Les heures de Paphos, contes moraux/03

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(Un sacrificateur de Venus)
(p. Fig.-16).
Le Jardinier et sa Femme
Les Heures de Paphos, contes moraux, 1787 - Figure p-16
Les Heures de Paphos, contes moraux, 1787 - Figure p-16

Le Jardinier et sa Femme.



Loin du tumulte de la Ville,
Un Jardinier nommé Guillot,
Avec son épouse Margot
Tenoit son petit domicile.
Un Jardin de plus d’un arpent
Qu’ils travaillaient conjointement,
Fournissait à leur subsistance ;
Et dans leur paisible réduit
Ils avaient meme assés d’aisance.
Ils vendaient beaucoup de Fruit,
De Légumes et de Salade.
Un Jour Margot fit la malade
Et c’etait un jour de Marché,
Reste au lit, ma petite mere,
Lui dit Guillot d’un air touché,
Chés nos pratiques d’ordinaire
Je vais porter tout ce qu’il faut.
Repose toi — que je repose ?
Eh, ne faut-il pas que j’arrose
Notre Jardin ! — il fait trop chaud.
Et quand Je reviendrai tantôt
J’arroserai ; va je m’en charge.
Il dit, et crac prenant sa charge
Sur son dos, le voila parti.
Le Lecteur doît être averti
Que tous les jours c’était la femme
Qui faisait la commission ;
Et cette fois la fine lame
Feignait l’indisposition

Pour servir l’amoureuse flamme
De certain Monsieur Grenadier,
Grand riboteur de son metier,
Faisant d’hommes force recrue
Et passant femmes en revue ;
Employant au mieux son congé.
Un jour qu’au milieu de la place
Il assemblait la populace,
Dame Margot s’y rencontra,
Et le grivois la remarqua.
Margot en valait bien la peine :
Sein d’albatre ; cheveux d’ébéne ;
Minois rond ; les plus belles dents ;
Tetons fermes et bondissans…
Margot enfin était jolie
Et le savait, en pareil cas
Aisement la coquetterie
Vient se mettre de la partie :
Aussi Margot n’en manquait pas.
Elle était toujours arrangée
D’un air leste, propre et galant ;
Du linge fin ; toujours bien blanc,
Une coiffure negligée
Dont l’adroite simplicité
Pare et releve la beauté.
Bref : Mons la Tulipe la guette,
L’aborde, lui conte fleurette.
Le drôle était joli garçon,
Grand, rablé, noir, et l’œil luron
Il plût à Margot ; et l’affaire
Se termina ne sais comment.

Toujours est-il que fort souvent
Au marché la fine commere
Demeurait plus que de raison ;
Et de retour à la maison
Si Guillot lui cherchoit querelle
Sur son retard, ah ! disait elle
Malheureuse ! quel est mon sort !
Toujours la charge sur le corps
Encore faut il que l’on me gronde ;
Tandis qu’il n’est pas dans le monde
Femme pour aller mieux que moi.
Guillot était un si bon diable,
Allons, allons, appaise toi
Disait il, mettons nous à table,
Puis au lit, et sur le chevet
Le different s’accommodait.
Mais revenons à notre affaire ;
Pour se voir plus en liberté
La Tulippe avait concerté
Avec sa belle Jardiniere
Le stratagème que l’on a vu ;
Savoir, qu’elle serait malade.
Or voici comme il fut déçû :
Il eut avec son camarade
Dispute au sujet d’un écot ;
Il se battit ; et comme un sot
Se laissa crever la bedaine ;
Si bien qu’à la Ville prochaine
A l’hôpital on le porta…
Margot ignorait tout cela ;
Elle l’attend ; s’impatiente,

Peste, jure, pleure, s’endort ;
Se réveille, maudit le sort ;
Se leve, et comme une Bacchante
En chemise court au jardin :
Trouve un Concombre sous sa main
Dont la grosseur et la structure
Lui représente la figure
De ce que portait le Soldat.
Ah ! le traitre, le scélerat ?
Est ce ainsi qu’on se fait attendre !
Puis sur le gazon de s’étendre
Et d’introduire ce Monsieur…
Guillot qui n’est pas grand causeur
A deja fini son affaire ;
Revient, cherche sa menagere ;
Dans la maison l’appelle en vain,
Se fache, et l’appercoit enfin
Pamée en disant, la Tulippe.
Voyés dit-il cette guenippe
Au lieu d’attendre mon retour !
Je vais l’attrapper à mon tour ;
Il dit, et fourre son Andouille
Dans un Arrosoir, dont la Douille
Fait la mesure justement.
Ah ! tatigué que d’agrément !
Si tu t’en ris, je m’en gobarge ;
Morgué ceci, n’est pas si large.
A ces mots Margot s’éveilla ;
Eh ; bon dieu, que fais tu donc là,
Mon ami ? — tu vois, pas grand chose
Margot, tu plantes, moi j’arrose.