Les mausolées français/Méhul

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MÉHUL.



Un cippe de marbre blanc, décoré d’une lyre d’or, et surmonté d’une urne cinéraire, forme tout le monument érigé à Méhul, compositeur sublime dont le nom et les ouvrages seront révérés en France, tant qu’on y conservera le goût de la bonne musique, l’élève favori de Gluck, le rival et l’ami de Grétry.

Sur le cippe est gravé en lettres d’or :


E. N. MEHUL,

MEMBRE DE L’INSTITUT
ET DE LA LÉGION D’HONNEUR,
NÉ A GIVET
LE 22 JUILLET 1763,
MORТ A PARIS

LE 18 8bre 1817.




E. N. Méhul, membre de l’Académie des Beaux-Arts, professeur de composition à l’École royale de Musique, surintendant de la musique de la chapelle du roi, reçut, dans le lieu de sa naissance, les premières leçons de son art d’un organiste aveugle, et apprit la composition d’un maître allemand versé dans la science du contre-point. Conduit à Paris par le desir de cultiver son talent, il devint un des meilleurs élèves d’Edelmann, célèbre pianiste. Mais bientôt le chevalier Gluck, dont il fit la connaissance[1], et dont il admirait les chefs-d’œuvre jusqu’à l’enthousiasme, sut apprécier ses heureuses dispositions, et l’initia dans la partie philosophique et pratique de l’art musical. Ses premiers ouvrages le mirent en peu de temps au rang des meilleurs compositeurs, et ses débuts à l’Opéra comique eurent un succès éclatant. Euphrosine et Coradin produisirent une sensation difficile à décrire[2], et les charmants opéras de l’Irato[3], du Jeune Henri, d’Une Folie, de la Caravanne, de Joseph, de Baiser et Quittance, des Deux Aveugles ; de la Journée aux Aventures, etc. etc. ; la musique des ballets du Jugement de Paris, de la Dansomanie, d’Andromède, ses Cantates et autres compositions fugitives, ne firent qu’ajouter à sa réputation, et ont attaché à son nom la gloire la plus durable[4].

Méhul, attaqué d’une maladie de langueur, fut habiter quelque temps le beau ciel de la Provence ; mais il ne recouvra point la santé : les destins avaient fixé le terme de sa vie. Il revint à Paris, et y est mort à l’âge de 54 ans. A ses funérailles, 140 musiciens ont exécuté avec pompe une messe de Jomelli, et les muses en pleurs, et les regrets de l’amitié escortèrent son convoi.

  1. Méhul arriva à Paris lorsque Gluck s’occupait de taire représenter son dernier chef-d’œuvre (Iphigénie en Tauride). Notre jeune artiste, dévoré du desir de l’entendre, et ne pouvant se procurer un billet d’entrée pour la représentation, dont le prix eût excédé ses facultés, imagina de pénétrer dans la salle la veille et de se blottir dans une loge, espérant se trouver ainsi tout placé pour le lendemain. Mais un inspecteur de la salle passe, et Méhul est découvert. Gluck se trouvait alors sur le théâtre : il apprit de la bouche même du jeune étranger l’excusable motif de sa supercherie, et fut sensible à une marque si évidente de son goût pour l’art ; il l’accueillit avec bonté, lui donna un billet, et l’engagea à venir souvent le voir.
  2. Ce fut à l’occasion de cette pièce que Grétry appliqua à Méhul ce vert d’Horace, que Diderot lui avait auparavant appliqué à lui-même :
    Irritat, mulcel, falsis terroribus implet.
  3. Où il imita la musique italienne de manière à tromper les plus habiles connaisseurs.
  4. La noblesse jointe à la simplicité, l’énergie à l’élégance, caractérisent la musique de Méhul. Elle n’a point l’air d’être le fruit de l’étude et d’un travail pénible ; elle semble être toute d’inspiration ; on n’y rencontre rien d’imparfait et point de négligence. Nul n’a fait an usage plus heureux des instruments ; il savait les faire chanter tous ; on pourrait même dire jusqu’aux tymbales qui produisent un effet particulier dans l’entracte de Joseph. Les symphonies qui précèdent ses opéras sont admirables, et il ne faut que citer l’ouverture des Aveugles de Tolède, et celle du Jeune Henri. Ses accompagnements sont riches en effets, et ne font que ressortir davantage ses belles mélodies. La musique de Joseph, qui a remporté le grand prix décennal, est toute sublime ; elle nous reporte à l’âge d’or. Le fils infortuné de Jacob pouvait-il raconter ses aventures avec une simplicité plus touchante ? pouvait-il exprimer ses chagrins avec plus de sensibilité ? Méhul composait de verve et de passion, et ne s’est jamais écarté des règles de l’art ni du goût le plus pur. (Note de M. de Jolimont le jeune.)