Les métamorphoses d’une goutte d’eau/Les Cousins

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LES COUSINS.


La famille Legentil se promenait au bord du ruisseau qui bordait leur jardin. Norbert, l’aîné des enfants, lisait, tandis que Georges et Mélanie cueillaient des fleurs dont leur mère faisait un bouquet.

Georges, qui s’était penché pour tâcher d’avoir un beau trèfle d’eau, resta immobile en regardant avec beaucoup d’attention.

« Qu’y a-t-il donc là, mon enfant, que tu es si attentif ?

— Oh ! papa, c’est quelque chose de bien singulier ! Ma sœur, vois-tu monter à la surface de l’eau ces petits grains qui ressemblent à de l’avoine ? Regarde, ils s’agitent et plongent pour surnager bientôt.

— Observez bien attentivement ce phénomène, mes enfants, il est extrêmement curieux.

— Voilà un des grains qui se fend, dit Mélanie, et quelque chose en sort.

— On dirait une tête d’insecte, ma sœur !

— N’agitez pas l’eau, enfants, car ces petits grains, comme vous les appelez, qui tout à l’heure y étaient plongés sans inconvénient, seraient submergés et noyés si elle entrait dans la coque ouverte, et ils ne remonteraient plus à la surface.

— C’est vraiment bien une tête, continua Georges qui observait toujours ; je vois même une partie du corselet de l’insecte.

— Le reste du corps sort peu à peu, papa ; et à mesure, il se dresse comme un mât dans la petite nacelle que forme la coque !

— C’est un insecte qui n’a pas d’ailes.

— Ni de pattes non plus. Quel singulier animal !

— Ah ! voilà la petite nacelle avec son mât qui voyage. Papa, comment l’insecte a-t-il pu sortir de sa gaine sans pattes ni ailes ?

— Mon enfant, Dieu a donné à chaque être les facultés nécessaires à la conservation de son existence : celui-ci allonge et contracte successivement son petit corps, et parvient ainsi à sortir de sa coque. »

Georges, en cueillant une touffe de myosotis, agita l’eau, et une partie des nacelles avec leurs mâts animés chavirèrent.

« Quel dommage ! s’écria Mélanie ; pauvre petites bêtes sont-elles donc perdues pour toujours ?

— Oui, ma fille. Cet animal, dont l’œuf se développe dans l’eau et y subit toutes ses métamorphoses, ne peut en supporter le contact pendant la courte phase de son existence à laquelle vous assistez ; mais le malheur n’est pas grand, car ces animaux-là se multiplient dans une proportion effrayante : ils font cinq ou six pontes par an, et chaque ponte de deux ou trois cents œufs. Il restera toujours assez de ces petites nacelles vivantes.

— Ah ! dit Georges, en voilà un qui allonge deux pattes fines comme des cheveux.

— Et moi je vois deux autres pattes qu’il pose sur l’eau sans les y enfoncer ; il ne craint donc plus de se noyer, papa ?

— Non ; tout danger est passé maintenant pour lui.

— Le voilà qui étale ses ailes au soleil, sans doute pour les faire sécher ; il les agite comme s’il voulait s’envoler. Il faut que j’en prenne un avant qu’il en fasse usage, afin de reconnaître quel insecte ce peut être… Le voici avec ses yeux verts à reflets rouges et ses antennes qui ressemblent à de petites plumes. Il a six pattes : tiens ! Il allonge sa trompe comme s’il voulait me piquer. »

Norbert, qui s’était approché des deux petits observateurs, partit d’un éclat de rire.

« Ce fameux animal que vous admirez tant, dit-il, est tout bonnement un cousin que vous vous empresserez de tuer après vous être attendris sur son berceau. »