Les métamorphoses d’une goutte d’eau/Les fleurs aquatiques

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LES FLEURS AQUATIQUES.


« Oh ! cher papa, faites-nous faire une promenade en bateau ! dit Lionel ; je vous aiderai à diriger la barque. Il fait si beau temps aujourd’hui !

— Je le veux bien, mon cher enfant ; avertis ta mère et les sœurs pendant que je vais disposer les bancs pour les asseoir commodément. »

Mme Legentil vint au bord de la rivière avec ses deux filles, Lydie et Mina, trouver son mari qui l’y attendait. Avant de monter dans le bateau, elle fit promettre à ses petites filles de rester bien tranquilles auprès d’elle.

« Ne pourrons-nous pas cueillir de ces jolies fleurs que je vois d’ici ? demanda Mina.

— Non, mon enfant, si tu en désires quelques-unes. Lionel ou ton père te les cueillera. — Papa, dit Lydie, menez-nous, s’il vous plaît, du côté de ces nymphéas ; mon frère m’en saisira bien quelques fleurs.

— Et il me donnera de ces grandes feuilles luisantes qui sont larges comme des assiettes, » ajouta Mina.

Le bateau se trouvait sur une large retenue d’eau qui alimentait le moulin ; et comme le courant était presque insensible en cet endroit, mille plantes diverses croissaient près des rives. L’on passa tout auprès d’un fouillis de joncs, de roseaux, de sagittaires, d’une variété infinie de grandes herbes, et le bateau glissait fort lentement au milieu de tous ces obstacles.

« Que je voudrais donc pouvoir marcher sur l’eau comme cette araignée que je vois-là ! s’écria Lydie. Voyez donc maman, comme elle glisse sans seulement l’agiter ! Qu’est-ce qui peut donc l’empêcher d’enfoncer ?

— On assure que ces petits animaux ont sous chaque patte une bulle d’air qui les soutient sur l’eau.

— Pourquoi tournent-elles comme de vraies folles ? dit Mina.

— C’est qu’elles chassent leur proie qui est si petite que nos yeux ne peuvent l’apercevoir.

— Les leurs sont donc meilleurs que les nôtres ?

— Oui, petite, la vue est un sens extrêmement développé chez tous les insectes.

— En voilà une qui, tout en faisant ses mille tours, ne quitte pas le voisinage de cette touffe de joncs.

— Sans doute son nid est dans les environs ; regarde bien, Lydie, tu le découvriras probablement.

— Je vois une espèce de toile grossière suspendue à deux brins de joncs ; elle semble contenir un cocon soyeux.

— C’est précisément dans ce cocon qu’elle a déposé ses œufs, et elle les a suspendus dans la toile grossière afin de les mettre à l’abri de l’humidité.

— Papa, cueillez-moi donc cette touffe de fleurs qui semblent me regarder avec leur joli petit œil bleu ! Comment se nomment-elles ? demanda Mina.

— Ce sont des myosotis, répondit Lydie, et leur nom est aussi joli qu’elles.

— Si tu apprenais le grec, dit Lionel d’un air capable, tu saurais que ce mot qui te semble si joli se traduit par cet autre très-vulgaire : oreille de souris.

— J’en connais un autre, dit Mme Legentil, qui vaut bien ces deux-là.

— Dites-nous-le, chère maman.

— Cette fleur se nomme aussi : ne m’oubliez pas !

— Pourquoi lui a-t-on donné ce nom qui est plus triste que joli ?

— Ce nom se rattache à une anecdote que chacun raconte à sa manière.

— Dites-la-nous à la vôtre, je vous en prie, maman, s’écrièrent ensemble les trois enfants.

— Volontiers. On dit qu’autrefois, en Allemagne, un petit garçon se promenait au bord de l’eau avec sa mère et ses sœurs. Il aperçut un beau myosotis et voulut l’avoir. La mère, heureuse de faire plaisir à son petit enfant, s’approche de la rive et cueille la fleur ; mais son pied glisse et elle tombe dans la rivière dont le courant l’emporte. Se sentant perdue, elle élève au-dessus de l’eau les fleurs qu’elle tient encore à la main, et crie à ses enfants :

« Souvenez-vous de moi !!! »

— Pauvres petits ! » dirent les enfants.

