Les mouvements et les habitudes des plantes grimpantes/6

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REMARQUES FINALES SUR LES PLANTES GRIMPANTES.


Les plantes deviennent grimpantes, comme on peut le présumer, afin d’atteindre la lumière et d’exposer une large surface de leurs feuilles à son action et à celle de l’air libre. Ce résultat est obtenu par les plantes grimpantes avec une dépense prodigieusement faible de matière organisée en comparaison des arbres dont le tronc massif doit supporter un poids considérable de branches. Voilà pourquoi, sans doute, il y a, dans toutes les parties du globe, tant de plantes grimpantes appartenant à des familles si différentes. Ces plantes sont rangées en quatre classes, sans tenir compte de celles qui rampent simplement sur les buissons sans être douées d’aucun appareil spécial. Les plantes grimpant à l’aide de crochets sont les moins actives de toutes, au moins dans nos pays tempérés, et elles peuvent grimper seulement au milieu d’une masse enchevêtrée de végétation. Les plantes grimpant à l’aide de radicelles sont admirablement adaptées pour s’élever le long des faces nues de rochers ou des troncs d’arbre ; cependant, quand elles grimpent le long des troncs, elles sont obligées de se tenir surtout à l’ombre, elles ne peuvent passer d’une branche à l’autre et couvrir ainsi tout le sommet d’un arbre, car leurs radicelles exigent un contact prolongé et intime avec une surface solide, avant d’y adhérer. Les deux grandes classes de plantes volubiles et de plantes avec des organes sensibles, savoir, les plantes grimpant à l’aide de leurs feuilles et celles qui sont pourvues de vrilles prises ensemble, dépassent de beaucoup sous le rapport du nombre et de la perfection de leur mécanisme les plantes grimpantes des deux premières classes. Celles qui ont la faculté de s’enrouler spontanément et de saisir des objets avec lesquels elles viennent en contact, passent facilement d’une branche à l’autre et rampent avec succès sur une surface étendue et éclairée par le soleil

Les divisions contenant les plantes volubiles, les plantes grimpant à l’aide de leurs feuilles et celles pourvues de vrilles passent insensiblement, jusqu’à un certain point, de l’une à l’autre, et presque toutes ont la faculté de s’enrouler spontanément. On peut demander si cette gradation indique que les plantes appartenant à une subdivision ont passé actuellement ou sont susceptibles de passer durant le laps des temps d’un état à l’autre ? Une plante pourvue de vrilles, par exemple, a-t-elle acquis son organisation actuelle sans avoir passé antérieurement par l’état de plante volubile ou de plante grimpant à l’aide de ses feuilles ? Si nous considérons seulement ces dernières, l’idée qu’elles étaient primordialement volubiles nous est forcément suggérée. Les entre-nœuds de toutes, sans exception, s’enroulent exactement comme les plantes volubiles mais un petit nombre seulement sont encore très-volubiles, et beaucoup d’autres le sont imparfaitement. Plusieurs genres de plantes grimpant à l’aide des feuilles sont alliés à d’autres genres qui sont simplement volubiles. Il faut remarquer aussi que la présence de feuilles avec des pétioles sensibles et avec la faculté qui en résulte de saisir un objet, serait comparativement peu utile à une plante sans les entre-nœuds qui, en se contournant, mettent les feuilles en contact avec un support ; néanmoins, comme le professeur Jaeger l’a remarqué, il n’est pas douteux qu’une plante rampante puisse reposer sur d’autres plantes à l’aide de ses feuilles. D’autre part, les entre-nœuds enroulants suffisent, sans aucune autre aide, à rendre la plante grimpante ; en sorte qu’il paraît probable que les végétaux grimpant à l’aide de leurs feuilles ont été dans la plupart des cas d’abord volubiles, et sont devenues ensuite capables de saisir un support : ce qui, comme nous le verrons dans un instant, constitue un grand avantage additionnel.

