Les mystères du collège/II

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Gustave Havard (p. 15-25).


II


LA RENTRÉE

Tristesse d’un côté, joie bruyante de l’autre, voilà, dans les collèges, ce qu’amène octobre ou la fin des vacances.

En effet, si la tristesse s’empare de ceux qui rentrent au collège, comment la joie ne s’emparerait-elle pas de ceux

qui, par tel ou tel motif, y sont restés, et voient arriver le moment du retour de leurs camarades ?

Que l’on se figure un tout petit nombre de pauvres jeunes gens pour qui rien n’a presque changé, et qui, de plus, ont perdu pendant six grandes semaines le plus grand nombre de leurs camarades. Les jeux ne sont plus animés, le langage n’a plus de gaieté, le collége n’est plus qu’une prison ; les niches, les espiègleries, le collégien privé de ses jeunes amis ne songe plus à en faire. Il se promène silencieux, comme si l’âge de la jeunesse avait fui. Un maître d’études, ou, pour employer le terme consacré, un pion ne lui inspirerait pas la plus petite malice. Aussi on pourrait dire, non sans raison, que les vacances sont l’âge d’or des pions.

Ce découragement, ce délabrement chez le collégien qui



ne profite pas des vacances, diminue insensiblement dans la dernière semaine, et arrivé à la veille du grand jour, c’est-à-dire celui de la rentrée, il n’est plus le même. Son teint se colore, sa voie s’anime, il emploie sa dernière nuit en projets de toute espèce ; il voit les cours peuplées, bruyantes ; les murs ont changé d’aspect ; le sol qui les porte tous semble les faire rebondir. Ah ! le beau jour pour ceux qui n’ont pas eu de vacances que celui où elles finissent !

Cette dernière nuit est une nuit aux songes dorés ; le collégien resté captif la passe dans une sorte d’extase, et il voit arriver le jour avec l’espoir dans l’âme, le feu dans les yeux, des sentiments délicieux dans le cœur, l’accent du bonheur dans la voix.

Le matin de ce jour-là on ne se fait pas prier pour se lever ; on va revoir enfin les amis !

Si nous avons peint la joie des prisonniers, nous avons à dire les peines de ceux qui font leurs adieux au toit paternel, au foyer domestique.

Adieu les caresses du grand-papa, de la grand’maman,



du grand-oncle, de la grand’tante ; adieu les promenades avec le père, ce père dont le fils fait toute la joie, tout poir, qui menait son fils au spectacle, et qui, en voyant son âme s’animer, s’élever, s’agrandir aux vers du grand Corneille, ne se tenait pas d’aise !

Adieu les soins plus que doux, plus qu’attendrissants d’une bonne mère, qui comptait les jours pendant lesquels elle devait posséder son fils, son enfant chéri ; qui vivait de sa vie, qui voudrait prendre sur ses jours pour ajouter à ceux de son enfant !

Toutes ces joies sont, je l’espère, plus que suffisantes pour faire goûter les vacances. Et pourtant il serait difficile de dire quels sont les plus heureux ou des parents ou des enfants.

Que le jeune homme qui a le cœur bien placé, qui dès sa naissance a été témoin de la tendre sollicitude de son père et de sa mère pour lui, doit apprécier tant d’amour !

Comme il doit regretter la jolie petite chambre que sa mère lui avait fait arranger, la jolie descente de lit en tapisserie que sa sœur lui avait faite ! Comme il se dorlotait, se prélassait dans le bon et moelleux lit que sa mère, longtemps à l’avance, lui avait fait préparer ! comme il dormait bien et surtout sans soucis des pensums, des retenues et du vilain cachot !

Le matin il n’était réveillé que par les pas de sa mère, qui venait doucement, tout doucement sur la pointe des pieds, entr’ouvrir ses rideaux, et qui disait à son mari, resté à quelques pas d’elle : Chut ! il n’a pas encore les yeux ouverts… je crois qu’il dort encore. Ah ! laissons-le, ce pauvre petit.



