Les jours et les nuits/V/I

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Société du Mercure de France (p. 203-206).

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un peu de sacrilège

Sengle était catholique et se confessait — à des intervalles — à un jeune prêtre qu’il avait eu beaucoup de peine à trouver, et qui approuvait presque une fois pour toutes ses fautes — dans le sens de sa nature et comme telles (s’il n’était pas scandaleux de juger ainsi des fautes) tendant vers Dieu. Ceux dont l’intelligence et le corps sont élus, à moins d’imprévu détraquement, se laissent aller dans la gravitation de leurs actes autour de leur synthèse intérieure, et ne désobéissent à aucune prescription du Décalogue, respectant en Dieu soi. Les commandements altruistes : « Le bien d’autrui… » sont d’aristocratiques formules d’isolement. « Dieu en vain tu ne jureras » est la seule courtoisie valable ; il est ridicule de cracher sur son miroir, même l’inspectant par des besicles grossissantes. Les œuvres de chair ne sont non répugnantes qu’avec des pairs ; et en effet ce n’est que la fornication que défendit Moïse.

Et Sengle, pour compenser dans la symétrie de l’Extérieur le paradoxe de sa liberté non-conforme, condescendit, dans l’un des panneaux du triptyque de la confession, à s’agenouiller, quoique dans la guérite centrale épiât un prêtre militaire.

Et la confession fut comme toute confession, avec cet amusement que le prêtre crut parler à la soldatesque coutumière, l’interrogeant d’abord des ivrogneries, lupanars et jurons.

« Non, » répondit simplement Sengle aux questions ; puis il s’accusa sur quelques points qu’il prit la peine d’expliquer sommaires ; et enfin reçut la formule dont le vieux zouave sacerdotal n’était que transmetteur.

Après les assassinats possibles acceptés, et tout le nécessaire pour l’évasion vers soi, Sengle n’avait pas prévu qu’il fût plus complet, dans la culbute de tout, de repousser aussi du talon, pas trop directement sans doute, Dieu. On lui rendrait son être libre après le Consummatum est comme dernier mot de passe du militaire.

L’aumônier, ayant compris un peu et honoré dans son âme confuse d’avoir parlé avec un intelligent qui demain serait quelqu’un et non plus un homme ; peut-être simplement suivant des adieux usités au lâcher successif de ses ouailles prisonnières, l’interrogeait sur sa santé, demandant des détails.

Sengle résolument et sincèrement conta les souffrances nosologiques, son cœur anatomiquement curieux vérifié par des docteurs divers, et toute la vérité selon les certificats et l’intérieur de l’hôpital.

Puis au matin il s’acquitta du nécessaire sacrilège.

Dom ***, à qui il s’accusa ou glorifia plus tard, jugea :

« Les Commandements seraient monstrueux d’exiger la confidence d’un soi compliqué à qui n’en est pas digne. Le Christ en ses paraboles parlait selon l’actuelle compréhension des peuples. Et il faut se faire foule pour entretenir la foule — sauf dans l’œuvre d’art, qui ne la regarde pas. »