Les mathématiques en Grèce au milieu du Vème siècle/Appendice

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Texte établi par Hermann et Cie,  (p. 91-92).

APPENDICE

Depuis que cette étude a été écrite (début de 1933), M. Neugebauer[1], un des critiques qui s’acharnent le plus à vouloir retrouver dans les mathématiques Babyloniennes et Égyptiennes (antérieures au 19er millénaire), l’algèbre ordinaire, a produit la traduction de textes cunéiformes où il veut retrouver les équations du 3e degré. Nous ne pouvons que maintenir toutes nos conclusions. Les problèmes envisagés sont des paradigmes, c’est entendu, mais des paradigmes de problèmes d’arithmétique et de géométrie métriques concernant la mesure et la construction pratiques des volumes, où l’on peut déceler comme dans d’autres tablettes et dans le Rhind, des traces d’essais, et les souvenirs empiriques de la méthode de fausse position. Il n’y a rien là qui relève de la conception de l’algèbre, de la pensée algébrique, encore qu’on s’avance sur la voie qui y mènera, et par l’intermédiaire, à la fois, de la logistique et de l’algèbre géométrique, nous le reconnaissons ici, comme nous l’avons reconnu pour ce qui concernait le ler et le 2e degré. Et ce n’est pas seulement une affaire de définition de mot, ce qui après tout serait arbitraire et de peu d’importance. C’est une affaire qui concerne au premier chef la compréhension et l’intelligence de l’histoire des idées et de l’esprit humain : le seul objectif vraiment intéressant à nos yeux dans l’histoire des sciences. Nous sommes ici en plein dans ce qui a fait le ressort et le progrès réel de la mathématique. Du reste la preuve convaincante c’est que si, bien avant l’ère chrétienne et surtout avant Diophante, on avait eu l’idée algébrique des équations et, peu ou prou, la pensée algébrique, toute la face de la mathématique en eût été changée. L’algèbre est l’antipode même des solutions isolées et sporadiques. Elle est, en soi, une méthode systématique et n’existe que par là. On le voit bien à la continuité et à la rapidité (relative) de ses progrès, dès qu’on s’élève à cette attitude mentale nouvelle, en la comprenant pleinement. S’il y a eu, entre Diophante et ses successeurs hindous[2] et arabes, d’une part, et les premiers algébristes véritables du Moyen-Age occidental, d’autre part, une lacune, elle est due a la stagnation et à la carence de pensée des Arabes épigones, et à l’absence de cette pensée algébrique, précisément, en Occident. Cette lacune est, d’ailleurs, de moindre durée qu’on ne le croit d’ordinaire.

  1. Über die Lösung Kubischer Gleichungen in Babyloniern. Nachr. ges. Wiss. Gott. Math. -phys. Kl. Année 1933, pp. 316-321.
  2. Nous disons : successeurs. Malgré la difficulté de la chronologie, l’algèbre hindoue, au sens vrai du mot algèbre, nous paraît en effet postérieure à ses commencements en Grèce depuis le 1er siècle jusqu’à Diophante, en deçà de l’œuvre duquel les Hindous sont toujours restés, même si l’on ne considère que la partie (les premiers livres seulement) que nous connaissons de cette œuvre. Il reste, comme nous le montrons dans « l’apogée de la science grecque » (sous presse), que l’algèbre sort du calcul, de cette logistique, tant dédaignée par l’orthodoxie de la grande mathématique hellénique, mais qui reprend ses droits, à Alexandrie, au déclin de la pensée grecque et au contact, peut-être, des calculateurs de l’Orient. L’algèbre naît alors de l’application de l’esprit mathématique grec à la logistique reprise pour elle-même. Archimède y tend déjà. Seulement il est trop imbu de cet esprit, pour s’affranchir complètement de la géométrie orthodoxe qu’il cherche toujours à retrouver.