut avancer sans cesse,
Sans nul repos ; car le sort
Nous presse
D’atteindre bientôt le port.


Si nous rencontrons une île
Promettant de doux plaisirs,
Agile
L’esquif trompe nos désirs.

Si de terribles tempêtes
Éclatent et font fléchir
Nos têtes,
Il nous faut savoir souffrir !

Rigide est notre pilote
Vainement le pèlerin
Sanglotte
Et murmure sous le frein ;


Car, dans sa volonté ferme,
Dieu fixe à chacun de nous
Un terme :
Mettons-nous à ses genoux !

Contre sa parole sainte,
Ni murmures superflus,
Ni plaintes,
Et nous serons ses élus !

LA

PRIÈRE DE L’ENFANT

Le soleil qui fait tout vivre, 
Les prés, les fleurs, les oiseaux,
Les parfums dont on s’enivre,
Le murmure des roseaux ;


La lune qui se balance
Au firmament étoile,
Le vif éclair qui s’élance
À travers le ciel troublé ;

Les champs et les prés, les bois
Où la colombe roucoule ;
La montagne avec ses voix,
L’onde que le vent refoule ;

Seigneur, tout, dans la nature.
Te glorifie à la fois ;
Il n’est pas de créature
Qui n’élève au ciel sa voix.


Tu donnes l’onde aux prairies,
Aux papillons leurs couleurs,
L’averse aux plantes flétries,
La rosée aux tendres fleurs.

Au méchant qui te supplie
Tu confères le pardon,
Et l’orphelin qu’on oublie
Te trouve en son abandon.

Le faible enfant a sa mère
Qui rendort de ses doux chants ;
L’oisillon la graine amère
Exprès oubliée aux champs.


Tout ce que l’on peut connaître
Te rend grâces nuit et jour ;
Moi, mon Dieu, comme tout être,
Je te bénis à mon tour !

LA

PRIÈRE DE L’ADOLESCENT

Dieu tout-puissant, dans ta clémence,
Daigne t’abaisser jusqu’à moi,
Et laisse s’élever vers toi
Les vœux de l’humble adolescence !


Ô toi, qui créas le soleil,
Dont la lumière vive et pure
Tire chaque jour la nature
De son inerte et froid sommeil !

Toi, dont les paroles puissantes
Ordonnent le cours des saisons !
Toi qui fais mûrir les moissons
Dans nos campagnes florissantes !

Seigneur, maître de l’univers,
Que tout bénit, que tout adore,
Et les doux soupirs de l’aurore,
Et les grandes clameurs des mers !


Répands sur ma frêle jeunesse
Quelques rayons de ta bonté ;
Accorde-moi la pureté,
La paix, le bonheur, la sagesse.

Aussi donne-moi de grandir ;
Et quand j’avancerai sur l’âge,
Donne-moi, Seigneur, le courage,
De braver le mal, de souffrir !

Dans cette vie en maux prospère,
Où languit mon pas incertain,
Conduis moi, mon Dieu, par la main,
Soutiens-moi comme un tendre père !


Prête-moi, Seigneur, de longs jours
Remplis de cette quiétude
Qui semble comme le prélude
Du bonheur qui dure toujours !

Bannis de mon cœur l’injustice,
Le mensonge, le froid dédain,
L’impiété, l’orgueil hautain…
Oh ! donne-moi l’horreur du vice !

SALVE REGINA !

Salut ! reine des cieux,
Ô cœur miséricordieux,
Notre vie et notre espérance !
Pauvres enfants d’Ève exilés,
Voués à la souffrance,
Gémissants, de maux accablés,

Dans ce triste vallon de larmes
Nous soupirons vers vous !
Voyez nos pleurs et nos alarmes ;
Ô mère ! écoutez-nous !
Après notre mortelle vie,
Appelez-nous dans la patrie,
Près de Jésus, Vierge Marie,
O clemens, o pia,
O dulcis Virgo Maria !

RAYON DU CIEL

Il est des heures dans la vie
Où notre cœur est plus joyeux ;
Où notre âme, comme ravie,
Bénit plus ardemment les cieux.

Il est des jours où la nature,
Les bois, les champs et la verdure,
Exhalent dans l’air plus d’encens ;
Où les flots mourant sur la plage,
Où les oiseaux dans le feuillage,
Ont de plus suaves accents.

*

Parfois l’heureuse jeune mère
Prodigue à l’enfant plus d’amour ;
Parfois la vie est moins amère
Au paria qui hait le jour.
Bien souvent la douce espérance,
Pour parler de la délivrance,
Entre au cachot du prisonnier ;
Quand paraît l’étoile immobile,
Elle annonce une mer tranquille
À l’infortuné nautonnier.


*

D’où viennent ces heures bénies ?
Qui nous donne ces doux instants ?
Quels sont les bienfaisants génies
Qui touchent les cœurs exultants ?
— C’est Dieu qui répand dans les âmes
Un rayon d’idéales flammes
Plus subtiles que le soleil.
Parfois, pour tromper la souffrance,
Un éclair d’amour, d’espérance,
Brille d’un éclat plus vermeil !

II

ROSES ET MARGUERITES

LA ROSE

Mais qui peut refuser un hommage à la rose ?
Delille.


À la rose exhalant ses parfums précieux
Les Muses de tout temps ont offert leurs hommages ;
Et le barde inspiré, dans la langue des dieux,
À la reine des fleurs présente ses suffrages.
Poète sans renom, à la tremblante voix,
Pour la chanter aussi j’ose accorder ma lyre
Dont les fibres, hélas ! rebelles à mes doigts,
Ne rendent pas les sons que mon cœur leur inspire.


Je l’aime, cette fleur, doux présent que l’été
Dans un flot de lumière apporte à son aurore
Comme un gage éclatant de sa fécondité,
Par laquelle tout naît, tout vit et se colore
Dans l’empire de Flore !
Je l’aime, cette fleur aux attraits si touchants,
Dont le chimiste extrait un si suave arôme !…
Elle pare des grands les salons qu’elle embaume,
Et, modeste, elle sied à la fille des champs !

