Les mystères du collège/IX

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Gustave Havard (p. 83-87).


IX


LE COPAIN


C’est par corruption que l’on dit copain ; le vrai mot est compain ou compaing, qui, du temps de nos bons aïeux, signifiait compagnon, qui lui-même vient de cum et panis, qui mange le même pain. Le copain d’un collégien est son camarade, son second lui-même ; manger le même pain n’est pas assez pour eux, ils mordent tous deux, pour bien nous faire comprendre, au même fruit, au même morceau.

Ainsi, au collège, on choisit son copain, et rien au monde ne vient influencer ce choix. Là, l’intérêt est nul, ce mot n’entre pas dans le dictionnaire du collégien. Entre copains l’égalité est parfaite et le dévouement sans bornes ; entre copains tout est commun, peines et plaisirs : les pensums sont partagés comme les confitures.

Tous les collégiens d’un même collège sont camarades, et ce titre se conserve longtemps encore après qu’on en est sorti. Mais il y a entre le camarade et le copain une différence très-sensible : avec son camarade, on joue aux barres, à saute-mouton et à tous les jeux enfin auxquels se livre le collégien ; avec son copain on cause dans l’intimité la plus parfaite ; une récréation ne s’ouvre jamais sans que deux copains fassent dans la cour plusieurs tours de promenade enlacés l’un à l’autre ; et au milieu de la foule, des jeux, des cris, du bruit incessant, ils sont complètement seuls, rien ne les détourne de leur conversation. Quand l’un parle, l’autre est tout oreilles pour l’entendre, tout yeux pour le regarder, et c’est alors qu’il y a dans ces deux physionomies un bonheur candide, natif ; le cœur de chacun se peint dans ses yeux ; c’est un tableau saisissant digne de la palette d’un peintre.

Le copain, par ce seul fait qu’il aime, est bon par nature, mais il ne faut pas que l’on touche à ses affections, à son lui-même ; il est sur ce point aussi susceptible, aussi chatouilleux que l’est le menuisier quand une main profane, une main inhabile a touché à sa scie. Il se fâche, et gare au coupable ! Aussi, quand le pion fait punir le copain d’un collégien, oh ! il sait jusqu’où peut aller l’amitié en courroux ! Les imprécations de la Camille des Horaces ne sont que des roses, que de la Saint-Jean en comparaison ! Cependant, cet Achille, armé d’une règle, dans l’emportement, dans la fureur, fait généreusement un retour sur lui-même et s’écrie, laissant tomber dédaigneusement à ses pieds l’instrument non tranchant :

        Rendez grâces au nœud qui retient ma colère !

C’est bien, très-bien, ça. Le dédain, dans certains cas, est une preuve de force.

Continuons ; il est fâcheux qu’au collège on n’admette pas de remplaçants dans les punitions, car le copain ferait assaut de dévouement ; mais l’intention est réputée pour le fait, et d’ailleurs le peu que nous avons dit du copain suffit pour le faire connaître et comprendre.

Cependant encore un mot à l’appui de notre assertion.

Le cardinal de Fleury, fils d’un simple receveur de tailles, et le maréchal de Villeroy, jeunes tous deux, jurèrent, sur la croix et l’épée, de s’aider mutuellement dans leur fortune, et, qu’en cas de disgrâce, l’un ferait rendre justice à l’autre ou partagerait son sort. Fleury fut précepteur de Louis XV et Villeroy en fut le gouverneur. C’est alors que les deux copains réunis furent du conseil de régence. Quand Villeroy en sortit disgracié, Fleury voulut le suivre, mais Louis XV n’y consentit pas. Que pouvait-il contre la volonté d’un roi !

On l’a dit, les idées ressemblent à nos habits, c’est leur coupe qui les met à la mode, mais le plus souvent l’étoffe est à peu près la même. Ainsi, dans l’antiquité, et dans l’antiquité grecque encore ! nous retrouvons l’origine du copain dans deux très-célèbres cousins, qui devinrent beaux-frères. Voyez ce que peut amener le titre de copain ! Personne, nous l’espérons, ne nous contestera le fait, quand nous aurons nommé Oreste et Pylade, de très-poétique, mais pas du tout de fabuleuse mémoire.

Oh ! ces deux-là, voyez-vous, c’étaient des copains de la première force, c’étaient des copains modèles : l’un voulait mourir pour l’autre. Il est impossible de pousser plus loin les bornes du dévouement. Aussi, nous offrons ces deux copains-là en exemple à tous les copains du monde. Nous ne voulons pas dire par là que les copains pullulent, non ; au collége, comme dans le monde, les copains (nous parlons des vrais copains) sont rares, très-rares. Aussi au collège, se faire un copain n’est pas une petite affaire. Mais quand on s’est tâté le pouls de l’amitié, du dévouement, et qu’un certain nombre d’épreuves sont venues successivement confirmer une première opinion mutuelle, oh ! alors on se donne un baptême, mais un baptême sacré, on s’appelle mon copain.

Et dans toutes les circonstances on est à la vie à la mort… Est-on en promenade et n’a-t-on de numéraire que pour un verre de coco, le cœur en fait un égal partage, eût-on soif à vider la fontaine du marchand. C’est là justement que l’on reconnaît le copain pur sang.

Et, plus tard, si le copain a une jolie sœur, il peut faire comme Oreste, devenir doublement copain en la donnant à son ami Pylade ; et le marié le jour de sa noce s’écriera :

L’amitié d’un copain est un bienfait des dieux !