Pour des raisons analogues, il est probable que tous les végétaux pourvus de vrilles étaient primitivement volubiles, c’est-à-dire qu’ils sont les descendants de plantes ayant cette faculté et cette habitude ; car les entre-nœuds de la plupart accomplissent un mouvement révolutif, et, dans un certain nombre d’espèces, la tige flexible conserve encore la faculté de s’enrouler en hélice autour d’un tuteur vertical. Les plantes pourvues de vrilles ont subi des modifications bien plus nombreuses que les plantes grimpant à l’aide de leurs feuilles ; il n’est donc pas étonnant que les habitudes primordiales d’enroulement en spirale et en hélice qu’on leur attribue aient été plus fréquemment perdues ou modifiées que dans les plantes grimpant à l’aide de leurs feuilles. Les trois grandes familles munies de vrilles dans lesquelles cette perte a eu lieu de la manière la plus marquée sont les Cucurbitaceæ , les Passifloraceæ et les Vitaceæ. Dans la première, les entre-nœuds exécutent un mouvement révolutif, mais je ne connais pas de forme volubile, à l’exception (suivant Palm, p. 29, 52) du Momordica balsamina, et encore celui-ci est-il une plante imparfaitement volubile. Dans les deux autres familles, je ne connais pas de plantes volubiles, et les entre-nœuds ont rarement le pouvoir de s’enrouler, ce pouvoir étant limitée aux vrilles. Cependant les entre-nœuds du Passiflora gracilis ont cette faculté d’une manière parfaite et ceux de la Vigne ordinaire à un degré imparfait ; de façon qu’au moins une trace de l’habitude supposée primordiale a été conservée par quelques membres de tous les groupes principaux de plantes pourvues de vrilles.

D’après cette manière de voir, on peut se demander : Pourquoi les espèces qui étaient primitivement volubiles ont été converties, dans tant de groupes, en plantes grimpant à l’aide de leurs feuilles ou pourvues de vrilles ? Quel avantage en est-il résulté pour elles ? Pourquoi ne sont-elles pas restées à l’état de simples plantes volubiles ? Nous pouvons admettre plusieurs motifs : il pouvait être avantageux pour une plante d’acquérir une tige plus forte avec de courts entre-nœuds portant des feuilles grandes ou nombreuses ; ces tiges sont mal adaptées pour être volubiles. Quiconque observera des plantes volubiles pendant que le vent souffle, verra qu’elles sont facilement éloignées de leur support : il n’en est pas de même des plantes pourvues de vrilles ou grimpant à l’aide de feuilles, car elles saisissent promptement et solidement leur support d’une manière beaucoup plus efficace. Dans les plantes qui s’enroulent encore, mais qui possèdent en même temps des vrilles ou des pétioles sensibles, telles que certaines espèces de Bignonia, de Clematis et de Tropœolum, on peut facilement observer qu’elles saisissent incomparablement mieux un tuteur vertical que ne le font des plantes simplement volubiles. Par suite de cette faculté de saisir un objet, les vrilles peuvent devenir longues et minces, en sorte que peu de matière organique est dépensée dans leur développement, et cependant elles décrivent un vaste cercle à la recherche d’un support. Les plantes munies de vrilles peuvent, dès leur première pousse, s’élever le long des branches extérieures de tout buisson voisin, et elles sont alors toujours exposées complétement à la lumière. Les plantes volubiles, au contraire, sont mieux organisées pour grimper le long des troncs nus, et elles poussent ordinairement à l’ombre. Dans les hautes et épaisses forêts des tropiques, les plantes volubiles réussiraient probablement mieux que la plupart des espèces pourvues de vrilles ; mais du moins dans nos régions tempérées, le plus grand nombre des plantes volubiles ne peuvent pas, par suite de la nature de leur mouvement révolutif, s’élever le long des gros troncs. Les végétaux pourvus de vrilles, au contraire, peuvent le faire si les troncs ont des branches ou portent des menus branchages, et dans quelques espèces si l’écorce est rugueuse.

L’avantage obtenu en grimpant est d’atteindre la lumière et l’air libre avec aussi peu de dépense que possible de matière organique ; or, chez les plantes volubiles, la tige est beaucoup plus longue que cela n’est absolument nécessaire ; j’ai mesuré, par exemple, la tige d’un haricot qui s’était élevée exactement à 60 centimètres de hauteur cette tige en avait 90 de long ; d’autre part, la tige d’un pois, qui s’était élevée à la même hauteur à l’aide de ses vrilles, n’était guère plus longue que la hauteur qu’elle avait atteinte. Cette économie faite sur la longueur de la tige est réellement un avantage pour les plantes grimpantes. On peut le déduire de l’examen des espèces qui s’enroulent encore en hélice, mais qui, étant aidées par des pétioles préhenseurs ou des vrilles, décrivent en général des spires plus ouvertes que celles dessinées par des plantes simplement volubiles. De plus, les plantes ainsi favorisées, après avoir fait un ou deux tours dans une direction, s’élèvent en général verticalement sur une certaine longueur, et puis renversent la direction de leur spire. Par ce moyen, elles s’élèvent avec la même longueur de tige à une hauteur beaucoup plus grande qu’elles n’auraient pu le faire autrement, et elles le font avec succès, puisqu’elles se fixent par intervalles à l’aide de leurs pétioles préhenseurs ou de leurs vrilles.