La rose, qu’elle soit jaune, blanche, écarlate,
Violette, lilas, pourpre, marron, carmin ;
Qu’un riche vermillon à sa corolle éclate,
Ou qu’elle ait le reflet velouté du jasmin ;
Qu’on l’appelle pompon, capucine ou trémière,
Et quel qu’en soit le genre ou la variété, —
Perle d’or ou coquette, aurore ou printanière, —

La rose est un emblème unique de beauté,
De candeur et d’amour. Dans les cœurs, son royaume,
Elle exerce un pouvoir qu’on ne peut déjouer.
La musquée, enivrant de son subtil arôme,
Nous parle d’inconstance, il faut bien l’avouer.
La rose capucine, il faut aussi le dire,
Ne représente aux yeux qu’un caprice d’un jour ;
Celle de tous les mois, qu’un éphémère amour
Qui naît en un moment, au milieu d’un sourire,
Et qui disparaît sans retour.

Mais comment faire un crime aux innocentes roses
De la noire inconstance et des faux sentiments
Des amoureux menteurs, volages ou moroses
Oubliant sans remords leurs éternels serments ?
Ici je vois plutôt un sujet de louange
Pour la rose fidèle à refléter le cœur,

Qu’il soit droit et sincère, ou que coupable il change.
Pour lui que l’homme garde un vice, hélas ! vainqueur,
Se jouant à dessein de sa pauvre nature,
Sans le faire peser de son poids infamant, —
Ce serait lâcheté, — sur une créature
Dont le front est candide aussi bien que charmant.

Si la rose, d’ailleurs, vraie image de l’âme,
Rappelle nos défauts mollement combattus,
Elle est impartiale, et vite elle proclame
Nos rares qualités, nos plus rares vertus.
Tout d’abord la mousseuse, ou rose sans épine,
Est le symbole heureux d’un amour sans revers
Remplissant un cœur droit, qui n’a rien de pervers.
Un cœur fidèle et tendre et que rien ne chagrine.
La blanche signifie innocence, candeur.
Avec le chaste lys, sous les reflets d’un cierge

Brûlant dans la chapelle, humble dans sa splendeur,
Dans le plus beau des mois elle pare la Vierge.
La rose de Provins évoque un sentiment
Sublime de grandeur : l’amour de la patrie !
Pour les enfants du sol, signe de rallîment,
Dans une poétique et noble allégorie,
Cette humble fleur redit les hauts faits des aïeux,
Leurs vertus, leurs travaux, leurs revers, leur souffrance,
Leurs combats répétés sur les champs glorieux
Teints de leur sang versé pour la croix et la France !

Quant à la rose jaune, unie à l’oranger,
Elle pare le front chaste des fiancées.
À ces couples aimants qui vont pour échanger
Leurs vœux et leurs serments, leurs intimes pensées,
Elle dira toujours qu’au moment solennel
Où deux cœurs sont unis dans la foi conjugale,

Ils se jurent l’un l’autre un amour éternel.
Elle trône au foyer dont, mystique vestale,
Elle entretient le culte, elle active les feux
Dans l’âme des époux, qui demeurent fidèles
Et tendres comme au jour de leurs premiers aveux.
Donc elle est dédiée aux ménages modèles !

TIGE BRISÉE

There is a Reaper, whose name is Death.
longfellow.


Ce soir-là, la brise
Agitait les fleurs de son frais jardin ;
Je l’avais surprise
À rêver d’amour : je l’aimai soudain.


L’autre soir, la brise
Sifflait tristement ; et, silencieux,
Je l’avais surprise
Priant à genoux, les larmes aux yeux.

Et ce soir, la brise
Sombrement gémit au ciel sans flambeau…
Le mal qui la brise
À grands pas la mène au bord du tombeau…

EXTASE

À quoi songes-tu, jeune fille ?
Pourquoi cette larme qui brille
Dans tes beaux yeux ?
N’es-tu pas heureuse en ce monde ?
D’où vient que la tourmente gronde
Au fond de ton cœur soucieux ?


Ton âme discrète soupire ;
Pourquoi ?… Ne veux-tu pas le dire ?
Est-ce d’amour ?
Regrettes-tu le temps des roses
Qui succombent, à peine écloses,
Sans avoir vu la fin du jour ?

— Non ! non ! Je contemple les anges
Au ciel prosternés en phalanges,
Plus éblouissants que le feu !
Que ne puis-je, loin de la terre,
Monter à leur céleste sphère !
Voilà mon vœu !

L’AURORE

Comme une lampe suspendue 
L’astre des nuits, au front vermeil,
Rayonne à travers l’étendue
Et garde encore le sommeil
De la terre qui se repose
Entre les bras du Créateur.
Seul, le matinal virtuose,
Ivre du parfum de la fleur,

Chante sa douce mandoline
Qui berce les songes dorés.
Dans la plaine, sur la colline,
Dans les bois, les champs et les prés
Règne encore un profond silence.

Un jet d’idéale clarté
À l’horizon soudain s’élance,
Sur l’aile d’un ange apporté
Du haut des sphères éternelles :
C’est la blanche aurore qui luit !
Devant ses splendeurs solennelles
Vers l’occident l’ombre s’enfuit !

Perdu dans les sentiers de Flore,
Que j’aime à contempler l’aurore,

Quand, du seuil de son palais d’or,
Aux cieux elle prend son essor !
De la nuit déchirant les voiles,
Elle fait pâlir les étoiles
De son regard majestueux !
Bientôt son char impétueux
De ses ardents rayons embrase
Les portiques de l’orient
Que l’ombre couvrait d’une gaze.
La nature, alors, souriant
À l’immarcescible lumière,
Entr’ouvre sa chaste paupière,
Et, d’un cœur pur et virginal,
Entonne son chant matinal.
Et le poète s’extasie
À ses majestueux accords,
Car c’est l’heure des saints transports,
C’est l’heure de la poésie !

Pour bénir Dieu dans son amour,
Son humble muse, prosternée.
Chante d’une voix inspirée
Les premiers rayons d’un beau jour !

LES MARGUERITES

À M. GABRIEL MARCHAND

Que Dieu t’abrite
Contre l’aquilon,
Ô marguerite,
Astre du vallon !

