Les jours et les nuits/IV/III

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Société du Mercure de France (p. 148-151).

iii
quelques truismes

La science, disent les bourgeois, a détrôné la superstition : une maladie n’est plus causée par le malin esprit, mais par des microbes que l’on sait détruire d’après des règles connues. Or on va de la science parfaite au concret digne de La Palisse : car on dit ce qui est visible aux yeux mortels (ce sont toujours des yeux mortels, donc vulgaires et très imparfaits, les supposât-on renforcés des microscopes des savants ; et l’organe des sens étant une cause d’erreur, l’instrument scientifique amplifie le sens dans la direction de son erreur).

La doctrine ancienne dit : la maladie, le mal physique, tout ce qu’on voudra, est un épisode de la lutte éternelle d’Ahriman contre Ormutz, du principe du mal contre le principe du bien. L’invocation d’Ormutz combat la cause du mal et non ce mal lui-même, qui n’est qu’un effet, renouvelable par conséquent tant que la cause subsiste.

Dans les intelligences supérieures, Ormutz et Ahriman se donnent la peine d’entrer en lutte en personne. Chez elles le mal est vaincu par la prière. Chez les âmes simples pareillement. C’est la théorie peu neuve du Dr Misès, qu’il n’y a point de différence entre la sphère, forme d’un corps rudimentaire, où ne se sont développées aucunes protubérances (Ormutz, dirons-nous ici), où ne se sont creusées aucunes dénivellations (Ahriman), et la forme d’un corps parfait, qui est encore la sphère, parce que ce corps possédera toutes les protubérances et tous les creux (s’il est pur, ceux-ci au moins à l’état de souvenir, ce qui n’est point différent de ce que le vulgaire appelle la réalité actuelle), présentera donc une multitude de reliefs et de dépressions, sera infiniment rugueux — ce qui est la définition, comme on sait, du corps poli, le poli résultant de la petitesse extrême des saillies, qui est en raison directe de leur multiplicité. Ces intelligents supérieurs, en petit nombre, se reconnaissent à divers détails physiques. On peut dire d’eux ce que dit l’Évangile : « S’ils boivent quelque poison mortel, ils n’en éprouveront aucun mal. » Dans la vie pratique, les bourgeois ou les hommes de science les appellent des fous ou des malades, parce que le bourgeois n’est pas assez instruit pour étudier le corps et que le savant l’est trop — de l’histologie cérébrale — pour étudier l’âme.

Entre le savant et le bourgeois, même comparaison si l’on veut qu’entre l’esprit simple et l’homme de génie. Le savant est l’homme de génie de l’analyse (nous n’oublions pas l’esprit synthétique, dit-on, de Cl. Bernard, etc., mais toute science est plus analyse qu’une littérature, n’est-ce pas ?) parce qu’il sait, s’il ne la fait, qu’il y a une synthèse possible. Il omet toujours le principe de synthèse, qui est ce que nous appelons Dieu, principe vivant auquel ramène peut-être sans le savoir la théorie des idées-forces. Le bourgeois n’est pas capable de comprendre le principe de synthèse et le cherche tout de même — en analysant. Les résultats sont identiques.