Nous avons vu que les vrilles correspondent à divers organes modifiés, savoir : des feuilles, des pédoncules floraux, des branches et peut-être des stipules. Relativement aux feuilles, la transformation est évidente. Dans les jeunes pieds de Bignonia, les feuilles inférieures restent souvent sans aucune modification, tandis que les supérieures ont leurs folioles terminales converties en vrilles parfaites ; dans l’Eccremocarpus, j’ai vu la ramification latérale d’une vrille remplacée par une véritable foliole ; d’autre part, dans le Vicia sativa, les folioles sont parfois remplacées par des vrilles ramifiées. Il existe beaucoup de cas analogues ; mais ceux qui admettent la modification lente de l’espèce ne se contenteront pas de constater la nature homologique des différentes espèces de vrilles, ils voudront savoir, autant que possible, par quels degrés successifs les feuilles, les pédoncules floraux, etc., ont passé pour modifier complétement leurs fonctions et devenir des organes simplement préhensiles.

Dans tout le groupe des plantes grimpant à l’aide des feuilles, nous avons donné des preuves nombreuses qu’un organe, tout en remplissant les fonctions de feuille, peut devenir sensible à un contact et saisir ainsi un objet voisin. Chez plusieurs plantes grimpant à l’aide de véritables feuilles, celles-ci s’enroulent spontanément et leurs pétioles, après avoir saisi un support, deviennent plus épais et plus vigoureux. Nous voyons ainsi que les feuilles peuvent acquérir toutes les qualités principales et caractéristiques des vrilles, savoir : la sensibilité, le mouvement spontané, et subséquemment l’accroissement de volume. Si leurs limbes ou lames venaient à avorter, elles formeraient de véritables vrilles. Nous pouvons suivre chaque degré de cet avortement, jusqu’à ce qu’il ne reste plus aucune trace originelle de la vrille. Dans le Mutisia clematis, la vrille, sous le rapport de la forme et de la couleur, ressemble parfaitement au pétiole des feuilles ordinaires, ainsi qu’aux nervures moyennes des folioles ; parfois on trouve encore des vestiges de limbes. Dans quatre genres de Fumariacées, on peut suivre les différents degrés de transformation. Les folioles terminales du Fumaria officinalis, plante grimpant à l’aide de ses feuilles, ne sont pas plus petites que les autres folioles ; celles de l’Adlumia cirrhosa, grimpant au moyen de ses feuilles, sont considérablement réduites ; celles du Corydalis claviculata (plante qui peut être indifféremment appelée une plante grimpant à l’aide des feuilles ou une plante pourvue de vrilles) sont réduites à des dimensions microscopiques, ou ont le limbe complétement avorté, en sorte que cette plante est actuellement à l’état de transition ; enfin, dans le Dicentra, les vrilles sont parfaitement caractérisées. Par conséquent, si nous pouvions voir en même temps tous les ancêtres du Dicentra, nous nous trouverions très-probablement en face d’une série comme celle que présentent maintenant les trois genres précités. Dans le Tropœolum tricolorum, nous avons un autre genre de passage : les premières feuilles formées sur les jeunes tiges sont entièrement dépourvues de limbes et doivent être appelées vrilles ; les dernières formées, au contraire, ont des limbes bien développés. Dans tous les cas, la sensibilité acquise par les nervures moyennes des feuilles paraît être dans un rapport intime avec l’avortement de leurs limbes.