P. Dupont.


Marguerites des champs, votre corolle blanche
Est faite de beauté, de grâce et de candeur.
En groupes gais, joyeux, chantant sous la splendeur
D’un firmament d’azur où le soleil se penche,

Les jeunes filles vont se mêler parmi vous.
Elles ont des yeux clairs, des fronts purs, des cœurs doux ;
Vous les reconnaissez, ce sont vos sœurs aimées.
Se tenant par la main, guirlandes animées,
Elles dansent en rond. Vous partagez leurs jeux ;
Bientôt vous recevrez leurs tendres confidences,
Leurs secrets bien gardés, leurs timides aveux.
Elles vous rediront leurs chères espérances,
Leurs bonheurs entrevus, et leurs rêves dorés,
Et leurs déceptions, et leurs peines secrètes…

Dans le calme de l’air, dans le calme des prés,
Elles vous disent tout, comme à des sœurs discrètes ;
Et vous interrompez vos méditations
Pour entendre les vœux des jeunes amoureuses,
Pour écouter leur voix, souriant aux heureuses,
Aux autres prodiguant des consolations.

Vous ne pouvez parler. Votre lèvre est bien close,
Impuissante à trahir les secrets révélés.
Vous observez la loi que la candeur impose ;
Mais vous savez tout dire avec des mots voilés.
Dans vos discours muets vous vous faites comprendre
Des jeunes amoureux, charmés de vous entendre…

PAUL ET PAULINE

I
Au vallon, sur la colline,
Enfants, dès leurs premiers pas,
Ensemble Paul et Pauline
Prenaient leurs joyeux ébats.


Nouveaux Paul et Virginie,
Par les oiseaux attirés,
Désertant la route unie,
Ils s’égaraient dans les prés,

Cueillant les fleurs les plus vives,
S’ébattant dans les roseaux,
Ainsi que de jeunes grives
S’abreuvant aux clairs ruisseaux ;

Mangeant des fraises sauvages
Ou des mûres, à leur choix,
Assis sous les frais ombrages
À la lisière des bois.


C’étaient deux amis d’enfance
Qui, se tenant par la main,
Le cœur rempli d’innocence
Suivaient le même chemin.

II

Or, c’était le temps des roses.
Paul ne comptait pas seize ans ;
Jamais les pensers moroses
N’avaient troublé son printemps ;


Quand, par hasard, au bocage,
Épiant un papillon.
D’une beauté du village
Il vit le blanc cotillon,

La coiffure au ruban pâle
Ombrageant des yeux coquets,
La ceinture et le long châle
Se détachant des bouquets.

N’était-ce pas sa voisine ?
Sous ces champêtres atours,
Oui, c’était bien sa mutine
Compagne de tous les jours.


Paul veut appeler Pauline ;
Mais, pour la première fois,
Il hésite, il se chagrine,
Et ne trouve pas de voix.

Un trouble subit l’agite,
Il ne sait dire pourquoi ;
Son cœur, soudain, bat plus vite.
Saisi d’un étrange émoi.


III

Cette inquiétante flamme,
Ce sentiment inconnu,
Qui vient de naître en ton âme,
C’est l’amour, pauvre ingénu !

Un simple bout de dentelle
A suffi pour rallumer :
Ton cœur couvait l’étincelle
Qu’il ne peut plus renfermer.


Dès lors tu n’es plus le frère
De Pauline au cœur aimant ;
D’autres que toi peuvent plaire,
Car tu n’es plus qu’un amant.

Dès lors le souci t’égare ;
Pauline est ton seul trésor :
Te voilà comme un avare
Qui des yeux couve son or !

CORINNE

I
Corinne avait quinze ans.
Oh ! qu’elle était jolie !
Mais la mélancolie
Voilait son doux printemps.


Hélas ! pauvre Corinne,
D’où vient cette pâleur ?
Quelle amère douleur
Soulève ta poitrine ?

Quels tristes sentiments
S’emparent de ton âme,
Dont la candide flamme
Est sans rayonnements ?

Pourquoi fuir tes compagnes
Sans partager leurs jeux
Dans les sentiers ombreux,
À travers les campagnes ?


Regrettes-tu le sort
De ton amie Adèle,
Qui te fut si fidèle
Et qu’emporta la mort ?

Pauvre chère colombe,
Morte au printemps vermeil !…
Mais d’un bien doux sommeil
Elle dort dans la tombe.

Pour prouver un grand deuil
Faut-il donc tant d’alarmes ?
Ah ! Corinne tes larmes
Troubleront son cercueil ?


Fais deux parts de tes heures :
Donne l’une au plaisir
Et l’autre au souvenir
De celle que tu pleures.

Le plaisir n’a qu’un jour ;
Jouis de la jeunesse.
Hâte-toi, le temps presse
Et t’invite à l’amour…

II
Sourde à toute parole
Corinne tristement
Penche son front charmant
Et rien ne la console…

Toujours l’âpre chagrin
Dont sa jeune âme est pleine
Comme une froide haleine
Flétrit son front serein.


Et la pauvre Corinne
Ne sait plus que souffrir,
Et bientôt pour mourir
La voilà qui s’incline…
III
On trouva sur son cœur
Une lettre d’Adèle :
— « Corinne, disait-elle,
Ô Corinne ! ma sœur,


« Je sens que je succombe,
Voici mon dernier jour.
Demain mon seul séjour
Sera la noire tombe !

«  Mon cœur saisi d’effroi
T’adresse une prière :
Oh ! dans le cimetière,
Viens dormir avec moi !

«  Nous partagions ensemble
Le bonheur qui finit :
La mort nous désunit,
Que la mort nous rassemble !


«  Et nos restes mortels
Dans la même demeure
En paix attendront l’heure
Des réveils éternels.

«  Tu sais combien je t’aime.
Au nom de l’amitié,
Corinne, par pitié !
Entends mon vœu suprême !… »

IV
Heureuses désormais,
Les deux tendres amies
Reposent, endormies,
Sous le même cyprès.

