Les jours et les nuits/I/VI

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Société du Mercure de France (p. 32-34).

vi
présentations

Coup de sifflet. Dernière halte. Il est venu un tas de gens, le général avec, c’est bien possible, tous soldats militaires, trimballant un machin doré, qui est l’étendard, érigé sur le ventre d’un lieutenant très fier (c’est l’étui des dépêches, disait le héraut d’Aristophane). Et puis il y a un tas de pierres et il est confortable de ne pas descendre de machine et de rester assis arrêté, le pied gauche sur un pavé. Il n’y a qu’à remuer un tout petit peu le pied droit pour repartir. Il serait tout de même plus militairement poli, pense Sengle, de mettre pied à terre, et de s’appuyer seulement du coude sur la bicyclette, car voici le général qui est en face et présente son sabre, les tambours qui battent aux champs, tous ces pauvres bougres ont gardé le sac au dos et présentent les armes…

Autre coup de sifflet. Par le flanc droit. Marche.

Sengle endormi et assourdi roule monotone, comme un écureuil dans la rotation de sa cage tourne une serinette, derrière la clique, devant la musique qui le talonne, essuyant la boue aux fesses des précédents tambours.


Le soir, le sergent :

« Vous en avez un toupet, vous ; vous n’avez pas salué le drapeau.

— Le drapeau ? dit Sengle. Je ne l’ai pas fait par bravade. Saluer le drapeau, ça ne me serait pas venu à l’esprit. Et puis, j’étais très occupé à regarder saluer les autres.

— Le général compris. Pourvu qu’il ne vous flanque pas trente jours de prison. »

Le lendemain, au rapport :

« Quinze jours de prison aux soldats Mathurin, Kerlevezou et Gautier, qui, étant dans la chambre, derrière les carreaux, ne se sont pas découverts quand on a sonné au drapeau dans la cour du quartier. »

C’est tout.