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Les heures de Paphos, contes moraux/07

La bibliothèque libre.
(Un sacrificateur de Venus)
(p. Fig.-40).
L’Écrevisse
Les Heures de Paphos, contes moraux, 1787 - Figure p-40
Les Heures de Paphos, contes moraux, 1787 - Figure p-40

L’Ecrevisse.



Certain Abbé des plus coquets,
Grand fabricateur de poulets ;
Fameux papillon de ruelles.
En contant à toutes les belles :
Contre l’esprit de son état
Voulait jouir avec éclat ;
Et loin de garder le mystére
Sur les faveurs qu’il recevait,
Plus fanfaron qu’un militaire
A tout venant les racontait ;
C’est mal faire sa cour aux dames.
Sur son compte avoir un amant
N’est point un crime chés les femmes ;
On double même assés souvent ;
Mais outre que la bienséance
Exige d’eux plus de prudence,
Un Abbé n’est pas un galant
Qu’on puisse avouer décemment.
Il est des choses d’étiquette,
Et la femme la plus coquette
Se targuera d’un officier,
Ou, pour l’argent, d’un financier,
Qui se croirait deshonorée
D’etre la maîtresse avouée
D’un robin, ou bien d’un abbé.
Ce n’est pas que leur accointance

Soit moins dangereuse à l’epoux ;
Mais ce sont comme des joujoux,
Qu’on a chés soi sans conséquence ;
Des hors d’œuvre de jouissance.
Celui dont je vous ai parlé
Tout plein de son petit mérite,
Le premier jour qu’il voit Mélite,
Se persuade en etre aimé.
Mélite était de ces coquettes
Qui n’aiment rien précisement,
Qui se font un amusement
De multiplier leurs conquêtes
Moins encor par tempéramment,
Que pour faire tourner des têtes.
C’était, à parler nettement
Une folle des plus complettes.
Elle apprend donc le lendemain
Que l’indiscret Abbé Poupin
S’était vanté d’etre aimé d’elle ;
Soudain la maligne femelle
Résout de venger son honneur
Et de corriger le hableur.
En fait de ruse et de malice,
Jamais femme ne fut novice.
Mélite en tenait magazin ;
C’etait un démon féminin.
Elle écrit donc au petit maître,
Que du moment qu’elle l’a vû,

Dans son ame elle a senti naître
Un feu subit ; et que pourvu
Qu’il promette d’etre fidelle,
Il pourra tout obtenir d’elle ;
Lui donnant même rendés vous
Le lendemain, sur les neuf heures.
L’Abbé reçoit le billet doux ;
Le serre dans son livre d’heures
Et ne manque pas tout le soir
De le lire à qui veut le voir.
Le lendemain, l’heure arrivée
Plus ajusté qu’une epousée,
Il vient, on ouvre, on l’introduit
Chés Madame, qui sur son lit
Langoureusement étendue,
L’œil agaçant ; à demi-nuë,
Joua d’abord la retenuë,
Et puis feignant de succomber,
Laissa le galant approcher
De la fontaine de Jouvence ;
C’est là qu’une cruelle chance
Attend son misérable engin.
A l’orifice du Vagin,
Mélite avait eu la malice
De mettre une grosse Ecrevisse
Qu’entre ses doigts elle tenait ;
Et sitôt que le Prestolet
Fut prêt d’entrer au sanctuaire,

La diablesse lâche une Serre,
Puis l’autre ; si bien, que l’Abbé
Dans l’instant se trouva pincé
D’une vigoureuse maniére ;
Il pousse des cris douloureux,
Se sauve, court, jure, s’agitte.
Bon dieu ! dit en riant Mélite.
J’ai peur ; cet homme est furieux ;
Accourés, mes bonnes amies.
Deja cinq ou six dégourdies,
Qui dans le prochain Cabinet
N’attendaient que le mot du guet,
Sont à l’entour du pauvre drille,
Qui demande d’un air penaut
Qu’on aît pitié de sa guenille ;
Enfin avec de bons Ciseaux
On coupa les pattes du Cancre ;
Et l’Abbé cachant sa fureur
Et son pénil noir comme l’encre,
Leur fit serment de très grand cœur,
Et sans leur demander son reste,
D’être à l’avenir plus modeste,
De tenir ses amours secrettes
Et sur tout, de n’aller jamais
Vaquer au galant exercice
Sous le Signe de l’Ecrevisse.