ROMANCE

 
Elle était mon espoir, mon bonheur et ma vie,
Pour l’ingrate mon cœur brûlait d’un saint amour.
Rien qu’à voir son œil noir mon âme était ravie 
Comme à l’aurore d’un beau jour !
Chaque soleil, brillant sur la verte colline,
Voyait ma vive ardeur, ô belle Évangéline !

Qui redoublait pour toi. Je t’aimais trop, hélas !
Car tu m’as oublié, sans aucune espérance ;
Tu restes insensible aux pleurs, à la souffrance
Qui va me conduire au trépas !

Avec le doux printemps et son tendre sourire,
Ses rayons argentés, sa verdure et ses fleurs ;
Avec l’azur du ciel et du flot qui soupire.
Je sens renaître mes douleurs.
Je songe aux jours passés et mes larmes amères
Coulent au souvenir de ces jours éphémères ;
Le sombre désespoir glace mon âme, hélas !
Et mon cœur est rempli de mortelle tristesse.
La belle Évangéline repousse ma tendresse :
Je souffrirai jusqu’au trépas !


Quand l’automne glacé désole nos rivages,
Les pauvres fleurs des champs s’inclinent pour mourir
Et jonchent les sentiers dans les sombres bocages :
Ainsi mon cœur va se flétrir !
Que ne puis-je, ô mon Dieu ! descendre dans la tombe,
Comme un rameau sans sève et la feuille qui tombe,
Puisque tant de malheurs s’attachent à mes pas !
Hélas ! combien de temps dois-je languir encore ?
Je voudrais ne plus voir le retour de l’aurore.
Oui, je désire le trépas !

CÉCILE

à madame j. b.

Oui, vraiment, la plume est muette,
Les pinceaux restent impuissants
Auprès de la beauté parfaite
De Cécile aux yeux ravissants.


Les poètes ou les artistes
Qui pourraient emprunter des cieux
Leurs doux rhythmes idéalistes,
Ou leurs tons vivants, gracieux,

Seuls, sauraient ou chanter ou peindre
Les grâces pures, la fraîcheur
De Cécile, digne de ceindre
Le diadème du bonheur.

Elle monte au seuil de la vie
Parmi les vives floraisons
Et s’avance, toute ravie,
Vers les plus riants horizons.


Ses cheveux font une couronne
Que même une reine envîrait ;
Son regard limpide rayonne
Et reflète un amour discret.

Des nuances blanches et roses
Décorent son front virginal,
Tendre comme les fleurs écloses
Sous un pur rayon matinal.

Il monte de son cœur candide
Un parfum immatériel ;
Comme une onde claire et sans ride
Son âme réfléchit le ciel.


Cécile a la beauté des anges.
Rêveuse, on dirait que parfois
Elle écoute des chants étranges,
Des concerts de célestes voix.

SUR UN ALBUM

Qu’importent mes humbles vers
Sur ces feuillets tout couverts
De sentences, de pensées
Que les amours ont tracées ?
Vous dirai-je que vos yeux
Reflètent un coin des cieux ?


Que doux est votre sourire ?
Que touchante est votre voix ?
Que pourrais-je donc écrire
Que l’on n’ait dit bien des fois ?

III

VIOLETTES ET PIVOINES

LA VIOLETTE

Ah ! que mille fois plus aimée
La violette, fleur des bois !
sully prudhomme.


La fleur qui, trop près du chemin,
Croît aux yeux du passant profane,
Est foulée aux pieds et se fane,
Sans même avoir de lendemain.


Tandis que, flétrie, elle sombre,
La violette au doux parfum,
Loin de tout regard importun,
Pure, s’épanouit à l’ombre.

C’est au sein d’un épais buisson
Que l’humble fleur a sa retraite,
Fille, comme elle, sois discrète :
Son exemple est une leçon.

INDISCRÉTION

Vous rêvez, je crois, Claudine,
Vos yeux bleus à demi-clos
Quelle tristesse s’obstine
A vous bercer de ses flots ?…


Vous ne chantez plus, Claudine ;
Oubliez-vous vos chansons ?
Prenez votre mandoline
Qui rend jaloux les pinsons…

Vous ne riez plus, Claudine,
De ce rire franc et doux…
Peine de cœur, je devine !
Oh ! dites-moi, qu’avez-vous ?…

Quoi ! vous vous taisez, Claudine,
Et vers l’horizon tremblant,
Du côté de la colline
Vous tournez votre front blanc !


Des soupirs !… Pauvre Claudine !…
Hélas ! pour vous consoler,
Que faire, belle mutine ?
— Que faire ? vous en aller !

INCONSTANCE

Tout est mystère dans l’amour.
la fontaine.


Si je me recueille en mon âme,
Je trouve encor le souvenir
D’un pur amour, candide flamme,
Qu’hélas ! j’ai vu bientôt finir.


Pauvre amour que j’ai senti naître
Auprès de lui parmi les pleurs,
Pourquoi te faut-il disparaître
Comme le vif émail des fleurs ?

C’est le destin de toutes choses ;
Ici-bas, tout trompe, tout ment :
Le papillon aux ailes roses
Est moins volage que l’amant.

CHANTE TOUJOURS

Marie
Chérie,
Ton chant
Touchant
Enflamme
Mon âme.

Parfois
Je doute :
J’écoute
Ta voix,
J’espère
Et crois,
Ma chère,
Au jour
Suprême,
Et j’aime
D’amour
Extrême !

Tes yeux —
Étoiles
Aux cieux
Sans voiles —

Sont doux
À rendre
Jaloux,
À fendre
Un cœur
Farouche !
Ta bouche,
Ma sœur,
Inspire
Ma lyre.
Oh ! chante
Toujours !
Enchante
Mes jours !

LE VILLAGE NATAL

Le soleil du printemps avait ouvert la rose,
Qui mêlait ses parfums à ceux des résédas ;
L’humide primevère était alors éclose ;
La brise s’imprégnait des senteurs du lilas.


La ville pavoisée étalait ses richesses ;
Aux feux mourants du jour éclataient ses splendeurs.
Partout l’on entendait des voix enchanteresses
Qui célébraient l’amour et les premières fleurs.