À ces mots, le père approche, prend la main de sa femme… tous deux se regardent !… quel doux moment… non, rien ne peut l’égaler… si ce n’est le plaisir qu’éprouvait le collégien, qui mettait de la malice jusque dans le sentiment, et qui faisait semblant de dormir pour prolonger cette scène charmante.

Enfin, le dernier jour des vacances arrive. Chacun dans la maison a le visage rembruni, triste, comme l’est la plupart du temps le commencement des matinées d’octobre.

Mais voilà que le temps se lève, quelques rayons de soleil viennent animer les restes d’une belle verdure, le collégien, avec toute sa famille, fait cette bonne et dernière partie qui précède la rentrée.

On va faire ses adieux à tous ses bons parents, on va visiter celui-ci, on va visiter celui-là.

« Allons, dépêche-toi donc, dit Édouard à sa sœur Estelle ; c’est ma dernière journée, tu le vois bien, nous n’avons pas de temps à perdre.

— Me voilà, me voilà, ne t’impatiente pas, la femme de chambre de maman me met mon chapeau… là… c’est fini. me voilà… es-tu content ? »

Et en disant ces mots, elle lui prend le bras avec cette vivacité, cet enjouement, cette grâce toute particulière chez une jeune fille élevée avec soin et délicatesse.

Le père, la canne en main, regarde et n’est pas assurément le moins heureux… Il oublie que c’est le dernier jour.

La jeune Estelle, de contentement, saute au cou de son père, puis, retournant à son frère, elle s’écrie, donnant un dernier coup d’œil à son ajustement : « Là… nous voilà. »

La mère, moitié gaie, moitié triste, donne quelques ordres avant de partir, « Madeleine, dit-elle à sa grosse cuisinière, n’oubliez pas tout ce que je vous ai recommandé. Vous savez, comme je vous l’ai dit, que nous avons du monde aujourd’hui. — Apportez à notre diner tous les soins possibles. Soignez bien votre filet, vos volailles ; faites en sorte que vos crèmes ne soient pas manquées. »

La grosse Madeleine apparaissant ayant déjà des préparatifs en main, dit : « Soyez tranquille, madame, tout sera parfaitement bien… j’en réponds… »

Cuisinières et cuisiniers ne disent jamais autrement.

Le jeune Édouard écoutait ces paroles avec une attention plus soutenue que celle que l’on apporte quand le professeur est en chaire ; et cela se comprend : il comparait en ce moment le régime de la maison paternelle avec celui du collège, et tout à coup il s’écria :

« Mais, est-ce que les filets de bœuf et les crèmes au chocolat seraient incompatibles avec Homère et Virgile ?

« Ah ! mon père, on ne me persuadera jamais cela. Pour mon compte, je suis sûr que les uns feraient trouver les autres excellents. »

Et chacun de rire !

Sur ce, l’on part. À cinq heures on est rentré, à six heures les convives étaient arrivés, et l’on est dans la salle à manger.

« Mais comme tu es pensif ! dit Estelle à son frère.

« C’est mon dernier bon repas, disait le collégien ; demain le classique haricot reprendra son empire, et nous allons redevenir sa proie. »

Le dîner, comme on le pense bien, détourna un peu les bons parents de cette idée fixe :

C’est demain matin que nous nous en séparerons.

Le dîner fini, on se rend au salon, et là, chacun donne les meilleurs conseils au jeune collégien.

« Mon frère, dit la jeune Estelle, m’a promis qu’il serait bien sage, bien soumis, bien raisonnable, afin de n’être jamais en retenue quand j’irai le voir. »

Édouard, d’un air bon et malicieux à la fois, regardait sa sœur en souriant et semblait lui dire : C’est vrai, j’ai promis ; mais…

La société s’en va et l’on se couche. Ah ! c’est alors que toutes les réflexions arrivent.

