Les maladies mentales dans l’œuvre de Courteline/Chapitre VIII

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VIII. Idées délirantes des prisonniers ; confusion mentale.


Dans l’observation suivante, Courteline nous décrit une évasion de Latude[1], personnage historique qui fut détenu en prison pendant trente-cinq ans, pour avoir envoyé à Madame de Pompadour une petite boîte explosive dans l’espérance d’obtenir, en dénonçant cet imaginaire attentat, une récompense. On voit que le Latude historique lui-même n’est pas un personnage absolument normal. Courteline en fait un cas de confusion mentale qu’on pourrait peut-être attribuer à l’emprisonnement prolongé et au manque d’équilibre antérieur, et classer parmi les délires des prisonniers… Voici le personnage qui se présente lui-même : « Je suis Laté, j’ai trente-cinq ans de captivitude ! (Il se reprend) Heu… je suis Latude, veux-je dire ; j’ai trente-cinq ans de viticapté ; heu… de tivécapti ; pardon !… Flûte ! je ne trouve plus mes mots. C’est le manque d’oxygène. Saleté de Pompadour qui me laisse pourrir sur la paille humide des cachots… Voici la cellule où le vidame de Proutrépéto, victime comme moi des haines de la favorite, gémit durant tant d’années ; et voici le lit où ce digne vieillard rendit, hier, le dernier soupir. (Soulevant sa casquette) Salut demeure chaste et pure !… Cristi que ça sent le renfermé !!! »

L’administration ayant conçu l’idée de faire carder le matelas du défunt. Latude conçoit le dessein de se coudre dedans après en avoir boulotté la laine. Il a un couteau fabriqué avec un manche de côtelette, une aiguille représentée par une arête de merlan et du fil manufacturé avec des fibres de bœuf. « Tous les jours, depuis trente-cinq ans, je prenais sur ma portion un petit filament de gite à la noix, que je dissimulais avec soin dans le creux de ma main, et qui venait s’ajouter à la masse. Résultat : ceci », et il tire de sa poche une pelote de couleur brune… « Mais avec tout ça, je bavarde », c’est le prisonnier qui parle, « quelle heure est-il ? (regardant à la lucarne). Il est précisément au soleil onze heures quarante-quatre minutes. Dans un quart d’heure, mes deux gaillards seront ici. Deux cardeurs de matelas et un quart d’heure d’horloge, ça fait trois quarts d’heure : j’ai le temps… »

Cette observation nous offre le type de confusion mentale légère, à peine apparente ici et là dans les phrases, dans les idées. La suivante, nous montre deux cas de confusion mentale à l’état aigu, deux vrais fous, deux maniaques.

  1. G. Courteline : Une Évasion de Latude (L’Esprit Français).