Insensible aux plaisirs vains de la multitude,
Je tournais mes regards vers l’horizon d’azur :
Mon âme te cherchait, profonde solitude
Du village natal, que couronne un ciel pur !

Combien je vous regrette, ô vallons et montagnes,
Qu’il me semble entrevoir, là-bas, dans le lointain !
Combien je vous regrette, ô riantes campagnes.
Le jour couvertes d’or, et la nuit de satin !


J’ai voulu te quitter, ô modeste village !
Ruisseau clair et discret, j’ai fui tes bords charmants
Où je pris mes ébats, à l’ombre du feuillage,
Avec mes gais amis, quand nous étions enfants.

Fidèles compagnons, j’ai quitté vos chaumières,
Séduit par les splendeurs de l’altière cité.
Mais elles n’ont laissé, ces splendeurs mensongères.
Que la déception dans mon cœur attristé !

AUX CHAMPS

Au sommet de la montagne
Voyez-vous ? l’aurore luit
Et verse dans la campagne
Ses rayons d’or : l’ombre fuit.


La matinale hirondelle
Fait entendre ses doux chants.
Au travail tout nous appelle :
Le jour brille, allons aux champs.

Le blé sous la brise ondoie :
Travaillez, ô moissonneurs !
Car une enivrante joie
Bientôt suivra vos labeurs.
Lancez la faulx acérée,
Et de vos bras triomphants
Liez la gerbe dorée…
Bons amis, allons aux champs !

Jeunes gens pleins de courage
Que le soleil a brunis,
Ne quittez pas l’héritage
Que l’aïeul vous a transmis.


Ailleurs la vie est amère ;
Ici vous vivez contents :
Pourquoi chercher la misère
Quand le bonheur est aux champs ?

Prolétaires de nos villes
Qui souvent manquez de pain,
Vos efforts restent stériles :
Vous craignez le lendemain…
La terre est assez féconde
Pour nourrir tous ses enfants.
Aux champs le bonheur abonde :
Croyez-moi, venez aux champs !

Vous, jeunes filles moroses,
À l’ombre de la cité
Vous perdez vos couleurs roses,
Vous perdez votre gaîté.


Oh ! venez dans les prairies,
Dans les grands bois odorants :
Les fleurs n’y sont pas flétries…
Que la vie est belle aux champs !

LA PIVOINE

La nymphe Péone, ayant porté atteinte à la pudeur, fut changée en pivoine.
p. zaccone.


La pivoine fleurit. Rouge comme la honte,
Elle étale au jardin sa blessante splendeur ;
Et malgré les rayons du soleil qu’elle affronte,
Elle lève les yeux, hautaine et sans pudeur.


Elle semble trôner au milieu du parterre ;
Sur sa vive corolle on dirait voir errer
Un sourire moqueur pour l’humble primevère
Qui, dans l’isolement, se plaît à soupirer.

À quoi sert, sans vertu, sa beauté merveilleuse ?
Le même chaud rayon qui lui prête l’éclat
La brûle de ses feux ; et la fleur orgueilleuse,
Las ! perd tout en perdant son brillant incarnat !

LES MIJAURÉES

Mademoiselle Coqueluche,
Couverte d’or et de velours
Et d’un fier chapeau de peluche,
Raconte ses nobles amours
À mademoiselle Chlorose
Qui, distraite, effeuille une rose ;

« Il m’aime, ce joli garçon,
L’autre jour il m’a saluée ;
Sa douce voix m’a remuée.
Je lui chanterai ma chanson :

« Bel ami que j’implore
« En secret dans mon cœur,
« Ange consolateur,
« Je t’adore…

Au bal il a pressé ma main.
Bien sûr, je le verrai demain.
Mettez-vous donc à la fenêtre,
Bientôt il va passer peut-être… »

— « Il est joli, je le crois bien.
Répond Chlorose, un peu timide.
Mais j’aime encore mieux le mien,

Et mademoiselle Insipide
Peut vous donner son sentiment :
J’en appelle à son jugement… »

— « Ce n’est point du tout mon affaire ;
Qu’il soit blond, rouge, brun ou noir.
Je ne veux même le savoir.
J’ai le mien et je dois lui plaire.
Je vous assure qu’il est beau,
N’est-il pas vrai, chère Isabeau ?
Vraiment, plus d’une est envieuse.
Que sa démarche est gracieuse !
Que son sourire est engageant !
Et quel front large, intelligent !
Que de charme en sa voix touchante !
Que de rayons en ses beaux yeux !

J’aime à l’entendre quand il chante,
En jetant les regards aux deux :

« Écoute ma prière,
« Fais cesser mon tourment ;
« À toi mon âme entière,
« Je t’en fais le serment !…

Car il adore la musique,
Voyez-vous, surtout la classique.
Souvent je joue, au piano.
Une sonate de Finaud,
À la plaintive mélodie,
Que pour lui tout seul j’étudie.
Écoutez ! c’est très-beau, cela !
Ti-ti-ti-ti-tra-la-la-la !…
Il en est fou ; rien qu’à l’entendre, —
Muscadin a le cœur si tendre, —
Qu’alors je vois couler ses pleurs… »


— « Et Finfin raffole des fleurs,
Reprend la brunette Toupie,
Qui sait jaser comme une pie,
Et je porte dans mes cheveux
Celles qu’hier il m’a données ;
Je les garde, même fanées,
Pour témoigner de ses aveux…
Une pensée, une violette,
Cela ne parle pas si mal.
Quoique je change de toilette
Il les verra ce soir au bal…
Ah ! la fête sera brillante,
Et la musique pétillante.
Ne manquez pas au rendez-vous !…
Ce soir, je porte mes bijoux.
Mon bracelet d’or… quelle joie !…
Mon collier, ma robe de soie !… »