D’après cette manière de voir, les plantes grimpant à l’aide des feuilles étaient primitivement des plantes volubiles et celles pourvues de vrilles (quand elles sont formées de feuilles modifiées) étaient primitivement des plantes grimpant à l’aide des feuilles. Ces dernières, par conséquent, sont intermédiaires par leur nature entre les végétaux volubiles et ceux pourvus de vrilles, et doivent avoir un degré de parenté avec les uns et avec les autres. C’est ce qui a lieu, en effet : ainsi les diverses espèces d’Antirrhineœ, de Solanum, de Cocculus et de Gloriosa, grimpant à l’aide de leurs feuilles, ont dans la même famille et même dans le même genre des parents qui sont volubiles. Dans le genre Mikania, il y a des espèces qui grimpent avec leurs feuilles et des espèces volubiles. Les espèces de Clématite qui grimpent à l’aide de leurs feuilles sont très-voisines du Naravelia pourvu de vrilles. Les Fumariacées comprennent des genres alliés intimement entre eux, dont les uns grimpent avec leurs feuilles, tandis que les autres sont munis de vrilles. En dernier lieu, une espèce de Bignonia est à la fois une plante grimpant à l’aide de ses feuilles et néanmoins armée de vrilles ; des espèces très-voisines sont volubiles.

D’autres vrilles sont des pédoncules floraux modifiés. Dans ce cas nous avons également un grand nombre d’états intéressants de transition. La vigne ordinaire (pour ne pas mentionner le Cardiospermum) nous montre tous les degrés imaginables entre une vrille parfaitement développée et un pédoncule floral couvert de fleurs, mais portant une ramification appelée vrille florale. Quand cette dernière est florifère (comme cela arrive quelquefois) et qu’elle conserve encore la faculté de saisir un support, nous reconnaissons là un état primitif de toutes ces vrilles qui ont été formées par la modification des pédoncules floraux.

Suivant Mohl et d’autres botanistes, quelques vrilles se composent de branches modifiées ; je n’ai pas observé de cas semblables, et je ne sais rien au sujet de leur état de transition, mais ceux-ci ont été complétement décrits par Fritz Müller. Le genre Lophospermum nous montre aussi comment une telle transition est possible ; car ses branches s’enroulent spontanément et sont sensibles au contact. Par conséquent si les feuilles sur plusieurs branches du Lophospermum venaient à avorter, ces branches seraient converties en véritables vrilles. Et il n’y a rien d’improbable à supposer que certaines branches seules soient ainsi modifiées, tandis que d’autres ne le seraient pas : nous avons vu, en effet, pour certaines variétés de Phaseolus, que plusieurs des branches sont minces, flexibles et volubiles, tandis que d’autres branches sur la même plante sont rigides et non volubiles[1]

Si nous recherchons comment un pétiole, une branche ou un pédoncule floral sont devenus d’abord sensibles à un contact et ont acquis la faculté de se courber vers le côté touché, nous n’avons aucune donnée certaine à cet égard. Néanmoins une observation de Hofmeister[2] qui mérite bien de fixer l’attention est celle que les tiges et les feuilles de toutes les plantes, quand elles sont jeunes, se meuvent après avoir été choquées. Kerner trouva aussi, comme nous l’avons vu, que les pédoncules floraux d’un grand nombre de plantes, s’ils sont choqués ou frottés délicatement, s’incurvent de ce côté. Or, ce sont les jeunes pétioles et les vrilles, quelle que soit leur nature homologique, qui se meuvent après avoir été touchés. Il semblerait donc qu’une faculté originelle et très-répandue s’est développée et perfectionnée dans les plantes grimpantes qui l’ont utilisée. Cette faculté, autant que nous pouvons le constater, est sans utilité pour les autres plantes. Si nous recherchons en outre comment les tiges, les pétioles, les vrilles et les pédoncules floraux des plantes grimpantes ont acquis d’abord leur faculté de s’enrouler spontanément, ou, pour parler plus exactement, de s’incurver successivement vers tous les points de l’horizon, nous sommes encore réduits au silence ; nous pouvons seulement faire observer que la faculté de se mouvoir, soit spontanément, soit par suite de divers stimulants, est bien plus commune chez les plantes que ne le supposent généralement ceux qui n’ont pas étudié ce sujet. J’ai cité un exemple remarquable, celui du Maurandia semperflorens, dont les jeunes pédoncules floraux s’enroulent spontanément en cercles très-petits et s’incurvent à un contact léger du côté touché. Cependant cette plante n’utilise assurément pas ces deux facultés qui sont faiblement développées. Un examen rigoureux d’autres jeunes plantes montrerait probablement de légers mouvements spontanés dans leurs tiges, leurs pétioles ou leurs pédoncules, ainsi qu’une certaine sensibilité au contact[3]. Nous voyons du moins que le Maurandia, par suite d’un léger accroissement des facultés qu’il possède, pourrait saisir d’abord un support par ses pédoncules floraux, et puis, par suite de l’avortement de plusieurs de ses fleurs (comme chez le Vitis ou le Cardiospermum), acquérir des vrilles parfaites.