Édouard se dit : Ah ! mon bon lit, si je pouvais l’emporter !… mon bon oreiller… et mon édredon !… Dieu ! comme le maître d’études, le pion, le regarderait avec des yeux jaloux !…

Mais allons, reçois mes adieux, puisqu’il le faut.

Le matin de bonne heure, et le père avait donné l’exemple, tout le monde était levé dans la maison.

On déjeune à la hâte, vite et vite. La mère garnit un énorme panier de ceci, de cela.

Et Édouard de dire : « Coquin ! comme les camarades vont être contents ! »

Et le père de s’écrier : « Mais dépêchez-vous donc ! nous arriverons trop tard, vous verrez ça… et vous en serez la cause.

— Ah ! maman, maman, tu as oublié de mettre dans le panier le pot de beurre de Bretagne et les confitures de mirabelle.

— Nous n’avons pas le temps, nous n’avons pas le temps ; partons, partons ! s’écrie le père.

— Tu me les apporteras, dit Édouard à Estelle.

— Oui, mais ce jour-là, tu seras peut-être en retenue, vilain.

— Oh non, non, je te le promets. J’aime le beurre de Bretagne et la mirabelle au moins autant que mes classiques… et puis je songerai toujours à toi. »

Ces dernières paroles se disaient en quittant la maison paternelle.

C’en est fait, les vacances sont finies, les portes des collèges sont ouvertes, les élèves arrivent en foule. Alors tout est en mouvement, tout s’anime ; c’est un tableau vraiment curieux.

Il faut voir avec quel élan ceux qui sont restés captifs reçoivent les arrivants.

« Ah ! c’est toi, te voilà, Edmond ! — Bonjour, mon cher Eugène.

— Mon Dieu ! comme je me suis ennuyé depuis que je ne t’ai vu. Il était temps que les vacances finissent, va, le courage me manquait. — Adolphe, Adolphe ! s’écrie un arrivant, comment ! tu ne me voyais pas, moi ; mais je t’ai aperçu de tout là-bas. As-tu reçu toutes mes lettres, te les a-t-on exactement remises ?… — Oui, oui, nous les relirons ensemble.

— Ah ! va, j’apporte de fameuses provisions… Demain je te ferai voir tout ça.

— Mais vois donc, vois-donc comme les élèves arrivent…



— Oui, mais vois donc, toi, comme ils ont des visages !… ils ont pleuré toute la nuit ; il paraît que l’on s’amuse mieux là où ils étaient qu’ici. Eh ! mon Dieu ! moi aussi j’ai pleuré, mais j’ai senti mon courage revenir en te revoyant. — Ah çà, tu me raconteras tout ce qui s’est passé depuis mon départ, n’est-ce pas ? Nous en ferons un beau chapitre, va, et nous lui donnerons pour titre, ENNUI DE SIX SEMAINES. »

De tous côtés se forment des groupes et des conversations du même genre.

Petit à petit, le visage chagrin de ceux qui ont passé six semaines sous l’aile maternelle se ranime, quelques jeux s’organisent, le collège reprend son entrain accoutumé, et l’on arrive ainsi au lendemain matin, le grand jour, celui où tous les collégiens sont réunis dans la chapelle pour assister à la messe du Saint-Esprit, cérémonie en usage de temps immémorial.

La reprise des études n’est séparée de cette cérémonie que par une récréation ; mais, mon Dieu, qu’elle paraît courte !

Hélas ! hélas ! immédiatement après elle, les portes des classes, celles des études s’ouvrent, et, moment cruel et cuisant ! il faut reprendre en main Lhomond, Burnouf, racines grecques, Epitome, De Viris, Virgile, Horace, Homère… et tout le bataclan de l’antiquité grecque et romaine… Ah grands génies, nous vous donnons et de bon cœur à tous les diables !… Oui, et deux ou trois ans après votre sortie du collège, vous aurez dans vos poches un Horace et un Virgile, et peut-être ferez-vous comme Alexandre, qui ne s’en allait pas en guerre sans qu’Homère fit partie de son bagage.