— « Pour moi, dit Jeanne, sans façon,
J’aime Baptiste, un bon garçon…
Et s’il n’a pas un teint d’albâtre.
Et s’il fuit la danse folâtre,
Du moins il n’est pas un flâneur.
Il est pauvre, mais très honnête.
Fort, courageux et… pas bête !
Cela suffit à mon bonheur…
Oui, c’est Baptiste que j’épouse ;
De vous, je ne suis pas jalouse.
Au lieu de tresser des bouquets
À tous vos galants freluquets,
Au lieu de courir des chimères.
Vous feriez mieux d’aider vos mères
Aux soins ardus de la maison.
Dites-moi, n’ai-je pas raison ? »

LE FAT

Monsieur Faraud, certes, est bel homme
Frisé, ganté, brossé, poudré,
Droit comme un i, reluisant comme
Un sou tout neuf ; teint empourpré,

Cheveux châtains, lèvres de roses,
Moustache à la Napoléon,
Regards de feu, airs grandioses.
Il croit sa place au Panthéon !
Avec sa gracieuse moue,
Auprès des dames devisant,
Il pose en esprit séduisant.
Mais vainement tu fais la roue,
Crois-le bien, ô pauvre Faraud !
L’on rit de toi, l’on dit tout haut
Qu’une tête, même très belle,
Est laide sans quelque cervelle !

QUATRAINS

Une dame laide et hautaine
Jetait un regard de mépris
Sur une pauvre enfant, belle comme une reine,
Qui se vengea d’un doux, mais très cruel souris.




— « Prends mon or, donne-moi ton savoir en échange, »
Disait le millionnaire au modeste savant.
Celui-ci répondit : — « C’est un contrat étrange ;
Que m’importe ton or ? Science passe avant. »



Un lord se mourait d’anémie.
Voyant passer un gueux qui crevait de santé,
Il échappa ces mots de sa lèvre blêmie :
— « Le plus riche des deux n’est pas le mieux rente ! »

IV

POÉSIES DIVERSES

L’ŒILLET

à l’honorable m. j.-e. robidoux
Voilà qu’il sort une fleur panachée,
Riche en couleurs, d’une odeur recherchée.
C’était l’œillet…
r. de beaucaron.


Ô splendide œillet ! rival de la rose,
Digne de charmer les loisirs d’un roi,
Ma muse te doit une apothéose :
Que mes humbles vers aillent jusqu’à toi !


Je ne parlerai ni de tes pétales
Ouverts, arrondis, ou bien dentelés,
Entiers, découpés par bandes égales,
Lisses, duvetés, frangés, striolés ;

Ni de ta fleur double et multicolore,
À fond violet, cerise, incarnat.
Rose, cramoisi, chair, flammé d’aurore,
Ponctué de blanc, taché de grenat ;

Ni de ton feuillage étroit, en spatules.
Ou large, ou pointu, vert tendre ou foncé,
Qui boit les rayons des frais crépuscules.
Dont ton limbe pur, soyeux, est tissé !


D’un seul mot bien doux, que chantent les anges
Habitant la terre ou le paradis,
Ma muse pourra dire tes louanges
Mieux qu’en décrivant ton vif coloris :

Amour ! — C’est l’amour que tu symbolises ;
Non pas cet amour vil et sensuel,
Ô corruption ! que tu divinises ;
Mais ce trait de feu qui descend du ciel !

Il faut à l’œillet, afin qu’il résiste,
Des soins attentifs, un sol ameubli
À l’amour il faut, afin qu’il persiste,
De tendres soucis un cœur tout rempli.


Il faut à l’œillet la froide rosée,
Du soleil de juin la grisante ardeur ;
À l’amour il faut la larme irisée,
Le sourire aussi, qui monte du cœur !

LA TUBÉREUSE

À M. PAMPHILE LEMAY
L’odeur en est très forte et peut même causer l’asphyxie.
p. zaocone.


Tout est charmant, tout plaît en cette fleur bulbeuse ;
Sa tige est haute et droite, et son feuillage vert
Couvre à ses pieds le sol ; sa tête est gracieuse.
Ainsi qu’un parasol ouvert

S’évase sa blanche corolle,
Dont la frêle texture et l’émail argenté
Ont les reflets de l’auréole
Qui décore le front de la virginité.
De chaque foliole et de chaque sépale,
Un parfum pénétrant et suave s’exhale,
Comme l’encens de la vertu.

Fleur ! à te contempler, on te dirait candide ;
Mais ta blancheur est feinte, et ta beauté perfide
Jette un trouble profond dans le cœur éperdu.
Qui s’égare et délire, atteint d’un maléfice.
L’arôme séduisant que verse ton calice
N’est de la volupté que cet impur encens
Qui donne, doux poison, la mort par tous les sens !

EN VUE

DES CÔTES D’IRLANDE

À L’HONORABLE M. CH. LANGELIER

Nous avions visité Derry, Dublin et Londres,
Paris, ses boulevards, ses parcs, ses grands jardins,
Ses splendides palais, orgueil des citadins,
Son Exposition où venaient se confondre

L’Anglais et l’Espagnol, l’Italien, l’Écossais,
Le Danois, l’Autrichien, le Russe et le Français, —
Tous les peuples enfin qui remplissent le monde,
Unis dans le travail que l’art divin féconde.
Las, mais émerveillés de toutes les splendeurs
Que l’unique Paris offre à ses visiteurs,
De retour nous avions, — embarqués sur le Sarde, —
Quitté de Liverpool le grand port encombré
Et de son chaud soleil la lumière blafarde
Descendant d’un ciel gris, vaporeux, tout marbré.
Après avoir bientôt franchi la mer d’Irlande
Scintillant au soleil, plane comme une lande,
Qui s’étend au lointain, puis le canal du Nord, —
L’Écosse en vue à droite et l’Irlande à bâbord, —
Le vapeur s’arrêta près du port de Moville,
Vis-à-vis Donegal.