Lionel était parvenu à se procurer quelques fleurs de nymphéa au moyen de la perche qui lui servait à diriger le bateau.

« Voilà la perle de nos fleurs aquatiques, dit M. Legentil.

— Je proteste, s’écria Lionel ; en voici une qui me paraît l’emporter. »

Et il offrit à sa mère un beau ménianthe ou trèfle d’eau.

« Ces cloches qui ressemblent à celles des jacinthes, mais qui sont garnies de franges soyeuses, ne sont-elles pas plus élégantes que votre lourde fleur qui a l’air d’un œuf à la coque ?

— Mon frère, donne-moi une de ces belles demoiselles dont il y a une si grande quantité !
Elle cria à ses enfants : « Souvenez-vous de moi ! »

— Les demoiselles, dit Lionel, en présentant une demoiselle bleue et une verte à Lydie, s’appellent des libellules.

— Eh bien, moi, j’aime mieux les appeler demoiselles, répliqua la petite fille un peu piquée. Maman, ayez donc la bonté d’en tenir une pendant que j’examinerai l’autre. Voyez donc ces deux yeux de cristal tout ronds ? des yeux plus gros que le reste de la tête.

— Ne remarques-tu pas, ma fille, les trois autres qui sont lisses et placés au sommet de cette tête.

— Pourquoi cet insecte a-t-il tant d’yeux que cela ?

— Sans doute parce qu’il a beaucoup d’ennemis dont il craint l’approche, et aussi une proie difficile à surprendre.

— Quel beau corps rayé de vert brillant avec des bandes de velours noir ! continua Lydie en examinant toujours sa libellule ; quelle grâce elle a dans toute sa longue personne, ma demoiselle ! Je voudrais, comme dans les contes de fées, avoir une robe faite de la gaze de ses ailes.

— Regarde celle qui effleure ces feuilles d’iris ! elle agite ses ailes avec tant de prestesse que l’on voit à peine son corps à travers l’espèce d’auréole mouvante dont elle s’entoure.

— La pauvre créature, dit M. Legentil, se hâte de jouir de cette existence aérienne qui doit être de si courte durée. Il n’y a pas bien longtemps encore elle n’était pas si fringante, enfermée dans son étroite gaîne de nymphe, n’ayant pour se mouvoir que des nageoires imparfaites !

— Mais ce sont des bêtes féroces que ces libellules que tu admires tant, dit Lionel. En voilà une qui vient de saisir un papillon sur cet épi de salicaire, et elle l’emporte pour le dévorer à son aise.

— Mon Dieu, mon frère, ne manges-tu pas des huîtres toutes vivantes ? »

Lydie ouvrit les doigts et rendit la liberté aux demoiselles, qu’elle vit alors effleurer toutes les plantes sans se poser sur aucune.

« Lionel ! Lionel ! s’écria Mina qui s’était fort peu intéressée aux libellules, donne-moi de ces feuilles qui ressemblent aux flèches des petits Amours peints au-dessus des portes, dans la maison de maman ! »

Pendant que son frère cherchait à atteindre des sagittaires, la petite fille apercevant, presque à portée de sa main, un beau jonc couronné par une ombelle de fleurs roses en étoile, ne put résister à la tentation ; elle allongea le bras avec tant de vivacité qu’elle tomba sur le bord du bateau le corps tout à fait en dehors, et, si son père ne l’eût pas retenue à temps, elle courait risque de se noyer.

Mme Legentil prit dans ses bras l’enfant toute ruisselante, pendant que Lionel cueillait le butôme ou jonc fleuri, objet de la convoitise de sa sœur. L’on rentra bien vite à la maison. La mère ne voulut rien dire à Mina qui avait été saisie par la peur et par la fraîcheur de l’eau. Mais, quand l’enfant fut remise, on lui signifia que, puisqu’on ne pouvait pas compter sur son obéissance, elle ne se promènerait plus en bateau.