Les institutrices allemandes à l’étranger

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Les institutrices allemandes à l’étranger
Revue pédagogique, premier semestre 1884 (p. 66-67).

Les institutrices allemandes à l’étranger. — Les Rheinische Blätter publient sur ce sujet un article destiné à dissiper les illusions des institutrices allemandes qui prennent volontiers la terre étrangère pour un Eldorado. Dès qu’une jeune fille a obtenu un diplôme, elle cherche une place avantageuse. Mais comment vaincre la concurrence ? Il y a « plus institutrices en Allemagne que de sable au bord de la mer ». Un chemin s’offre, tout à la fois pour trouver un emploi, pour achever son éducation et pour acquérir des connaissances qui donnent un certain degré de supériorité : c’est d’aller à l’étranger.

L’Europe occidentale ne leur suffit plus ; elles vont en Russie, en Roumanie, en Orient, aux Indes, en Amérique. L’auteur met les parents en garde contre les agences de renseignement qui, surtout celles de l’Amérique, ne sont, hélas ! le plus souvent que des agences de perdition. Telle famille, dit-il, qui, dans la patrie, est pleine de sollicitude pour la jeune fille, ne la laisse pas sortir seule dès que le jour baisse, la jette sans hésitation, sur la foi de correspondants inconnus, dans tous les hasards et les périls d’un exil lointain. La Russie, la Hongrie, la Roumanie, la Bessarabie, sont fertiles en exemples aussi lamentables que ceux dont l’Amérique abonde.

À côté des institutrices aventureuses qui vont courir les risques de voyages lointains, se trouve une seconde catégorie : celle des jeunes filles qui ont la prétention d’aller achever leur éducation en France, dans la Suisse française, en Belgique, en Angleterre, et qui partent avec les mêmes illusions et le même joyeux entrain que les jeunes gens qui abordent la vie si attrayante de l’université.

« On pourrait croire, dit l’auteur, que le réveil de l’esprit de revanche (sic) détournerait de la France les institutrices allemandes. C’est une erreur : on peut voir aujourd’hui de nouveau, sur les boulevards et dans les avenues, de véritables troupes d’institutrices allemandes s’entretenir et gesticuler avec vivacité. » Au lendemain de la guerre on se bornait à prendre des gouvernantes d’Autriche, de Bohême, et même de Pologne et de Russie pour l’enseignement de la langue allemande ; peu à peu on en est revenu aux Allemandes elles-mêmes. Mais elles se plaignent d’être reléguées hors de la famille, à la mode anglaise, ce qui n’était pas dans les usages français auparavant, d’être logées dans une mansarde, de recevoir de trop faibles émoluments et de servir le plus souvent de « bonnes d’enfants ». Et néanmoins, celles qui trouvent de telles positions s’estiment heureuses en comparaison de leurs compagnes errantes qui dépensent leurs derniers sous dans des bureaux de placement, jusqu’à ce qu’elles finissent par accepter une place de domestique. Et quant aux enfants qu’elles ont à élever, quelle description en fait l’auteur ! Ils sont gâtés, mal élevés, vaniteux ; il n’y a pas de défaut, pas de vice qui ne se rencontre en eux ; ils sont traités par la famille et les amis comme de grandes personnes, ils assistent aux dîners et aux fêtes, etc !

Et malgré tout, la situation des institutrices allemandes est encore plus lamentable en Belgique et dans la Suisse française, s'il faut en croire la peinture qui nous est faite des pensionnats de ces deux pays et de la lésinerie dont lesdites institutrices se plaignent qu’on use à leur égard.

En Angleterre, les choses vont un peu mieux, grâce aux associations de secours mutuels fondées par les institutrices et qui ont obtenu de hauts patronages.

Les conclusions de l’auteur de l’article sont au nombre de trois. Il est à désirer que la presse donne la plus grande publicité possible aux adresses des œuvres de bienfaisance, refuges, homes, etc., fondés à l’étranger en faveur des institutrices allemandes.

Il serait très souhaitable qu’une grande association fût fondée sous le titre de « Société protectrice des institutrices allemandes à l’étranger », afin de centraliser les efforts tentés jusqu’ici sans cohésion, et de grouper toutes les bonnes volontés sous une direction unique.

Enfin les institutrices devraient se pénétrer davantage du sentiment de leur solidarité, ne pas se faire une concurrence déloyale en offrant leurs services au rabais : c’est ce manque de solidarité, d’esprit de corps, qui les livre sans défense à ceux qui veulent les exploiter.