Il y a un autre point intéressant qui mérite de fixer notre attention. Nous avons vu que certaines vrilles doivent leur origine à des feuilles modifiées et d’autres à des pédoncules floraux modifiés : en sorte que les unes sont de nature foliaire et les autres de nature axile. On aurait donc pu s’attendre à ce qu’elles eussent présenté quelques différences de fonction. Il n’en est rien ; au contraire, elles offrent l’identité la plus complète dans leurs diverses facultés caractéristiques. Ces deux espèces de vrilles s’enroulent spontanément à peu près avec la même vitesse. Toutes les deux, quand elles sont touchées d’un côté, s’incurvent rapidement de ce côté, se redressent ensuite et sont prêtes à agir de nouveau. Dans les deux cas la sensibilité est bornée à un seul côté ou étendue à toute la périphérie de la vrille. Toutes deux sont ou attirées ou repoussées par la lumière. On observe la dernière propriété dans les vrilles foliaires du Bignonia capreolata et dans les vrilles axiles de l’Ampelopsis. Dans ces deux végétaux, les extrémités des vrilles s’élargissent après un contact en disques qui deviennent adhésifs par la sécrétion d’un ciment. Les deux espèces de vrilles, bientôt après avoir saisi un support, se contractent en spirale ; elles augmentent alors considérablement en épaisseur et en force. Si on ajoute à ces diverses preuves que le pétiole du Solanum jasminoides après avoir saisi un support, offre un des traits les plus caractéristiques de l’axe, savoir, un anneau complet de vaisseaux ligneux, on ne peut guère s’empêcher de demander si la différence entre les organes foliaires et axiles est aussi fondamentale qu’on le suppose généralement[4].

Nous avons essayé de suivre plusieurs des degrés de la genèse des plantes grimpantes. Mais pendant les fluctuations infinies des conditions d’existence auxquelles tous les êtres organisés ont été exposés, on doit s’attendre à ce que certaines plantes grimpantes aient perdu l’habitude de grimper. Nous trouvons une preuve en faveur de cette opinion dans certaines espèces de l’Afrique méridionale appartenant à des grandes familles de plantes volubiles, qui ne sont jamais volubiles dans leur patrie, mais qui le redeviennent quand elles sont cultivées en Angleterre. Dans le Clematis flammula grimpant à l’aide de ses feuilles et dans la vigne pourvue de vrilles, nous n’observons aucun affaiblissement dans la faculté de grimper, mais seulement un reliquat de la faculté d’enroulement, qui est indispensable à toutes les plantes volubiles et qui est aussi commune qu’utile à la plupart des plantes grimpantes. Dans le Tecoma radicans, une Bignoniacée, nous voyons une dernière trace, mais douteuse, de la faculté d’enroulement.

Quant à l’avortement des vrilles, certaines variétés cultivées du Cucurbita pepo ont, suivant Naudin[5], perdu totalement ces organes ou conservé seulement des organes anormaux qui les représentent. D’après mon expérience personnelle je ne connais qu’un seul exemple évident de leur suppression naturelle, savoir, dans le haricot commun. Toutes les autres espèces de Vicia, je crois, portent des vrilles, mais le haricot est assez rigide pour supporter sa propre tige et, dans cette espèce, à l’extrémité du pétiole où, d’après l’analogie, une vrille aurait dû exister, on voit poindre un petit filament aigu, long d’un tiers de pouce (8mm,3) environ et qui est probablement le rudiment d’une vrille. Cela est d’autant plus probable que l’on observe parfois des rudiments semblables sur d’autres plantes à vrilles lorsqu’elles sont jeunes ou mal portantes. Dans le haricot ces filaments ont une forme variable, comme c’est fréquemment le cas pour les organes rudimentaires ; ils sont cylindriques ou foliaires, ou bien profondément sillonnés à la surface supérieure, et n’ont conservé aucun vestige de la faculté d’enroulement. C’est un fait curieux que beaucoup de ces filaments, quand ils sont foliacés, ont à leur surface inférieure des glandes d’une couleur foncée, comme celles des stipules ; elles excrètent un liquide sucré ; en sorte que ces filaments n’ont qu’une bien faible utilité.