Quel séduisant tableau !
De coquettes maisons, une côte fertile,
Des champs, des prés, des bois, comme inclinés sur l’eau,
Mariaient leurs couleurs à l’azur de la mer
Baignant d’Inishowen les pittoresques rives,
Et mêlaient leurs parfums à cet arôme amer
Que du large apportait la brise aux ailes vives.
Ici s’offrait aux yeux un verdoyant coteau
Sur le versant duquel s’élevait un château ;
Là, les restes d’un fort perdus dans le feuillage ;
Et plus près, des rochers, une agréable plage.
Sur le gazon en fleur, à l’ombre des bosquets,
Du pont nous pouvions voir danser des jeunes filles,
En groupes gracieux comme de frais bouquets.
Des accords vifs et gais, montant dans les ramilles,
Arrivaient jusqu’à nous… Le flot semblait rêver ;
Le vapeur se taisait comme pour écouter…

Non, ce n’était pas là l’Irlande désolée,
Gémissant sous le joug, opprimée, accablée !
Nous croyions voir plutôt l’Irlande d’autrefois,
Heureuse, obéissant à ses antiques rois ;
L’Irlande des beaux jours de l’évêque Patrice,
Qui révélait à tous la foi consolatrice ;
L’Irlande des beaux jours d’O’Neil et d’O’Connor,
Et des bardes chantant avec leurs harpes d’or !
Reine de l’océan, tu nous apparus belle,
Avec ton vêtement de verdure éternelle !
Tu nous apparus belle, Irlande, ô verte Erin !
Dans ta douleur gardant toujours un front serein !

Septembre, 1889.

LA FÊTE NATIONALE

(La Saint-Jean-Baptiste)
À L’HONORABLE M. F.-G. MARCHAND

I


Vingt-quatre juin ! salut ! — Ô fête solennelle I
Apporte dans nos cœurs l’amitié fraternelle,
Ce sentiment si beau qu’on le dit surhumain !
Retardez votre cours, heures patriotiques !
Laissez-nous savourer les plaisirs pacifiques
Dont vous semez votre chemin !


Le soleil radieux, comme un puissant génie,
Répand à flots vermeils le jour et l’harmonie ;
Il féconde nos champs de ses subtils rayons ;
Il dispense partout dans sa course enflammée
La vie et l’abondance ; une brise embaumée
S’élève de nos frais sillons.

Notre libre drapeau flotte, au gré de la brise.
Au sommet d’une tour, au clocher d’une église
Et domine nos champs, — resplendissants tableaux ! —
Sous ses replis mouvants l’enthousiaste foule
Se rallie et se presse, ensuite se déroule
Ondulante comme les flots !

Tous les cœurs sont émus par la même pensée.
Voyez se réunir cette foule empressée.

Elle confond ensemble, en ce jour patronal,
Au seuil du temple saint où souvent elle prie,
L’amour du Tout-Puissant, l’amour de la patrie.
Dans le devoir national !

II


Du ciel où vous vivez, de ces célestes dômes,
Esprits de nos aïeux, ô bien-aimés fantômes !
Venez contempler vos enfants.
Dans le ravissement leur âme se déploie ;
Leur chère liberté, le bonheur et la joie
Brillent sur leurs fronts triomphants !


Voyez qu’elle sied bien à leur tête ennoblie,
La couronne de fleurs que vous avez cueillie,
La couronne de liberté !
Ils ne l’ont pas flétri, ce lys emblématique ;
Mais ils l’ont cultivé de leur main héroïque
Comme on cultive un fruit d’été !

À CRÉMAZIE

MORT AU HAVRE (FRANCE), EN JANVIER 1879

Donnez, du souvenir ressuscitant la flamme,
Une fleur à la tombe, une prière à l’âme,
Ces deux parfums du ciel qui consolent les morts.

Priez pour l’exilé qui, loin de sa patrie,
Expira sans entendre une parole amie…

OCTAVE CRÉMAZIE.


Poète à l’âme pathétique,
Poète aux accords ravissants,
Dont la lyre patriotique
Rendait de sublimes accents,

Vaincu, brisé par la tempête
Qui se déchaîna sur ta tête,
Tu t’endormis avant le soir.
Redisant de ta lèvre pâle
Le nom de la terre natale
Que tu ne devais plus revoir !

Sur ton front penché la souffrance,
Hélas ! avait marqué son sceau,
Au seuil même de l’existence.
Dans les langes de ton berceau :
Une douleur vague, infinie,
Avait consacré ton génie !
Victime d’un funeste sort
Qui brisa ta vaste carrière,
À longs traits dans la coupe amère
Tu t’abreuvas jusqu’à la mort !


Mais Dieu pardonne à ceux qu’il aime ;
Et la mort, sonnant leur réveil,
Orne leur front d’un diadème
Plus éclatant que le soleil.
Et ta belle âme, ô Crémazie !
Pleine d’amour, de poésie,
Rayonne, céleste flambeau,
Aux feux de la suprême aurore
Que ton cœur brisé vit éclore
Et s’élever du noir tombeau !

Tu dors, infortuné poète.
Sans regards, sans vie et sans voix ;
Près de toi ta lyre est muette
Qui jadis vibrait sous tes doigts !
Mais de la mort l’aile glacée,
T’effleurant, rouvrit ta pensée

Qui prit son essor vers les deux.
Elle rendit à ta grande âme
Ses rayons, son ardeur, sa flamme,
Et ses hymnes harmonieux !

Dans l’exil, reçois la prière
Que tes amis, vêtus de deuil,
N’ont pu déposer sur la pierre
Qui couvre ton lointain cercueil.
Ni tes souffrances, ni ta gloire
Ne périront dans leur mémoire.
Un jour à tes restes mortels
Ils donneront une demeure
Au pays natal qui te pleure,
À l’ombre de ses saints Autels !

Avril, 1879.

LE POINT DU JOUR

TRADUIT DE LONGFELLOW

La brise de mer monta du rivage
Et dit : — « Fais-moi place, ô sombre nuage ! »

Héla les vaisseaux et cria : — « Voguez !
La nuit disparaît, braves mariniers ! »


Rapide vola du côté de terre,
En disant : — « Debout, voici la lumière ! »

Elle dit aux bois : — « Remplissez les airs
De voix, déployez tous vos drapeaux verts ! »

Toucha de l’oiseau l’aile repliée :
— « Fais entendre au loin ta note perlée ! »

Traversa les champs : — « Ô chantre du jour !
Chante ! du matin, voici le retour ! »

Elle murmura dans les blés que dore
Un faible rayon : — « Saluez l’aurore ! »


Elle s’écria du haut du beffroi :
— « Proclame le jour, cloche, éveille-toi ! »

Et vint soupirer dans le cimetière :
— « Pas encor, dormez en paix sous la terre ! »
Et dit : — « Fais-moi place, ô sombre nuage ! »

LES PLAINTES DE MINVANE

Poème ossianique
À M. NAPOLÉON LEGENDRE

Du sommet du Morven, qui domine les mers,
Ses longs cheveux épars, l’âme toute éplorée,
Minvane interrogeait l’étendue azurée,
Et d’un œil anxieux fixait les flots amers.