Un autre cas analogue, quoique hypothétique, mérite d’être cité. Presque toutes les espèces de Lathyrus possèdent des vrilles ; mais le L. nissolia en est dépourvu. Cette plante a des feuilles qui doivent avoir frappé de surprise quiconque les a observées, car elles diffèrent entièrement de celles de toutes les Papilionacées ordinaires, et ressemblent à celles d’une Graminée. Dans une autre espèce, le L. aphaca, la vrille qui est peu développée (car elle n’est pas ramifiée et n’a pas la faculté de s’enrouler spontanément) remplace les feuilles, ces dernières étant suppléées dans leurs fonctions par de grandes stipules. Supposons maintenant que les vrilles du L. aphaca deviennent aplaties et foliacées, comme les petites vrilles rudimentaires du haricot, et que les grandes stipules soient réduites en même temps de dimension, parce qu’elles ne sont plus nécessaires, nous aurions exactement la contre-partie du L. nissolia et nous comprenons de suite la nature de ses curieuses feuilles.

Ajoutons, pour résumer les idées qui précèdent sur l’origine des plantes pourvues de vrilles, que le L. nissolia descend probablement d’une plante primordiale volubile, puis celle-ci est devenue une plante grimpant à l’aide des feuilles, les feuilles se sont ensuite converties graduellement en vrilles, avec les stipules notablement augmentées de dimension par suite de la loi de balancement[6]. Après un certain temps les vrilles ont perdu leurs ramifications et sont devenues simples, et leur faculté d’enroulement s’est éteinte. Cet état est celui des vrilles du L. aphaca actuel ; mais après avoir perdu leur faculté préhensile et être devenues foliacées, elles ne pouvaient plus être désignées sous ce nom. Dans ce dernier état, celui du L. nissolia actuel, les vrilles remplissent de nouveau les fonctions des feuilles et les stipules antérieurement très-développées n’étant plus nécessaires ont dû diminuer de volume. Si l’espèce se modifie dans le cours des siècles, comme presque tous les naturalistes l’admettent aujourd’hui, nous pouvons conclure que le L. nissolia a traversé une série de métamorphoses analogues jusqu’à un certain point à celles que nous venons d’indiquer.

Le point le plus intéressant dans l’histoire naturelle des plantes grimpantes est la correspondance qui existe entre leurs besoins et leurs divers modes de mouvement. Les organes les plus divers : tiges, branches, pédoncules floraux, pétioles, nervures moyennes de la feuille et des folioles et racines aériennes, tous possèdent cette faculté.

Le premier acte d’une vrille est de se placer dans une position convenable. Par exemple, la vrille du Cobœa s’élève d’abord verticalement avec ses branches divergentes et avec les crochets terminaux tournés en dehors ; la jeune pousse à l’extrémité de la tige est en même temps courbée de côté, de manière à ne pas la gêner dans son parcours. D’autre part, les jeunes feuilles de la Clématite se préparent pour l’action en s’incurvant temporairement en bas, de manière à servir de grappin.

Deuxièmement, si une plante volubile ou une vrille se trouve accidentellement dans une position inclinée, elle se courbe bientôt en haut quoiqu’elle soit à l’abri de la lumière. Le stimulus déterminant est sans aucun doute la pesanteur, comme Andrew Knight a montré que c’était le cas pour les plantes germantes. Si une pousse d’une plante quelconque se trouve dans une position inclinée dans un verre d’eau à l’abri de la lumière, son extrémité se courbera en haut au bout de quelques heures, et quand la position de la tige sera ainsi renversée, la pousse dirigée vers le sol se redressera ; mais si l’on traite ainsi le stolon d’une fraise, qui n’a pas de tendance à croître en haut, il s’incurvera en bas dans le sens de la pesanteur, au lieu d’être en opposition avec elle. Comme pour le fraisier il en est généralement de même pour les tiges volubiles de l’Hibbertia dentata qui grimpent latéralement d’un buisson à l’autre ; car ces tiges, si elles sont placées dans une position inclinée en bas, montrent une tendance faible et parfois nulle à se redresser.

Troisièmement, les plantes grimpantes, comme les autres plantes, s’incurvent vers la lumière par un mouvement très-analogue à l’incurvation qui détermine leur enroulement, en sorte que leur mouvement révolutif est souvent accéléré ou retardé lorsqu’elles se dirigent vers la lumière ou lorsqu’elles s’en éloignent. D’autre part, dans quelques cas, les vrilles s’incurvent vers l’obscurité.

Quatrièmement, nous avons le mouvement révolutif spontané qui est indépendant de tout stimulus extérieur, mais qui est subordonné à la jeunesse de la partie et à une santé vigoureuse ; ceci, comme de raison, dépend encore d’une température appropriée et d’autres conditions favorables.

Cinquièmement, les vrilles, quelle que soit leur nature homologique, les pétioles ou les extrémités des feuilles de plantes grimpant à l’aide des feuilles et sans doute certaines racines, ont tous la faculté de se mouvoir quand on les touche, et se courbent promptement vers le côté touché. Une pression extrêmement légère est souvent suffisante. Si la pression n’est pas permanente, la partie en question se redresse et est de nouveau prête à se courber si elle est touchée.

Sixièmement, les vrilles, bientôt après avoir saisi un support, mais non pas après une simple courbure temporaire, se contractent en spirale. Si elles ne sont pas arrivées au contact d’un objet, elles finissent par se contracter en spirale après avoir cessé de s’enrouler, mais dans ce cas le mouvement est sans utilité et a lieu seulement après un laps de temps considérable.

Relativement aux moyens à l’aide desquels ces divers mouvements s’effectuent, on ne peut guère douter, d’après les recherches de Sachs et de H. de Vries, qu’ils ne soient, dus à une inégalité d’accroissement ; mais, d’après les raisons déjà données, je ne saurais croire que cette explication s’applique aux mouvements rapides dus à un contact délicat.

Enfin, les plantes grimpantes sont assez nombreuses pour former un groupe remarquable dans le règne végétal, surtout dans les forêts tropicales. L’Amérique, qui abonde tellement en animaux vivant sur les arbres, comme M. Bates le fait remarquer, abonde également, suivant Mohl et Palm, en plantes grimpantes ; et parmi les plantes pourvues de vrilles que j’ai examinées, les espèces les plus développées sont originaires de ce grand continent, savoir : les diverses espèces de Bignonia, d’Eccremocarpus, de Cobœa et d’Ampelopsis. Mais, même dans les fourrés de nos régions tempérées, le nombre des espèces et des individus qui grimpent est considérable, comme on peut s’en assurer en les comptant. Elles appartiennent à des ordres nombreux et très-éloignés les uns des autres. Pour se faire une idée générale de leur distribution dans la série végétale, j’ai noté, d’après les listes données par Mohl et Palm (en ajoutant quelques espèces moi-même, et tout botaniste compétent pourra sans doute en augmenter le nombre), les familles du Règne végétal de Lindley, qui comprennent des plantes volubiles ou grimpant à l’aide des feuilles ou pourvues de vrilles. Lindley divise les végétaux Phanérogames en cinquante-neuf alliances ; parmi celles-ci, trente-cinq renferment des plantes grimpantes suivant les différents modes énumérés, en exceptant celles qui grimpent à l’aide de crochets ou de crampons. On devrait ajouter à celles-ci un petit nombre de plantes cryptogames. Tous ces végétaux sont très-éloignés les uns des autres dans la série, et d’un autre côté dans plusieurs des familles les plus importantes et les mieux définies, telles que les Composées, les Rubiacées, les Scrophulariées, les Liliacées, etc., deux ou trois genres seulement contiennent des plantes grimpantes. La conclusion qui s’impose à l’esprit, c’est que la faculté de s’enrouler propre à la plupart des plantes grimpantes est inhérente, bien que non développée, à presque toutes les espèces du règne végétal.