Elle vit revenir nos guerriers intrépides
De leurs armes couverts.
Soudain elle pâlit ; ses lèvres sont livides ;
Ses longs cris de douleur font retentir les airs :
— « Ryno, mon bien-aimé ! Ryno ! s’écria-t-elle,
Ne reviendras-tu pas vers Pâmante fidèle ?… »

Nos regards abattus, aussi nos cœurs brisés,
Lui disaient que Ryno n’était plus ; que son ombre
Était montée au sein des nuages rosés ;
Qu’on entendait sa voix, comme un murmure sombre,
Sur les coteaux boisés.

— « Quoi ! le fils de Fingal mort dans la plaine verte !
Il était bien puissant le bras qui l’a détruit !
Et moi je reste, hélas ! pour déplorer sa perte !

Pourquoi ne suis-je morte en cette triste nuit ?…
Je ne resterai pas seule ainsi dans ce monde.
Ô vents ! qui soulevez mes cheveux longs et noirs,
Je ne répondrai plus, par ma plainte inféconde,
À vos gémissements qui troubleront mes soirs…
J’irai trouver Ryno pour dormir dans sa tombe…
Je ne te verrai plus, ô mon unique amour !
Revenir de la chasse à l’heure où la nuit tombe,
Tout brillant de jeunesse et beau comme le jour.
L’ombre de la nuit plane,
Entourant le héros bien-aimé de Minvane ;
Un silence de mort
Habite sous la terre avec Ryno qui dort !…
Où sont tes boucliers et ta lance brillante ?
Qu’as tu fait de ton glaive agile comme l’air ?
Ton arme était terrible, — elle était si vaillante !
Elle frappait soudain comme frappe l’éclair !
Mais, hélas ! j’aperçois tes armes entassées

Et couvertes de sang, au fond de ton vaisseau.
Pourquoi tes compagnons ne les ont-ils placées
Dans ta sombre demeure, ô bien-aimé Ryno ?…
L’aurore, de sa voix, ne viendra plus te dire :
— « Lève-toi, les chasseurs sont déjà dans les bois,
« Poussant des cris joyeux qu’emporte le zéphire,
« Et poursuivant le cerf qui s’enfuit aux abois !… »
Efface tes lueurs, tendre et vermeille aurore :
Ryno ne te voit plus ; il est avec les morts.
Ô mon héros chéri ! Minvane te déplore…
Je descendrai sans bruit dans le lit où tu dors !…
Mes compagnes iront à travers les montagnes
Et suivront en chantant la trace de mes pas ;
Mais je n’entendrai plus vos chants, ô mes compagnes !
Je vais avec les morts ; vous ne me verrez pas ! »

À LIGURINUS

IMITÉ D’HORACE

Jusqu’ici ta beauté soutint avec honneur
La fierté de ton cœur.
Mais bientôt, quand la grâce et la verte jeunesse
Fuiront pour faire place à la triste vieillesse ;
Mais bientôt, quand ton front, si frais et si vermeil,
À la rose pareil,
Sera couvert de rides,

Sans cheveux, dénudé comme les rocs arides ;
Regardant au miroir, tu diras, affligé
De te voir si changé :
— « Aux jours d’insouciance,
Pourquoi n’ai-je pensé comme aujourd’hui je pense ! »

LE POÈTE

SUJET TIRÉ d’une ÉPÎTRE D’HORACE

La passion du jour, c’est donc la poésie.
Les jeunes et les vieux, saisis de frénésie,
Le front ceint de lierre, ou même de lilas,
Improvisent des vers en prenant leur repas.


Moi qui jurai cent fois de n’en plus jamais faire,
J’ai menti comme un Parthe. À peine la lumière
M’a-t-elle ouvert les yeux, qu’esclave du métier,
Il me faut à l’instant des plumes, du papier,
Aussi des cordes pour ma lyre.

Quand on ne sait comment diriger un navire,
On ne s’installe pas, la main au gouvernail,
Le modeste artisan parle de son travail ;
Et quant au médecin, il parle médecine !
Mais tous, instruits ou non, dans la langue divine,
Nous voulons bégayer et composer des vers.

C’est une folie, un travers ! —
Pourtant il a du bon, ce travers si bizarre.

Rarement verra-t-on un poète être avare :
Aux périssables biens il n’est pas attaché.
Il adore les vers, c’est là son gros péché.
Que son argent se fonde, ou que sa maison brûle,
Il en rit fort gaîment ; jamais il ne calcule.
Il ne s’exerce pas, — rempli d’un noir dessein, —
À dépouiller le faible, à tromper son voisin :
Son cœur sensible et droit ignore l’imposture.
Frugal, il lui suffit, pour toute nourriture,
De légumes, de fruits, avec du pain grossier.

Le poète n’est pas un héros, un guerrier.
Son œuvre, cependant, n’en est pas moins fertile ;
Une petite chose aux grandes est utile.
Aux enfants bégayants il apprend à parler ;
Et ses sages discours, qui savent formuler

La vertu, resteront dans leur jeune mémoire.
Au moyen des leçons que lui fournit l’histoire,
Il réforme les cœurs, qu’il rend plus purs, plus doux, —
Adoucissant les durs, raffermissant les mous.
Il en extirpe aussi les défauts et le vice,
La colère, l’envie et la blême avarice.
Sous des traits séduisants il dépeint la vertu,
Pour laquelle toujours il a bien combattu,
Et que, dans ses écrits, il sait faire reluire,
Même aux siècles futurs, qu’il a tâche d’instruire !

TABLE


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