On a affirmé souvent vaguement que les plantes se distinguent des animaux, par l’absence de mouvement. Il serait plus vrai de dire que les plantes n’acquièrent et ne manifestent cette faculté que dans les cas où elle peut leur est utile, ce qui est comparativement rare, car elles sont fixées au sol et la nourriture leur est apportée par l’air et la pluie. On voit à quel degré une plante peut s’élever dans l’échelle de l’organisation, quand on considère une des plantes les mieux pourvues de vrilles. Elle place d’abord ses vrilles prêtes pour l’action, comme un polype dispose ses tentacules. Si la vrille est déplacée, elle subit l’influence de la pesanteur et se redresse néanmoins ; elle est influencée par la lumière, elle se courbe vers elle ou la fuit, ou bien elle n’en tient pas compte, selon qu’elle y trouve son avantage. Pendant plusieurs jours, les vrilles ou les entre-nœuds, ou tous les deux, s’enroulent spontanément avec un mouvement régulier. La vrille touche un objet, le contourne promptement et le saisit solidement. Au bout de quelques heures, elle se contracte en hélice, entraînant la tige en haut, et devient un excellent ressort élastique. Alors tous les mouvements s’arrêtent. Par suite de l’accroissement, tous les tissus deviennent bientôt prodigieusement forts et durables. La vrille a achevé son œuvre et elle l’a admirablement accomplie.

  1. Lorsque l’attention des observateurs se sera portée sur ce sujet, je ne doute pas que des anomalies, des cas tératologiques d’atavisme afférents aux plantes grimpantes ne jettent une vive lumière sur leur descendance. En voici un exemple : M. Faure, aide-botaniste de la faculté de médecine de Montpellier, observa sur un vieux mur une touffe de muflier (Antirrhinum majus, L.) qui présentait, à l’aisselle de ses feuilles, des ramuscules simples, grêles, garnis de feuilles plus petites. Ces ramuscules s’enroulaient, soit autour des tiges voisines, soit autour d’une grande feuille, soit autour de leur propre tige, à la manière des pétioles des feuilles de Clematis ou de Lophospermum. La touffe du muflier était maigre, peu développée, les grappes pauciflores et les fleurs petites. On pourrait donc penser que ces circonstances, dues à ce que la plante croissait sur un mur, pouvaient avoir eu quelque influence sur le développement de ces ramuscules doués de la faculté de s’enrouler ; mais peu de temps après le professeur Ch. Martins observait dans le jardin du Pavillon, occupé jadis par la célèbre marquise de Sévigné à Vichy, une magnifique touffe d’Antirrhinum majus, haute d’un mètre, pourvue également de ramuscules grêles s’enroulant autour des tiges les plus rapprochées de l’Antirrhinum lui-même et des branches d’un rosier voisin. La plante, plongeant ses racines dans les riches alluvions de l’Allier, était des plus luxuriantes. Les grappes de fleurs magnifiques présentaient aussi une anomalie : elles étaient contournées, non pas en hélice ou en spirale, mais en S. On ne saurait donc invoquer pour le pied d’Antirrhinum observé par M. Faure l’idée d’une influence particulière de la station. Il est bien plus probable que nous sommes en présence de deux faits d’atavisme et que les ancêtres des mufliers étaient des plantes grimpantes, comme les espèces des genres les plus voisins, Lophospermum, Maurandia et Rhodochiton, le sont encore. (Voy. pour plus de détails Revue des sciences naturelles, t. V, p. 84, pl. IV, 1876.)

    (Note du Traducteur.)

  2. Cité par Cohn, dans son remarquable mémoire « Contractile Gewebe im Pflanzenreiche », Abhandl. der Schlesischen Gesellschaft, Heft 1, p. 35.
  3. Je trouve maintenant que l’existence de ces légers mouvements spontanés étaient déjà connue, par exemple pour les tiges florales du Brassica napus et pour les feuilles de beaucoup d’autres plantes (Sachs, Traité de Botanique, 1875, pp. 766-785). Fritz Müller a montré aussi, relativement au sujet actuel (Jenaische Zeitschrift, Bd. V, Heft 2, p. 133), que les jeunes tiges d’un Alisma et d’un Linum accomplissent continuellement vers tous les points de l’horizon de légers mouvements, comme ceux des plantes grimpantes.
  4. M. Herbert Spencer a démontré récemment (Principles of Biology, 1865, p. 37 et seq.), avec beaucoup de force, qu’il n’y a pas de distinction fondamentale entre les organes foliaires et les productions axiles des plantes.
  5. Annales des Sc. nat., 4e série, Bot., t. VI, 1856, p. 31.
  6. Moquin-Tandon (Éléments de Tératologie, 1841, p. 156) cite l’exemple d’un haricot monstrueux dans lequel un fait de balancement de cette nature s’effectua rapidement ; car les feuilles disparurent complétement et les stipules devinrent énormes.